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in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/campagnesdejacquOOmercuoft
CAMPAGNES
DE
JACQUES DE MERCOYROL
DE BEAULIEU
MAÇON, PROTAT FBKRES, IMPRIMEURS.
HF.S,
CAMPAGNES
DE
JACQUES DE MERCOYPiOL
DE BEAULIEU
CAPITAINE AU RÉGIMENT DE PICARDIE
(1743-1763)
PUBLIÉES
d'après le manuscrit original
POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
LE Marquis de VOGUÉ
ET
Auguste LE SOURD
l
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAURENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRIE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N» 6 •
M DCCCC XV
370
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EXTRAIT DU REGLEÎNIENT.
Art. 14. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller lexécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.-
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans lautorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que les Cam-
pagnes DE Jacques de Mekcovrol de Beaulieu, préparées
par MiM. le marquis de Vogué et Auguste Le Sourd, lui ont
paru dignes d'être publiées par la Société de l'Histoire de
France.
Fait à Paris, le 20 avril 1913.
Sif/né : LéonLECESTRE.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
Noël VALOIS.
AVANT-PROPOS
Jacques de Mercoyrol de Beaulieu apparleiiail à ce quil
appelle lui-même la noblesse de province. Cette noblesse était
très nombreuse en Vivarais ; dans ses rangs se trouvaient rap-
prochés et confondus, malgré la diversité des origines, des
descendants authentiques des vieilles races militaires et les
membres des familles que des causes multiples avaient, de
siècle en siècle et jusqu'aux époques les plus récentes, suc-
cessivement introduites dans le second ordre de l'État.
Cette ascension sociale avait toujours été facile en Vivarais;
elle avait peuplé le pays d'une foule de gentilshommes de con-
dition médiocre, d'ambitions modestes, source inépuisable
d'officiers dévoués et braves qui, trop pauvres pour acheter un
régiment, végétaient dans les grades inférieurs, décimés par la
guerre, s'estimant heureux si, à la fin dune longue et péril-
leuse carrière, ils pouvaient se retirer dans leur famille, avec la
croix de Saint-Louis et une maigre pension de retraite.
Ils écrivaient peu, ce qui donne un certain prix aux rares
récits qu'ils nous ont laissés.
Celui que nous reproduisons ici est intéressant à ce titre.
Sans vouloir généraliser outre mesure, on peut dire qu'il peint
une époque et un milieu ; il nous renseigne sur l'état d'esprit
d'une importante fraction de la société française à la fin du
xviii^ siècle.
Ce qui domine, c'est le sentiment du devoir mihtaire, la
Il AVANT-l'IlOl'OS.
pivoccupatioii constante du « bien du service ». lo souci de
riHtnueur c(»llei'lir et iudi\i(luel di' tous ceux tiui |Hirlenl liini-
fiM-nio. lacceplalion dos inépalilés sociales. Loflicier de pro-
vince «''|)rouve peut-être une secrète tristesse, s'il compare son
IfUl av.iuceineut aux rapides carrières de la noblesse de cour,
mais il neu l.iisse rien soir: il ne moiilic ni anierlume. ni
jalousie. Il n'a ([ue du respect pour « Ihonmie de qualité » ; il
admire le désintéressement avec lequel il (initie une vie facile et
élégante pour les rati','ues de la vie militaire ; il reconnaît les
avantages que le service du lîoi lire de sa tbitune. de sa tradition
ancestrale, de sonautoiité sociale. Il voudrait seulement que la
barrière (jui sépare les deux noblesses tut plus facile à franchir,
que le service du Roi sût profiter plus largement de l'expérience
acquise par les officiers vieillis dans le métier ; que le bâton de
marécbal. d(timé plus souvent à un sujet distingué de la
noblesse de province, soit, pour toute cette classe si intéres-
sante, un encouragement à bien faire.
A un autre point de vue, les récits dun simple capitaine
offrent un réel intérêt; ils racontent la guerre vue (Ju rang,
c est-à-dire de très près, sinon de très haut. Avec eux, nous
pénétrons dans la vie intime de la compagnie, du régiment ;
nous assistons aux petites opérations autant, plus peut-être,
qu'aux grandes manœuvres; nous surprenons les conversations
de la lente et de lavant-poste, nous louchons aux réalités, soil
sublimes, soil mesquines, soit poignantes, dont les contrastes
pourraient fournir plus dun chapitre inédit à Ihistoire tou-
jours ouverte de la grandeur et de la servitude militaires.
La famille de Mercnyrol semble sortie de Saint-Pons, petit
bourg situé dans la montagne, entre Viviers et Villeneuve-
de-Berg, siège dun prieuré dépendant de Pébrac. abbaye
auvergnate de chanoines réguliers Augustins. On l'y trouve
à la lin du .w*^ siècle et plusieurs de ses membres riiabilaienl
AVANT-PROPOS. III
encore à la veille de la Révolution. D'origine notariale, les
Mercoyrol donnent des prieurs au prieuré de Saint-Pons,
des préchantres au chapitre de Viviers ; ils achètent de petites
seigneuries, épousent des fdles nobles et s'agrègent définitive-
ment à la noblesse, vers le milieu du xvii* siècle, en prenant le
parti des armes.
De ce jour, si la situation sociale grandit, le patrimoine cesse
de s'accroître. Jacques de Mercoyrol. seigneur de Beaulieu, le
père de notre auteur, ne possède qu'une petite maison à Viviers,
une grange et quelques maigres terres dans la montagne voi-
sine. Sa femme, Elisabeth de Bergier. de Tarascon. a une
modeste dot, placée sur divers personnages du pays, entre
autres sur un ami de la famille, le marquis de Graveson, qui
habite la Provence : le tout réuni j)roduit à peine 60U livres
de rente. Son frère, Jean-Baptiste, seigneur du Brau. est à
l'armée : il est capitaine dans le régiment de Picardie, ne
dépassera pas ce grade et mourra célibataire.
Jacques de Beaulieu, notre auteur, né le 12 mai 1725. est fils
unique. Sur ce fils se concentrent toute raffeclion, tout l'eflorl
de ses parents. Lui aussi sera soldat: on se privera pour assu-
rer son avenir. Toute son éducation tend vers ce seul but ;
enfant, il ne songe qu'à la guerre ; il groupe les enfants de son
âge, les organise en troupe, les commande, s'exerce avec eux
aux mouvements militaires : ils fourniront plus tard les meil-
leures recrues de sa compagnie.
A dix-sept ans, âge fixé par la tradition, on l'engage comme
volontaire dans le régiment de son oncle. Picardie, premier régi-
ment d'infanterie de France : il rejoint à Straubing.en Bavière,
le 29 mai 17i3. le soir même dune journée malheureuse. Son
oncle a reçu sept balles ; les blessures sont heureusement légères.
Il faut battre en retraite. Picardie fera Tarrière-garde, combat-
tant jour et nuit : sérieuse épreuve pour un débutant : notre
IV \\ \NT-ri!<)l'(>S.
jiMiiic Noloiitairc la supporli' a son lidiiiii'iir : skii (Milliousiasim'
s'fxalle. sim courage se révèle et ne se déineiilira pas pcinlaiil
(juaraiile ans de vie militaire.
LieiitiMiaiit en juillet ITi^, il est nommé capitaine en
novemliiv 17 î»), à vin;,'t et un ans. Cette nomination est l'occa-
sion dune crise intime, dont le récil l'ornic un des épisodes les
plus louchants des Camimijncs.
Après la victoire de Raucoux, le Roi avait décidé d'ajouter
un cinquième bataillon à chacun des six jdus anciens régiments.
Le jeune diu- dAnlin. colonel de Picai'dic il avait dix-neul"
ans), avait proposé à Beaulieu le commandement dune com-
pagnie. Mais la création de toute formation nouvelle entraînait
une '« linance » à payer ta l'État : accepter, c'était obliger ses
parents à débourser 5.000 livres, près de la moitié de leur
modeste avoir : cruelle angoisse ! Un furieux combat se livre
dans rame du jeune lieutenant, entre les glorieuses ambitions
du soldat et les troublants scrupules du (ils : le soldat l'em-
porte ; il se décide à écrire à son père et à courir le solliciter en
"Vivarais. Il réunit a la bâte quelques louis (jui lui étaient dus,
troque, moyennant deux louis, le mulet de son valet contre un
second cheval et part.
La route d'étapes est longue de Xamurà Viviers ; elle parut
interminable au tlls iiKiuiet. Il frappe en hésitantàla porte de
la petite maison, où l'attendent son père, âgé de soixante-trois
ans, sa mère, qui en a cinquante-six, sa grand'mère, qui en a
quatre-vingt-quatre, avec une vieille servante pour tout domes-
tique. Il est reçu à bras ouverts : « Nous mangerons du pain »,
dit le vieux père ; il vendra un pré qu'il déclare trop éloigné
du domaine ; la mère réalisera une partie de sa dot. La somme
requise est réunie et, au bout de ileux mois, le nouveau capi-
taine, son brevet en règle, repart pour la Belgique, à la tête
de trente-deux hommes bien choisis, avec deux chevaux, deux
av.v>;t-propos. V
valets montés à mulet, son équipage et sa garde-robe refaits
par sa mère. La pensée de la détresse qu'il laissait derrière lui
troublait sa joie; elle ne devait dailleurs pas obséder longtemps
sa conscience : ses vieux parents succombaient bientôt lun
après l'autre ; en 1752, ils avaient lous disparu. C'est à peine
s'il avait pu les revoir dans les courtes années de paix qui sui-
virent le traité d'Aix-la-Chapelle.
La guerre de Sept ans le ramena sur les champs de bataille.
Il la fit tout entière comme capitaine de Picardie. Il reçut, en
1760, le commandement de la première compagnie de chasseurs
de son régiment et, en cette quahté, se distingua par d'heureux
coups de main à Sachsenhausen, à Hippenshausen et à Calden
où il eut sous ses ordres jusqu'à neuf compagnies de chasseurs.
Il fut nommé chevalier de 8aint-Louis la même année. Une
note d'inspection, dictée en 1763 par M. de Rochambeau, le
représente comme un officier qui « a toute Tétofte pour faire
un bon major, actif, travaillant à s'instruire dans toutes les
parties, très ferme ». La lecture des Campagnes confirme ce
jugement. Beaulieu s'y montre toujours zélé, à la fois actif et
réfléchi, avide de louanges et nullement intrigant, profondément
pénétré du sentiment de l'honneur militaire, de principes solides
et de mœurs pures, constamment occupé de l'instruction, du
moral et aussi du bien-être de ses hommes.
Major en 1764, il eut rang de lieutenant-colonel en 1767 et
fut pourvu de ce grade en 1774. La même année, il fit campagne
en Corse, où il commanda la ville de Bastia et défit les insurgés
après les avoir chassés du château d'Alfaria. Il rentra en
France en 1777, le régiment de Picardie ayant été remplacé en
Corse par celui de Navarre. Brigadier le 1" mars 1780, il fut
fait maréchal de camp le 1"'' janvier 1784 et se retira dans sa
ville natale avec une pension de 4.000 livres, transformée, le
13 décembre 1792, en « récompense nationale » de 3.600 livres.
YI WA.NT-I'IIOI'OS.
Il niniiiut ;i X'iviors. dans sa (lualiT-vingl-lreiziènic annéo,
lo ,?î) juin 1817. des suites d'un accident.
il a\ailép(»usé. le 13 septembre 1769, Adélaïde deFonlanès,
fille de Pienc de Fontancs, conseiller secrétaire du Roi,
audiencier en la chancellerie de la Cour des Comptes, Aides et
Finances de Montpellier. 11 en eut treize enfants.
C'est en 1788. peu de temps après avoir pris sa retraite, que
Heaulieu écrivit ses Campagnes. Les minutieux détails dans
lesquels il se complaît témoignent de la fidélité de sa mémoire;
né<inmoins ses souvenirs lunt parfois trompé et lui ont fait
commettre quelques erreurs matérielles que nous avons dû
rectifier dans les notes. Le style se ressent des eflets de l'âge :
il est incorrect, souvent confus, parfois incohérent; les digres-
sions et les redites abondent; elles nuisent à la clarté autant
qu'à l'élégance du récit. Sans coiriger, à proprement parler, le
texte et loul en lui laissant sa j)hysionomie originale, nous
avons dû souvent faire des coupures et intercaler des mots :
les premières sont généralement indiquées par des points ou par
des résumés impi-imés en petits caractères ; les .seconds sont
mis entre crochets.
Le manuscrit original, tout entier de la main de l'auteur,
appartient aujourd'hui à son arrière-pelit-fils, M. Roger de
Mercoyrol de Deaulieu, notaire a Avignon, qui nous la très
gracieusement communiqué et qui a droit à toute notre recon-
naissance. Une copie en avait été faite par un des propres fils
de Tauteui-, dans les piemieres années du xix* siècle : cette
copie appartient aujourd'hui à M. Voilant qui. lui aussi,
descend de lauteur et auquel revient le mérite d'avoir tiré son
œuvre de l'oubli. C'est lui. en effet, qui a spontanément mis
son manuscrit à la disposition de l'un des éditeurs du présent
volume, alors qu'il faisait des recherches historiques sur le
"Vivarais ; il lui a ainsi permis, non seulement de recueillir
AVANT-PROPOS. VII
des renseignemenls très utiles pour son travail, mais de recon-
naître lintérèt de lœuvre elle-même et d'en proposer la publi-
cation à la Société de l'Histoire de France. M. Voilant s'est
acquis des titres à sa gratitude personnelle ainsi qu'à celle des
membres de la Société : nous le prions d'en agréer la sincère
expression.
CAMPAGNES
DE
JACQUES DE MERCOYROL
DE BEAULIEU.
CAMPAGNE DE 1743.
Je quittai mes parents au mois de mars 1743,
étant âgé de dix-sept ans. Ils me virent partir avec
les regrets que la nature donne à un fils unique.
Leurs alarmes s'augmentoicnt de ce que j'avois à
franchir une route de plus de deux cent cinquante
lieues, accompagné par un seul valet. Je devois tra-
verser, depuis Viviers en Vivarois, lieu de ma nais-
sance, toutes les provinces qui me séparoient du
Fort-Louis sur le Rhin, et, partant de là. arriver à
Dingelfing sur l'Isar, en Bavière, où étoit le régiment
de Picardie, que j'allois joindre. Un de mes oncles',
capitaine de grenadiers dans cette phalange de
l'empire ("rançois, m'y attendoit. Les fatigues d'une
si longue route furent pour moi des plaisirs.
1. Jean-Baptiste de Mercoyrol du Brau, capitaine de grena-
diers en 1721, commandant de bataillon en 1745, chevalier de
Saint-Louis, fils de Jacques de Mercoyrol de Beaulieu, sei-
gneur de -Miraval, et de Marguerite de Cuchet.
1
2 CAMPAGNES [1743]
.r:iiii\;ii a Sliauhiii^ le 2*.) du mois de mai ', jour
où il s'rtoit passe une allairc assez conséquente à
Dei^i^endorf, où le réi;iment de Champagne et celui
de Bourbonnois avoient beaucoup souH'erl el avoient
été obligés d'abandonner celle ville; ils avoienl fait
des prodiges de valeur, mais avoient été forcés de
céder à une armée entière. Une infinité de soldats
et olFiciers blessés arrivoient à Straubing, soit en
voilure, soit à cheval ou à pied, chacun comme lui
permettoil la nature de ses blessures. C'est au même
instant que je me présente, pêle-mêle avec les blessés,
pour entrer. Comme il étoit ordonné de ne laisser
entrer que les officiers et soldats blessés, la porte
m'est refusée et je reviens sur mes pas, sans récla-
mation, pour aller chercher gîte dans le plus proche
village. Je suis alors accosté par deux officiers de
Champagne qui me demandent pourquoi je reviens
de la ville et si je ne suis pas blessé. L'un et l'autre
de ces deux officiers l'étoient légèrement. Je leur
réponds que je n'ai pas cet avantage, que j'arrive
de France et viens prendre le régiment de Picardie.
— « Le régiment de Picardie, me disent-ils, vous
allez de suite y être fort avancé, car le 24 mai ce
régiment a eu sa sauce à Straubing, comme aujour-
d'hui nous lavons eue à Deggendorf, Il y a eu qua-
lanle ofliciers morts ou blessés. » Sur ce, ils me
laissent et marchent vers la porte, dont nous n'étions
pas encore à cent pas. Plein du récit qu'ils viennent
(\v me faire, ma première idée est de penser à mon
oncle et de me dire combien il seroit malheureux
1. Le manuscrit porte mars par une erreur évidente, le
combat et l'cvacualion de Deggendorf ayant eu lieu le 27 mai.
[1743] DE MERCOYROL DE BEWLIEU. 3
pour moi s'il étoit du nombre des morts. Je m'a-
chemine, mais lentement, pour aller chercher gîte.
A peine avois-je fait trente pas que j'entends une
voix qui me crie : « M. de Picardie ! » Je m'arrête
et tourne bride, et vois un soldat, tout blanc d'uni-
forme, qui se dirige vers moi. C'est un sergent du
régiment de Picardie, qui me demande si je ne suis
pas M. de Beaulieu. Je lui réponds que oui. Il me
dit qu'il est sergent de la compagnie de mon oncle,
que son capitaine et lui, comme une infinité d'autres,
ont été blessés à Dingelfing, qu'il l'est au bras (qu'il
portoit soutenu par une écharpe), que mon oncle
l'est moins, que tout cela ne sera rien. jMon oncle,
qui m'attendoit depuis quelques jours, ayant appris
l'ordre qui avoit été donné vers midi de ne laisser
entrer dans la ville que les soldats et officiers blessés,
lui avoit donné mission, comme à un de ses valets,
de venir à la porte et d'y rester jusqu'à sa ferme-
ture pour voir si on ne me verroit pas paroître.
« En conséquence, [dit-il], je m'étois placé sur le
chemin couvert d'où il m'a été aisé de vous aper-
cevoir, et tle suite je me suis porté à la barrière
pour vous joindre ; l'uniforme de Picardie, que je
distingue fort bien, m'assurant que vous deviez être
M. de Beaulieu. » Ce sergent me reconduit jusqu'à
la barrière, où on me laisse entrer ainsi que mon
valet, sur un billet de M. de Gautier ^ lieutenant-
colonel du régiment de Picardie et commandant de
la ville.
1. N. de Gautier, capitaine de grenadiers en 1710, comman-
dant de bataillon en 1735, lieutenant-colonel en 1740, chevalier
de Saint-Louis, lieutenant de Roi à Schlestadt.
4 CAMPAGNES [1743]
(.licmiii faisanl, je m'informe (iu sergent de l'es-
pèce tie blessure de mon oncle ; son narré est de
me dire qu'elle étoit à la clavicule droite, qu'il a
été très heureux de n'être pas tué ; ... il me fait
l'éloijje de sa hra\ourc et de la manière dont il
s'étoit comporté à la tétc de la première compagnie
de grenadiers du régiment. Ce récit remplit mon
cœur du désir d'en ftiire un jour autant et, mar-
chant au milieu des blessés de Champagne et Bour-
bonnois, je voudrois l'être comme eux et ne suis
éloiiné ni du bruil ni des alarmes qu'occasionnoient
les forces supérieures de l'armée impériale. Né Fran-
çois et plein des préjugés de l'éducation, ma confiance
est extrême et je ne vois ma nation que faite pour
vaincre les autres. .T'arrive près de mon oncle, je
l'embrasse et lui remets les lettres dont j'étois chargé ;
il me reçoit avec la bonté et l'honnêteté d'un bon
parent. Au milieu de ses caresses et de ses empres-
sements, je l'interromps pour lui demander com-
ment va sa blessure ; il me tranquillise et me dit :
« Elle n'aura pas de suite fâcheuse ; j'ai reçu sept
coups de feu, un seul a porté là », dit-il en mettant
la main à sa clavicule droite ; et, se tournant, il me
dit : ft Mon neveu, voyez cet habit ». J'examine les
cou|)s fjui l'ont morcelé. 11 ajoute en souriant :
« Ce sont la les roses du métier auquel vous vous
destinez ; comment les trouvez-vous ?» — « Hono-
rables », lui (lis-jc, et mes yeux ne pouvoient se
lasser d'en parcourir les eflets, qui sembloient par
des détours avoir voulu respecter les cheveux blancs
de ce guerrier, qui touchoilaloisà la trente-huitième
année de ses services, avoit été blessé aux guerres
[1743] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 5
de 33, aux batailles de Parme et de Guastalla, d'un
coup de feu, à la première, au bras, et, à la seconde,
au cou-de-pied, qui s'étoit trouvé à la bataille
d'Audenarde, à celle de Malplaquet, à celle de
Denain et dans tous les faits d'armes où le régiment
de Picardie avoit toujours donné de nouvelles
preuves à conserver sa réputation, la gloire du Roi
et celle de la nation, choses qu'il me détailla dans
la suite et dont je cherchai à faire mon profit,
autant que, suivant les temps, mon peu d'expérience
et mon intelligence pouvoient m'en fournir les
moyens.
Mon oncle avoit combattu à la défense du pont
de radeaux à Dinsfclfina: sur l'Isar ; il fut chargé de
le détruire (étant important qu'il le fût pour la
sûreté de l'armée peu nombreuse et dispersée) sous
les yeux et aux ordres de S. A. Mgr le prince de
Conti ^ qui lui sut im gré infini de la manière
dont il s'étoit conduit, ce que ce prince témoigna
en faisant distribuer quarante louis aux trois com-
pagnies de grenadieis du régiment de Picardie et
en accordant des éloges aux officiers et surtout à
mon oncle, qui commandoit la première compagnie
et qui, pour détruire le pont de radeaux, avoit fait
couper à coups de sabre les cordages et les liens qui
unissoient les radeaux ensemble ; il eut la satisfaction
de n'être blessé qu'à la fin de son opération, mais
non sans regret et vive douleur d'avoir perdu, sur
cinquante-deux grenadiers, dix de tués ou morts
1. Louis-François de Bourbon, prince de Conti, duc de Mer-
cœur, comte de la Marche, né en 1717, mort en 1776.
6 c\mi'\(;nks [1743]
dans les viiit,'(-(|iialic liniics de Icins blessures, et
«juiii/.c (le blesses.
Je le j()ii,Miis doue peu dv jours ;«|)rès eet évéue-
nieiil. Ses premières eonveisalions l'ureul tout le
détail de eette niraire, où le régiment de Picardie
MCI (lit (luai aille ofïieiers tués ou blessés et cinq cents
soldats, (.les récits éeliauffoiiMit mon imaijination, et
il me lardoit d'entrer dans les eliamps de l'honneur.
M. le maréchal de Broglie ' ayant déterminé
d'évaeuei non seulement la Bavière, mais toute
l'Allemagne, et de se porter sur le Rhin, son armée
lédnile dans le plus mauvais état par les maladies
(jui Favoient détruite pendant Ihiver et mis les
régiments à moitié de ce qu'ils dévoient être, tout
ordonné pour faire une retraite d'une si longue
haleine, Tarmée fut rassemblée d'abord aux envi-
rons de Straidjing, dont elle partit pour se porter
à Ingolsladt. On laissa à Straubing (mauvaise place)
M. de Gautier, lieutenant-colonel de Picardie, avec
700 hommes fournis par diflerents régiments et les
malades et blessés qui ne pouvoient être trans-
portés, au nombre de huit à neuf cents. L'armée
séjourna quelques jours à son camp près d'In-
golstadt. Ce fut là que je joignis le régiment de
Picardie et que la vue de ses drapeaux commença
1. François-Marie, duc de Broglie, né en 1671, maréchal
de France en 1734, mort en 1745. JI avait reçu, en 1742, le com-
mandement d'une armée destinée à soutenir en Bavière l'em-
pereur Charles VII ; après 1 insuccès de Belle-Isie en Bohème
et sa célèbre retraite de Prague, il avait joint à ses troupes
celles de Maillebois, à Dingelfîng (21 novembre), mais il avait
échoué à son tour contre Khevenhiiller et était obligé de se
replier sur le Rhin.
[1743] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 7
à m'être chère. L'armée partit à trois jours de là
pour se porter à Donauwerth, sans être inquiétée
ni harcelée de nulle manière dans sa marche ; on y
brûla les magasins de fourrage que Ton ne pouvoit
consommer et l'on y jeta dans le Danube les farines
que l'on ne pouvoit emporter.
La garnison qu'on laissa à Ingolstadt fut de
1.500Bavaroiset de 1.200 François ; cette place étoit
assez bien fournie en vivres et munitions de guerre.
Après dix jours de station à Donauwerth. l'armée
partit pour se rapprocher du Rhin, que l'on n'eût
pas repassé sans les fautes que l'on lit à Dettingen
et qui, d'une journée brillante et marquée dans les
annales pour la gloire du maréchal duc de Noailles ^,
fut par la faute du duc de Gramont^ une bataille
perdue.
Dès les premières marches de l'armée, M. le
maréchal de Broglie eut ordre de se rendre à la
Cour et de laisser le commandement de l'armée à
ses ordres à M. de Lutteaux^, premier lieutenant-
général, tué deux ans après à la bataille de Fontenoy.
Dans l'abandon de l'Allemagne, et pendant neuf
jours de marche, le régiment de Picardie fut tou-
1. Adrien-Maurice, duc de Noailles, né en 1678, maréchal
de France en 1734, mort en 1766. Battu à Dettingen (Fran-
conie) le 27 juin 1743 par l'armée anglo-allemande de Lord
Stairs.
2. Louis, fils d'Antoine V duc de Gramont, d'ahord connu
sous le titre de comte de Gramont, devint duc de Gramont
après la mort de son frère Antoine-Louis-Armand en 1741. Il fut
fait maréchal de camp en 1734 et lieutenant-général en 1738.
3. Etienne le Ménestrel de Hauguel,. comte de Lutteaux,
lieutenant-général et gouverneur de Verdun en 1745, mort en
1745.
8 CAMPAGNES [1743]
jouis chargé de l'ai rino-^ardo et tous les jours
liareelé par les troupes léi^ères de rennemi, tant
luissards, croates, que pandours, qui se montrèrent
en (pieue et sur les flancs de la marche. Suivant le
nomi)re de ce (jui paioissoit, le régiment étoit obligé
de changer sa formation, soit en colonne par demi-
bataillon ou bataillon carré long, dans lequel on
faisoil entrer les chevaux des olïiciers et ceux des
valets, (jui. selon l'usage, les suivent dans leur
niaiclic cl leur j)()rlcnl des vivres. On disposoit des
liicurs (de préférence ceux armés de carabines) en
ariière et sur les flancs pour éloigner cette vermine
de hussards et de troupes de pied, dont le pays, très
couvert, nous empêchoit de connoître la force et
les moyens. Le régiment, dans l'une ou l'autre dis-
position, continuoit sa marche.
.M. lie Lulteaux, avec partie des grenadiers de
l'armée, des piquets d'infanterie, de cavalerie et
dragons et les compagnies franches alors d'usage,
couvroit autant que possible la marche des colonnes,
mais celles du centre éloient les seules exemptes de
voir chaque jour l'ennemi. Souvent, celle de la
droite recevoit ordre de ralentir sa marche, à laquelle
le général ÎAitteaux éloil bien aise de coudre son
arrière-garde, où il étoit toujours présent de sa per-
sonne; aussi, pendant les huit premiers jours de
cette retraite, nous arrivâmes toujours au camp à
deux heures de nuit, et le seul [jour] où nous arri-
vâmes au soleil couchant fut celui où nous passâmes
le Hhin, à Spire.
Pendant cette retraite, n'étant attaché à aucune
compagnie et n'ayant pas reçu mes lettres d'officier,
[1743] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 9
je désirois montrer ma [bonne] volonté et je me
proposois toujours pour faire partie des tirailleurs
que l'on laissoit en arrière ou que Ton poussoit sur
les flancs pour protéger la marche du régiment, ce
que l'on m'accordoit avec plaisir, et je voyois avec
joie que les officiers m'en savoient gré et que les
soldats se disoient entre eux : « Ce petit Beaulieu
vaudra autant que son oncle. »
L'armée passa le Neckar et prit son camp sur la
rive gauche, négligemment, surtout pour la cava-
lerie, vu que les faisceaux de l'une et l'autre armée
n'étoient qu'à dix pas des bords de la rivière, très
encaissée et point guéable à cause des pluies qu'il
avoit fait quelques jours auparavant. Le maréchal
général des logis qui avoit fixé ce camp et M. de
Lutteaux, général de l armée, furent punis de cette
négligence (ce dernier peut-être de sa seule com-
plaisance, vu que sa réputation pour les connois-
sajices militaires étoit bien établie). Peut-être aussi
se joignit-il à cette complaisance le désir de ména-
ger les campagnes de l'Électeur, dont la récolte
étoit pendante, fortifié par le projet de ne rester
dans ce camp que quarante-huit heures.
Quel qu'en fût le motif, la nuit qui suivit le jour
de notre séjour dans le camp, l'aile droite de l'armée
et de préférence la cavalerie eurent une alarme vive.
Les ennemis, qui étoient de l'autre côté de la
rivière, la combinèrent pendant la journée ; .. . heu-
reusement ils n'eurent le moyen que de porter 1.200
hommes, à la nuit, sur le bord de la rivière, où ils
furent distribués, et au signal convenu, qui fut l'heure
de minuit, ils firent usage de leur feu. Au premier
10 CAMl'ACNES [1743]
coup de fusil, jr (us ('-n cillé par le hruit cl surtout le
silllcmcul (les halles. .le m'Iuihillc, prends mon l'usil et
cours aux gardes du camp clahlies prèstlu bord delà
rivière ; je rejoins les soldais d'une de ces gardes, et,
en aiii\anl à six pas en avant de leur feu, deux ou
trois balles viennent frapper sur les tisons ; deux sol-
dais de cette gartle sont blessés. Je réflécliis que cette
«rarde, avant tlu feu derrière elle, doit être entière-
ment aperçue parles ennemis, et, sans autre examen,
je me porte à ce feu et en dissipe les tisons, qui
n'éclairant plus rendent les coups des ennemis
moins certains. A cet exemple, les deux autres gardes
du camp des régiments en font autant. Pendant ce
temps et sans autre indication ({ue celle de se
défendre, tous les soldats de la brigade et avec eux
presque tous les ofliciers se portent sur le bord de
la rivière et s'y forment; on leur ordonne de tirer
sur les feux des ennemis, ce qu'ils exécutent : le
feu fut enfin si vif que les ennemis cessèrent le leur
et se retirèrent.
La cavalerie qui appuyoit à notre droite, les offi-
ciers et cavaliers armés de leur mousqueton, s'étoit
portée comme nous sur le bord de la rivière, où
elle fit grand feu, et les ennemis, quittant absolu-
ment la partie, se retirèrent. On ignora leur perte
qui dut être peu considérable ; la nôtre le fut assez
j)()ur une leçon qui eût été bien plus forte si les
ennemis avoient été nombreux. Le régiment de
Picardie eut sept hommes tués et douze blessés, dont
un capitaine. La cavalerie eut un cornette tué dans
son lit, au moment où il se levoit, un lieutenant
blessé, trente cavaliers tués ou blessés, six chevaux
tués et soixante blessés.
[1743] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 11
La camisade ^ dissipée et l'aurore ramenant le
calme, plusieurs officiers qui avoient été témoins
lorsque j'avois éteint le feu de la garde du camp où
les ennemis liroient alors à force et avoient vu le
zèle dont je leur avois paru animé pendant la nuit,
furent au bataillon auquel mon oncle étoit attaché,
pour lui rendre compte de la manière dont je m'étois
conduit ; mon oncle fut très sensible à l'honnêteté
de ses compagnons et surtout aux qualités dont ces
messieurs me flattèrent et il m'en parla avec sa
bonté ordinaire, en me disant : « Voyez combien
il est heureux de se bien conduire, d'aimer son
métier et de le faire avec zèle, honneur et cou-
rage : vous n'êtes encore rien (je ne reçus mes
lettres de lieutenant qu'au mois de juillet suivant)
et l'on vous donne des louanges. » Ma réponse
fut : « Mon oncle, je ne suis |)lus assez jeune et n'ai
point été assez occupé pendant la nuit pour à
mon tour n'avoir pas fait mes observations et dis-
tingué dans cette alarme ceux qui m'ont paru don-
ner des ordres froids et tranquilles. » — « Eh bien,
me dit-il, il faut avoir l'ambition de les imiter. »
Le lendemain de cette camisade, on recule de la
rivière l'aile droite de la cavalerie et, le jour d'après,
l'on quitte ce camp pour se porter à Spire. L'armée
y passe le Rhin, campe sur la rive gauche et reste
quelques jours dans ce camp. Le régiment de Picar-
die reçoit ordre d'aller à Strasbourg, où il arrive
vers le 10 de juillet, et ce fut peu de jours après
1. On donne ce nom aux attaques imprévues qui se font
pendant la nuit (La Chesivaye des Bois,. Dictionnaire mili-
taire) .
12 CAMPAGNES [1743]
que je reçus mes lettres de lieutenant, datéc^s du 1
(le juillet 174.'î.
Sui- iesdillereiiIsniouNcinents du prince Charles \
qui s'éloit j)orté dans le Bris<;au a\ee son armée,
forte de 70.000 hommes, et qui menace de passer
le Rhin et j)énélrer en Haute-Alsace, la majeure
j)artie de l'arm^'e du Roi y marche et le régiment de
IMeardie quitte Strashourg, le l*"^ d'août suivant,
et marche au Neuf-Brisach. Pendant ce temps, le
prince Charles dispose des bélandres- sur lesquelles
il embaïque 3.000 hommes, et elles tentent de passer
le Rhin au-dessous fl'Huningue, près du Petit-Lan-
dau. Les 3.000 hommes sont mis à terre pour s'y
retrancher promptement, et le projet du prince
Charles étoit sans doute d'établir un pont, dont ces
3.000 hommes dévoient assuier la tète. A la première
alarme du passage des ennemis, la brigade de
Champagne et avec elle une autre brigade d'infan-
terie et deux brigades de dragons, campés depuis
trente-six heures près de là, marchent aux ennemis
à peine débarqués, les enveloppent et les attaquent
avec tant de furie que tout est tué ou fait prisonnier.
De 3.000 à peine cinquante ont le temps de se jeter
dans leurs bateaux qui gagnent l'autre bord avec
précipitation.
Le prince Charles, déçu de son espoir par cet
échec, porte le principal de ses forces au Vieux-
1. Le prince Charles de Lorraine, né en 1713, second fils de
Léopold-Joseph-Charles, duc de Lorraine et de Bar, et d'Éli-
sabcth-CharloUc d'Orléans, nièce de Louis XIV, commandait
larniée autrichienne.
2. Bélandre, bateau à fond plat.
[1743] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 13
Brisach, où fie suite il jette un pont sur le principal
Rhin et gagne l'île de Rheinau, fortifie la tète de
ce pont et établit sur la montagne dite la Butte cin-
quante pièces de canon, qui, protégeant la tête du
pont, balayent toute Tile et dont le feu atteint un
pont de quatre bateaux seulement, qui traversoit le
petit bras du Rhin et nous faisoit avoir de notre
côté un pied dans la même île de Rheinau. La tête
de ce pont étoit couverte d'une demi-lune en terre,
assez mauvaise, et l'on étoit occupé à perfectionner
un retranchement tout du long du Rhin, sur tout
le front de la contenance de l'île et à demi-portée
de canon, pour éviter ceux de la butte du Vieux-
Brisach. Il fut établi un camp de dix bataillons, dont
la brigade de Picardie faisoit partie, avec celle de
la Vieille Marine, et, en seconde ligne, douze esca-
drons de cavalerie ou dragons ; plusieurs petits
camps volants de toute espèce d'armes étoient placés
à proximité du point central, qui étoit l'île de
Rheinau, et tous en mesure de s'y porter si le cas
l'eût exiîïé. Dans la demi-lune en avant de notre
petit pont, on avoit placé six pièces de canon de
huit et, dans les retranchements qui faisoient face
à tout le front de l'île, étoient placées vingt pièces
de canon de seize et douze livres de balles. Pendant
les quinze premiers jours de cette position, l'artil-
lerie des ennemis et la nôtre faisoient jouer leur
tonnerre, et les pandours, pour venir cueillir des
pommes de terre, se répandoienl souvent dans
l'île, au nombre de deux ou trois cents, et quelques-
uns d'eux, armés, se glissoient dans les parties cou-
vertes de l'île et venoient insulter nos retranche-
14 CAMPAGNES [1743]
menls ; If Icu (|iii en parloit les éloignoit bien vite;
cela n'erapèchoil pas que trois on quatre fois par
joui- ils lions proenrassenl cet amnsement, qui en
doit un pour les jeunes officiers, qui, au premier
coup de fusil, prenoient leurs armes et eouroient au
retranehement. De la Butte partoit sur eux,
lorsqu'ils étoient près d'y arriver, une décharge
d'artillerie, mais, comme les coups qui en venoient
étoient ploni:;eants, ils étoient peu dangereux ; aussi
il n'arriva aucun accident à toute la jeunesse im-
prudente, à laquelle on eût dû défendre ce désir
de montrer son courage en lieu où ils n'avoient à
faire. Les anciens olliciers portcicnt des plaintes de
cette bravoure inutile et elle fut interdite et défen-
due.
Au l*"^ de novembre, les ennemis commencèrent
à défiler pour aller prendre leurs quartiers d hiver.
L'armée francoise fut cantonnée dans les villages
à proximité des bords du Rhin et. à la fin de
novembre, elle défila à son tour pour gagner ses
quartiers. Le régiment n'eut qu'une journée de
marche pour se rendre à Colmar, où étoit le sien.
Au moment de son départ, il en fut tiré un déta-
chement de 400 hommes, faisant partie d'un de
.'LOGO hommes d'infanterie, lequel fut cnA'Oyé à
1 1 un i nguc, pour y être aux ordres de M. de la Ravoye * ,
maréchal de camp, y commandant. Ce détachement
ne faisoit point partie de la garnison de cette place
et, à son arrivée, il fut établi dans les villages à
1. Louis Neyrel, marquis de la Ravoye, licutenaiil-général
en IT'i'i.
[1743] DE MERCOYROL DE BEÂLLIEU. 15
portée d'Huningue. L'objet de ce détachement étoit
de travailler à rétablir l'ouvrage à corne qui y étoit
longues années auparavant et qui faisoit la sûreté
et défense d'un pont sur le Rhin, dont il couvroit
la tète. Le projet étant d'y en construire un nouveau,
ce qui fut exécuté, et grand nombre de travailleurs,
tant militaires que pionniers, y furent employés.;
on commença par découvrir toute la forme de l'an-
cien ouvrage, qui par traité de paix avoit été rasé,
et sur les fondements de l'ancienne fortification en
fascines, gazon et terre, l'ouvrage à corne fut rétabli.
Les ennemis, qui avoient des troupes en quartier
sur la rive droite du Hhin et à proximité d'Huningue,
firent de légères tentatives pour venir inquiéter les
travailleurs, mais comme il étoit ordonné aux troupes
d'y aller armées, lorsque les ennemis paroissoient,
chacun quittoit la pioche et prenoit ses armes et
l'inquiétant étoit bientôt chassé ; les jours de leurs
tentatives étoient des jours d'amusement : ils ne
pouvoient en eflet s'approcher de nous qu'en cou-
rant risque de se perdre, vu que le canon d'Huningue
balayoit la plaine en avant de l'ouvrage à corne.
En quarante jours l'ouvrage fut mis à l'abri d'insulte
et M. de la Ravoye nous fit partir pour que chaque
détachement rejoignît son camp respectif. Nous
joignîmes donc le régiment à C-olmar, le 29 de décem-
bre. Ce fut peu de jours après que mon oncle me fit
faire garçon-major, dont je remplis les fonctions
pendant l'hiver.
CAMPAGNE DE 1744.
Ali commencement de la campagne, je marquai
(le la lépiigiiance à mon oncle pour l'étal de garçon-
major, lui alléguant pour raison que je trouvois
désagréable de rester au camp pour y assembler des
détachements auxquels marchoient mes camarades
pour les mener à la guerre, que mon goût étoit tout
contraire, que je préférois chercher les ennemis,
apprendre la guerre et gagner par là l'estime de
mes compagnons ; je le persuadai ; ma place fut don-
née à un autre et je rentrai dans la colonne des
lieutenants pour en faire le service. Je remerciai
mon oncle qui me dit : « (iardez-vous de débiter
le motif de votre abandon, dites au contraire que
cet emploi vous incommodoit. » Je suivis son avis.
Une partie de l'armée françoise, dont étoit le
régiment de Picardie, s'assembla à Landau. Les
mouvements des ennemis firent que le maréchal de
Coigny', qui commandoit l'armée du Roi, ordonna
à M. de Lutteaux, lieutenant-général à ses ordres,
avec vingt-cinq bataillons et trente escadrons, de se
porter à Openlicim et de les placer dans l'anse de
Schmittau, en face d'une île; à notre arrivée, M. de
Lutteaux fut instruit que les ennemis étoient dans
1. François de Franquelol, marquis puis duc de Coigny,
maréchal de France, né en 1670, mon en 1759.
[1744] CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. 17
cette île, au nombre de 4.000, et qu'ils se disposoieiit
à jeter un pont de bateaux pour y communiquer.
Leur projet devoit être de passer là le Rliin ; en con-
séquence M. de Lutteaux ne perdit pas un instant
pour faire marcher des troupes et des travailleurs
sur le bord du petit bras du Rhin qui nous séparoit
des ennemis, dont nous n'étions pas à plus de cin-
quante pieds. Il fut ordonné de s'y retrancher, ce
qui fut exécuté. Les ennemis, de leur côté, en fai-
soient autant. La nuit, de part et d'autre, fut em-
ployée à se mettre à couvert réciproquement. Notre
retranchement, qui faisoit face à tout le front de
l'île, fut dès le matin à l'abri de toute mousquetade.
La nuit s'étoit passée sans qu'il eût été tiré un coup
de fusil; heureusement, car si les troupes, tant de
leur part que de la nôtre, eussent fait feu, on étoit
si près que notre retranchement et le leur n'au-
roient pu être faits et que des deux côtés il y auroit
eU' beaucoup de monde tué.
A peine les travailleurs se furent-ils retirés et les
troupes disposées à les soutenir pendant la nuit
eurent-elles pris poste dans les retranchements que
le feu commença ; il y eut d'abord quelques soldats
tués de part et d'autre, ce qui donna précaution
aux uns et aux autres de se tenir tapis dans les
retranchements et fit ordonner aux seules sentinelles
d'avoir l'œil à ce qui se passoit vers les ennemis, et
comme entre elles et les Autrichiens il s'établit le
même acharnement de se tirer tant d'un côté que
d'autre, plusieurs en furent les victimes, ce qui
donna occasion tant à eux qu'à nous de se pourvoir
de sacs à terre dont chacun entoura son retranche-
2
18 CAMPAGNES [1744]
ment, comme il (>st d'usage de faire dans les sièges,
en ne laissant ([u'un créneau pour j)assei' l'arme.
Les meilleurs liieuis éloienl des deux eôlés à l'af-
fût de tout ee qui osoit paroître. Ce fut là que
MenlzeP, général eommandant toutes les tionj)es
légères de l'Impératrice-Reine, fut tué : il voulut
imprudemment monter sur le revers des retranche-
ments des siens, pour examiner les nôtres ; à peine
y parut-il qu'un coup de feu mortel le renversa.
Les ennemis en marquèrent leur sensibilité par plu-
sieurs décharges répétées de toutes leurs troupes.
Ce feu peu dangereux s'éteignit promptement ; il
servit seulement à prouver l'amour et l'estime que
l'on portoit au général.
M. de Lutteaux, instruit que les ennemis travail-
loient à la construction d'un pont de bateaux qui,
traversant sur le grand Rhin, aboutissoit dans l'île,
et craignant un débarquement au-dessus de l'anse
de Schmittau, ayant aussi observé d'autres simu-
lacres sur différents points, qui, divisant ses forces,
pouvoient donner aux ennemis le moven de tenter
avec plus de vigueur de passer le petit bras du
Rhin, d'y établir un pont et de nous forcer d'aban-
donner l'anse de Schmittau, envoya tous les équi-
pages de sa petite armée, gros et menus, à Worms,
ce qui nous procura de veiller et dormir pendant
trois semaines dans nos bottes.
Une nuit, et seulement pour nous inquiéter, les
ennemis firent arriver à proximité de notre l)ord
1. Jean-Daniel Menlzel, né à Leipzig en 1698, avait d'abord
servi en Russie.
[1744] DE MEIÎCOYROL DE DEAULIEU. 19
six bélandres qui se présentoient avec la manœuvre
de vouloir prendre terre et de débarquer. Trois
compagnies de grenadiers de Picardie et trois piquets
établis à demeure dans deux anses nommées les
Baraques, avertis par nos sentinelles, se formèrent
en bataille sur le bord du fleuve et, lorsque les
bélandres furent à la portée du pistolet, ces six
troupes firent une décbarge pleine sur ces bélandres,
ce qui leur apporta un grand désordre et leur fit
prendre le parti le plus sage qui fut de s'éloigner,
ce qu'elles exécutèrent très diligemment.
Deux jours après, M. de Lutteaux fut instruit
qu'une partie de leur camp avoit délogé pendant la
dernière nuit pour remonter le Rhin ; le surlende-
main, on s'aperçut que leur camp s'étoit infiniment
raccourci. M. de Lutteaux en fit instruire M. le
maréchal de Coigny et lui fit part que le pont des
ennemis éloit toujours dans son entier, ce qui nous
fit rester dans notre position.
Le lendemain, M. de Lutteaux reçut un courrier de
M. le maréchal avec ordre de partir à la nuit suivante
avec sa division et le prévenant qu à chacune de ses
marches il lui donnera de ses nouvelles. La retraite
sert de générale et, une heure après, notre petite
armée se met en marche ; on laisse quelques
troupes dans nos retranchements qui, à deux heures
du matin, doivent les abandonner et joindre l'ar-
rière-garde. On marche la nuit et le jour suivant
jusqu'à six heures du soir ; l'on prévient alors de
faire la soupe et que l'on ne restera que trois heures,
après lesquelles l'on se remettra en. marche. A onze
heures de la nuit, tout est en pleine marche. La jour-
20 C\M1>\GNES [1744J
née suiv;inl(', ce fui vers les deux heures après midi
(|ue nous aperçûmes envi ion 500 liommes des
ennemis, de leurs troupes à cheval, qui n'osèrent
nous approcher et se contentèrent de nous suivre ;
ce petit nomhre de troupe ne pouvoit en rien nous
inquiéter. Sur les huit heures du soir, nous arri-
vâmes sous les glacis de Landau, où l'armée fut
encore prévenue qu'elle reste roit seulement trois
heures et (|u'elle eût à faire la soupe, devant mar-
cher de suite. Le malin, à une heure, elle fut toute
en marche ; les chevaux surtout de l'artillerie, des
caissons de vivres et des équipages étoient fatigués,
de même que les troupes, d une marche si vive et
presque sans dormir. Ce qui avoit occasionné cette
marche si accélérée étoit les différents courriers que
AI. de Lutteaux recevoit du maréchal de Coi^^nv,
qui, le jour de notre arrivée à Landau, y avoit fait
entrer huit hataillons et quatre escadrons de dragons
pour en former la garnison.
M. de Lutteaux, arrivé avec sa division à deux
lieues de Weissembourg, s'arrêta, tant pour qu'elle
pût se délasser que pour donner le temps aux équi-
pages de filer. A peine chacun avoit-il eu le temps
de manger un morceau que le bruit du canon se fit
entendre vers Weissembourg. Notre général ordonna
que l'on se remît en marche ; au même instant il
eut nouvelle de M. le maréchal de Coigny, qui lui
faisoit part qu'un corps de 17.000 hommes avoit
passé le Rhin à Germersheim, où il avoit établi un
pont sur le Rhin ; que le premier corps avoit sommé
et pris T^aulerbourg, fait la garnison prisonnière de
guerre et s'étoit emparé et logé dans les lignes de
[1744] DE MERCOYROL DE BE.VULIEU. 21
Weissembourg ; que le prince Charles, général de
l'armée impériale, devoil être occupé à faire passer
le Rhin à toute son armée, que lui alloit avec les
troupes à ses ordres attaquer les Impériaux qui
s'étoient emparés de nos lignes de Weissembourg et
du village des Picards et que le canon que nous
pourrions entendre seroit le commencement de ses
attaques. M. de Lutteaux, sur la demande que lui
en firent les chefs du régiment de Picardie, qui fai-
soit l'arrière-garde, ordonna que cette brigade eût à
gagner la tête des troupes à ses ordres et que, sans
arrêt pour les autres, cela s'exécutât pendant la
marche, sans que les vingt-deux bataillons qui mar-
choient devant lui suspendissent la leur. La colonne
marchoit sur la grande route de Landau à Weissem-
bourg ; le régiment de Picardie et le régiment de
Saxe de sa brigade prirent à droite de la chaussée ;
cette brigade avoit tant de volonté et de rapidité
qu'en une heure de temps elle eut gagné la tête de
la colonne et pris rang en avant d'elle.
Sur les quatre heures de l'après-midi, la division
de M. de Lutteaux parut sur les hauteurs entre Weis-
sembourg et le village des Picards ; elle se forma en
bataille sur une seule ligne et, avant que toute l'in-
fanterie fût arrivée, la brigade de Picardie rompit en
avant, par demi-bataillon, et, la ligne se formant dans
cet ordre, marcha au point fixé, près d'un moulin,
de l'autre côté de la petite rivière qui couloit sur le
front de la ligne. Notre colonne passa à côté d'une
demi-lune qu'à cet instant attaquoit un régiment
bavarois ; notre marche se fit à portée du pistolet
et nous la dépassâmes, ce qui décida les ennemis à
22 CAMPAGNES [1744]
l'abandon lier, j)ar la crainte qu'ils eurent de ne pou-
voir se retirer après.
Le village des Picards finit à ce moment d'être
emporté; le moulin où nous marchions fut aban-
donné après une seule décharge que nous firent les
ennemis. Le carnage fut grand au village des Picards :
les ennemis y laissèrent 800 morts; on y fit 300
prisonniers, presque tous blessés.
A Weissembourg, où les ennemis avoient mis
2.000 hommes, tout fut tué, blessé ou pris. Ces deux
postes, qui se défendirent avec courage et opiniâ-
treté, donnèrent le temps au reste des 17.000
hommes de se retirer à Lauterbourg et d'y joindre
leur armée qui finissoit de passer le Rhin. La perte
des François fut, en tués ou blessés, de 1 .200 hommes
pour les différentes armes.
Le soir, à huit heures, toute l'armée se trouva
réunie. M. le maréchal de Coigny se porta à la
division de M. de Lutteaux et nous dit : « A demain,
Messieurs, nous verrons ces gens-là de plus près
encore. » Mais, instruit que toute leur armée avoit
passé le Rhin, il manœuvra dificremment [7 juillet].
Nous passâmes cette nuit, comme toute l'armée,
au bivac, où nous essuyâmes un orage de pluie de
quatre heures. Dans la matinée, nos troupes légères
ramassèrent environ 200 prisonniers qui, la veille,
s'étoient jetés dans les blés et que les paysans leur
indiquoient. Le lendemain, nous fîmes une marche
en avant et campâmes sur les hauteurs qui tiennent
aux montagnes de Lorraine. Ce jour-là, 3.000 hus-
sards ennemis eurent un combat contre 2.000 des
nôtres à la tête de notre camp, plus amusant que dan-
[1744] DE MERCOYROL DE BE\ULIEU. 23
gereux et il ne s'y passa rien de décisif ; il dura deux
heures ; nous eûmes dans les différentes charges
quarante hussards tués ou hlessés ; la perte des
ennemis fut égale, mais il y eut très peu de tués de
part et d'autre. Ce qui sépara les combattants furent
quelques pièces de canon qui firent quelques salves
sur les ennemis; eux, n'en ayant point et étant éloi-
gnés de leur camp, se retirèrent.
Le lendemain, l'armée marcha et arriva à Hague-
nau, où elle s'établit dans une très bonne position.
A la droite étoit Drusenheim, où fut établi le camp
de la brigade de Picardie, avec celle de Brancas et
une brigade allemande; en cavalerie il y avoit un
seul régiment de hussards. Nous restâmes quinze
jours dans cette position. On avoit précédemment
fortifié Drusenheim, l'on y fit quelque augmentation ;
sa situation, au milieu des marais appuyant au Rhin,
en fait un très bon poste. Notre camp étoit en
arrière de cette petite ville.
Comme les ennemis pouvoient entreprendre sur
le Fort-Louis, dont la garnison n'étoit que du régi-
ment d'Enghien, il fut fait un détachement de quatre
compagnies de grenadiers et huit piquets aux ordres
de M. de Maupeou, colonel de [Bigorre'J. Ils furent
embarqués sur les neuf heures du soir et le lende-
main matin, de très bonne heure, arrivèrent heu-
reusement au Fort-Louis, après avoir essuyé en
1. Le manuscrit porte Forez par une erreur évidente de
l'auteur, car, à cette époque, ce régiment se trouvait en Flandre
sous les ordres du comte de Matignon, tandis que Bigorre
était à l'armée de Coigny et était commandé par Louis-
Charles-Alexandre, chevalier de Maupeou:
24 CAMPAGNES [1744]
chemin quelques eou|)s de canon et fusillade des
(linV'i-ents postes (jue les ennemis avoient sur le bord
(lu Kliin (jui i^iossissoil eonsidéiablemenl et aeeélé-
roil la vitesse de leur marche. Cette nuit le Rhin aug-
menta si fort (ju'inondées dans notre camp, les trois
hiii^ades fuient obligées de se porter sur la chaussée
de Drusenlieim à Ofï'endorf. Le Hhin continuant à
augmenter, on cantonna ces trois Inngades, deux à
Offendorf et la troisième avec les hussards dans
un village voisin.
Le prince Charles, dont l'armée étoit forte de
70.000 hommes (la nôtre en ayant quarante seule-
ment à cause des garnisons de Landau, Fort-Louis
et Strasbourg), ne voulut pourtant pas nous attaquer ;
il manœuvra et, nous tournant par notre gauche, il se
porta au camp dit des Choux, que le maréchal de
Turenne avoit rendu si recommandable, ce qui força
le maréchal de Coigny à venir camper à Strasbourg.
Le prince Charles marcha sur Saverne, s'en
empara et y campa. L'armée du Roi fut obligée de
passer le canal qui vient de Saverne à Strasbourg,
sa droite à proximité de cette ville et sa gauche à
Molsheim. Notre communication avec Strasbourg fut
toujours libre et dans ce camp nous attendions le
secours qui nous venoit de Flandre. Le roi Louis XV
en étoit le conducteur; mais une maladie [8-15 août]
dont il faillit mourir l'arrêta à Metz, où il fut plu-
sieurs jours sur le bord du toml^eau ; à cette époque
Louis le Bien-Aimé étoit pleuré de tous ses sujets ;
le Ciel, touché de leur douleur, le leur rendit par une
heureuse convalescence ^
1. On sait que Louis XV faillit mourir à Metz d'une violente
[1744] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 25
Le maréchal de Noailles avait été chargé de la
conduite des troupes tirées de l'armée de Flandre
pour venir au secours de celle d'Alsace. A peine
étoit-il à portée de nous joindre, que nous fûmes
instruits que, sur les progrès apparents du prince
Charles, le roi de Prusse, Frédéric II, qui en crai-
gnoit les suites, avoit marché à Pras^ue et s'en
étoit emparé, et signifioit à l'Impératrice-Reine
qu'il suivroit ses conquêtes si elle ne rappeloit l'ar-
mée aux ordres du prince Charles qui avoit pénétré
en Alsace. Cette reine fit passer ses ordres au prince
Charles et celui-ci ne fut plus occupé que d'évacuer
l'Alsace et de repasser le Rhin riO août] ; il se pressa
avant que le secours ({ui nous venoit put nous
joindre.
Le maréchal de Noailles arrive à Molsheim avec
une partie de ce secours, le reste devant y arriver
les deux jours suivants. Étant l'ancien du maréchal
de .Coigny, il prend le commandement de l'armée,
ordonne que le lendemain elle passera le canal
[de Molsheim] pour marcher, suivre les ennemis et
tâcher de les joindre et de les attaquer, s'il est pos-
sihle, avec avantage. En deux marches l'armée se
rend près de Haguenau, où elle séjourne un jour,
pour que toutes les troupes venant de Flandre
puissent s'y réunir. Le maréchal donne ses ordres
pour la marche du lendemain ; elle s'exécute sur
six colonnes, l'artillerie disposée comme pour le
combat, les gros équipages sont restés sous le canon
aUaque de fièvre et que ceUe maladie fut roccasion d'une
extraordinaire manifestation de l'amour que la France entière
portait à son souverain, ainsi que de la disgrâce momentanée de
la duchesse de Châteauroux.
26 c.\MP\r.NES [1744]
de Slrasbouig et les menus suivent les colonnes
dont ils sont dépendanls. L'armée, dans eet ordre,
traverse la foièl de lla^uenau. Les têtes des pre-
mières colonnes arrivées attendent que les autres le
soient, pour toutes ensemble déboucher dans la
plaine qui est au nord de cette forêt. Les ordres
sont si bien donnés et exécutés que toutes les
colonnes débouchent vers les huit heures du matin.
Au même instant les têtes desdites colonnes, arri-
vées à un certain point de cette plaine, y font halte
et de suite l'armée se forme en bataille sur deux
lignes, ce qui s'exécute dans l'ordre le plus exact.
Ce déploiement fut un des plus beaux qu'on eût vus
jusqu'alors; l'armée étoit de 60.000 hommes bien
effectifs, où lout désiroit de combattre et punir l'Au-
trichien de son audace d'avoir porté la guerre dans
une province françoise. Tous les cœurs formoient
ce désir et jamais armée ne donna à son général
par son vœu unanime plus d'espoir d'une victoire
assurée.
A l'extrémité de la plaine et à proximité de plu-
sieurs bouquets de bois et pays couvert, nous décou-
vrions plusieurs troupes tant de pied que de cheval,
toutes dans une parfaite inaction, et l'incertitude
étoit grande pour nolie général de savoir si toute
l'armée ennemie n'étoit pas derrière ; ce qui nous
fit rester en panne jusqu'à onze heures, où l'armée
rompit à droite et marcha vers le Fort-Louis. Laissant
cette place, on marcha sur Richevaux. Les ennemis
en étoient maîtres, ainsi que de deux autres villages ;
ils mirent le feu à ces trois villages et les nouvelles
que reçut le maréchal confirmèrent absolument que
[1744] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 27
l'armée du prince Charles repassoit le Rhin. Il ne
fut donc plus question que de tâcher de joindre leur
arrière-garde ; le soleil étoit à la fin de sa course
et, la nuit arrivée en peu d'instants, nous mar-
châmes à la clarté de l'embrasement de ces malheu-
reux villages.
Vers les dix heures du soir, nous arrivâmes à la
proximité d'un ruisseau très marécageux sur lequel
étoit un pont que les ennemis avoient détruit ; faute
de temps ils en avoient laissé les poutres qui soute-
noient les poutrelles et les planches, et s'étoient
embusqués de l'autre côté, dans des taillis et brous-
sailles. Vers la nuit, il avoit été placé à la tête de
notre colonne six compagnies de grenadiers et six
piquets pour en faire lavant-garde, de manière que,
lorsque cette première troupe approcha du ruisseau
et du pont, où naturellement le chemin conduisoit,
les ennemis firent grand feu sur elle ; la nuit con-
tribua d'abord à y mettre de l'étonnement, ce qui
ne les empêcha pas de se porter en avant, de se
mettre en bataille et de faire feu à leur tour. M. de
Tourant^, capitaine de grenadiers de Picardie, qui
faisoit la tête de ces douze troupes, se porte au pont
avec sa compagnie ; il le voit détruit et qu'il n'en
existe que les grosses poutres ; il se hasarde avec sa
compagnie à défiler dessus ; il avertit les autres com-
pagnies pour qu'elles aient à le suivre, ce que cha-
cune d'elles se met en devoir d'exécuter. Du moment
qu'il se voit une centaine de grenadiers avec lui, il
1. N. de Tourant, capitaine au régiment de Picardie en 1728,
major en 1747, chevalier de Saint-Louis.
28 C\M PAGNES [1744]
charge les ennemis pour les joindre à la baïonnette
et, avec des cris de» Tuez, tuez », il en baïonnette
quelques-uns et les autres fuient. Là se termina
toute ro[)ération. La nuit étoit très obscure, les ter-
rains à parcourir très couverts et marécageux et les
troupes fatiguées : ces raisons déterminèrent à s'ar-
rêter et à attendre le jour. A cette fusillade notre
perte en tués et blessés fut décent hommes; les
ennemis laissèrent quarante morts et vingt prison-
niers, tous blessés de coups de baïonnette.
Dans cette aventure nocturne, il arriva deux
événements singuliers : MM. les maréchaux de
Noailles et de Coigny et toute la troupe dorée des
officiers généraux et de ceux de l'Etat major, les
valets et chevaux de suite marchoient sur la chaus-
sée à gauche de la première colonne d'infanterie et
à droite de la seconde. Au moment où les ennemis
commencèrent à tirer, les balles venant frapper
vers la troupe dorée, nombre de valets qui se
Irouvoient en avant de leurs maîtres prirent l'épou-
vante et, tournant bride, vinrent dans les ténèbres se
choquer sur leurs maîtres, dont quelques-uns furent
culbutés à droite et à gauche dans les fossés de la
chaussée ; la plupart des valets abandonnèrent les
chevaux de suite qu'ils tenoient en main ; il y eut
grand nombre de porte-manteaux volés et de per-
ruques perdues dans la chute de plusieurs officiers
généraux ; aussi donna-t-on trois noms à cet évé-
nement : affaire des perruques, affaire des porte-
manteaux et affaire de Richevaux, son véritable
nom.
Le second événement, tout aussi singulier, mais
[1744] DE :\IERCOYROL DE BEAULIEU. 29
plus heureux et qui n'eut pas de suite fâcheuse, fut
celui arrivé à la brigade des Gardes Françoises, qui
étoit disposée comme les autres colonnes, par
bataillon de front, le premier bataillon de ce régi-
ment faisant le premier échelon, le second le sui-
vant dans le même ordre à une distance de quatre-
vingts pas. Les soldats de ce second bataillon, au
sifflement des balles qui leur passoient sur la tète
lorsque les ennemis, de leurs broussailles, commen-
cèrent à tirer, oubliant, ou tout comme, que leur
premier bataillon marchoit devant eux, firent une
salve de tout leur feu sur le premier bataillon, qui
eut la fortune de n'avoir de cette bêtise qu'un seul
soldat blessé dans le dos. Les ofTiciers et bas-ofïi-
ciers heureusement arrêtèrent le feu et cette
colonne comme les autres eut ordre de faire halte.
Toute l'armée passa le reste de la nuit au bivac dans
la position où elle se trouvoit. Le lendemain, on fut
informé que ce qui avoit occasionné le brouart ^ de
la nuit étoit un corps de 3.000 grenadiers, chargé
de l 'arrière-garde, lequel, par une marche vive,
gagna son pont et le passa.
Les détachements de cavalerie qui arrivèrent les
premiers virent replier leur pont. Cette retraite sans
événement fâcheux fit autant d'honneur au prince
Charles que lui en avoit fait le passage du Rhin. Son
armée en sûreté, il la fit défiler dès le lendemain
pour la porter en Bohême.
Le maréchal de Noailles mit à sa suite toutes les
compagnies de grenadiers de l'armée, un corps de
1. Peut-être brouillas, branle-bas, confusion, ou brouhaha.
■}<> CAMPAGNES [1744]
cavalerie de dragons et de hussards. Celle suile,
Irop faible, ne put rien entreprendre ; après quelques
jours, ce corps, qui avoit passé le Rhin au Fort-
Louis, dirigea sa marche vers Constance et de là se
rendit en Brisgau, où toute l'armée, qui passa le
Hhin au Fort-Louis, se porta aussi.
Fri bourg, ville importante par ses fortifications
et surtout par celles de ses châteaux, fut investi
[18 septembre]. L'on s'occupa pendant quinze jours
à tirer de Strasbourg artillerie, munitions de guerre
et tous autres agrès nécessaires pour un siège de
cette importance. Fribourg avoit pour sa défense
10.000 hommes que le prince Charles y avoit jetés
en se retirant, tout en bonnes et vieilles troupes.
Le Roi, convalescent, quitta Metz et arriva à Fri-
bourg. L'on travailla à en commencer le siège ; on
fil la première parallèle et le Roi arriva à l'armée
avant sa perfection. Cette première parallèle faite, il
fut construit un canal, en avant d'elle, dans lequel
on fit passer la rivière dont le lit naturel étoit au pied
du glacis ; la rivière détournée, on fit de l'autre côté
une seconde parallèle ; un pont seulement fut dis-
posé sur le canal pour la communication. Celte
seconde parallèle faite, on travailla aux ouvrages qui
dévoient nous porter au bord de la rivière. A la
seconde parallèle on avoit établi des batteries pour
cent pièces de canon et trente mortiers, dont le feu
continuel incommodoit beaucoup les ennemis, et,
au jour marqué, les eaux de la rivière furent mises
dans le canal ; il fut fait une digue très forte pour
fermer le lit naturel de la rivière et contenir le cours
de ses eaux dans le canal.
[1744] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 31
Les fatigues de ce siège furent pénibles, tant pour
le service du camp que pour celui de la tranchée,
vu le nombre des officiers malades qui n'en pou-
voient faire. Il en résulta pour les officiers du régi-
ment de Picardie que, pour les détachements de tra-
vailleurs, ils y marchèrent chacun vingt-une fois,
mais les lieutenants seulement, vu qu'il en étoit
fourni deux pour un capitaine. Le régiment y fut de
tour, comme tous ceux de l'armée, neuf fois. L'on
y étoit si habitué au mal-être, à la peine et aux dan-
gers d'un siège si conséquent (qui coûta à l'armée
7.000 hommes tués ou morts de maladie), si ennuyé
du mauvais temps, que la vie n'étoit plus comptée
pour rien et que tout le feu qui partoit de la place
étoit méprisé par tous les régiments. Pas un d'eux,
pour aller prendre poste dans la tranchée pleine
d'eau et de boue, ne vouloit se couvrir des paral-
lèles et boyaux tortueux pour arriver au lieu où ils
dévoient relever les régiments qui la quittoient. Les
uns et les autres passoient à travers les campagnes ;
il en coûtoit toujours quelques hommes que la
prudence et l'ordre eussent dû faire ménager.
Tel est le fruit des sièges ; les troupes s'y habituent
si fort à l'effet et au bruit d'une artillerie immense,
qu'elle ne fait plus d'impression, qu'on la méprise
et que le courage s'en augmente. En effet, comment
ne pas habituer ses oreilles et son cœur au tinta-
marre de trois cents pièces d'artillerie de part ou
d'autre, au sifflement des boulets, au fracas des
bombes, au miaulement des balles, dont l'effet est
multiplié à l'infini, à celui des pierriers qui lancent
sur les assaillants une pluie de pierres, de grenades
32 CAMPAGNES [1744]
et J(> pots à l'eu (jui la nuit foiil une continuité de
jour et procurent aux assiégés de porter des coups
plus dangereux et plus sûrs.
(le siège Cul mémorable pai" tous les actes d intré-
pidité (|ui y furent prodigués. T^a ville eût été prise
d'assaut, — sans la prudence de Louis XV, dont la
généreuse bonté voulut sauver celte ville de toutes les
horreui's que le soldat se croit permises, — dans la
tentative que l'on en fit en attaquant le bastion et
la demi-lune avec brèche praticable ; l'un et l'autre
furent enlevés et les ennemis chassés. J^e Roi a voit
donné l'ordre précis que l'on s'établît seulement
sur la brèche; quinze compagnies de grenadiers
seules attaquèrent le bastion et sept la demi-lune ;
on ne mit que ce nombre pour éviter l'inconvénient
de trop bien réussir. Les ennemis avoient fait une
coupure à la gorge du bastion, d'une fortification
très respectable, mais, au moment de l'attaque, les
troupes qui dévoient défendre la brèche furent prises
d'une grande épouvante qu'elles communiquèrent
en fuyant à celles de la fortification faite avec tant
de soin ; tout fut abandonné et les ennemis se reti-
rèrent au château.
Le général Daimiitz, commandant delà place, qui
s'aperçut au jour du peu de troupes qui étoient sur
la brèche, la fit de suite attaquer et nos grenadiers
en furent chassés, puis ce général fit couler sur la
brèche une infinité de poutres pour en rendre l'ac-
cès difficile. Toute la journée suivante, notre artille-
rie tira dessus pour les briser.
Daumitz, craignant un second assaut qui eût été le
bon. fit battre la chamade et le drapeau blanc fut
[1744] DE MERCOYROL DE 15EALLIEU. 33
placé sur la brèche. La capitulation dressée, les
ennemis évacuèrent la place et se retirèrent dans
les trois châteaux. Le courrier qu'ils avoient envoyé
à Vienne étant de retour, ils sortirent avec les hon-
neurs de la guerre et se retirèrent en Allemagne...
L'auteur discute la conduite du général Daumitz et exprime
l'avis qu il aurait pu faire une plus belle défense.
Le siège fut de quarante-sept jours de tranchée
ouverte. Après l'évacuation des châteaux, l'armée
prit ses quartiers d'hiver, dont elle avoit grand
besoin. Le régiment de Picardie fut en Souabe, où
il fut parfaitement établi, et pendant l'hiver on fit
sauter toutes les fortifications de Fribourg et des
châteaux...
L'auteur consigne en deux pages les enseignements qu'il
tira de ce siège.
Les pertes du régiment de Picardie pendant ce
siège furent : le lieutenant-colonel tué, deux capi-
taines tués et sept blessés, trois lieutenants ou sous-
lieutenants tués, neuf blessés; et, en soldats, cinq
cents morts ou blessés. Il y eut beaucoup de malades,
dont cinquante périrent. Le régiment étoit composé
à cette époque de 1.900 hommes '.
1. Le siège de Fribourg fut une faute : les forces qu'il immo-
bilisa eussent été bien mieux employées à poursuivre le prince
Charles par une opération combinée avec le roi de Prusse.
CAMPAGNE DE 1745.
Le régiment reçut l'ordre, dans les premiers jours
d'avril, de quitter la Souabe et de se porter sur
Francfort sur le Main, qu'il passa; avec quelques
autres régiments de difTérentes armes, il fut employé
à faire réduire deux mauvais petits châteaux ^ , dont
chacun avoit pour garnison trente ou quarante cava-
liers qui se rendirent prisonniers de guerre sans la
moindre résistance. Il cantonna quelque temps et le
camp ne fut formé que vers le 20 de mai. Cette
armée de 40.000 hommes étoit aux ordres de Mgr le
prince de ('onli. Tout y resta dans l'inaction jusqu'au
moment où nous fûmes instruits du gain de la bataille
de Fontenoy par la manœuvre de l'armée des alliés,
cette fameuse victoire remportée sous les yeux
de Louis XV qui y donna des preuves de son cou-
rage, ayant eu ce jour-là plusieurs personnes tuées
près de lui et n'ayant pas voulu céder aux représen-
tations de quelques-uns de ses courtisans, qui ^ ou-
loient l'engager à repasser l'Escaut. Mgr le Dau-
phin ne montra pas moins la valeur héréditaire
de la maison de Bourbon, voulant absolument char-
ger la colonne angloise à la tête des Gardes du Roi .
Il céda, pour n'en rien faire, à la défense que lui
en fît le Roi son père, ayant résisté jusque-là à toutes
les représentations des seigneurs de la Cour.
1. Probablement Weilmunsler et Gravent isbach.
[1745] CAMPAGNES DE AI. DE BEALLIEU. 35
L'Europe retentit alors de la gloire du maréchal
de Saxe ^ Les ennemis, consternés, retirés au camp
de Gramond, donnèrent des ordres très pressants
pour que 25.000 hommes de l'armée qu'ils avoient
en Westphalie ne perdissent pas un instant pour
venir fortifier leur armée.
Le Roi, instruit de cet ordre et voulant conserver
sa supériorité, tira de l'armée du prince de Conti
20.000 hommes. Les ordres donnés de part et d'autre
s'exécutent. Tournai est pris [23 mai], on fait le siège
de la citadelle, on le pousse avec la plus grande cé-
lérité ; tout cède aux armes victorieuses de Louis
et cette citadelle, faite avec tant de soin par M. de
Vauban, capitule à son tour [20 juin]. Quelques
jours après, arrivent les 20.000 hommes tirés de l'ar-
mée de Westphalie. Les secours qui en venoient
pour l'armée des alliés les avoient également joints.
Le maréchal de Saxe fait mouvoir l'armée ; par des
manœuvres habiles, il force les ennemis à aban-
donner les différentes positions qu'ils prenoient,
quelque bonnes qu'elles soient ; il fait quelquefois
mine de les y attaquer, mais, la nuit qui suivoit les
approches de l'armée du Roi, les ennemis se reti-
roient. Nous qui arrivions à cette armée, nous avions
vu un siège mémorable et nous souhaitions de nous
trouver à une bataille, mais les ennemis, découragés
par la perte de celle de Fonteno} , l'évitèrent tou-
jours. Une campagne défensive étoit tout ce qu'ils
vouloient.
1. Heriïiann-Maurice, comte de Saxe, fils naturel du roi de
Pologne Auguste II, né en 1696, entré au service de France en
1720, maréchal de France en 1744, maréchal général en 1747,
mort en 1750.
36 CAMPAGNES [1745]
M. le maréchal fil piciKlic à larmée du Hoi une
position en aNanl d'Audenarde et en ordonna le
siège. Le régiment de Picardie fut de la division qui
en l'ut chargée. Cette place, petite et mauvaise, ne
tint (jue huit jours ; la garnison n'étoit que de deux
bataillons, un autrichien et l'autre anglois, quelques
détachements de 400 hommes hollandois et 200
chevaux. Le tout fut prisonnier de guei're. Cette
place fut mal défendue ; lorsqu'elle arbora le pavil-
lon blanc et demanda à capituler [22 juillet], il n'y
avoil au bastion du point d'attaque et à la demi-
lune qui le flanquoit nulle espèce de brèche, pas
même les défenses détruites, et dans le fossé que
quelques claies que l'on y avoit jetées. On attribua
leur reddition à l'espoir de n'être pas prisonniers de
guerre, mais il fallut en passer par là.
Après la piise d'Audenarde, le régiment de Picar-
die fut destiné à celle de Dendermonde, où il
m'arriva, ainsi qu'à deux autres jeunes officiers de
mes camarades, un événement très particulier et très
singulier qui, selon les apparences, fut une des
causes que les ennemis rendirent la place au bout
de trente-six heures.
Les deux premiers bataillons du régiment de Pi-
cardie, huit compagnies de grenadiers auxiliaires,
1.200 travailleurs ouvrirent la tranchée. Dans cette
première opération il ne se passa rien de remar-
quable. Le jour suivant, ces deux bataillons fuient
relevés par deux autres, avec même nombre de
compagnies de grenadiers ; la journée se passa par
un grand feu de l'artillerie des ennemis.
Vers les sept heures du soir, j'étois avec les sieurs
[1745] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 37
Gelb ^ et de Bataille de Mandelot 2, lieutenants
comme moi, à considérer la position de la place, qui
nous présentoit beaucoup d'inondation dans son
pourtour, le seul endroit où nous étions en étant
exempt. En avant de la place et vis-à-vis la portion
de tranchée que nous occupions, étoit un gros
ouvrage carré que nous apercevions, bien fraisé de
palissades, et un chemin couvert à ce que nous ju-
gions par les pointes également des palissades que
nous voyions. Dans cet ouvrage carré étoit une tour
fort basse, que nous jugions devoir être le réduit
qui servoit de corps de garde ; la position de cet
ouvrage nous paroissoit devoir être à deux cents
pieds du chemin couvert de la place. Comme nous
étions à le fixer, nous fûmes étonnés tous trois de
voir un homme dans un des angles de l'ouvrage, qui
avec son chapeau nous faisoit signe de venir à lui ;
ne trouvant pas de convenance à y aller, nous fîmes
à notre tour les mêmes signes, avec nos chapeaux, à
cet homme de venir à nous ; nous le vimes disparoître
de la place qu'il occupoit et l'instant d'après nous
l'aperçûmes à l'angle de ce qui nous avoit paru devoir
être le chemin couvert, où il continua les mêmes
signes. Il n'y avoit eu pendant la journée nulle
mousqueterie entre les ennemis et nous, à cause de
l'éloignement ; leur artillerie seule avoit fait bruit,
1 . Jean-Joseph de Gelb, né à Strasbourg en 1729, lieute-
nant en 1743, aide-major en 1747.
2. Nicolas de Bataille de Mandelot, né à Mandelot près de
Beaune en Bourgogne, en 1721, page de la Petite Ecurie
en 1739, lieutenant en 1743, capitaine en second à la réforme,
replacé à une compagnie en 1755, mort en 1761.
38 CAMPAGNES [1745]
de notre part n'y ayant pas encore une seule pièce
de eanon en batterie. Les signes de notre homme en
question se continuant, je proposai à Geli^ d'y venir
avec moi, Mandelot restant à la tranchée pour nous
suivre des yeux et empêcher qu'à notre retour on
ne nous prit pour ennemis, ou enfin pour voir à
quoi tout cela aboutiroil. Nous balancions encore,
lorsque j'aperçus à deux cents toises de nous une
inégalité de terrain de deux pieds à deux pieds et
demi de haut, ([ui nous donnoit facilité d'arriver
bien près de l'ouvrage ; nous prenons lui fusil cha-
cun et avertissons les soldats des compagnies voi-
sines que nous allons faire une découverte. Les sol-
dats, qu'elles intéressent et amusent toujours, nous
disent qu'ils veilleront pour qu'on ne tire pas
jusqu'à ce que nous soyons rentrés ; nous partons
et, nous couvrant de l'inégalité du terrain pour nous
mettre à couvert le plus possible, nous arrivons bien
près de l'ouvrage. L'homme qui nous avoit tant fait
de signes sort par l'angle du chemin couvert, s'avance
de vingt pas et sans arme, ce qui nous donne toute
confiance d'arriver près de lui. Alors il nous prévient
qu'il est le capitaine commandant delà redoute d'où
il sort. (Il étoit Hollandois et parloit bien francois.)
Il commence par nous demander s'il devoit être
attaqué la nuit suivante; me doutant, à cette ques-
tion, de quelque projet de sa part, je l'assure que oui,
que douze compagnies de grenadiers auront cet
honneur et qu'elles en étoient déjà prévenues. Cet
officier en pâlit, ce dont s'apercevant mon compa-
gnon Gelb, par son langage allemand, augmenta son
inquiétude. Voici ce qu'il nous dit : « J'ai été com-
[1745] DE MERCOYROL DE BEATJLIEU. 39
mandé ce matin au point du jour avec quatre-vingts
hommes et un lieutenant pour venir relever un autre
capitaine qui avec pareil détachement avoit passé ici
vingt-quatre heures ; ce n'étoit pas à moi à y venir,
c'étoit au neveu du commandant de la place et,
injustement, on m'a donné la préférence. J'en suis
si piqué, ajouta-t-il, que je suis porté à faire fort
peu de résistance. » — « Et ferez bien, lui dîmes-
nous, puisque l'on a voulu vous sacrifier ; au reste
nous vous prévenons que, si vous voulez avoir bon
quartier, surtout ne tuez ni ne blessez aucun grena-
dier, car, une fois en fureur, on ne pourroit les con-
tenir, » Il réfléchit un moment et nous dit : « Si
vous voulez les prévenir, vous pouvez leur dire que
je ferai tirer en l'air ; qu'ils pourront entrer dans
l'ouvrage et s'en emparer. » Nous lui conseillâmes
d'être ferme dans cette résolution, vu que, s'il y
manquoit, lui et sa troupe seroient égorgés et mis en
pièces jusqu'au dernier ; que, s'il la tenoit, nous lui
répondions de tout. Après quoi, nous nous sépa-
râmes et regagnâmes la tranchée.
Tous nos camarades vouloient savoir le colloque
que nous avions eu avec des officiers de l'ouvrage
dont nous venions ; nous leur débitâmes des futilités
et leur cachâmes ce dont il éloit question. Débarras-
sés d'eux, nous fîmes notre confidence à mon oncle,
qui se trouvoit commander un de nos bataillons de
tranchée, l'assurant que notre intention étoit d'en
faire part à l'officier général de tranchée : c'étoit
M. d'Estrées \ mort maréchal de France. Mon oncle
1. Louis-Charles-César Le Tellier, marquis de Courtenvau\,
comte puis duc d'Estrées, né en 1697, maréchal de France en
1757, mort en 1771.
40 CAMPAGNES [1745]
nous dit : « Je vais lui c\\ lendre compte et, lorsque
je l'aurai prévenu, il ne manquera pas de vous faire
appeler. » Pour que mon oncle piil parler au général
avec une preuve non équivoque, nous lui dîmes de
passer en se promenant aux compagnies auxquelles
nous étions attachés et de demander aux soldats s'il
est vrai que nous ayons fait la course d'aller parler
à quelqu'un de l'ouvrage en avant de nous occupé
par les ennemis : ce qu'il fit et après fut tout conter
à M. d'Estrées. Cet ofïicier général nous fit appeler.
Nous lui répétâmes tout ce qui est dit ci-devant, lui
ajoutant (jue cet officier seroit relevé le lendemain,
qu'il falloit profiler de sa peur, que nous nousoff*rions
de conduire les grenadiers qui marcheroient pour
aller prendre l'ouvrage, qu'il étoit impoitant de pro-
fiter de la terreur panique où étoit cet officiel' pour
avoir l'ouvrage où il commandoit sans perdre un
homme. Comme il balançoit encore, nous lui pro-
posâmes, M. Gelb et moi, de nous confier cent
hommes et que nous nous emparerions de l'ouvrage.
11 fit ses réflexions : elles portèrent qu'à onze
heures de la nuit il décida que six compagnies de
grenadiers, disposées en trois troupes difierentes,
marcheroient à cet ouvrage ; que M. de Gelb et moi
les instruirions de tout ce que nous avions dit au
général et que nous marcherions avec elles. Le gé-
néral craignoit quelque piège et avoit ordonné aux
trois capitaines, dont chacun commandoit deux
compagnies, si la direction des coups de fusil étoit
autre que celle que nous assurions, de se i-eplier de
suite sur la tranchée ; mais il en arriva tout autre-
ment.
[1745] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 41
A onze heures, les trois troupes débouchèrent.
Tous les officiers étoient prévenus de ce qui devoit
être exécuté ; les grenadiers l'étoient aussi ; défense
à qui que ce fût de tirer un coup de fusil, afin de ne
blesser personne dans l'ouvrage ; les ennemis, s'at-
tendant que l'on marcheroit sur eux, du moment
qu'ils entendirent le bruit de notre marche ou qu'ils
nous aperçurent, commencèrent leur feu ; la direc-
tion en étoit si élevée qu'à peine entendions-nous
le sifflement des balles. En arrivant sur le bord du
glacis, nous criâmes : « Quartier ! » Leur feu discon-
tinua et il nous fut répondu par le commandant du
poste qu'à cette condition il se rendoit. On s'empara
de sa redoute ; ils mirent bas les armes ; on les
fit sortir; trois compagnies de grenadiers y prirent
poste et les trois autres conduisirent à la tranchée
les deux officiers et les quatre-vingts hommes dont
étoit composé ce détachement, le tout prisonnier de
guerre . . .
L'ouvrage étoit un carré parfait, avec un fossé
profond et plein d'eau revêtu de pierre ; les défenses
en terre avec une fraise de palissade, le corps de
garde dans l'intérieur de l'ouvrage avec un mur
autour crénelé... Il fut livré sans perte d'un homme.
Les suites en furent que l'officier qui y commandoit
se déshonora, qu'il fut chassé du corps où il servoit
et que, si on lui avoit bien rendu justice, il lui en
eût coûté la tète.
La prise de cet ouvrage, et pas un homme qui en
fût revenu, donna l'épouvante à la garnison, qui
n'étoit que de 1.500 hommes ; et cette place, dont
nous étions à cinq cents toises de son rempart et où
42 CAMPAGNES [1745]
il n'avoit pas été lire un ('()ii|) de canon, capitula
[13 août]. A l'appai'ilion du drapeau blanc et de la
chamade que le commandant fit battre, on avoit de
la peine à y croire. Sa délensc fut donc de trente-
six heures. Le général nous fit beaucoup de compli-
ments sur notre zèle et notre intelligence d'avoir si
bien amené la reddition de cette redoute, qui avoit,
bien plus tôt qu'on ne devoit l'attendre, amené
celle de la place. Les officiers du régiment nous
firent aussi des compliments et nous nous crûmes
bien payés.
Après la prise d'Audenarde, le maréchal de Saxe
fit exécuter à l'armée différents mouvements, tou-
jours avec l'intention de combattre, ce que les
ennemis évitèrent toujours. Ledit maréchal, voulant
tirer parti de ses premières victoires de Fontenoy,
détermina de faire le siège d'Ath, assez bonne place,
et prit une position conséquente, qui lui permît de
détacher de l'armée du Roi 25.000 hommes pour aller
prendre cette ville, dont la garnison étoit seulement
de trois bataillons, un autrichien, un anglois, un
hollandois, quelques troupes de cavalerie, hussards
et dragons, et un détachement d'artillerie. Le régi-
ment de Picardie fit partie du corps destiné à cette
opération, qui fut confiée à M. de Clcrmont d'Am-
boise ^ lieutenant-général.
La marche pour s'y rendre fut difficile et pénible,
par une pluie continuelle. En y arrivant, chaque
brigade des difterentes armes prit son poste, cam-
1. Jean-Baptistc-Louis, marquis de Rcnel puis de Clermont
d'Amboise, lieutenant-général en 1744, mort en 1761.
[1745] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 43
pant dans la boue ; les troupes reçurent l'ordre de
faire des fascines et, le surlendemain au soir, la
tranchée fut ouverte on ne peut pas plus près de
la place. La nuit d'après et le jour suivant, on plaça
plusieurs batteries ; le troisième jour, elles commen-
cèrent à tirer. Le feu fut vif et continuel sur les
défenses de la place ; au point de l'attaque, les tran-
chées furent poussées avec une activité extrême,
même imprudente, puisqu'elles n'avoient pas trois
pieds de large et les boyaux de communication
également très mal faits ; à peine y étoit-on à l'abri
des coups de fusil. En cinq jours, les zigzags
furent poussés jusqu'à la crête du chemin couvert,
sur laquelle on s'établit, les ennemis ayant été for-
cés de l'abandonner. Arrivé à ce point, on ouvrit le
chemin couvert et, s'approchant du fossé, on y jeta
une immensité de fascines, claies et sacs de terre
povu' les entraîner au fond de l'eau. Le rempart
étoit dans son entier. Ce qui nous obligea à presser
la place si inconsidérément, c'est que l'armée enne-
mie étoit en plein mouvement et faisoit des démons-
trations de vouloir hasarder une bataille et éviter par
quelque grand succès la prise de cette ville. Notre
général à ce siège est prévenu par le maréchal de
Saxe, qui lui indique le lieu par où les ennemis
peuvent venir l'attaquer, pour qu'il ait à y choisir
un champ de bataille, et lui annonce que 20.000
hommes sont en marche pour se joindre à lui et
que, si les ennemis sont absolument décidés à vou-
loir tenter le hasard d'une bataille, il combinera ses
mouvements sur les leurs, de manière à le joindre
avec toutes ses forces et donner aux ennemis le
44 CAMPAGNES [1745]
regret d'avoir quitté leur tanière. Le champ de ba-
taille fvit reconnu sur les flancs ; il y fut fait beau-
coup (l'abatis; tout annonçoit bataille et la place
ctoit pressée avec la plus grande vivacité.
Le prince Charles et son conseil, voyant l'impos-
sibilité de faire quitter prise à l'armée du Roi, déci-
dée à la bataille, ne voulant donc pas la liasarder,
ramenèrent leurs trouj)es au point d'où elles étoient
parties.
La garnison d'Ath, instruite de la retraite de son
armée et n'espérant plus aucun secours, battit la
chamade et demanda à capituler. La veille, elle avoit
essuyé une espèce de bombardement, qui avoit fait
sauter un magasin à poudre, ce qui avoit fait beau-
coup de mal et étonné singulièrement la garnison
et les habitants. T^a retraite de l'armée du prince
Charles et ces petits événements portèrent le com-
mandant à venir à composition. Elle lui fut accor-
dée avec les honneurs de la guerre jusqu'en dehors
et, rendue sur les glacis, la garnison déposa ses dra-
peaux, enseignes et armes et fut prisonnière de
guerre [8 octobre]. La place d'Ath n'eut pas besoin
de grands travaux pour être mise en état de défense :
les remparts et défenses de tous les ouvrages de cette
ville étoient presque dans leur entier.
La prise de cette place fut un moyen très impor-
tant pour assurer à l'armée la perspective de sûreté
et tranquillité pour les quartiers où elle devoit passer
l'hiver, ce dont on s'occupa peu de jours après,
et toutes les troupes se mirent en marche et chaque
régiment gagna le quartier qui lui étoit destiné. Le
régiment de Picardie fut prendre le sien à Verdun.
[1745] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 45
Pour la fin de cette campagne, les armées tant fran-
çoise que des alliés eurent continuité de pluies, qui
les incommodèrent grandement, mais enfin, comme
l'on dit, après le mauvais temps vint le bon et nous
profitâmes du plaisir de nous retrouver en France,
avec tout l'espoir qu'au printemps et joignant l'armée
à son rassemblement, nous nous retrouverions sur
le point où nous nous séparions. Ce qui fut en effet,
et même avec bien plus grand avantage, occasionné
parla conduite du grand Maurice, maréchal de Saxe,
comme nous aurons occasion de le dire ci-après.
Pendant l'hiver de 1745 à 1746, s'opéra la belle
manœuvre, savante, hardie et si bien combinée, que
fit le maréchal de Saxe, couronnée par la prise de
la superbe et immense ville de Bruxelles, où il y
avoit une garnison dont le fond étoit de 20.000
hommes, avec dix-sept officiers généraux, qui y
furent faits prisonniers de guerre, des provisions
de bouche et de guerre immenses et cent pièces de
canon.
Le régiment de Picardie n 'étoit pas de cette im-
portante expédition. D'autres l'ayant décrite dans
tous ses détails, je me contente d'observer qu'elle
couvrit le maréchal de Saxe, qui avoit tout dirigé,
combiné et conduit, d'une gloire immortelle et que
ce grand capitaine donna à tous les officiers géné-
raux et toutes les troupes à ses ordres tous les
éloges justement mérités pour les uns et les autres.
CAMPAGISE DE 1746.
En mai, l'armée françoise forma son premier
camp en avant de Bruxelles. T.e réoimenl de Picar-
die tenoit la droite. Quelques jours apiès, l'armée
en part et vient camper en avant de Louvain, où le
Roi, arrivé à Bruxelles depuis quelques jours, la
suit. Elleétoit armée d'observation, couvrant le siège
de Mous et successivement celui de Charleroi, où
s'occupe Mgr le prince de Conti, ayant à ses ordres
30.000 hommes. Mons pris, il commence le siège
de Charleroi. Les ennemis forment le projet de
secourir cette place et de donner bataille avant de
la voir prendre, ce qui rapproche les deux armées
et les met dans le cas de s'observer très exactement.
Des officiers pour aller à la petite guerre et aux nou-
velles deviennent néce'ssaires à M. le maréchal ; il
ordonne donc qu'il soit dit à l'ordre que ceux qui
ont ce désir viennent se faire inscrire chez le major
général ; je suis du nombre
Ici se place une digression de deux pages relative aux ser-
vices de M. de Mercoyrol du Brau, oncle de l'auteur, qui obtint
« une retraite très favorable » à la iin de la campagne de 1747.
Dès le lendemain, il fut commandé plusieurs déta-
chements. Je fus nommé pour être de celui de Roc-
[1746] CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. 47
quevaP, capitaine de Picardie, composé de 300
hommes ; nous fûmes quatre lieutenants qui y
fûmes attachés : deux de Picardie et deux de Piémont.
Nous partîmes à l'entrée de la nuit. Quinze jours se
passèrent à chercher les ennemis et à les éviter
lorsqu'ils nous étoient supérieurs, ce qui étoit presque
toujours. Le commandant donnoit des nouvelles au
général de tout ce qu'il pouvoit savoir des ennemis.
Les provisions dont nous étions pourvus au départ
du camp, tant pour les officiers que pour les soldats,
furent consommées à la fin du second jour, vu
que nous étions sans chevaux, depuis le comman-
dant jusqu'au dernier fusilier ; nous fûmes obligés
de vivre pendant toute la route avec le pain, la bière
du paysan et quelques viandes que l'on se faisoit
également fournir ; je trouvois cette vie bonne,
quoiqu'elle fût bien mauvaise, et je me portois bien.
Vers la fin de la quinzaine, nous avions quelques
soldats malades, ce qui tentoit fort M. de Rocque-
val de retourner au camp pour les échanger contre
des bien portants.
Ce fut à ce moment que nous fûmes instruits
qu'il étoit entré cinq ou six cents hommes à
Aerschot, dont nous n'étions qu'à une heue, tou-
jours habitant des bois. Nous tînmes un petit
conseil de guerre, pour trouver les moyens de les
1. Joseph-Salomon Fabre de Rocqueval, né en 1726, volon-
taire au régiment de Picardie en 1741, lieutenant en 1742, capi-
taine en 1745, lieutenant-colonel des grenadiers royaux de la
Guyenne en 1771. Réformé en 1775, obtint pour retraite le
grade de maréchal de camp en 1791; mort en 1806, chevalier
de Saint-Louis. '
A8 CAMPAGNES [174G]
y surprendre el leur faiie \c mal que nous pour-
rions ; nos deux espions fuient envoyés el le lieu
ou ils dévoient nous rejoindre leur l'ut désigné. A
la nuit, nous nous mîmes en marche pour nous y
rendre ; à deux heures de la nuit, un de nos deux
espions vint nous joindre et nous dit qu'il y avoit
dans Aersehot 800 hommes et, derrière la ville, à
deux portées de fusil, un camp de 4.000 hommes.
Nous restâmes dans notre position une heure et
demie, dans l'espoir du retour de notre second espion,
dont le rapport devoil déteiminer le parti que nous
devions prendre. M. de Rocqueval m'avoit poussé,
a\ec lavant-garde de trente hommes que j'avois tou-
jours, sur la lisière du hois et nous étions tapis
dans un fossé très couvert qui étoit tout autour,
lorsqu'au crépuscule du jour je vois déboucher d'un
autre bois vis-à-vis de moi environ trente hussards
ennemis, à la distance de quatre à cinq cents toises.
Clette première troupe étoit conduite par un paysan,
qui, au signe du bras qu'il faisoit, désignoit parfaite-
ment où nous étions. Alors celte troupe avance de cent
toises et fait halte. Je fais instruire M. de Rocqueval
de ce qui se passe et, au même instant, paroît la
tête d'une nouvelle troupe qui se prolonge et me
montre environ 300 hussards, qui se mettent en
bataille. Dans cet instant, les premiers arrivés se
portent à vingt pas de la lisière du bois. M. de Roc-
queval, qui étoit venu me joindre, avoit ordonné
que l'on ne tirât pas un coup de fusil, ce qui fut fait.
Les hussards nous aperçurent dextrement et se
retirèrent, mais ils ne furent pas à trois cents pas,
qu'ils nous adressèrent quelques coups de carabine
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 49
et les 300 hussards en bataille derrière ces premiers
se portèrent en avant, avec des cris à leur usage.
Nous faisons feu sur eux ; quoiqu'il fût bien mince
avec mes trente hommes, nous fûmes assez adroits
pour blesser deux chevaux et un hussard .
M. de Rocqueval, qui a voit été joindre le gros de
sa troupe, fut averti par le poste d'un sergent et de
quelques hommes à la sommité du bois et de la mon-
tagne qu'il paroissoit une colonne d'infanterie qui
longeoit du côté du midi le bois où nous étions. Ce
commandant me fait dire qu'il va gagner le haut du
bois et que j'aie à l'y joindre ; j'en préviens mes
soldats et forme mon peloton, vu que le bois deve-
noit clair avant de pouvoir arriver sur la hauteur.
Gomme je commence mon mouvement de retraite,
tous les hussards, qui s'en aperçoivent, poussent des
cris et tous ensemble viennent en fourrageurs pour
me charger. Ma troupe marche lestement; j'en avois
désigné dix pour tirer lorsque je le dirois ; je leur
commande halte, demi-tour à droite et les fais
tirer sur les hussards des dIus avancés ; il en tombe
deux, ce qui arrête les autres, et, loin de me suivre,
ils se retirent, et je joins M. de Rocqueval sans la
moindre perte. J'aperçois la colonne ennemie qui
cherchoit à nous couper chemin ; comme nous sui-
vions la crête de la montagne et qu'ils nous voyoient
parce que le bois étoit clair dans la partie où nous
étions, nous prenons le parti d'avoir l'air de mar-
cher à eux et faisons comme si nous descendions
la montagne pour les alleraltaquer, ce qui les déter-
mine à s'arrêter et se disposer à nous bien recevoir.
Le bois devenant plus fourré, nous tournons à droite
4
50 CAM1\\GNES [1746]
et nous gagnons infiniment d'avance sur eux. Par
cette petite ruse, nous nous trouvons hors de por-
tée d'en être incommodés. Nous savions, pour y
avoir passé la veille, qu'au bout de ce bois nous
avions une petite langue de plaine à traverser, qui
nous faisoit arriver à un autre bois d'où notre
retraite étoit sûre ; nous le gagnâmes donc sans in-
quiétude et fûmes en sûreté. A peine iumes-nous
quelques minutes sur la lisière pour nous reposer,
que nous vîmes arriver dans la même petite plaine
les hussards qui avoient cherché à nous couper, ce
qui nous détermina à nous cacher dans le bois. Un
quart d'heure après, y arriva, par l'autre côté et au
midi, l'infanterie, au nombre de 800 hommes. Alors,
pour leur faire belle parade, nous sortîmes du bois
sur un seul rang et présentâmes 300 hommes de
front; ils en jugèrent ce qu'ils voulurent, mais, peu
d'instants après, ils se mirent en mai^che pour rega-
gner le lieu d'où ils étoient venus, les hussards se
joignant à l'infanterie.
Dans ce même bois, tirant nos subsistances des
villages voisins, nous restâmes trente-six heures.
Nous fûmes instruits par nos espions que toute l'ar-
mée ennemie étoit en mouvementel qu'elle marchoit
vers Charleroi, ce dont nous donnâmes nouvelles.
Notre ordonnance nous rapporta l'ordre de mar-
cher vers Gembloux, ce que nous exécutâmes en
deux marches ; nous y joignîmes la division de M.
de LowendaP, que toute l'armée du Roi suivoit de
1. Ulric-Frédéric-Woldemar, comte de Lowendal, ne à Ham-
bourg en 1700, maréchal de France en 1747, mort à Paris en 1755.
[1746] DE MEUCOYROL DE BEAULIEU. 51
près et qui, en effet, y arriva le soir même. Le
corps de toutes les troupes légères de l'Impératrice-
Reine, aux ordres du général Trips, avoitpovn^ objet
de venir s'emparer du débouché des Cinq-Étoiles ;
il fut arrêté dans sa marche au village de Perhuis
[Perwez], par un capitaine de la Couronne, M. de
Cursol \ qui commandoit 300 hommes. Les ennemis
commirent la faute de vouloir le prendre en passant
et arrêtèrent leur marche ; ils attaquèrent le cime-
tière et y perdirent du monde. Cursol, voyant qu'on
se disposoit à lui faire une charge qu'il n'auroit pu
soutenir, se retira dans l'église et jeta dans le clo-
cher portion de sa troupe. Les ennemis brisèrent
les portes de l'église, tuèrent jusqu'au pied de l'autel
une centaine d'hommes et en blessèrent autant. On
proposa à ceux qui étoient dans le clocher de se
rendre prisonniers de guerre, ce qu'ils acceptèrent,
mais les ennemis perdirent là deux heures de temps,
d'autant plus précieuses qu'elles procurèrent à M.
de Lowendal et aux vingt-cinq bataillons à ses ordres
de prendre poste dans la trouée des Cinq-Etoiles,
où, en avant d'elle, il y eut une escarmouche vive,
où la compagnie franche de Lestang fut presque
détruite et lui tué, que je regrettai fort. Il étoit mon
compatriote, d'Aubenas en Vivarois^.
1. II y eut au régiment de la Couronne trois officiers du nom
de Cursol : deux qui paraissent avoir été frères, François-Joseph
et François-Emeric, qui se retirèrent tous les deux en 1758
avec le grade de capitaine, le premier avec la croix de Saint-
Louis; et M. Tallant de Cursol, lieutenant en 1745.
2. L'auteur se trompe : Joseph Payan de Lestang était né à
Saint-Paul-ïrois-Châteaux eh Dauphiné le 5 juillet 1711,
52 CAMPAGNES [1746]
Tout lespiroit une bataille, nous pour soutenir le
siège de Charleroi, que faisoil le prince de Conti,
eux pour le faire lever; mais un de ces événements
auxquels on ne s'attend pas fit évanouir tous les
apprêts.
L'on fit à Charleroi l'attaque d'un ouvrage avancé ;
les travailleurs destinés à s'y établir marchoient à
la queue des troupes qui faisoient l'attaque. L'ou-
vrage est emporté, ces troupes suivent les ennemis
épouvantés, la baïonnette dans les reins ; elles entrent
par la même poterne, pêle-mêle avec eux ; les tra-
vailleurs les suivent et la nuit favorise ces événe-
ments. Le commandant, instruit que les François
sont dans la place, pour en éviter le sac fait battre
la chamade et demande à capituler. Ainsi fut prise
cette place et toute apparence de bataille dissipée.
Les troupes occupées à ce siège se joignirent alors
à l'armée du Roi, qui devint supérieure à celle des
ennemis. Ceux-ci se mirent dès cet instant sur la
défensive et le maréchal de Saxe les déposta par ses
manœuvres de toutes les positions qu'ils prirent,
même de celle inexpugnable de la Mehaigne, avec un
ruisseau inguéable par son encaissement devant eux.
Il fallut prendre d'abord le poste de Dinant, sur la
Meuse, d'où ils tiroient tous leurs vivres ; ce fut fait
par M. de Lowendal et, la disette pressant les enne-
mis, ils furent obligés de quitter le camp et d'aban-
d'Hector Payan, avocat, et do Lucrèce Richard. Lieutenant-colo-
nel réformé à la suite du régiment allemand de Lowendal, puis
capitaine en 174G d'une compagnie de Croates. Son Irère, Louis
Payan du Moulin, se maria et s'établit à x\ubenas vers 1750.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 53
donner Namur à des forces qu'ils pourvurent abon-
damment, y laissant une garnison de dix bataillons,
ainsi que quelques escadrons de troupes à cheval,
dont ils se défirent, lorsqu'ils furent instruits que nous
y marchions pour les assiéger, en leur faisant passer
la Meuse sur le pont qui communique à Vie [Huy].
L'armée du Roi, après être restée quelques jours au
camp des Tombes d'Octomont (intéressantes par la
bataille de Ramillies, puisque là appuyoit la droite
de l'armée françoise), prit ensuite une première posi-
tion et par une seconde se trouva couvrir le siège
de Namur.
Le Roi chargea Mgr le prince de Clermont • de ce
siège et avec lui M. le comte de Lowendal, avec un
nombre de troupes de 30.000 hommes, dont le régi-
ment de Picardie faisoit partie. A cette époque j'étois
aux volontaires; instruits de la destinée du régiment,
nous demandâmes de le joindre, ce qui nous fut
accordé, et tous ceux attachés à ce régiment comme
les autres attachés à ceux de l'armée du prince arri-
vâmes à Namur le lendemain que la circonvallation
de cette place avoit été faite [8 septembre]. Les troupes
eurent ordre de pourvoir un lieu destiné à cet effet
d'une immensité de fascines et claies. L'artillerie et
les munitions de toute espèce arrivées, la tranchée
1. Louis de Bourbon-Condé, frère du duc de Bourbon et
comme lui arrière-petit-fils du grand Condé, né en 1709 ; des-
tiné à l'Eglise, mais n'ayant jamais été que tonsuré. Autorisé
par le Pape à porter les armes, il fit les campagnes de 1743 à
1747. Il était abbéde Saint-Germain-des-Prés, quand il reçut le
commandement de l'armée de Hanovre en 1758. Membre de
l'Académie française, il mourut en 1771.
54 CAMPAGNES [1746]
fut ouverte et les travaux poussés avec la plus grande
célérité ; les batteries établies firent un feu très \if
qui dès le second jour ralentit infiniment celui que
nous éprouvions de la part des ennemis. 11 fut con-
tinué avec une vivacité extrême. M. de Lowendal,
après avoir conduit ses tranchées jusque sur la palis-
sade du fort Coquelet par des terres l'apportées (car
l'on alloit sur le roc vif), fit attaquer ce fort et l'em-
porta. Il fut conservé et ce sans beaucoup de perte,
événement bien différent en comparaison lorsque
M. de Boufflers défendit cette placée Le fort Balard
fut également emporté par surprise -, en égorgeant
la sentinelle qui étoit à la porte et en montant par
l'escalier où un seul homme pouvoit passer de front.
On trouva tout endormi ; on en égorgea quatre ou
cinq qui couroient à leurs armes et tout fut prison-
nier de guerre.
La prise de ces deux forts, ne laissant plus rien
sur notre droite qui pût nous incommoder, on
ruina autant que possible toutes les défenses des
ouvrages en face de nos tranchées ; l'attaque du
chemin couvert fut faite et l'on s'établit sur sa
crête. Pendant tout le temps de ce qui se passoit sur
la rive gauche de la Meuse, une tranchée avoit été
ouverte du côté de la rive droite, en face de Vie
[Huy] et ses ouvrages. On avoit poussé deux batteries
sur le bord de la rivière, qui l^attoient le demi-bas-
1. Allusion à la célèbre défense de IVaniur par le maréchal
de Boufflers en 1695.
2. D'après le C'« Pajol {Guerres de Louis XV, III, 6(i'i-9i, le
fort Coquelet fut pris le 19 septembre et le fort Balard le 16
septembre.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU, 55
tion* de l'ouvrage à corne en face de l'attaque de
gauche de la Meuse. M. de Lowendal fit reconnoître
la brèche pendant la nuit, ainsi que la rivière pour
y arriver ; il lui fut rendu compte que suivant la
rivière on arrivoit à l'angle de l'ouvrage et que
huit hommes de front, en le rasant, pouvoient gagner
la brèche, que le plus en avant du côté de la rivière
n'auroit de l'eau que jusqu'aux genoux.
La journée suivante on redoubla d'activité pour
rendre la brèche plus praticable. Les préparatifs
faits pour cette attaque, douze compagnies de grena-
diers, douze piquets auxiliaires et huit troupes de
grenadiers ou piquets des troupes de la garde des
tranchées furent ordonnés pour, à minuit, dans le
plus grand silence, se porter à la brèche. Arrivés à
une certaine distance, ils dévoient faire halte et, au
signal de quatre bombes tirées ensemble, ils dévoient
marcher et monter à l'assaut.
Ce fut exécuté avec tant de rapidité que, lorsque
les premiers grenadiers arrivèrent au haut de la
brèche, les ennemis qui dévoient la défendre étoient
encore ventre à terre pour laisser passer l'effet
des quatre bombes tombées à portée d'eux et qui
n'étoienl pleines que de sable. La présence d'esprit
du baron de Reich ^ Alsacien, capitaine de grena-
diers du régiment de Picardie, rendit cet assaut le
1. N. de Reich de Platz, « gentilhomme d'Alsace, dont le
père est attaché à M. le cardinal deRohan », lieutenant réformé
au régiment de Picardie en 1722, lieutenant en pied en 1724,
puis capitaine. Un de ses parents, le chevalier de Reich-Platz,
de Bainfeld en Alsace, fut lieutenant dans Picardie en 1728 et
se retira en 1734.
56 CAMPAGNES [1746]
plus humain |)OSsil)Ie ; ani\ «■ un des premiers sui' le
liant (le la l)rèche et sa compagnie étant la pre-
mière (le Tallaque, il cria d'une voix forte en alle-
mand : « Grenadiers, bon quartier à qui sera sans
armes, la baïonnette et le coup de fusil dans le
ventre à qui sera armé ! » Cette courte harangue,
dite d'une voix terrible (l'ayant dans son physique
extrêmement forte), fit que les ennemis, se relevant
de ventre à terre où ils étoient, plusieurs d'eux le
firent sans armes et leur premier mouvement fut de
courir à la poterne qui correspondoit du rempart de
la ville à l'ouvrage, pour y trouver sûreté et asile. On
les suivit vivement ; on fit quelques prisonniers et
il y eut quelques tués ; des coups de fusil tirés des
remparts tuèrent et blessèrent quelques grenadiers,
ce qui les fit retirer vers la brèche. Les travailleurs
ordonnés arrivèrent et firent un logement, et, au
jour, les grenadiers y prirent poste. J'ai été bien
aise de rendre compte de la conduite du sieur baron
de Reich, pour qu'on puisse en faire son profit.
Cet ouvrage pris, il ne restoit plus en fortification
pour la défense de la place qu'un cordon avec des
petites tours rondes de distance en distance. La nuit
qui suivit celle-là, on dressa une batterie; dès qu'elle
fut construite et qu'on eut fait trois salves, on battit
la chamade et le drapeau blanc fut élevé [19 sep-
tembre]. D'accord sur la capitulation qui conservoit
la ville, la garnison fut obligée de monter dans les
châteaux qui, quoique vastes, ne l'étoient pas assez
pour que dix bataillons dont elle étoit composée
pussent y être commodément. Ils eussent rendu les
châteaux en même temps que la ville, si on avoit
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 57
voulu leur accorder les honneurs de la guerre, mais
on les vouloil prisonniers de guerre.
Les châteaux bien reconnus, on s'occupa de suite
d'établir grand nombre de batteries et surtout plu-
sieurs de mortiers [24 septembre]. L'on ouvrit une
tranchée au midi des châteaux, vers la pointe d'une
montagne. Le quatrième jour, toutes les batteries
furent démasquées et le feu en fut terrible, ce qui
dura trois jours, sans beaucoup d'effet, vu que toutes
nos batteries éloient du bas en haut, n'y ayant pas
possibilité qu'elles pussent être différemment, à
l'exception d'une de douze pièces de canon de vingt-
quatre, placées sur une pointe de montagne dont la
hauteur étoit parallèle aux châteaux, mais trop éloi-
gnée pour porter dommage aux défenses desdits
châteaux, mais dont les effets incommodoient beau-
coup dans lesdits châteaux les allants et venants.
Sur la pointe de la montagne, au midi, étoit un gros
ouvrage carré, bien revêtu en maçonnerie, avec un
fossé taillé dans le roc. M. de Lowendal ordonna
que, vers les cinq heures du soir, tout l'effet des mor-
tiers y fût dirigé, ce qui fut exécuté jusqu'à dix heures
de la nuit. Il avoit disposé des troupes qui avoient
des échelles et dévoient tenter l'escalade. Les enne-
mis de garde à cet ouvrage, fatigués, depuis cinq
heures, de la quantité de bombes qui leur étoient
jetées, n'avoient laissé que des sentinelles pour être
avertis et s'étoient mis dans une casemate qui ser-
voit de corps de garde. Huit compagnies de grena-
diers, huit piquets et cent dragons chargés de l'assail-
lir se glissèrent bien près de l'ouvrage et, au signal
de trois bombes de la batterie (qui leur avoit été
58 CAMPAGNES [1746]
indiqué), se portèrent vers l'ouvrage avec un tel
silence et une telle rapidité que les premiers arrivés
étoient déjà descendus dans le fossé et avoient
dressé leurs échelles contre le mur pour le gravir,
lorsque les sentinelles donnèrent l'alarme pour la
défense. Les grenadiers furent en force sur le para-
pet au moment où les ennemis y arrivoient pour le
défendre, de manière qu'en quatre minutes cet
ouvrage fut pris- Les ennemis y eurent douze
hommes de tués, notre perte fut de deux tués; tout
ce qui étoit dans l'ouvrage fut fait prisonnier. On
travailla promplement à s'étahlir dans l'ouvrage et,
dès le jour, on commença à y établir une nouvelle
batterie de canons et de mortiers.
La même nuit, M. de Lowendal avoit eu projet
de tenter une escalade du côté de la ville, qui eût
porté dans le cœur du château principal, dont les
remparts étoient fort élevés ; mais, à la première
reconnoissance que Ton en fit, il trouva tout si bien
en ordre, qu'il renonça à toute surprise pareille.
La batterie de canons et mortiers continuoit ses
feux sans relâche depuis dix jours et nous étions ins-
truits que les ennemis avoient beaucoup de malades,
mais les châteaux étoient encore dans le meilleur
état, ce qui nous fit prévoir encore bien des longueurs.
Nous ne fûmes donc pas peu étonnés de voir paroître
deux drapeaux blancs, l'un du côté de la ville et
l'autre du côté de l'ouvrage pris depuis quatre jours,
et d'entendre battre la chamade. Tout fut sur-le-
champ, de part et d'autre, cessé. Les pourparlers de
la capitulation lurent entamés. Ils éprouvèrent beau-
coup de difficultés par le bon état où étoient les
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 59
châteaux et la détermination où étoit le prince de
vouloir la garnison prisonnière de guerre, ce qui
occasionna plusieurs allées et venues. I.e prince, se
doutant qu'ils dévoient manquer de bien des choses,
fit dire pour dernier mot au commandant qu'il lui
accordoit trois heures encore pour se décider, au
bout desquelles le feu recommenceroit, et que tout
ce à quoi il pourroit se réduire étoit de les
laisser sortir des châteaux avec les honneurs de la
guerre jusque sur les glacis ; que là ils poseroient
leurs armes, drapeaux, deux pièces de canon, qui
sortiroient à leur tête, et chevaux pour les troupes
à cheval, excepté un par officier, et qu'ils seroient
prisonniers de guerre et conduits en France, ce qui
fut de leur part accepté et exécuté [l^"" octobre]. Il
n'y avoit que deux cents chevaux. L'heure pour
l'exécution en fut fixée au lendemain huit heures du
matin, qu'ils en sortirent et des détachements fran-
çois prirent poste.
On fut instruit de suite que nos bombes avoient
mis le feu à un magasin de blé qui étoit dans une
église qu'elles avoient réduite en cendres, que le feu
consumoit encore les blés et que ce qui donnoit des
alarmes étoit que le principal magasin à poudre
étoit dessous, qu'il pourroit en résulter une explo-
sion qui, jetant une portion des châteaux sur la
ville, en feroit la ruine. Tout bien pesé et examiné,
ne pouvant attaquer ce magasin par la porte ordi-
naire, encombrée de la chute des murs de l'église,
il fut décidé qu'on l'attaqueroit en le minant, ce
qui se fit fort heureusement, et on en tira tous les
tonneaux de poudre saris qu'il arrivât le moindre
00 CAMPAGNES [1746]
aceidenl. Le commandant des châteaux donna pour
raison que e'étoit cela qui l'avoit déterminé à rendre
à si bon compte la place. Quoi qu'il en pût dire, tout
ce que j'y observai avec l'armée est qu'il lit une
bien molle défense et les fortifications furent les
seuls obstacles que nous rencontrâmes, tant à l'at-
taque de la ville qu'à celle des châteaux et, avec dix
bataillons de garnison, une artillerie nombreuse et
des provisions de toute espèce dans la plus grande
abondance, il ne lui manquoit sous les yeux que
d'avoir la relation du siège des mêmes ville et châ-
teaux défendus par M. de Boufflers, qui manqua de
bien des choses dont lui étoit pourvu abondamment.
Les troupes qui avoient été occupées à ce siège res-
tèrent quelques jours à prendre du repos.
Les ennemis étoient dans la même position qu'ils
avoient tenue pendant la durée du siège de Namur
et ses châteaux, dont la prise des deux ensemble ne
coûta à l'armée du prince de Clèrmont que cinq
cents hommes tués ou blessés, dont quinze officiers.
Le chevalier de Glandevès', capitaine de Picardie,
fut du nombre des morts, et trois officiers blessés.
La constance des ennemis à rester leur droite à
Raucoux, se rapprochant du camp de Saint-Pierre
et Maëstriclît, leur gauche au village d'Ans, faubourg
de la ville de Liège, la Meuse derrière eux, sembloit
annoncer qu'ils vouloient prendre des quartiers
d'hiver pour partie de leurs troupes dans le plat
pays, depuis la Meuse jusque sur la ligne de Tirle-
1. N. de \ioselles de Glandevés, lieutenant au réginjent de
Picardie en 1730, capitaine en 1735.
[1746] DE MERCOYROL DE BE.VLLIEU. 61
mont, distante d'une marche de Louvain. Ce désir
apparent déplaisoit au maréchal de Saxe. Le Roi
venoit de quitter l'armée et de partir pour Versailles.
Le maréchal prit le parti de réunir toutes ses forces :
la division du prince de Clermont le joignit, à
l'exception delà brigade de Noailles infanterie, qu'on
laissa à Namur pour sa garde. Cette division, com-
posée de trente-deux bataillons et vingt-quatre
escadrons que conduisoient le comte d'Estrées, le
prince de Clermont et le comte de Lowendal, avoit
joint le maréchal de Saxe qui pensoit que, par cette
seule réunion de toutes ses troupes, il décideroit
les alliés à repasser la Meuse, ou qu'au moins sa
première marche vers eux amèneroit cet effet.
Toutes les troupes réunies formoient plus de
100000 hommes, et la première marche mit les
troupes légères à une lieue de celles des ennemis.
Le jour suivant, il octobre, l'armée quitta
son camp, qu'elle laissa tendu avec tous les équi-
pages et leur garde, et marcha sur huit colonnes
pour se rapprocher des ennemis. La colonne de
troupes aux ordres du prince de Clermont tenoit la
droite, suivant la chaussée qui conduit à Liège, et
l'artillerie attachée à cette division, qui étoit de huit
pièces de douze et douze de huit, marchoit sur la
chaussée. Cette première colonne avoit, pour cou-
vrir son flanc droit, la brigade de Ségur infanterie et
le régiment de troupes légères de Grassin. L'opinion
générale étoit que les ennemis étoient en pleine
marche pour passer la Meuse, voulant éviter la
bataille, et la première lieue se lit sans rencontre
d'àme qui vive, ce qui : confirmoit cette première
opinion.
()2 C\.MI'AG-NES [1746]
Deux autres jeunes offieiers et moi montâmes
sur la chaussée que la colonne côtoyoit et, clans
une ligne de près d'un quart de lieue, nous aper-
çûmes dans le lointain trois êtres pédestres qui ve-
noient à nous. Je proposai à mes deux compagnons
d'aller au galop à ce que nous apercevions, dans
l'espoir qu ils nous donneroient des nouvelles des
ennemis, dont nous n'étions plus alors qu'à une lieue
de leurs positions, en supposant qu'ils les eussent
gardées, et nous pouvions être les premiers à donner
des nouvelles aux généraux. Nous poussâmes donc
bride abattue, joignîmes ces trois êtres, qui éloient
trois l'emmes venant de Liège ; nous les question-
nâmes sur les ennemis. Leur réponse littérale fut
(car elles parloient François) : « Us sont à trois (juarls
de lieue d'ici, qui vous attendent avec honneur. »
Nous retournons et avec la même vitesse nous arri-
vons à la généralité, qui marchoit à la tête de la
colonne ; nous annonçons notre nouvelle, à laquelle
personne ne veut croire. Nous avons beau assurer
que trois femmes nous l'ont dit ainsi, on ne veut
pas nous croire. M. le comte d'Estrées, depuis ma-
réchal de France, me dit : « Où sont les femmes ? —
Général, lui dis-je, je vais vous les chercher. » Je
tourne bride, monte sur la chaussée, que tranquille-
ment elles suivoient en venant à nous ; je les aper-
çois et les joins. Je les fais descendre de la chaussée
et marcher en la côtoyant, les assurant de n'avoir
pas de crainte, que le général est dans la troupe
qui vient à nous et qu'il veut leur parler. Je ne tar-
dai pas d'être aperçu par la troupe dorée, condui-
sant ces trois compagnes. M. le comte d'Estrées et
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 63
quelques autres officiers généraux donnent un coup
de galop et me joignent. « Général, dis-je à ce
premier, voilà ces femmes qui vous confirmeront le
rapport que nous vous avons fait. » On s'arrête et
on les questionne ; leur réponse est la même : « Ils
sont à trois quarts de lieue d'ici, qui vous attendent
avec honneur. » Le général leur ajoute : « Mais
sont-ils beaucoup de monde ? — On nous a dit
qu'ils y étoient tous et de Liège il est sorti beaucoup
de monde pourvoir la bataille. » Le général, conti-
nuant : « Quel terrain occupent-ils ? — Toute la
plaine autant qu'on peut y voir. » Le général :
« Vous dites qu'il est sorti beaucoup de monde de
Liège pour voir la bataille, où se sont-ils placés ? —
Aux Charbonnières. » On dit à ces femmes qu'elles
pouvoient continuer leur chemin, ce qu'elles exécu-
tèrent et virent défiler cette première colonne dont
elles reçurent mille questions et leurs réponses furent
toujours: « Ils vous attendent avec honneur », ce
qui mit beaucoup de gaîté dans ce qui la compo-
soit.
Après une demi-heure de marche, nous vîmes
devant nous une hauteur et, sur cette hauteur, plu-
sieurs petits pelotons dont l'ensemble pouvoit com-
poser cent cinquante personnes. C'étoient les Char-
bonnières et les curieux de Liège dont les trois
femmes nous avoient parlé. A mesure que nous
avancions comme le faisoient la brigade de Ségur et le
régiment de Grassin, ces petits pelotons s'éclipsoient
peu à peu et, lorsque nous y arrivâmes, il n'y eut
plus que quatre ou cinq manants. Nous étions alors
à mille toises du village d'Ans, dont nous n'aperce-
(34 CAAIPAGNES [1746]
vions que les vergers, vu qu'il est situé entre deux
petites collines. Nous aperfûmes toute la ligne des
ennemis, autant qu'un terrain inégal pouvoit nous
le permettre et, par notre position, nous étions
absolument sur son flâne gauche. Nous restâmes là
en panne près d'une heure, au bout de laquelle
nous aperçûmes, dans un terrain immense qui
se présente à l'œil, l'armée du Roi et beaucoup de
colonnes serpentant dans cette plaine. Nous aper-
cevions beaucoup des allants et venants d'une
colonne à l'autre. Elles nous paroissoient s'observer
pour que leur télé fût d'égalité de l'une à l'autre,
tant celles d'infanterie que celles de cavalerie.
Nous voyions souvent arrêter les colonnes que nous
apercevions, car il n'étoit possible de les voir toutes ;
nous trouvions beaucoup de lenteur dans tout ce
que nous apercevions. Le maréchal de Saxe étoit
sans doute occupé à reconnoître bien parfaitement
la position des ennemis et à disposer son armée,
pour après les attaquer avec avantage et dans l'en-
semble d'unité. Il étoit alors près de deux heures
après midi. Il arrive un aide de camp à M. le comte
d'Estrées, qui commandoit la division de Mgr le prince
de Clermont, d'après laquelle communication, on mit
en mouvement les vingt pièces de canon qui y
étoient attachées.
Au même instant, nous voyons un coup d'œil qui
nous frappe davantage : une colonne d'infanterie qui
montre sa tête sur la colline au nord du village d'Ans,
qui se prolonge et garnit tous les vergers dudit village
jusqu'à celui dont nous n'étions pas àcinq cents toises.
La majeure partie de notre division étoit derrière la
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 65
colline, au midi d'Ans et vis-à-vis. Cette colonne, que
nous vîmes ainsi s'emparer des vergers, fut jugée être
de dix bataillons. Le village n'étoit du tout gardé ;
l'église seule et le cimetière étoient occupés par 600
hommes de troupes d'infanterie légère autrichienne,
et les ennemis, qui avoient dû nous apercevoir au mo-
ment de notre arrivée, ou être instruits par leurs
espions de notre force, se doutant avec raison qu'ils
seroient attaqués par là, y jetèrent ces dix bataillons et,
en même temps, nous vîmes de l'artillerie s'établir sur
le haut de la colline où appuyoit la gauche de la
cavalerie hoUandoise.
L'emplacement de notre artillerie se fit lestement
et avec intelligence. Le comte d'Estrées, poursuivre
les ordres qu'il venoit de recevoir du maréchal de
Saxe, ordonna des dispositions pour l'attaque de cette
gauche, par où, suivant l'ordre qu'il avoit reçu, la
bataille devoit commencer : elles furent que la bri-
gade de Ségur, le régiment de Grassin attaqueroient
le village par son midi, embrassant même sa partie
au levant. La brigade de Picardie, celle de Monaco
et celle de Bourbon attaqueroient les vergers, du midi
au couchant d'hiver. Les autre brigades de la division,
qui étoient à la gauche de celles-ci, dévoient attaquer
ledit village du couchant d'hiver et prenant un peu
sur le nord. Comme cette partie étoit en plaine, les
vingt escadrons de cavalerie y furent placés.
L'artillerie, pendant cet arrangement, avoit com-
mencé un feu très vif sur les vergers occupés parles
ennemis ; celle des ennemis tiroit aussi avec vivacité
sur la nôtre et sur les troupes qui, se formant, se por-
toient en avant. Comme on s'aperçut que tirer contre
5
66 CAMPAGNES [1746]
cette colline ne faisoit pas grand effet, il fut ordonné
de pointer sur l'arlillerie des ennemis; par sa posi-
tion, tout l'égout de nos boulets prenoit de flanc la
cavalerie hollandoise, ce qui l'incommoda beaucoup
par la quantité de chevaux et d'hommes qu'elle perdit.
La brigade de Picardie sur une ligne, celle de
Monaco sur une seconde, celle de Bourbon à la
gauche de celle de Picardie, mais séparée par des
haies, marchèrent pour l'attaque des vergers. Les
grenadiers de la brigade de Picardie et quatre
piquets de ce régiment formoient une avant-garde.
M. de Tanus \ lieutenant-colonel du régiment de
Champagne, brigadier, vieux et bon militaire, repré-
senta sans doute à M. le comte d'Estrées que cet
ordre de bataille pour attaquer des haies exposoit à
une perte de beaucoup de monde. Il nous joint au
galop, ordonne que les brigades rompent par quart
de rang de bataillon en avant, met pied à terre, se
met à la tète de la colonne et, par une marche vive,
attaque avec succès, c'est-à-dire que la brigade [de
Picardie] pénètre dans tous ces vergers sans perte de
beaucoup de monde. Les quatre compagnies de grena-
diers et les quatre piquets de ce régiment qui en
faisoient l'avant-garde se trouvent avoir coupé un
bataillon écossois au service de Hollande, qui fut
mis en pièces, et pendant ce temps cette brigade
renversoit tout ce qui lui éloit opposé et qui, après
avoir fait leurs décharges, ne songeoient qu'à cher-
1. Jean-Pierre d'Alary de Tanus, capitaine en 1706, major
en'1737, lieutenant-colonel enl740, maréchal de camp en 1748,
mort en 1752.
[1746] DE MERCOYROL DE I5EÂUL1EU. 67
cher leur salut. On doit observer que ce qui occa-
sionnoit leur terreur étoit qu'à leur arrivée pour
s'emparer de ces différents vergers, ils avoient été
obligés de défiler un à un par différentes issues et
que, n'ayant point de communication faite, ils se
disoient intérieurement : « Sans doute, si nous
sommes coupés, nous serons tous égorgés ici, ou au
moins pris » ; et, après avoir tiré un ou deux coups
de fusil, chacun pensoit à soi et s'en alloit.
Il faut ici rendre justice au brave et vieux militaire
M. deTanus, lieutenant-colonel de Champagne, bri-
gadier commandant celle de Picardie. Le contraire
du parti qu'il prit y touche, il faut le rendre : la
brigade de Monaco, en seconde ligne derrière celle de
Picardie, conserva son ordre primitif d'être en bataille
et, quoiqu'elle s'aperçût de l'ordonnance différente
que prenoit la brigade de Picardie, elle pensa que
cette ordonnance lui étoit particulière et continua sa
marche en bataille. Lorsqu'elle se trouva à portée
des ennemis, elle essuya une décharge qui, tuant et
blessant beaucoup de monde, y mit du désordre.
Celui qui la guidoit ordonna le mouvement que la
brigade de Picardie avoit fait ; il s'exécuta, mais les
ennemis, sous le feu desquels elle se trouvoit, eurent
tout le loisir de le répéter et, voyant qu'on alloit
les joindre, inquiétés d'ailleurs par la colonne de
Picardie qui gagnoit leurs derrières, ils se retirèrent
en gagnant vers le couchant d'été desdits vergers. La
brigade de Bourbon marchant vivement pour leur
couper ce dessein de retraite et les joindre, un offi-
cier général attaché à la cavalerie hollandoise fit
marcher au galop quatre escadrons, qui, rasant les
68 CAMPAGNES [1746]
haies desdils vergers, vinrent charger le régiment de
Bourbon, qui, les voyant venir, lit halte et se disposa
à les bien recevoir, ce qu'il exécuta par une dé-
charge de tout son feu, laquelle culbuta cette cava-
lerie, mais donna tout le loisir à l'intanterie de
gagner le haut de la hauteur, où la brigade de Ségur,
le régiment deGrassin, la brigade de Picardie, celles
de Monaco et de Bourbon arrivèrent à peu près en
même temps, et y furent prises sept pièces de ca-
non. On y joignit les douze pièces de notre artillerie,
de huit livres de balles, qui furent de suite poin-
tées sur l'aile gauche de la cavalerie hollandoise ;
elles y portèrent un tel désordre, prenant toute cette
cavalerie en flanc, qu'elle perdit tout son ordre de
bataille et ne forma plus qu'une masse informe et
faisant retraite à qui mieux mieux.
Le soleil venoit de se coucher et le pays étoit très
coupé et trèsdiflicile pour la cavalerie, ce qui empêcha
que la nôtre pût agir. Elle l'espéroit, car M. d'Estrées
l'avoit fait arriver sur la même colline où nous étions,
où elle se formoit en bataille sur plusieurs lignes,
faute de terrain. Les brioadcs d'infanterie étoient en
colonnes et celles de la division qui n'avoitpas com-
battu étoient en bataille dans la plaine. On avoit
poussé la cavalerie et l'infanterie de Grassin en avant,
qui joignirent, dans le fond de la colline où nous
étions à une autre qui se présentoit, neuf pièces de
canon gros calibre et tous les fourgons destinés à
porter poudre et boulets dont ils s'emparèrent.
La nuit comraençoit à tomber. M. d'Estrées donna
ses ordres pour passer la nuit sur le champ de
bataille. On établit des gardes de sûreté en avant et
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 60
on permit aux soldats d-e faire des feux pour se garantir
du froid (c'étoit le H octobre), plutôt que pour faire
la soupe, car les troupes n'avoient pas de mar-
mites et fort peu de viande. Cependant le soldat qui
avoit du pain se tira d'affaire et faisoit cuire sur les
charbons de belles rouelles prises sur les croupes
des chevaux hollandois tués. Les officiers qui avoient
quelques vivres les partageoient avec ceux qui en
manquoient. Le lendemain, au petit point du jour,
il nous vint du pain de la ville de Liège, des sau-
cissons, du vin et de la viande qu'on eut à peine
le temps de faire cuire, puisque notre division partit
à neuf heures du matin pour rejoindre son camp,
qu'elle avoit laissé tendu, où elle arriva vers deux
heures de l'après-midi.
Ainsi se termina cette bataille, vers la partie de la
droite de l'armée du Roi, dont la perte en tués et
blessés fut peu considérable. La brigade de Picardie
y eut treize officiers blessés, mais aucun en danger de
la vie. La brigade de Monaco fut la plus maltraitée de
cette droite ^ Cette brigade perdit dix capitaines
qui restèrent sur le champ de bataille, vingt de blessés
et des lieutenants à peu près pareil nombre ; à elle
seule elle perdit infiniment plus que les trente-six
bataillons restants de la division.
D'autres ont décrit ce qui se passa à Raueoux,
village où l'action fut plus opiniâtre et où le sang
fut répandu plus abondamment }*ir la quantité de
troupes qui y furent employées et l'opiniâtreté de
la défense que les ennemis y firent, dont la perte
1. L'auteur consacre dix lignes à là formation défectueuse
de cette brigade, déjà décrite plus haut.
70 CAMPAGNES [1746]
fut évaluée en totalité à '"i.OOO morts ou blessés et
1.500 prisonniers. Celle de l'armée du Roi fut 2.500
tués ou blessés.
Le ^ain de cette bataille, donnée le 11 octobre,
n'eut d'autre fruit que de joindre de nouveaux lau-
riers à ceux cueillis déjà par le maréchal de Saxe,
et détermina les ennemis à aller chercher des quar-
tiers d'hiver de l'autre côté de la Meuse. La force de
leur armée, le jour de la bataille, étoit du fond de
80. 000 hommes, plus complète que la nôtre dont le
fond étoit de 100000 hommes, mais qui avoil tant
de détachements pour la sûreté de nos communica-
tions éloignées que, le jour de la bataille, les armées
étoient d'égale force en combattants effectifs. Mais
le Dieu qui y préside inspira notre général et la
victoire fut pour lui et les armes françoises.
Nous arrivâmes le 12 à notre camp et, le lende-
main 13, toute l'armée en partit. Toutes les brigades
de différentes armes reçurent des ordres pour que,
du 14, chacune d'elles prît le chemin des quartiers
qui leur étoient destinés à y passer l'hiver et s'y
reposer de la campagne brillante que l'armée du Roi
venoit de terminer.
La brigade de Picardie fut destinée, avec le régi-
ment de Noailles, partie de celui de Grassin et le
régiment de la Reine cavalerie, pour former la gar-
nison de Namur, dont la garde fut confiée au comte
de Lowendal
L'auteur rapporte en dix pages un incident qu'il suffira de
résumer. Le jeune duc d'Antin \ colonel du régiment de Pi-
1. Louis dePardaillan de Gondrin, troisième et dernier duc
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 71
cardie, âgé de dix-neuf ans, favorisait spécialement un lieu-
tenant nommé Dalihert, qu'il avait tiré du régiment de Gondrin
et auquel il avait fait donner à la fois les fonctions d'aide-major
de tranchée et de garçon-major : le cumul des deux services
étant impossible, le colonel proposa à l'auteur celui de garçon-
major. Celui-ci mit à son acceptation une condition très hono-
rable, c'est qu'il continuerait à faire à son tour « le service des
travailleurs de la tranchée et de la sape. . . dont il avoit jusque-
là partagé les dangers avec ses camarades lieutenants : « Je le
leur dois et à moi aussi », dit-il au duc, qui comprit les causes
de son refus. L'auteur d'ailleurs rend justice aux qualités de
son jeune colonel et continue ainsi :
Je veux exprimer ici mes sentiments de vénération,
d'estime et je veux dire de respect pour la haute
noblesse de l'empire François.
Que des milliers de gentilshommes, qui n'ont que
la cape et l'épée, cherchent l'honneur et le danger,
aux dépens de leurs membres et de leur vie ; que les
différentes saisons, aujourd'hui par le chaud, demain
par le froid, couchant indifféremment par la boue
ou par la neige, soient des sacrifices qu'ils font au
Roi et à l'Etat, ils y ont sans doute du mérite. Mais
qu'on passe au jeune guerrier qui nous vient de la
Cour, ou qui dans ses terres jouit des bienfaits
de l'opulence, que ces sacrifices de tout genre sont
accrus par l'état et les douceurs dont il se prive et
qu'il quitte. On dit qu'ils sont récompensés par les
grandes places du royaume : il est vrai que
quelques-uns le sont ; mais il en est un plus grand
nombre qui n'obtiennent que le grade de maréchal
d'Antin, né en 1727, maréchal de camp en 1749, mort à Brème
enl757;succédaauchevalierdeVassécommecoIoneldePicardie
en 1745.
72 CAMPAGNES [1746]
de camp. Le Roi et la nation doivent de la reeonnois-
sanceaux uns et aux autres... Il faut que toute jalou-
sie soit amortie pour tout guerrier, dans quelle classe
que la fortune, appuyée de ses services, puisse le
conduire ; c'est le seul des états où il faut un talent réel
pour en mériter la primauté et pour que la postérité
lui donne le nom de grand capitaine...
Le régiment de Picardie arriva à Namur, pour
passer l'hiver, le 18 octobre 1746.
Dans les premiers jours du mois de novembre
suivant, M. le duc d'Antin, par une lettre circulaire,
fit part aux vingt-cinq premiers lieutenants, tant
de ceux qui étoient au corps que de ceux absents
par semestre, que Sa Majesté s'étant déterminée
d'augmenter d'un cinquième bataillon les six pre-
miers régiments de son infanterie (déjà du nombre
de quatre), il avoit reçu des ordres pour présenter
au ministre ses nominations, qui dévoient consister,
pour la formation de ce cinquième bataillon, en
dix-sept lieutenants qui passeroient au grade de capi-
taine, qu'il nous adresseroit sous peu de jours à cha-
cun des intéressés l'ordonnance du Roi qui prescri-
voit les conditions de la levée de ce nouveau
bataillon, qu'il nous prévenoit seulement que les
bataillons feroient la campagne prochaine avec les
autres, ce qui fut en effet exécuté ; que nous eussions
donc à lui mander sur-le-champ particulièrement si la
fortune de nos parents et notre volonté le mcttoient
dans le cas de nous proposer à une de ces nouvelles
compagnies et que, sur la réponse que nous rece-
vrions de lui, il nous manderoit sur-le-champ dépar-
tir pour aller nous occuper de notre nouvelle charge
et de cette augmentation.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 73
Par les pertes du siège de Namur, j'étois, à celte
époque, le quatrième lieutenant du régiment de Pi-
cardie ; mon embarras n'étoit pas petit pour répondre
à cette invitation. Quelle pourroit en être la dépense
et quelle seroit la teneur de l'ordonnance du Roi
qui en fixoit les conditions ? Mon oncle étoit à
Arras, où il avoit été passer l'hiver et s'y reposer
près d'un de ses anciens compagnons d'armes ; il
étoit parti un peu malade. M. le duc demandoit
réponse sur-le-champ, j'en apercevois toute la néces-
sité. Je réfléchissois sur la position de mon père, de
ma mère et de ma grand'mère, dont toutes les pos-
sessions réunies ne leur rendoient pas six cents
livres de rente. Les dépenses de mes trois précé-
dentes campagnes leur avoient coûté mille écus. Je
voyois presque une impossibilité qu'ils pussent venir
à mon secours, quelque seul d'enfant que je fusse et
quelque tendresse que je savois qu'ils avoient pour
moi. Chiens de Hollandois, d'Écossois et de Hessois
(les trois différentes troupes qui défendoient le
village des vergers d'Ans), pourquoi ne vous étes-
vous pas mieux défendus. J'aurois été certainement
tué, mes parents m'auroient donné des larmes et,
pour échange d'elles, vous me mettez dans la cruelle
nécessité d'aller leur arracher la moitié de leur subs-
tance et abréger peut-être leur vie !
Ne pas répondre à M. le duc d'Antin fut le parti
que je me proposai d'abord ; cependant tous mes
camarades étoient instruits que j'avois reçu sa lettre.
Lui faire part de ma détresse, c'étoit reculer singu-
lièrement la ligne de mon avancement; le temps
étoit pressant et je n'avois celui de consulter mes
74 CAMPAGNES [1746]
parents. Lorsque mon oncle éloit parti, il avoit laissé
sept à buil louis à un de ses compagnons, com-
mandant de bataillon, M. ïourant, pour qu'il
voulût bien avoir l'œil sur moi ; la vanité de ma
dix-neuvième année ne pouvoit me permettre de
cbercber des conseils près d'autres que de mes
parents... Tl falloit pourtant se résoudre : je projetai,
après avoir dîné, une promenade seul;... je sortis
par la porte où l'attaque de Namur avoit été faite ;
je promène mes idées sur tous les vestiges qvie me
présentoit encore le terrain ; insensiblement je me
trouve près du fort Balard, je reconnois la place où,
deux mois auparavant, j'avois vu moissonner un
jeune grenadier à côté de moi, le chevalier de Glan-
devès, je m'arrête et je me dis : « Puisque je me trouve
sur le champ de Mars et de l'honneur, consultons
les mânes du chevalier. »
Il faut dire ici que ce chevalier, quoique homme
de qualité, n'étoit pas riche, tant s'en faut; il passoit
pour constant au régiment qu'il économisoit sur ses
appointements ce qu'il faisoit passer à deux sœurs,
qui étoienl au couvent à Paris, et qu'il disoit souvent :
« Lorsque je serai commandant, je leur ferai plus
de bien. » Il étoit capitaine depuis quelques années
et fut tué à l'âge de vingl-six ans. Il éloit courageux,
mais imprudent; son giand plaisir étoit de ramasser
les jeunes officiers et de les conduire à la sape, ou
dans les endroits les plus dangereux et là de con-
noître de leur courage... Il fut frappé d'une balle
au-dessus de l'oreille. ..
Je m'assis donc sur le lieu de ce triste souve-
nir et m'occupai des motifs qui m'avoient amené.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 75
Mon parti pris, je me lève. Rentré chez moi, je
réponds à M. le duc d'Antin que j'attends ses ordres
de départ avec grande impatience, par celle que je
suis de répondre à la confiance qu'il se propose de
me marquer, que d'avance j'ai l'honneur de lui en
faire tous mes remerciements et de l'assurer que, si
la guerre peut me fournir des occasions à justifier
l'opinion dont il m'honore, il doit y compter, ainsi
que sur le respect avec lequel, etc..
La lettre à mes parents me fut hien plus coûteuse.
Il fallut entrer dans tout le détail de ma position,
leur bien marquer que par plus d'une bataille ou
d'un siège j'eusse désiré passer à une compagnie
gagnée par des dangers, sans embarras pour eux et
surtout sans finance, que leur situation ne m'étoit
que trop connue, que je les voyois apprendre mon
avancement au détriment et à la suppression du peu
qu'ils avoient, que, quelque porté que je fusse atout
reconnoître, rien ne m'en assuroit l'exécution. Enfin
ma lettre fut de tout ce que je sentois, et je sentois
beaucoup. Je l'adressois à ma mère, pensant bien
que la commission ne seroit pas petite, et je la finis-
sois en la priant de faire comme j'avois fait, qui
étoit de se livrer à la Providence, sans nulle réflexion ;
que ce parti étoit celui que j'avois pris, après qua-
rante-huit heures d'incertitude, mais que depuis lors
je me trouvois tranquille et bien soulagé ; qu'elle
se privât de me répondre, attendu que je serois en
route au moment où elle recevroit ma lettre ; [j'ajou-
tois] des respects pour ma grand'mère, mon père et
un baiser tremblant pour eux tous.
Mes dépêches faites, je fus les mettre à la poste ; elles
76 CAMPAGNES [1746]
n'eurent pas plutôt glissé dans la boîte, qu'il me parut
que je respirois un tout autre air; la nature scmbloit
renaître poui' moi ; Tappétit et le sommeil, tout me
revint et me fut délicieux Huit jours s'écoulèrent
sans que nous eussions nouvelles de M. le duc d'Antin.
Je passai ce temps à des préparatifs de départ. Le
neuvième jour, neuf des lieutenants qui étions restés
au régiment pour y passer l'hiver reçûmes chacun
une lettre de M. le duc d'Antin par laquelle il nous
faisoit part de la nomination qu'il avoit faite de nous
à une compagnie de nouvelle levée et (jue sur cette
lettre nous eussions à prendre les ordres de M. de
Bruslard ^ lieutenant-colonel du régiment, à qui il
écrivoit par le même courrier, et que M. le comte
de Ijowendal, lieutenant-général, commandant à
Namur, avoit été prévenu par le ministre pour nous
laisser partir. Le reste de sa lettre étoit exhortation
pour accélérer la formation de nos compagnies en
hommes fort robustes et aguerris soldats, vu que
ce bataillon feroit la campagne prochaine avec les
autres.
Nous nous rendîmes chez M. de Bruslard, qui
nous conduisit chez M. de Lowendal. Ce géné-
ral avoit reçu l'ordonnance de la formation de ces
six bataillons, où étoient toutes les conditions et
traitement accordé par le Roi. La lecture nous en
fut faite et nous sortîmes avec notre lieutenant-
1. N. de Bruslard, de Dunkerque, enseigne en 1711, lieute-
nant en 1712, capitaine en 1716, commandant de bataillon en
1747, se relira en 1751 avec la croix de chevalier de Saint-Louis
H fit les fonctions d'aide-maréchal général des logis de l'armée
de Bavière.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 77
colonel, qui nous ajouta que pour notre route nous
pouvions passer chez l'oflicier chargé du détail du
régiment, qui nous remettroit à chacun cent écus, ce
qui s'exécuta de suite. En cette somme de trois
cents livres consista toute l'avance qui nous fut faite.
Je passai, dans la même matinée, chez M. Tou-
rant, qui me remit les huit louis que mon oncle lui
avoit donnés en garde. Comme mon équipage con-
sistoit en un très bon petit cheval et en un bon
mulet, avant la réception de la lettre qui me faisoit
capitaine en attendant ma commission, vu que mon
état de capitaine et surtout une si longue route
l'exigeoient, je traitai de mon mulet pour avoir un
valet monté plus décemment. J'avois déjà fait marché
avec un capitaine du régiment pour un cheval qu'il
me céda, deux louis avec, et je lui remis en échange
mon mulet. Il m'étoit dû par de mes camarades
cinq louis qu'ils me payèrent. Comme je compre-
nois parfaitement toutes mes nécessités, je ne pris
avec moi qu'un seul soldat de la compagnie de mon
oncle, qui par son talent étoit noté pour être bas-
officier, et je dis à ce M. La Liberté (son nom de
famille étoit La Grave, natif de Languedoc) que, si
son zèle répondoit au choix que je faisois de lui,
il seroit le premier sergent de ma compagnie, qu'il
me falloit un homme économe qui ménageât ma
bourse, en outre des talents militaires dont je savois
qu'il étoit pourvu. Il me répondit qu'il feroit de son
mieux. Je lui dois la justice de dire que sous tous les
rapports j'eus lieu d'en être content.
Tous mes arrangements pris pour ma route, je par-
tis de Namur pour me rendre en Vivarois, le 15 de
78 C.VMP.VGNES [1746]
novembre. ATapproche de la petite ville de Viviers,
que mes parents liahitoient, je sentois des mouve-
ments d'inquiétude, quelque désir ardent que j'eusse
de les emhrasseï'. Ma dernière eouehée fut à Clia-
teaubourg, dans une mauvaise auberge, où, agité de
mes réflexions, je ne dormis pas de la nuit. J'en partis
avec le commencement du jour. Sur les quatre
lieures de l'après-midi, élant à une lieue de Viviers,
je lis rencontre d'un bomme qui en étoit ; mon
empressement fut de lui demander des nouvelles
de tout ce qui m'y intéressoit ; ce brave bomme me
dit que mon père et ma mère m'y attendoient avec
grande impatience, que leur santé étoit bonne, que
toute la ville avoit appris avec joie quej'étois capi-
taine et que mon père, depuis que je l'en avois
instruit, avoit fait trois jolies recrues, toutes trois
de la ville, et qu'il me nomma. Je les connoissois et
il me vint alors un bien tendre souvenir : à l'âge
de neuf, dix et onze ans, avant de quitter mes
parents pour aller au collège, mon état fut marqué
pour la carrière militaire ; j 'avois ramassé une tren-
taine d'enfants de mon âge, je m'en étois fait le capi-
taine ; je leur avois donné lui drapeau, les avois
armés de cannes en place de fusils et je leur faisois
faire des mouvements en représentation de ceux
que j'avois vu exécuter à Antibes, où, de l'âge de
six ans et demi jusqu'à celui de sept et demi, j'étois
resté chez mon oncle, M. de Caire *, qui étoit major
1. N., comte de Caire, lieutenant dans Picardie en 1746, était
en 1788 chevalier de Saint-Louis et colonel sous-hrigadier du
génie àlS'eul-Brisach.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 79
de cette place. Les trois hommes de recrue qui
venoient de m'être annoncés étoient donc trois de
ces enfants qui, du moment qu'ils surent que j'étois
capitaine, s'empressèrent de devenir soldats et de
réaliser sous moi, dans une carrière bien réelle, les
jeux de notre enfance. Ce souvenir m'attendrit
d'une manière bien particulière. Je remerciai c et
homme qui continua sa route et moi la mienne.
Près de la ville, je rencontre et joins plusieurs de
ses habitants ; tous me témoignent le plaisir qu'ils
ont de me revoir et je partage bien sûrement cette
satisfaction avec eux. J'arrive à la porte de la maison,
je mets pied à terre, monte et me trouve dans les
bras de ma mère ; je ne les quitte que pour ceux
de mon père et de ma grand'mère ; tour à tour ils
reçoivent mes respects et mes empressements. Que
ce souvenir m'est précieux ! C'est un des plus doux
de ma vie. Mais que ce souvenir est cruel de me
dh'c que moins de six ans après, c'est-à-dire en
avril 1752, ces trois êtres qui m'aimoient avoient
disparu ! . . .
Notre première soirée se passa en plaisir réci-
proque de se voir. On me présenta les trois recrues
déjà faites, je leur donnai pour boire et ils m'as-
surèrent qu'ils ne tarderoient pas à avoir des cama-
rades.
Notre souper fut frugal et court, comme c'étoit
l'usage Le lendemain, je fus agréablement réveillé
par mon valet, qui, entrant dans ma chambre, me
dit : « On vous a fait hier encore deux jolies recrues »,
qu'il me nomma par leur nom ; encore deux de ces
enfants qui avoient composé ma première phalange !
80 CAMPAGNES [1746]
On me Its lit monter et je les parai d'une belle
cocarde blanche el rose, et leur donnai quelques
écus sur leur engagement... Ma mère rentra, m'ap-
porlant une assiette de raisins ; sa servante (car
c'étoit tous ses gens) la suivoit, portant sur une
assiette une pièce de pain bis, un verre et une
bouteille de vin. Ce déjeuner, que l'appétit assai-
sonnoit, parce que le souper avoit été léger, qu'il
m'étoit olFert par la meilleure des mères, fut trouvé
excellent.
Mon déjeuner pris, je demandai à ma mère l'effet
que lui avoit fait la lettre que je lui avois adressée
de Namur. Elle me dit qu'elle lui avoit arraché
beaucoup de larmes, que mon père, qui l'avoit lue
après, en avoit eu les yeux tout rouges et que le
résultat de leurs réflexions avoit été que, dans une
circonstance aussi inévitable, aussi pressante et
aussi intéressante pour ma carrière, ils s'étoient
dit : « Nous mangerons du pain », et que de suite
ils avoient déterminé de céder au séminaire de
Viviers un capital de deux mille francs que leur
devoit M. Digoine \ ce qui avoit été fait, et cette
tendre mère les tira de sa poche en me disant : « Les
voilà, mon cher Jacquet! ». Elle ajouta : « Il t'en
faudra davantage » — elle vit quej'étois attendri de
toutes leurs marques de bonté, — « et nous tâche-
rons de t'en donner davantage; sois tranquille. » —
1. D'une famille notariale établie à Montdragon en Provence
dès la première moitié du xv*^ siècle et passée, par mariage, au
Bourg-Saint-Andéol en Vivarais, en 1.571. Des généalogistes
ont raUaché à tort ces Digoine à la famille considérable du
mémo nom qui était fixée en Bourgogne.
[1746] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 81
« OÙ est mon père ? » lui dis-je. — « lime charge de
le parler de tout ceci ; il a été à la messe ; il m'a
dit d'ajouter qu'il iroit demain à sa grange près Saint-
Pons (e'ëtoitla seule qu'ils possédassent), qu'il y met-
troit en vente un pré un peu éloigné du domaine,
qu'il espéroit vendre quinze cents livres. »
A ce récit, je me sentis un frémissement ; je me
parus un enfant dénaturé qui, pour soutenir une
vanité déplacée, veut arracher à ces vieillards (mon
père avoit alors soixante-trois ans, ma mère cin-
quante-cinq et ma grand 'mère quatre-vingt-quatre),
leur arracher à tous trois le peu de substance qui
de voit les aider à arriver au tombeau. J'étois si
pénétré que je ne répondis à ma mère que par des
soupirs.
Mon père rentrant sur les dix heures, je fus l'em-
brasser, lui dis de ne pas se presser pour son voyage
de Saint-Pons, que ma mère m'avoit tout dit, qu'il
valoit mieux écrire à M. le marquis de Graveson \
lui demander cent pistoles sur six mille francs qui
faisoient partie de la dot de ma mère et qu'il lui
devoit. Ma mère fut chargée de lui écrire; ce brave
homme exécuta ce qu'elle lui demandoit.
Je fus très heureux dans mon travail de recrues ;
je fis, en deux mois, trente-deux hommes de recrue,
bons et assez beaux. Je formai mon équipage de
capitaine en joignant à mes deux chevaux deux
1. André de Clémens, dont la seigneurie de Graveson en
Provence avait été érigée en marquisat en 1718. Il était beau-
frère de la célèbre marquise du Deffand. Son fils Jean-Baptiste
épousa, en 1751, Marie-Anne-Magdeleine de Vogué, sœur du
marquis de Vogué.
6
82 CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. [1746]
mulets, bien liistoriés de leurs agrès ; je pris à mon
service un valet de [)lus ; ma mère radoul^a et renou-
vela pendant mon séjour mon petit équipage en
linge, et je partis avec une « route de la Cour »,
tant pour moi sous le grade de capitaine que pour
le nombre des nouveaux soldats que je conduisois.
Le moment de ce départ affligea beaucoup mes
pauvres parents, quelque à charge que je dusse leur
être à cause de ces hommes ayant fait dans une
maison déjà petite un corps de caserne. J'étois si
content de les en débarrasser que je partois avec un
plaisir secret, n'étant peiné que parce que je les
voyois tristes.
Voyageant pai^ étapes, ma route fut longue et je
n'arrivai à Namur que le 29 de mars ; tant je m'étois
dépêché et quoiqu'un des plus éloignés, je fus rendu
un des premiers. A quelques jours de là, je pré-
sentai mes hommes à M. de Bruslard, notre lieute-
nant-colonel. Il fut content de leurs taille, force et
tournure. Je lui fis observer les sept (car j'en avois
joint deux aux cinq premiers engagés) qui lors de
mon enfance faisoient partie de ma compagnie
vivarienne, ce qui fit rire ce vieux militaire, et il fit
plusieurs questions à ces jeunes gens.
En avril, tout se disposoit pour commencer la cam-
pagne de 1747 et, dans les premiers jours de mai,
nous reeûmes des ordres pour quitter Namur.
CAMPAGNE DE 1747.
L'armée du Roi s'assemble à la chartreuse de
liOuvain, où nous avions campé la campagne précé-
dente, et y établit sa droite ; le centre de l'armée est à
Malines, la gauche appuie à Anvers : cette position
étendue menace à la fois Berg-op-Zoom et Maës-
tricht... Les ennemis croient que Maëstricht est la
place que le maréchal de Saxe se propose d'attaquer
de préférence à toute autre.
Le Roi arrive à l'armée [22 juin] et, comme il la
joint à la droite, les ennemis se confirment que la
première marche qu'elle fera sera par sa droite. Ils
se mettent donc en mouvement et se disposent à
arriver à Maëstricht avant l'armée françoise, se pro-
posant d'y prendre une position qui rende nos
mouvements inutiles sur cette ville.
La division de M. le prince de Clermont, compo-
sée de vingt-quatre bataillons, trente escadrons et
du régiment de Grassin, a ordre de se porter à Tirle-
mont, ce qu'elle exécute sur-le-champ.
A huit heures du soir du même jour, les quatre
brigades d'infanterie campées à la droite de Louvain
reçoivent ordre d'en partir pour Tirlemont, où elles
arrivent à la pointe du jour. La division de M. le
prince de Clermont partoit pour Tongres comme
notre division arrivoit, le régiment de Picardie en
faisant la tète.
84 CAMPAGNES [1747]
Depuis Anv(M^s jusqu'à la rôservc de Mgr le piinee
de CllermoMl([iii en loimoil lavant-garde, toute l'ar-
mée, par éclielons, étoit en mouvement pour se por-
ter à Tongres el, plus en avant d'un quart de lieue, à
Tongelberg, de manière (jue pour eette maielic la
division qui précédoit celle qui la suivoit en partoit
lorsqu'elle voyoit arriver l'autre et à Tongelberg
l'armée devoit toute se joindre.
La division du prince de Clcrmont y arn\ant
campa, laissant Tongelberg à sa gauche ; la seconde
division campa à Tongelberg; la troisième division,
qui arriva pendant la nuit, resta sans camper en
avant de Tongres et derrière Tongelberg.
A la pointe du jour, les gardes des troupes légères
qui étoient en avant de nous furent attaqués par
une fourmilière de hussards et obligés de se replier
sur le camp. On fit marcher les piquets de la cava-
lerie, dragons et quelques-uns d'infanterie pour
les protéger et tous ces hussards furent chassés.
Le maréchal de Saxe étoit arrivé à Tongres au
commencement de la nuit précédente. Instruit de
l'apparition de tous ces hussards, il donna ordre que
les trois divisions arrivées eussent à se mettre en
bataille dans l'ordre où elles étoient campées, à la
première alarme du point du jour. Les chefs des
régiments avoient exécuté cet ordre avant qu'il par-
vînt et ce qui y avoit contribué étoit que vis-à-vis
les hauteurs de Tongelberg, à distance dune demi-
lieue, étoient d'autres hauteurs qui nous cachoiént
tout ce qui pouvoit se passer de l'autre côté ; ainsi,
lorsque l'aide de camp du maréchal arriva, il trouva
l'ordre qu'il portoit exécuté. Trois divisions restèrent
dans cette position encore une demi-heure.
[1747] DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 85
L'ordre nous arrive de laisser seulement le camp
des soldats tendu et que les équipages aient sur-le-
champ à se mettre en marche pour se porter sur les
derrières de Tongres.
M. le Maréchal envoie différents courriers aux
officiers généraux commandant les divisions qui
nous suivoient pour accélérer leur marche et arriver
le plus promptement possible.
Les trois divisions arrivées se mettent en mouve-
ment pour se porter en avant : celle du prince de
Clermont sur deux colonnes tenant la droite, la
seconde division et la troisième chacune d'elles
également sur deux colonnes, les hussards et troupes
légères en avant d'elles, très rapprochés des colonnes.
Chaque colonne avoit à sa droite l'artillerie qui lui
étoit attachée. Les gardes et piquets qui étoient
en avant et qui depuis le point du jour étoient à
escarmouclier avec les hussards ennemis s'ébranlent
et se portent en avant.
Dans cet ordre, on traverse la plaine entre les
deux hauteurs. Toutes les troupes légères ennemies
répandues dans cette plaine se replient sur la hau-
teur [qui étoit] derrière eux et s'y forment par esca-
drons en bataille, et font ferme vis-à-vis toutes les
petites troupes en avant. Mais, notre marche se
continuant, tous ces escadrons font leur retraite et,
sur-le-champ, nos troupes légères au galop s'em-
parent des hauteurs qu'ils quittent. La mousquetade
devient plus vive de la part de nos troupes légères
qui les suivent jusque sur les hauteurs d'Herderen,
auxquelles les ennemis ne s'arrêtent même pas, et
sont poussées sur les hauteurs vis-à-vis, où les
86 CAMPAGNES [1747]
ennemis à cette heure étoient en force bien plus
noml)reuse que nous ne l'élions par nos trois divi-
sions, la majeure |)arlie de leur armée y étant déjà
arrivée et le reste y arrivant.
Le maréchal de Saxe se porte en avant sur les
hauteurs d'Herderen pour reconnoître ; en passant,
il ordonne à toutes les colonnes de faire halte et
que toutes les têtes desdites colonnes restent à hau-
teur. Demi-heure après, il vient ordre à toutes
ces colonnes de se porter en avant... Elles avoient
ordre, savoir : celles du centre, qui marchoient
aux hauteurs d'Herderen, de pousser leur tète à
vue seulement sur la plaine située de l'autre
côté de ces hauteurs; les colonnes de la division
de Mgr le prince de Clermont, qui étoient sur
la droite, de faire halte au moment que les tètes
desdites colonnes seroient à hauteur de celles pla-
cées sur les hauteurs d'Herderen ; et les colonnes
de la troisième division sur la gauche des mêmes
hauteurs, d'observer le même ordre.
Au moment où ces diflerentes colonnes firent
halte, il éloit midi. Trente pièces de canon de douze
et huit livres de balles furent placées sur lesdites
hauteurs.
L'armée ennemie, que nous découvrions parfai-
tement sur tout son front, étoit arrivée et en
ordre de bataille, savoir: les \utrichiens, leur droite
à la Commanderie, tenant toutes les hauteurs jus-
qu'à un gros village qu'ils occupoient aussi et qu'ils
avoient rendu formidable (l'étant par sa position),
ce dont il fut aisé de juger après la bataille par les
abatis d'arbres qu'il y avoit, les retranchements
[1747] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 87
qu'ils y avoient faits, les communications qu'ils
avoient pratiquées pour que les bataillons destinés à
sa défense pussent aisément s'entr'aider, et une large
communication qui arrivoit sur le derrière de ce
village, par où des troupes fraîches pouvoient nour-
rir les différentes parties par où ce village seroit
attaqué. La droite des troupes hollandoises appuyoit
à ce village. Vers le centre de leur troupe et de leur
ligne, il y avoit un autre petit village qui ne présen-
toit pas un objet effrayant de défense comme celui
de leur droite. Leur ligne se poussoit à la gauche
de ce village, où appuyoit la droite des troupes
angloises se prolongeant jusqu'au village deLawfeld,
où appuyoit la gauche de leur infanterie. De l'autre
côté de ce village et continuant la ligne, étoient la
cavalerie angloise et partie de celle de Hollande
qui s'étendoit jusqu'à un autre village très près de
la rivière de Sambre. Ce village étoit gardé par de
l'infanterie de leurs troupes légères et, suivant la
ligne, étoient quelques escadrons de hussards qui
alloient jusqu'à la Sambre.
Le maréchal de Saxe, qui voyoit le danger de
pouvoir être attaqué dans ce moment critique,
n'ayant pas à cette heure la moitié de son armée
arrivée, usa de ses talents pour en imposer aux
ennemis et fit mine de marcher à eux.
Au bas des hauteurs qu'occupoient la gauche des
Autrichiens et la droite des Hollandois, étoit un
hameau d'environ vingt maisons, éparses dans des
vergers comme le sont tous les villages de ce pavs.
Le maréchal tira un gros détachement de ses
colonnes du centre pour marcher à ce village où il
88 CAMPAGNES [1747]
ne paroissoit nul ennemi ; il y fit tirer quelques
coups (le eanon des pièces de douze, ordonnant
(lu'on en tirât (juelques couj)S à toute volée, dont
les boulets poiloient et déj^assoient la ligne enne-
mie. JjV détachement formé marche au hameau, n'y
trouve personne et s'en empare. M. le Maréchal se
porte à ce hameau, y observe et revient.
Pendant cet intervalle, nous voyons que les enne-
mis autriciiiens forment en avant de lem- ligne un
détachement d'environ 2.000 hommes, dont ils
font deux petites colonnes, celle de leur droite
ayant quatre pièces de petite artillerie.
A ce moment (il étoit trois heures après midi),
arrivent quelques officiers généraux qui viennent
rendre compte à M. le maréchal de Saxe que la qua-
trième division de l'armée est à une demi-lieue et
que le Roi, qui la précède, arrive. Il fut ordonné
aux troupes de ne faire aucun cri sur l'arrivée du
Roi, comme il est d'usage, et, quelques minutes
après. Sa Majesté arrive et joint M. le Maréchal sur
lesdites hauteurs d'Herderen.
Lesenncmismarchoientà cet instant pour l'attaque
du hameau placé entre les deux armées, ce qu'ils
exécutèrent après l'avoir canonné l'espace d'une
petite demi-heure, et quelques boulets perdus, qui
n'étoient que de trois livres de balles, vinrent frap-
per sur la hauteur d'Herderen et y tuèrent un che-
val fort près de la personne du Roi. Quelques-uns
des officiers généraux arrivés avec Sa Majesté vou-
loient qu'on ripostât à ce canon, mais le maréchal
de Saxe ne le jugea pas nécessaire et, sous prétexte
de faire observer au Roi la position qu'occupoit
[1747] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 89
M. le prince de Clermont, il conduisit Sa Majesté
sur le revers des hauteurs.
Du moment que l'infanterie des ennemis se mit en
marche pour arriver à ce hameau, rofficier supérieur
qui ycommandoit fait sa retraite, laissant seulement
quelques tirailleurs, auxquels il ordonne que, lors-
qu'ils verront les ennemis décidés à arriver aux pre-
mières haies, ils aient à les quitter et venir le
rejoindre, qu'il sera hors du village sur la direction
par laquelle ils étoient venus. L'attaque se fait, tout
s'exécute comme il avoit été ordonné et ce détache-
ment, sans perte d'un homme, se replie au bas des
hauteurs d'Herderen. Le maréchal de Saxe l'avoit
ainsi ordonné, pour éviter tout engagement. Il étoit
alors cinq heures de l'après-midi et, à cet instant,
la tête des colonnes de la quatrième division arri-
voit. Elles eurent ordre de se placer à la droite
des colonnes arrivées avant elles, ce qu'elles exé-
cutèrent et dans cet ordre le temps s'écoula jusqu'à
huit heures du soir et, le soleil prêt à quitter l'hori-
zon, le maréchal de Saxe parut respirer plus à son
aise, ce qu'il affecta de dire.
Sur les hauteurs d'Herderen et au point de vue
d'où l'on voyoit toute l'armée des ennemis, l'on avoit
fait porter des bancs pris dans les maisons des
paysans, où il n'y avoit pas d'autres sièges, et le Roi
et les seigneurs de la Cour les occupoient, et là rou-
loit la conversation sur l'avantage qu'auroient eu les
ennemis d'attaquer le maréchal dès midi, comme
ils le pouvoient, étant en force très supérieure à
lui. Le maréchal de Saxe convenoit d'autant de ce
fait, qu'en outre de la quatrième division qui l'avoit
90 CAMPAGNES [1747]
joint vers les cinq heures, les deux divisions à arri-
ver faisoient encore un vide de trente hataillons et
soixante escadrons, lesquelles anivèrent l'une à dix
heures de la nuit et l'autre à minuit.
Le Roi soupa et coucha dans une petite maison
de pavsan. Il fut défendu aux troupes de faire des
feux pendant la nuit, qui fut employée à faire l'ordre
de halaille sur lequel le maréchal de Saxe se propo-
soit de combattre. Toutes les dispositions se firent
avec le plus grand silence et avec l'ordre le plus
exact, savoir :
Dans la plaine, appuyant leur droite près des hau-
teurs d'Herderen, trente escadrons de cavalerie
furent mis en bataille sur une seule ligne; à leur
gauche, un réeiment de draoons et des volontaires
d'infanterie, qui appuyoient à un ruisseau très
encaissé ; cette ligne resserroit sa gauche et formoit
la figure d'une potence en arrière. Comme il étoit
impossible de se porter en avant de front par les
difficultés du terrain, les ennemis ne pouvoient arri-
ver à eux dans cet ordre et cette gauche étoit inat-
taquable.
Sur la hauteur d'Herderen, huit brigades d'in-
fanterie, chacune d'elles formant sa colonne. A la
droite des hauteurs et dans le bas, la brigade des
Gardes françoises et suisses en bataille, ce qui faisoit
quarante-trois bataillons que le maréchal de Saxe
regardoit comme son corps de réserve et destinoit
à la sûreté de la personne du Roi. A la droite de la
brigade des Gardes, étoient cinq brigades d'infante-
rie (vingt bataillons) ; en seconde ligne, autres cinq
brigades (vingt bataillons). A la droite de la deuxième
[1747] DE MERCOYROL DE BEÀULIEU. 91
ligne d'infanterie, une brigade d'infanterie en
colonne à chacune d'elles. A la droite de ces
colonnes, quarante escadrons de cavalerie sur deux
lignes, qui appuyoient à la division de Mgr le prince
de Clermont, qui, pendant la nuit, avoit été portée
à quarante bataillons. A la droite de cette division,
trente escadrons ; quatre régiments de dragons à la
droite de cette cavalerie ; les uns et les autres sur
deux lignes. Les dragons avoient à leur droite deux
bataillons de grenadiers royaux, et l'infanterie des
troupes légères, leur cavalerie en bataille à leur
droite. La cavalerie de la maison du Roi et la gen-
darmerie étoient comme en réserve partie derrière
les hauteurs d'Herderen et la brigade des Gardes
françoiseset suisses.
M. le comte de Saint-Germain ^ avoit été chargé
de la garde de Tongres ; il avoit à ses ordres douze
bataillons et cinquante pièces de canon, le tout dis-
posé comme si nous eussions dû perdre la bataille.
Toutes les précautions justement et habilement
prises par le général qui commandoit les troupes du
Roi, il nerestoit plus que d'en venir au dénouement.
Du moment que cet habile capitaine vit que l'or-
ganisation de ses lignes étoit au point où il la dési-
roit et qu'il eut donné ses ordres aux officiers géné-
raux, il vint joindre le Roi, à hauteur d'Herderen.
« Monsieur le Maréchal, lui dit le Roi, tout est ici à
1. Claude-Louis, comte de Saint-Germain, né en 1707. On
connaît sa carrière aventureuse au service de l'Electeur
Palatin, de l'empereur Charles VII, du roi de Finance et du roi
de Danemark, et son rôle comme ministre de la guerre de 1775
à 1778.
92 CA.MPA.GNES [1747]
VOS ordres, ordonnez. » Ce bon Roi, d'un caractère
paciricaleur, vouloit par celle léponse honorer ce
l)ra\{' maréclial, en lui marquant toute sa confiance,
et il (Ml coùtoit sans doute à son cœur d'ordonner
(jiic laclion commençât, par le sang qu'il prévoyoit
(lu'elle alloit faire répandre soit de ses sujets, soit
de ceux des princes avec lesquels il étoit en diffé-
rend.
l.e maréchal quitte le Roi, se porte à la droite de
ses lignes, d'où il envoie ordre à Mgr le prince de
T-lei-mont de se mettre en mouvement et d'exécuUM-
ce qu'il lui avoit prescrit précédemment. Il éloit
alors environ huit heures. Toute l'artillerie de la
division du prince commence un feu des plus vifs
sur le village de T.awfeld. Les ennemis y répondent
surtout d'une batterie de vingt pièces qu'ils avoient
à la droite de ce village et en dehors des vergers,
où les Anglois qui le défendoient en avoient placé une
nombreuse quantité.
Après une heure environ de canonnade, les
troupes marchent pour aller à l'attaque ; elles s'y
portent avec un courage héroïque, mais le feu et la
mort qui sortent des haies de ce village les obligent
à reculer pour se rallier et se mettre à l'abri des
effets de la mousqueterie. Puis elles se reportent
à l'attaque, trouvent même réception et se replient
encore. Deux brigades fraîches y sont jointes et
elles attaquent pour la troisième fois. A cette
attaque, elles pénètrent dans les vergers, chassent
les ennemis qui les défendoient et s'emparent de
douze ou quinze pièces de canon. Ces haies res-
sembloientà des retranchements ; les terres amonce-
[1747] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 93
lées au pied des arbrisseaux atteignoient presque
partout la hauteur de cinq et six pieds et étoient
difficiles à franchir ; les troupes qui les avoient pas-
sées étoient toutes rompues. Une colonne angloise
et des troupes fraîches marchent à elles, obligent
tous ces pelotons à se replier et les jettent en
désordre sur le gros de leurs troupes qui se forme
après avoir passé la première haie. Les uns et les
autres sont obligés de la repasser, mais sans quitter
ce retranchement que la nature avoit formé. Il s'é-
tablit un feu de mousqueterie terrible, où notre
infanterie, couverte par ce retranchement, faisoit
beaucoup de mal aux ennemis.
Il y avoit plus de trois heures que les attaques de
mousqueterie se continuoient. Notre infanterie s'aper-
çut que la mousqueterie des ennemis diminuoit
beaucoup ; elle pense que le moment de repasser
la haie étoit venu ; en conséquence les officiers et
soldats la grimpent et marchent comme à l'attaque
précédente, par pelotons unis et sans attendre d'être
en force, sur les ennemis qui fuient. Mais des
troupes angloises, et fraîches, se présentent et
repoussent les nôtres. Presque tous les bataillons
qui formoient cette attaque avoient passé cette
haie et, pour éviter ce qui leur étoit arrivé précé-
demment, ils prennent des postes suivant que le
terrain les leur présente. Les différents pelotons
qui s'étoient postés en avant sont repoussés, mais ils
viennent se rallier à leurs bataillons et il se rétablit
une mousqueterie très vive.
M. le Maréchal, qui avoit examiné d'où pou-
voit provenir l'opiniâtreté de cette défense, faitpor-
9'i CAMPAGNES [1747]
ter ordre à la cavalerie qui étoit à la droite du
prince de Clermout, d'attacjuer celle dont la droite
étoit près du village de Lawfeld ; celle charge se fait
avec succès et la cavalerie ennemie esl culbutée.
Tout le reste de la droite se porte en avant. Le
village qui éloit vis-à-vis les grenadiers royaux et
rinfanlerie des troupes légères fut attaqué et emporté ;
les dragons et hussards à leur droite allaquèrent les
troupes qui éloienl devant eux et les culbutèrent.
Des cris de « Vive le Roi ! » encourageoient les
troupes françoises qui combattoient dans Lawfeld,
où les ennemis se soutenoienl toujours. En même
temps, le maréchal prend deux brigades d'infanterie
de la droite de ses lignes, formées en colonne, et
les conduit lui-même, laissant Lawfeld à sa droite
et le tournant pour venir attaquer derrière ledit vil-
lage les troupes angloises qui sei'voient à sa défense.
Au moment où ces deux brigades alloient joindre
l'infanterie angloise, la prendre en flanc et la détruire,
le général Ligonier ^ à la tête de quatre escadrons,
fait une décharge à cette colonne, qui par son feu
culbute ces quatre escadrons, mais la colonne s'ar-
rête. Les carabiniers qui marchoient en bataille,
ainsi que le reste de la ligne de la cavalerie et
quelques-uns des escadrons, chargent les quatre
escadrons aux ordres du général Ligonier, les
mettent en pièces et font prisonnier ce général. L'ar-
1. Jean-Louis T-,igonier, né en 1G88, mort on 1770, field-
inarshall, appartenait à une famille huguenote originaire de
Castres, cl était fils de Louis de Ligonier, sieur de Monteuquet,
et de Louise duPoncet.
[1747] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 95
i^êt de la colonne et ces deux charges de cavalerie
donnèrent le temps à l'infanterie angloise de se
retirer et la cavalerie ennemie, qui avoit été repous-
sée par la nôtre, s'étant ralliée et formée dans la
plaine, protégea la retraite de l'infanterie angloise,
qui au pas de course fut se rallier derrière celte
cavalerie.
Dès ce moment la bataille fut gagnée. Les Hol-
landois firent leur retraite vers Maëstricht, les Anglois
ayant pris même chemin, dont ils étoient à une
demi-lieue. Les x^utrichiens également commen-
cèrent la leur et, lorsque les troupes qui étoient
restées sur les hauteurs d'Herderen se portèrent en
avant et qu'elles arrivèrent sur les hauteurs où les
Autrichiens étoient pendant la bataille, il n'y restoit
plus qu'une douzaine d'escadrons de cavalerie, qui,
à notre approche, commencèrent leur retraite et il
ne fut possible de les accompagner que par quelques
volées des canons, tirées de fort loin et presque
sans effet. Il fut fait un détachement pour les pour-
suivre, trop foible pour les incommoder dans leur
retraite, mais qui put les observer. Ce détachement
de grenadiers et carabiniers ramassa dans les fermes
éparses dans la campagne et dans un village 300
hommes qui s'y étoient cachés ; plusieurs d'eux
se disoient déserteurs [2 juillet].
L'armée passa [la nuit] au bivac sur le champ de
bataille. Le lendemain matin, elle porta sa droite en
arrière et campa, ayant sa gauche à la Commanderie
[des Vieux Joncs], où le Roi logea. Il fut porté deux
brigades d'infanterie et. quelques troupes légères sur
les bords delà Meuse, au-dessous de Maëstricht, où
96 C\M1'AGNKS [1747]
elles eampèreni ; cl après quelques jours de séjour
elles rentrèrent sur leurs positions, qui étoienl fort
critiques, ètanl à une petite demi-lieue de Maëstiiclit
et à une lieue de notre camp.
L'on établit un eamp volant de trois l)rigades
d'infanterie et de deux de cavalerie sur les hauteurs
vis-à-vis le eamp Saint-Pierre, que les ennemis
oeeupoient.
Les ennemis, le jour de la bataille, firent ainsi
leur retraite : lesTIollandoiset Anglois par Maëstricht,
n'en étant qu'à une demi-lieue. Ces deux nations
traversèrent cette ville et campèrent, appuyant leur
gauche à la ville, devant eux la rivière de Meuse, et
dix bataillons et quelques escadrons hollandois occu-
pèrent le camp Saint-Pierre. Les Autrichiens firent
leur retraite par un pont de bateaux qu'ils avoient
fait établir à trois lieues au-dessous et, sans événe-
ments fâcheux, ils passèrent la Meuse et furent cam-
per en appuyant leur gauche à la droite des Hollan-
dois.
Les pertes des ennemis le jour de la bataille
furent de 8.000 tués ou blessés : les Anglois en
firent les frais ; fort peu de Hollandois et encore
moins d'Autrichiens. Il fut pris trente pièces de
canon, six drapeaux, huit étendards. Les prison-
niers furent au nombre de 1.500.
La perte des troupes du Roi fut de 4.000 hommes,
tués ou blessés, et les Anglois firent 200 prisonniers
dans le village de Lawfeld, officiers on soldats bles-
sés, qui faisoient nombre dans les 4.000 de perte.
Les pertes des ennemis eussent été bien plus fortes
si la cavalerie françoise, après la charge heureuse
>;1747j DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 97
qu'elle avoit faite sur la cavalerie angloise et hollan-
doise, se fût rabattue sur leur gauche et eût pris en
queue et sur le flanc l'infanterie angloise destinée à
soutenir les attaques du village de Lawfeld ; le
maréchal de Saxe l'avoit ainsi commandé. Ayant
manqué cette circonstance, la cavalerie manqua
encore de charger les Anglois dans leur retraite,
après avoir cherché à battre la cavalerie qui les pro-
tégeoit, car, cette cavalerie battue une seconde fois,
il étoit à croire que toute l'infanterie angloise eût
été mise en pièces ; et l'attaque que conduisoit le
raiaréchal de Saxe à la droite du village de Lawfeld
auroit eu un effet bien sinistre pour les Anglois et
Hollandois ; la déroute de cette armée eût été com-
plète et ses pertes immenses, mais le Dieu des
batailles, qui préside à tout, leur évita tant de
fâcheux événements et chacun de ces alliés fit sa
retraite heureusement.
Le maréchal, pour tirer fruit de sa victoire, fit
filer par différentes directions vingt-cinq bataillons
à M. de Lowendal, l'objet de cette manœuvre étant
que ce général feroit le siège de Berg-op-Zoom, ce qui
fut exécuté. M. de Lowendal étoit resté avec quinze
bataillons à Anvers ; avec ces quarante bataillons et
trente escadrons, il commença ce fameux siège,
dont je ne sais point le détail, le régiment de Picar-
die n'en ayant pas été.
Pendant tout le temps de ce siège, l'armée du Roi,
devenue armée d'observation, resta dans le camp
qu'elle avoit pris après la bataille de Lawfeld envi-
ron six semaines et, pour se procurer des vivres,
elle fit une marche rétrograde, vint camper à Ton-
7
98 CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. [1747]
gelherg, où lui dabli le quartier général du Koi, et
y finit la eam[)agne.
Beri>-op-Zoom pris, le Roi et les prinees partirent
pour Versailles et, peu de temps après, les lrou|)es
des maréchaux gagnèrent leur destination pour
l'hiver. Le régiment de Picardie fut désigné avec
sept autres bataillons pour la garnison de Louvain,
avec une brigade de cavalerie, dilFérents détache-
ments de troupes légères, hussards et un bataillon
d'artillerie, le tout aux ordres du comte de Saint-
Germain.
Pendant cet hiver, il ne se passa rien de bien inté-
ressant, si ce n'est entre nos troupes légères et celles
de l'ennemi, qui se disputoient pour aller boire
la bière des habitants de la campagne située entre
Louvain et Tirlemont (qui en est à trois lieues de dis-
tance), où les ennemis avoient leurs premiers postes,
composés de 2.000 hommes de troupes légères. I^e
général Saint-Germain, ne voulant pas fatiguer
inutilement les troupes à ses ordres, n'entreprit rien
sur eux et l'hiver fut des plus tranquilles.
CAMPAGNE DE 1748.
M. le maréchal de Saxe avoit établi son quartier
dans la superbe ville de Bruxelles, où son esprit,
toujours occupé des opérations militaires brillantes,
éclatantes et étonnantes, formoit toutes les combi-
naisons pour celle qu'il méditoit, qui devoit étonner
tous les guerriers de l'Europe et confirmer à la
postérité les talents dont abondoit ce grand capi-
taine. Il avoit tout calculé et tout prévu dans le
silence, et donné ses ordres préparatoires pour le
grand dessein qui l'agitoit. Les troupes qui dévoient
y coopérer occupoient des quartiers embrassant un
espace immense et éloigné, savoir : le pays messin,
la Lorraine, la (lliampagne, le Calaisis, le Hainaut,
la Picardie, l'Artois, la Flandre Françoise et l'autri-
cliienne conquise.
Dès les premiers jours du mois de mars, et cela
successivement suivant les distances des différents
régiments, chaque garnison recevoit des ordres pour
se mettre en marche et arriver à tel ou tel endroit,
où des officiers généraux les joignoient et continuoient
leur route. Les vivres étoient ordonnés partout et
l'abondance s'y trouvoit.
Les amis comme les ennemis furent étonnés de
voir l'armée Françoise, dès les premiers jours d'avril,
bloquer et envelopper la forte ville de Maëstricht,
qui ne pouvoit manquer de succomber, quels que
100 CAMPAGNES [1748]
fussent la force de ses boulevards et le courage
d'une garnison de 12.000 hommes, et quelque espoir
qu'elle eût (rèlrc secourue de leur armée, dont la
force étoit de 80.000 hommes, mais espacés encore
et tranquilles dans leurs quartiers, tandis que
100.000 François étoient à ses portes, regardant
sa prise comme assurée. Les généraux ennemis
furent ébahis et cherchèrent à "rassembler leur
armée. Tout étoit dans l'inquiétude en Hollande :
Maëstricht pris, les François pénétreroient en Hol-
lande.
Le maréchal de Saxe fait ouvrir la tranchée
[13 avril! , les travaux se poussent avec une rapidité
étonnante et en même temps il choisit un champ
de bataille, unique endroit par où les ennemis
peuvent venir à lui s'ils veulent hasarder une action
pour sauver la ville. Il fait construire douze redoutes
sur son front. Ces redoutes peuvent contenir cha-
cune deux bataillons ; elles sont couvertes par un
chemin couvert bien palissade; en avant d'elles, des
puits qui en rendent l'approche difficile. Chacune
d'elles semble pouvoir soutenir un siège. Les enne-
mis seroient le double de leur puissance qu'à les
attaquer ils seroient battus.
Par ces précautions le siège se pousse sans la
moindre inquiétude du dehors ; la garnison fait
quelques petites sorties, mais est rejetée dans le che-
min couvert et toujours avec perle. Les travaux
s'avancent rapidement ; la seconde parallèle est faite,
les boyaux se poussent en avant d'elle ; deux
ouvrages avancés, qu'on nomme langues de serpent,
sont établis sur le chemin couvert de l'attaque faite
[17481 DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 101
sur la rive gauche de la Meuse : principale et véri-
table attaque, car celle établie de l'autre côté de la
rivière n'étoit que pour occuper les ennemis et
diviser leurs forces et ])attre de revers tous les
ouvrages et différents chemins couverts du véritable
point de l'attaque, ce qu'ils ressentoient parfaite-
ment.
Un grand nombre de travailleurs de nuit sont
commandés et j'en eus cent à mes ordres de la
brigade de Picardie. M. Doré ^ autre capitaine du
régiment de Picardie, en conduisoit également cent
pour cette nuit. Au départ, nous nous trouvâmes
1.500. La nuit étoit claire. Chacun se chargea de
deux fascines et de deux piquets et, comme la
tête des travailleurs que nous menions arrivoit au
débouché des boyaux, trois bombes éclatent, ser-
vant de signal. Les compagnies de grenadiers qui
étoient postés et ventre à terre se lèvent alors,
avec des cris de : « Tuez, tuez ! », et chassent les
ennemis des deux langues de serpent, autrement
dites flèches. Les travailleurs débouchent, les ingé-
nieurs les guident et les établissent ; chacun d'eux
place les fascines et chacun commence à travailler ;
les officiers les y invitent pour qu'ils soient plus tôt à
l'abri des coups de feu qui viennent du chemin
couvert et de tous les ouvrages avancés ; chacun
s'en occupe et la mort qui frappe à côté d'eux leurs
camarades ne peut les intimider, mais les presse au
travail. On ne s'aperçoit qu'à la clarté des bombes;
1. Charles-Joseph Doré, né à Crépy dans les Trois-Evêchés
en 1723, cadet en 1742, lieutenant en 1743.
102 CAMPAGNES [1748]
c'est une continuité de mille éclairs à la i'ois; mais
pour nouvelle décoration et espoir aux assiégés de
rendre la scène |ilus sanj^lante, vingt petits mortiers
lancent sur le chemin couvert vingt pois à l'eu et
leurs décharges répétées, en douhlant à chaque
instant la clarté, donnent la facilité de diriger de
rartillcrie sur les ouvrages commencés et de faire
usage avec succès du fusil de rempart. Ils y joignent
d'autres mortiers chargés de pierres dont ils nous
régalent. De temps en temps un cri lugubre : « Un
brancard ! » ; c'est pour emporter un pauvre blessé,
car ceux qui ne sont plus, on se contente de les
jeter en arrière de l'ouvrage. Malgré cette grêle de
morts, les officiers parcouroient de la droite à la
gauche, disant à leurs soldats : « Redoublez de tra-
vail pour vous mettre îi l'abri du danger », ce qu'ils
exécutoient à qui mieux mieux.
Je veux dire ici la manière dont usent ceux qui ont
fait plus d'un siège, théorie que l'on feroit bien d'ap-
prendre à tous les jeunes soldats en la leur faisant
exécuter en temps de paix. I.e vieux soldat prend sa
pioche, fait un trou de trois pieds de circonférence,
et son compagnon, qui a pour outil une pelle, jette
les terres de l'autre côté de la ligne des fascines ;
celui qui a la pioche fait un trou pareil à ce pre-
mier à quatre pieds de distance, sur le même aligne-
ment; la terre assez remuée, il change déplace avec
son camarade, qui déblaie les terres ainsi successi-
vement. Lorsque les trous sont de deux pieds de
profondeur, le soldat qui a la pioche cherche par
une ligne parallèle à joindre les deux trous ; celui
armé de la pelle déblaie toujours les terres sur les
[1748] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 103
fascines et en avant de lui. Par ce moyen, dans les
pays où les terres sont aisées, en demi-heure de
temps ils sont couverts de trois pieds et, continuant
à travailler, ils s'enterrent de plus en plus, fortifiant
d'autant le revers de la tranchée, que les travailleurs
de jour perfectionnent.
Cette nuit fut meurtrière pour les travailleurs.
J en commandois cent, j'en perdis douze de tués et
dix-huit de blessés, dont plusieurs très grièvement ;
mon compagnon, M. Doré, en perdit trois de plus ;
ceux des autres régiments furent traités à peu près
de même. Il y avoit dans cette partie 500 tra-
vailleurs d'employés. Il y eut deux lieutenants de
blessés, dont M. Saint-Fort, qui mourut trois jours
après, [et un autre] nommé Chauminy, du régiment
de Picardie.
Il est d'usage, et le général donne cet ordre dès le
premier jour du siège, que tous les officiers qui sont
des travailleurs de nuit aient à prendre, en arri-
vant au dépôt placé à l'entrée de la tranchée, une
cuirasse et un pot en tête. Cet ordre est très mal
suivi ; en voici la raison : lorsqu'on commence un
siège, les premiers qui sont commandés ont à
faire travailler leurs troupes à une grande distance
des premiers ouvrages de l'ennemi et le feu en est peu
dangereux ; ils négligent donc de prendre cette arme
défensive et l'officier proposé par le général, qui
devroit être aide-major de tranchée ou tout autre,
néglige de faire armer de ce costume tous les officiers
de ce service. Ces premiers, de retour à leur camp,
disent, surtout les jeunes gens, qu'ils n'ont pas
voulu de ces cuirasses. Rentrés à leur régiment, ils
104 CAMPAGNES [1748]
répètent même propos et chacun de ceux qui doivent
être commandés à leur tour de ce service se dit :
« Lorsque j'en serai, je n'en mettrai pas non plus »,
ce qu'il exécute. Cependant, plus les approches de
la place se l'ont et plus le danger devient visible.
L'instant des attaques du chemin couvert arrivé,
pour peu que les officiers aient de l'expérience, ils
sentent la nécessité de cette armure, mais pas un
n'en veut faire usage. 11 arrivoit pourtant qu'à un
siège de quarante jours de tranchée ouverte, dans la
composition des troupes à cette époque, les capi-
taines faisoient six fois ce service et les lieutenants
douze fois, parce qu'il y en avoit deux pour un capi-
taine, sans compter que quelquefois il y avoit des
détachements de quarante ou cinquante hommes où
l'on ne faisoit marcher qu'un lieutenant, ce qui m'é-
toit arrivé aux sièges de Fribourg et de Namur. Il
résulte de ce manque d'attention que les officiers
sont estropiés ou tués on ne peut plus mal à propos.
Le général doit y remédier en infligeant une peine
forte (comme celle de priver de faire le siège qui
commence, en renvoyant sur les derrières de l'armée
le premier officier qui contreviendroit à l'ordre
donné) ; on conserveroit ainsi plusieurs citoyens qui
peut-être un jour pourroient coopérer au gain d'une
bataille et qui épargneroient des larmes à leurs pa-
rents. Le général seroit bien payé par la conserva-
tion d'un seul, grâce à l'observation de son ordre.
J'ai vu au seul régiment quatre de ces exemples dans
les huit sièges que j'ai faits avec lui.
Je dois parler ici d'un office de bravoure dont
deux grenadiers s'occupèrent pendant toute la nuit
[1748] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 105
et j'observai que ce furent toujours les deux mêmes ;
ils étoient du régiment de la Tour du Pin et d'une
des compagnies qui, l'instant auparavant, avoient
attaqué avec tant de courage et de succès les deux
flèches en avant du premier chemin couvert.
Comme sur le glacis on voyoit comme en plein
midi par la quantité de pots à feu que les ennemis
y jetoient et y entretenoient pendant toute la nuit,
ces deux grenadiers se pourvurent de paniers que
leurs camarades leur remplissoient de terre ; ils les
portoient sur l'épaule, s'en alloient à ces pots à feu
et les coifFoient dudit panier qui, plein de terre, en
absorboit totalement la clarté. Les ennemis, témoins
de cette hardie démarche, dirigeoient leur feu sur
ces deux hommes, qui, dans l'espace de cette nuit,
firent cent courses, chacune pour le même objet, et
ce qui est comme miraculeux, c'est que ni l'un ni
l'autre ne furent nullement touchés, pas même dans
leurs habits, quoique par [chacune des] courses
qu'ils firent il y avoit cent coups de fusil au moins
sur l'un ou l'autre de ces deux braves, et j'eus le
plaisir de les voir, le lendemain matin, tous les deux
bien portants, après avoir aidé, ainsi que leur troupe,
à repousser et chasser avec perte une sortie de
800 hommes que firent les ennemis à la pointe du
jour.
Au moment decette sortie, les ennemis, venant par
les barrières des places d'armes, se présentèrent
pour déboucher ; ils furent tués par les travailleurs
et par un feu vif de six compagnies de grenadiers,
dont quelques pelotons débouchèrent par-dessus le
revers de la tranchée pour les joindre à la baion-
106 CAMPAGNES [1748]
nette. Cotte miil lut coûteuse pour les si\ compa-
gnies qui iivoicnt été chargées de ratla(juc des
deux (lèclies : chacune d'elles perdit environ dix gre-
natliers tués ou hlessés, un capitaine tué, un hlessé
et deux lieutenants blessés; il y eut deux ingénieurs
blessés.
La nuit d'après, on s'établit par sape jusque sur
la palissade du clicmin couvert des ouvrages exté-
rieurs ; l'on contrefit des batteries * qui firent brèche
à deux de ces ouvrages. M. le Maréchal disposa tout
pour leur attaque ; quarante compagnies de grena-
diers et quarante piquets auxiliaires étoient comman-
dés pour cette attaque. Mais, comme depuis plu-
sieurs jours la cour de Versailles et celles des puis-
sances alliées étoient en pourparlers de paix et d'un
congrès, qui peu de temps après s'assembla à Aix-
la-Cihapelle, la garnison reçut l'ordre de remettre la
place à l'armée Françoise, d'en sortir et aller joindre
leurs armées, ce qui s'exécuta [30 avril], à la grande
satisfaction de tous les guerriers. Une guerre de
huit campagnes méritoit bien aux troupes un peu de
repos et chacun fut bien aise que la nouvelle du
jour eût épargné tout le sang qui n'eût pas manqué
de couler pendant la nuit aux attaques que l'on se
proposoit d'exécuter.
Peu de jours après, toute l'armée fut mise en
cantonnement, où elle resta jusqu'au mois de
novembre. A cette époque, tous les articles de la
paix réglés et signés, les troupes, par division et
successivement, se mirent en marche pour rentrer
1. Le texte porte barrières, par une erreur évidente.
[1748] DE MERCOYROL DE REAULIEIJ. 107
en France et la brigade de Picardie, qui fut une des
divisions des dernières qui retournèrent en France,
arriva à Lille, où elle fut établie en «arnison dans
les premiers jours du mois de janvier 1749.
CAMPAGNE DE 1757.
La guerre fut déclarée à Frédéric Second, roi de
Prusse, ayant pour alliés l'Angleterre, le Hanovre,
les Hessois et quelques autres princes d'Allemagne.
L'Autriche vouloit reprendre sur lui la Silésie et
s'étoit alliée avec la France, la Russie et l'Electeur
de Saxe, roi de Pologne.
Le roi de Prusse vit la nécessité de commencer
lui-même les opérations^ En conséquence ce
roi guerrier donna ses ordres partout pour se mettre
sur la défensive du côté de la France et de la Russie,
et marcha en Saxe, où l'Électeur roi de Pologne avoit
assemblé ses troupes au camp de Pirna, poste inac-
cessible. Le roi de Prusse prévit qu'il avoit le temps
d'en faire toutes les troupes prisonnières de guerre
avant que les trois autres puissances déclarées contre
lui pussent secourir celle qu'il attaquoit, qui étoit
encore pour lui un ennemi caché et n'attendoit que
l'approche de ses alliés pour se déclarer contre lui
Le camp de Pirna est enveloppé de toutes parts ;
le Prussien, maître de toute hv.Saxe, y donne des
lois en souverain. Les troupes saxonnes sont blo-
quées dans ce camp avec peu de vivres. Les alliés
1 . Ici, une page de considérations sur les causes de la guerre.
[1757] CAMPAGNES DE M. DE BEXULIEU. i09
de la Saxe répandent, non seulement en Europe,
mais dans le monde, l'injustice du monarque prus-
sien, qui, sans déclarer la guerre, s'est emparé de la
Saxe. Plus des cris partent des cours de Vienne, de
Pétersbourg et de Versailles, et plus le monarque
guerrier est assuré de la justice de son invasion et
de sa prévoyance. Pirna est aux abois faute de vivres ;
le Saxon est forcé de se rendre ; le roi de Prusse les
veut tous prisonniers de guerre et la faim les force
à subir la loi qu'impose le vainqueur. Ils partent de
leur fort. Le roi de Prusse propose du service à tous
les officiers qui voudront en prendre chez lui ;
quelques-uns acceptent, la plupart se retirent comme
prisonniers de guerre et donnent leur parole de ne
point servir contre Sa Majesté prussienne et ses
alliés qu'au préalable ils n'aient été échangés. Quant
aux soldats, sans leur faire de question sur leur dé-
sir, ils sont tous incorporés dans les troupes prus-
siennes à raison de tant par régiment.
La Saxe prise, l'armée de Frédéric II se trouve
augmentée de 20.000 hommes. Il s'empare de Dresde,
capitale de la Saxe, et fait de cet électorat une pro-
vince de ses états. Argent, vivres de toute espèce,
recrues pour son armée, tout y est disposé à son
service, comme s'il en eût été le véritable souverain.
Je ne dirai rien des différentes opérations qui se
passèrent pendant cette guerre de sept campagnes
que firent les Autrichiens et Russes contre Sa Majesté
prussienne, et je me bornerai à parler de ce que
j'ai vu.
Les troupes franeoises se mettent en mouvement,
traversant les Pays-Bas autrichiens. 24.000 hommes,
110 CAMPAGNES [1757]
aux ordres (lu prince de Soubise^ se porlcnt sur le
Rhin, vers Coblenz, passent le fleuve et sont joints
par 12.000 Allemands, troupes des (Cercles, aux ordres
du prince d'Hildburgliausen. Celte armée est dirigée
sur l'Elbe et, par difïerenles marches et sans rencontre
d'ennemis, elle se rend près de Rossbach où le loi
de Prusse, avec 25.000 hommes, s'étoit porté dans le
dessein de combattre cette armée.
Dans le temps des marches de l'armée du prince
de Soubise, une seconde armée de 60.000 François,
aux ordres du maréchal d'Estrées, traversant les
Pays-Bas autrichiens, se porte d'abord dans le pays
de Clèves pour faire le siège de la petite ville de
Gueldre, défendue par 800 Prussiens. On prévoit que
d'arrêter là l'armée, ou partie, pour prendre cette
bicoque, seroit une perte de temps qui retarderoit
les opérations générales que les cours alliées s'éloient
proposées. En conséquence on prend le parti de
construire des redoutes sur les avancées de cette
petite place et deux bataillons sont laissés pour
les garder et empêcher qu'aucuns vivres ne puissent
y entrer et on joint à ces deux bataillons cinquante
chevaux. Cette résolution fut la bonne, puisque, un
mois après, cette garnison avoit consommé ses vivres
et, ne pouvant espérer de secours, fut forcée de
rendre la place et fui prisonnière de guerre.
L'armée, qui avoit continué sa marche, s'étoit
rendue à Wesel, où un pont de bateaux avoit été
établi sur le Rhin et ou elle le passa. Là fut le ras-
1. Charles de Rohan, prince de Soubise, né en 1715, maré-
chal de France en 1758, mort en 1787.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 111
semblemeiit de toute cette armée. Je dois dire ici
que Wesel est une grande et belle ville, bien forti-
fiée, avec une infinité d'ouvrages et une citadelle
dont la droite appuie à la rive droite du Rhin qui
baigne la ville dans toute sa longueur.
Le roi de Prusse, dans le projet de défense qu'il
s'étoit proposé contre tant d'ennemis puissants, avoit
vu qu'en laissant une garnison d'au moins 10.000
hommes pour la défense, avec toutes sortes de mu-
nitions de guerre, une artillerie nombreuse et grande
quantité de vivres, il ne produiroit qu'un arrêt de
deux mois à l'armée françoise, dont il connoissoit la
manière vive et prompte d'attaquer les places et de
les emporter. Il avoit même jugé, en capitaine habile,
que ces deux mois que Wesel auroit en apparence le
mérite d'arrêter l'armée françoise, se ré'kiiroient à
un espace de temps infiniment moindre par le cal-
cul qu'il faisoit que, pendant la durée de ce siège,
nous établirions des magasins de toute espèce de
subsistances pour nous porter après en avant avec
célérité ; que l'armée françoise acquerroit de plus
l'avantage de s'aguerrir par ce siège, observation
juste dont tout guerrier convient ; que de plus ce
seroit un échec à l'honneur de ses armes
La fin de mai, juin et juillet nous permirent seu-
lement d'arriver sur les bords du Weser, à Hoxter,
où le gros de l'armée passa sur des ponts établis
au-dessus et au-dessous d 'Hoxter.
Jusqu'alors, à peine nos troupes légères les plus
avancées avoient-elles aperçu quelque petit détache-
ment de celles des ennemis. Au camp d'Hoxter il
fallut un arrêt de dix jours pour réunir des vivres
112 C.VMl'AGNES [1757]
L'on passa enfin le Weser vers le 20 juillet ' et, en
deux marehes, l'armée se rendit à Halle ; elle y sé-
journa un jour.
Vers les dix heures du malin de ce jour, l'on est
instruit par les troupes légères de la présence d'un
gros corps de cavalerie, soutenu par de l'infanterie
dont on ne peut juger la force, parce qu'elle marche
dans les bois dont ce pays est ajjondammcnt couvert.
Le maréchal d'Estrées est aussitôt à cheval et se
porte en avant pour reeonnoître les différentes
troupes qu'on lui annonce. Il donne ordre en par-
tant que tout le camp se dispose à prendre les armes
au moment qu'il l'ordonnera. Le maréchal fait ses
reconnoissances ; d'une hauteur où il se place, il
aperçoit, sur une autre hauteur vis-à-vis de lui, à la
distance de demi-lieue, un corps de cavalerie de
2.000 chevaux dans une petite plaine, et il voit au-
dessus, entre les deux hauteurs, un petit combat éta-
bli entre nos troupes légères et celles des ennemis.
Au moment où M. le Maréchal étoit monté à
cheval, il avoit ordonné que la brigade de Picardie
vînt s'emparer de la hauteur où il alloit se rendre
1. C'est le 16 juillet que l'armée passa le Weser ; elle arriva
à Halle le 20 et y séjourna la journée du 21. Le 22, eut lieu
une première reconnaissance, commandée })ar le marquis de
Vogiié, avec les volontaires et troupes légères à ses ordres. Le
24, d'Estrées fît reconnaître les hauteurs boisées, qui le sépa-
raient de la plaine d Hasleubcck, par trois colonnes comman-
dées par les généraux de Vogué, de Contades et d'Armentières,
soutenues parBroglie sur la rive gauche. Le 25, il fit attaquer
ces mêmes hauteurs par un plus fort détachement ; la droite
était commandée par Chevert : elle comportait la brigade de
Picardie et celle de Navarre, aux ordres du marquis de Vogué.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 113
et que deux brigades de cavalerie vinssent se mettre
en bataille et appuyer leur droite à la même hauteur.
Cet ordre fut lestement exécuté et, comme ces trois
brigades arrivoient à leur destination, les ennemis,
qui voyoient très distinctement ce mouvement sans
pouvoir juger de nos forces à cause des hauteurs et
bas-fonds dont ce pays est composé, firent retirer
leurs petites lignes de cavalerie et, en moins de six
minutes, nous ne vîmes plus personne sur cette
hauteur. Nos troupes légères poussèrent plus vive-
ment celles des ennemis qui, à leur tour, se réunirent
sur la même hauteur où étoientauparavantleurs petites
lignes de cavalerie et y tinrent ferme.
Les officiers commandant nos troupes, instruits par
des prisonniers qu'ils avoient faits que cette marche
de cavalerie et de 1.000 hommes d'infanterie avoit
pour objet une reconnoissance qu'avoit voulu faire le
duc de Cumberland ^ et avec lui nombre d'officiers
généraux, firent instruire sur-le-champ M. le maréchal
d'Estrées et lui envoyèrent ces prisonniers ; et eux,
voyant que les ennemis ne dévoient être occupés
que de se retirer, firent leurs dispositions pour les
aller attaquer sur la hauteur. Du moment qu'ils
commencèrent leur marche, les ennemis, qui avoient
prévenu les leurs pour une retraite prompte, l'exé-
cutèrent et la firent avec tant de vitesse qu'ils ne
perdirent qu'une vingtaine d'hommes, dont la plu-
part blessés de quelque coup de sabre, et, la nuit
prête à tomber, la brigade d'infanterie de Picardie
1. Guillaume-Augusle, duc de Cumberland, troisième fils de
George II, roi d'Angleterre, né en 1721, mort en 1765.
8
114 CAMPAGNES [1757]
et les deux ])ri£:ades de cavalerie eurent ordre de
ronJi'erà leur camj). Je dois dire ici que la hrij^ade
de Picardie tcnoit, dans l'ordre de bataille général,
la gauche de l'armée, vu que trois bataillons autri-
chiens en tenoient la droite, les troupes françoises
étant auxiliaires à celles de l'Impératrice-Reine de
Hongrie.
A l'ordre du soir de ce jour, il fut ordonné que
l'armée se tînt prête à marcher et, le lendemain
matin, l'ordre fut donné pour qu'elle se mît en
marche ; ce qu'elle commença à exécuter seulement
à huit heures du matin. Les dispositions furent
qu'elle marchât sur quatre colonnes. Les équipages
appartenant aux différentes colonnes les suivoient.
Il y avoit une cinquième colonne pour l'artillerie.
Depuis que l'armée avoil passé le Weser, M. le duc
de Broglie % lieutenant-général, avec deux brigades
d'infanterie et quelque cavalerie, avoit marché sur la
rive gauche pour la longer à hauteur de l'armée et
protéger cette rive des troupes ennemies qui pou-
voient s'y trouver, et, dans la marche de ce jour, il
exécuta même chose. M. le duc de Randan -, lieu-
tenant-général, maichoit sur la droite de l'armée
avec deux brigades d'infanterie : celle de la Marine
et celle d'Enghicn. Tous les équipages eurent ordre
1. Victor-François, deuxième duc de Broglic, né en 1718,
fut nommé maréchal de France et prince du Saint-Empire à la
suite de la bataille de Bergen le 13 avril 1759. Disgracié enl7Gl,
ministre de la guerre en 1789, il mourut en émigration en
1804.
2. Guy-Michel de Durfort, duc de Randan, puis duc de
Lorge, lieutenant-général en 1745, maréchal de France en
17()8.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 115
de marcher vers la gauche de l'armée et furent
occuper un gros village, situé près du Weser, où
l'hôpital ambulant fut établi.
L'armée fit environ deux lieues et campa, la gauche
au Weser, la droite sur des hauteurs appuyée à des
bois très considérables. Il se passa dans ces bois,
pendant la journée, un petit combat entre douze
compagnies de grenadiers qui avoient avec eux
600 volontaires de l'armée et qui mirent en fuite
sans beaucoup de résistance les troupes des ennemis
qu'ils rencontrèrent. Dans ces différentes attaques
nous perdîmes, tant tués que blessés, environ
quarante hommes ; la perte des ennemis fut à peu
près la même. On leur fît quelques prisonniers et
nous sûmes qu'ils étoient du détachement qui, la
veille, étoit de la reconnoissance qu'avoit faite
S. A. R. le duc de Cumberland, général de l'armée
ennemie. Nous apprîmes d'eux que, lorsque nous
avions quitté le camp, la droite en étoit à Hameln,
la gauche à des hauteurs et bois qui sont en forme
de potence, un peu en arrière du village d'Has-
tenbeck, le centre de leur armée adossé à une suite
de bois qui se prolongeoient presque jusqu'à leur
droite qui appuyoit audit Hameln, place fortifiée à
la moderne en bonnes courtines, avec bastions
adhérents et demi-lunes, le tout revêtu d'une
bonne maçonnerie, et un chemin couvert.
Le camp établi sans gros ni menus équipages,
l'armée passe la nuit dans cette position. Au point
du jour du 25 juillet, M. de Chevert ^ lieutenant-
1. François de Chevert, l'illustre homme de guerre qui,
116 CAMPAGNES [1757]
général, se porte de sa personne à la brigade de Pi-
cardie ; il étoit muni d'ordres pour la faire marcher,
de même que celle de Navarre qui tlevoit y être
jointe et devoit être en marche pour cette jonction ;
mais, éloignée de celle de Picardie, il lui falloit sans
doute du temps, vu qu'elle étoit campée à la droite
de la seconde lisrne. Comme on l'attendoit, il se
passa un petit événement, que je suis bien aise de
rapporter, pour qu'en pareille circonstance on
puisse se déterminer comme on le fit alors, car le
contraire auroit pu avoir les suites les plus fi'icheuses
le jour (le la bataille.
La brigade de Picardie, sous les armes et en
bataille, attendant celle de Navarre, toutes deux
devant être chargées ce jour-là de l'opération
d'attaque, il prend fantaisie au général Chevert d'or-
donner que cette brigade soit disposée par piquets
de cinquante hommes, comme il étoit d'usage et
l'est encore, formés à raison de trois hommes par
compagnie (la forme des troupes aujourd'hui en
deraanderoit six). Cette proposition fut trouvée
des plus singulières, et pas un capitaine qui ne se
dît : « Comme aujourd'hui je combattrai avec
trois hommes seulement de ma compagnie sur cin-
quante, tous les autres me seront inconnus et, de
la part de tous ces inconnus, je le serai aussi ; nulle
confiance de part et d'autre ; je serai privé de mon-
trer le bon exemple à des soldats que j'ai tâché de
former bons pendant sept ans de peine ; privé dans
engagé à quinze ans, conquit tous ses grades par des actions
d'éclat, notamment au siège de Prague, et mourut lieutenant-
général et grand-croix de Saint-Louis en 1700.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 117
l'action de nommer tel ou tel que je connois
plein de courage, de veiller sur la conduite de tel ou
tel qui n'a joint les drapeaux que depuis quatre mois,
et d'autres un an auparavant comme recrues ; plus
sous mes yeux des soldats du village, de la ville, ou
des campagnes voisines que j'habite ! » Ajoutez à
toutes les fâcheuses réflexions que chacun se faisoit
d'un pareil ordre celles qui dévoient rouler dans
la tète de chaque soldat, dont chacun d'eux alloit
se trouver avec quarante-sept compagnons de diffé-
rentes compagnies, dont la plupart ne se connoissoient
que par l'uniforme ; de plus, pas un officier de ceux
qui avoient servi sous le génie du regretté maréchal
de Saxe, dont la guerre présente renouveloit le poids
de sa perte, qui ne vît la réputation de la brigade
de Picardie compromise par la formation qu'avoit
ordonnée le général Chevert.
M. de Bréhant ^ un des valeureux colonels de
l'armée et qui commandoit le régiment, étoit à la
droite avec M. de Chevert ; au bourdonnement que
cet ordre occasionna, il quitta le général et vint
pour voir ce qui en étoit. J'étois chef de peloton,
ayant pour adjoint le comte de Blou -, officier du
1. Marie-Jacques, marquis de Bréhant, vicomte de Lisie,
seigneur en partie de la ville de Saint-Brieuc, etc., lieutenant
au régiment de Nicolay dragons en 1724, brigadier en 1748,
colonel de Picardie, en 1749, maréchal de camp en 1761, mort
vers 1765. Il fit toutes les campagnes d'Allemagne de 1734 à
1761, de Flandre de 1742 à 1745 et d'Italie de 1747 à 1748.
2. Jean-Louis de Blou de Chadenac, né en 1735 à Thueyts
en Vivarais, lieutenant dans Picardie en 1746, capitaine en
1755, lieutenant-colonel du régiment de Troyes en 1771, puis
du régiment de Piémont en 1776 et chevalier de Saint-Louis en
1771.
lis CAMPAGNES [1757]
pays de Vivarois oomme moi, qui est aujourd'hui
lieutenant-colonel i\u légiment de Piémont.
Je suis un des premiers qui voient M. de Bréhant
venir à nous. Ce chef avoit pour moi de l'amitié et
une certaine confiance, que j'avois acquise par mon
attention à penser comme lui, par mon zèle dans
l'exécution de ses ordres de paix, par mon désir
ardent de me trouver pendant la guerre à même de
continuer mon bon propos sur tous les objets qui
intéressoient le Roi ^
Je m'avance et lui dis : « La formation que M. de
Chevert veut donner à votre régiment est généra-
lement désapprouvée de tout le monde ; nous
connaissons tous que l'on prend cet ordre dans les
tranchées, pour des considérations contraires au
bien du service. (On se formoit ainsi pour éviter
qu'une compagnie, qui appartenoit au capitaine, ne
1. Nous croyons devoir mettre en note le résumé d'une di-
gression qui tient huit pages du manuscrit et dans laquelle
l'auteur développe des considérations assez obscures sur l'avan-
cement. En temps de paix « les officiers généraux de la Cour »
sont employés de préférence k ceux qui sont « parvenus à ce
grade après de longs services » et qui sont « délaissés comme
un manteau dont on ne fait plus d'usage lorsque le temps est
serein ». Le ministre a cependant raison de favoriser les pre-
miers parce qu'ils sont plus jeunes. Mais les officiers qui sau-
ront ne pouvoir avancer cesseront d'étudier. Il ne faut pas
placer « une barrière trop forte » entre la noblesse de cour et
« celle qu'on nomme de province, qui est la plus nombreuse...
pour que le corps de la noblesse n'en fasse qu'un et qu'une
fâcheuse jalousie ne la partage... Un de nos grands rois a
pris pour devise un soleil, ce soleil doit luire pour tout son
peuple ». La seconde noblesse n'a fourni qu'un maréchal, le
maréchal de Vaux (Noël deJourda, comte de Vaux, né en 1710,
maréchal de France en 1783, mort en 1788).
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 119
fût dans le cas de trop souffrir..., car celte compa-
gnie écrasée ruinoit son capitaine s'il échappoit au
danger.)... Mais aujourd'hui, avec la formation que
le général vient d'ordonner au régiment, après sept
ans de paix, alors que les deux tiers au moins des
soldats sont nouveaux et n'ont vu brûler de la
poudre qu'à l'exercice de paix, vous devez vous
attendre à voir leur honneur compromis. Cette pha-
lange, la première françoise, fera peut-être aujour-
d'hui sa première faute...; le colonel se fera tuer,
et avec lui cinquante ou soixante officiers..., mais
le sang de ces braves ne suffira pas pour laver la
tache... ; elle durera autant que la monarchie.
Vous êtes le chef et votre honneur en est le pre-
mier ^ ! »
Au même instant, M. de Bréhant est environné par
quarante officiers et je dois dire que la composition
en étoit parfaite, que l'intelligence pour la guerre y
dominoit. Le bon, honnête et brave M. de Bréhant
passoit ses étés avec nous ; depuis sept ans nous
nous préparions avec lui à la guerre, dans nos con-
versations, dans nos promenades voilà pourquoi
nous prîmes la liberté de lui dire notre opinion. Il
fut de notre avis et alla rejoindre M. de Chevert pour
lui dire la peine qu'occasionnoit au régiment la
formation qu'il vouloit lui donner.
La réponse de M. de Chevert ne fut pas fort con-
séquente ; il allégua que, lorsqu'il voudroit faire
marcher cinquante ou cent hommes du régiment,
1. Nous avons cru devoir supprimer de longs passages de
ce discours, dont l'imagination de l'auteur a certainement
augmenté beaucoup les dimensions réelles.
120 CAMPA.GNES [1757]
il seroit sûr, en faisant marcher un ou deux piquets,
de la justesse de la composition .
M. de Bréljant vint donc nous rejoindre au mo-
ment où, par impatience, notre peloton, qui s'étoit
grossi de plusieurs autres officiers, alloit à lui. 11
nous fit part de la réponse du général, à quoi una-
nimement nous ripostâmes de dire au général que,
lorsqu'il aura besoin de cinquante ou cent hommes,
d'ordonner à une ou deux compagnies de marcher
et que, quoiqu'elles fussent réduites par les détachés
ou malades à trente hommes sous les armes, nous
répondions tous d'en tirer le service de cinquante.
M. de Bréhant se rendit à notre désir.
La brigade de Navarre, qui devoit nous joindre,
ne paroissant pas, M. de Chevert prit le parti de lui
envover un aide de camp, pour qu'il eût à la diriger
sur le point de réunion qu'il lui indiqua. Celle de
Picardie se mit en marche, ses quatre pièces de canon
à sa tête, sans autre équipage que les valets montés
(ce jour étoit le 25 juillet 1757). Après avoir parcouru
trois quarts de lieue de plaine, elle gravit une hauteur
assez roide dont la sommité étoit couverte de bois.
Cette hauteur tenoit à d'autres, pas plus élevées,
mais formoit une forêt de demi-lieue de large, assez
claire et toute en bois de haute futaie. L'on mit des
petites troupes en avant et sur les flancs, car nous
n'avions pas un homme de cheval. Notre marche se
fit avec beaucoup de sécurité, tant il s'étoit répandu
et accrédité que les ennemis étoient bien éloignés
de vouloir hasarder une bataille ; et le général
Chevert étoit dans l'opinion comme certaine que
l'armée des ennemis se dirigeoit sur Hanovre, ce
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 121
qui nous rappeloit la certitude qu'avoient les géné-
raux que les alliés ne nous attendroient pas à Ans
et Raucoux, et tous, loin de notre général, entre
officiers particuliers, nous plaisantions Ainsi
discourant, nous traversâmes cette forêt ; un brouil-
lard très fort couvroit l'horizon, de manière que de
la lisière du bois où nous étions paroissoit devant
nous comme un lac d'eau ou de ténèbres.
Le soleil, qui étoit déjà haut (l'heure étant de sept
à huit heures), nous permit bientôt de découvrir un
mamelon couvert de bois et de troupes, que la
lueur des baïonnettes nous fit d'abord apercevoir ;
par la même raison elles voyoient la tête de notre
colonne. M. de Chevert ordonna de se mettre en
bataille, ce qui fut exécuté. A ce mouvement nous
vîmes de l'agitation et du mouvement aux troupes
ennemies que nous apercevions, qui consistoit à
prolonger leur gauche. Cette indication de leur part
donna à croire au général Chevert qu'elles n'étoient
pas en force et [étoient] peut-être en mouvement pour
se retirer par le chemin de Hanovre, qui étoit à un
quart de lieue de la position qu'elles occupoient.
D'un moment à l'autre, le brouillard quittoit les
hauteurs et paroissoit s'épaissir dans la plaine. M. de
Chevert fit marcher la brigade de front pour s'em-
parer des haies qui étoient à sept ou huit cents pas
de la lisière du bois auquel nous étions adossés, à
peu près à moitié chemin des ennemis. Le régiment
en bataille arriva à ces haies. M. de Chevert, dont le
projet étoit de marcher de front à la hauteur que
tenoient les ennemis pour les y attaquer, continuant
de penser que ce n'étoit là qu'une arrière-garde de
122 CAMPAGNES [1757]
leur armée, ordonna que tous les soldats qui avoient
des haches ou serpes fussent employés à couper les
haies et les soldats commencèrent à y travailler.
Clomme l'on s'en occupoit, M. de Lusignan \ capi-
taine du régiment, commandant les quatre pièces
de canon de quatre livres de halles attachées à la
hrisfade, dit à M. de Bréhant : « T^es troupes ennemies
en face de nous sont plus qu'à portée pour que nous
les incommodions ; d'ailleurs on sera instruit si elles
veulent nous répondre et si elles ont du canon, et
cela peut aider M. de Chevert pour savoir à quoi il
a affaire. » Cette proposition étant du goût de M.
de Bréhant, il va sur-le-champ joindre M- de Che-
vert, qui étoit vers le centre du régiment à voir
couper les haies. M. de Chevert examine la position
des ennemis, dont à cet instant on découvroit une
ligne de trois ou quatre bataillons. Le brouillard
s'abattoit lentement. Le général approuve. M. de
Bréhant retourne à M. de Lusignan, auquel il
commande d'ouvrir le feu. M. de Lusignan, dans
l'intervalle, avoit tout disposé ; lescanonniers étoient
à leurs pièces. (Je dois ici observer que ces pièces
de quatre, attachées au régiment à raison d'une par
bataillon, y étoient servies par des soldats desdits
bataillons à raison de seize hommes pour chacune
d'elles, lesquels étoient parfaitement instruits pour
les pointer, tirer avec la plus parfaite célérité et les
manœuvrer sous toutes les formes qu'un régiment
peut prendre.)
L'ordre donné, le feu commence, ce qui met
1. René Couhé de Lusignan de Saint-Phele, de Maillé en Poi-
tou, volontaire puis lieutenant en 17'i5, capitaine en 1755,
major de lirest en 1777.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 123
trouble et grande agitation aux bataillons qui en
reçoivent les coups. Après un feu de six minutes,
les ennemis nous ripostent avec une batterie de six
pièces de canon, dont les boulets qui nous venoient
étoient près du double des nôtres.
A cet instant la brigade de Navarre arrive. M. de
Chevert lui fait dire de venir se mettre en bataille à
notre gauche, ce qu'elle exécute. Comme elle tra-
versoit la petite plaine, entre le bois et la position
de la brigade de Picardie le canon de l'ennemi
l'endommage d'une quinzaine de soldats tués ou
blessés.
A ce moment il est neuf heures du matin ; le
brouillard se dissipe, s'abat avec la vitesse d'un rideau
que l'on tire et nous découvrons toute l'armée
ennemie en bataille. De leur seconde ligne, qui se
dirigeoit à portée des troupes vers leur gauche, une
seconde batterie de huit pièces est dirigée sur les
deux brigades isolées de Picardie et de Navarre.
Une quinzaine de cavaliers de nos troupes légères,
que le bruit du canon avoit attirés, disent au géné-
ral Chevert que toute l'armée françoise est en marche,
ce dont le général étant instruit, il s'informe des
distances, dont il lui est rendu un compte peu cer-
tain. Il donne alors ordre au maréchal des logis qui
les commande d'aller avec sa troupe reconnoître la
marche de notre armée et de venir lui en rendre
compte; il y joint un de ses aides de camp. Voyant
qu'il n'avoit plus affaire à une arrière-garde mais à
l'armée entière, il ordonne que les deux brigades à
ses ordres aient, par un demi-tour à droite, à mar-
cher en arrière, traverser la petite plaine qui les
124 CAMPAGNES [1757]
sépare du bois, y arriver, y entrer, s'y mettre à cou-
vert du canon et, par un autre demi-tour à droite,
faire face aux ennemis, Ot ordre s'exécute sans
beaucoup de perte, la canonnade des ennemis étant
mal dirigée.
Le général, par un temps de galop en dedans du
bois, se poile sur la lisière de gauche pour y cher-
cher l'armée et voir si elle arrive, mais vainement
et il n'aperçoit pas un homme.
Si les ennemis eussent bien connu notre position,
ils en eussent tiré un grand avantage, car, après
avoir culbuté ces deux brigades, ils se seroient trouvés
sur le flanc droit de l'armée du Roi et les inconvé-
nients qui eussent pu en suivre eussent été bien
fâcheux.
Ce ne fut qu'au bout de quatre heures de station
dans le bois que nous découvrîmes les diflerentes
colonnes de l'armée du Roi, dont celle de la droite
vint appuyer à la droite du bois où nous étions.
Notre petite canonnade du matin avoit accéléré le
départ et la marche de l'armée et, le brouillard
tombé, M. de Chevert avoit donné nouvelle de ce
qu'il voyoit au maréchal d'Estrées.
Je dois dire ici la négligence des ennemis et jus-
tifier l'opinion du général Chevert, qui vouloit tou-
jours que l'armée ennemie fût en retraite sur Hanovre,
car nous n'avions pas trouvé vestige d'ennemis dans
le bois que nous avions occupé le matin et qui
n'étoit pas à seize ou dix-huit cents pas de leur
ligne de bataille ; cette inadvertance de leur part
faisoit persévérer le général Chevert dans son idée
(et tout autre y eût été trompé) et, sans l'iieureux
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. i25
hasard qui ne permit à la brigade de Navarre de
pouvoir nous joindre que vers neuf heures du matin,
le général Chevert avec ses deux brigades alloit
donner dans le pot au noir, attaquer seul l'armée
ennemie, et n'eût pas manqué d'être bien reçu et
étrillé. Le général Chevert s'impatientoit beaucoup
du retard de la marche de cette brigade et de la
suspension de l'attaque qu'il projetoit, mais la For-
tune veilloit et l'Etre suprême, qui conduit tout
comme il le veut, étoit pour lui ^
Sur les deux heures de l'après-midi, arrive M. de
Vallière '^, lieutenant-général commandant l'artil-
lerie ; après une courte conversation avec M. de
Chevert, il met pied à terre, s'avance en avant du
bois, demandant à être seul pour ne pas attirer un
feu inutile sur les curieux (ce qui étoit déjà arrivé à
quelques-uns, du moment qu'ils sortoient trois
ou quatre ensemble, et nous avoit occasionné la
perte de quatre soldats tués dans le bois). M. de
Vallière fait donc tranquillement sa reconnoissance
et observation sur tout le front de bataille que
tiennent les ennemis ; il rentre dans le bois, prend
des lunettes et, d'un arbre auquel il s'appuie, il
découvre plusieurs batteries, comme nous l'avions
1 . L'auteur se trompe : ce n'est pas par inadvertance que
Cumberland avait, le 25 juillet, mollement défendu les hau-
teurs qui coupaient la plaine, mais pour attirer l'armée fran-
çaise sur le terrain mieux choisi qu'il avait préparé ; d'ailleurs
si Chevert avait attaqué de suite Hastenbeck, le maréchal
d'Estrées l'aurait ou arrêté ou fait soutenir par toute l'armée
française qui le suivait à petite distance.
2. Jean-Florent de Vallière, né en 1666, sous-lieutenant en
1690, lieutenant-général en 1734, grand-croix de Saint-Louis
en 1739, mort en 1759.
126 CAMPAGNES [1757]
déjà fait, au bas des hauteurs où paroissoil leur
gauche teiiaiil la sommité, au bas de htquelle on
découvroit inie redoute très rasante.
Quant au reste de l'ordre de leur l)alaille, j'en ai
parlé ei-devant et je répète pourtant : la droite à
Hameln ; un bosquet dans la plaine qu'ils oceu-
poient à une portée de canon d'Hameln ; leurs
lignes adossées à des bois qui se prolongeoient
jusqu'aux hauteurs où appuyoit leur gauche ; en
avant et rapproché de la gauche, le village d'Has-
tenbeck ; la sommité de la montagne ' garnie de
troupes, celles que nous avions découvertes le matin
et avec lesquelles nous nous étions canonnés ;
leurs batteries établies l'une à mi-côte de la hauteur
et l'autre au bas de la montagne, qui mérite ce nom
par sa grande élévation et toute couverte de bois,
avec des parties en taillis où un homme seul ne peut
pénétrer qu'avec de la peine, ce que nous éprou-
vâmes le lendemain.
M. de Vallière remonte à cheval, va conférer
avec M. le maréchal d'Estrées de ce qu'il y a à
faire sur tout ce qu'il a observé. Une heure après,
il nous arrive, suivi d'un train d'artillerie de vingt-
cinq pièces de canon de douze et seize livres de
balles, et de quatre de vingt-quatre ; il en désigne
et ordonne l'emplacement. Tout cela s'exécute sans
que les ennemis tirent un coup de canon ; nous
voyons seulement qu'ils sont occupés à en placer
comme nous. On fait rentrer dans le bois tous
les chevaux d'artillerie, on laisse quelques fourgons
épars dans la plaine, où sont les gargousses pour le
service de cette artillerie.
1. I.o monl SclicckonlxM'i;.
[1757] DE MERGOYROL DE BEAULIHU. 127
M. de Chevert, qui prévoit que le bois où nous
sommes va être l'égout des boulets ennemis de la
canonnade qui se dispose, ordonne que les deux
brigades à ses ordres s'enfoncent de quatre-vingts ou
cent pas dans le bois, pour s'en mettre à couvert,
et, au moment où cet ordre s'exécute, la canonnade
commence ; elle fut d'un fracas terrible, tant de
notre part que de celle de nos ennemis ; le nombre
des canons étoit égal de part et d'autre, mais, soit
que nos batteries fussent mieux disposées, nos canon-
niers plus habiles, ou la position du soleil plus favo-
rable, nous venant par derrière et frappant dans les
yeux des ennemis, tant est qu'à chaque instant on
les voyoit abandonner leurs pièces. Les nôtres avoient
la malice de diminuer leur feu, mais de le disposer
pour lorsqu'ils reviendroient, et, au moment que les
malheureux revenoient à leurs pièces, on les chassoit
d'une manière cruelle. La plupart de leurs pièces
furent démontées ; ils firent une perte très considé-
rable de leurs canonniers et, dès sept heures et
demie du soir, leur feu fut éteint. Cette canonnade,
qui commença à quatre heures de l'après-midi,
porta grand dommage à leurs lignes, où ils perdirent
nombre de chevaux et d'hommes.
Quant à notre perte, elle fut de quatre canonniers
et un cheval à M. de Chevert, tué dans le bois. Il
est vrai que la terreur avoit si fort pris aux canonniers
ennemis que, pointant on ne peut plus mal, tous
leurs boulets passoient par-dessus la tête de nos
canonniers et venoient frapper la pointe des arbres
du bois où nous étions.
Nos batteries continuèrent à tirer sur celles des
128 CAMPAGNES [1757]
ennemis qu'ils avoienl abandonnées, pour les
deliuire le plus possible, et, tant que durèrent le reste
du jour et le feu, ils n'eurent le courage seulement
de chercher à les déplacer pour les mettre à labri
et attendirent la nuit pour y pourvoir. Après la
bataille, nous lûmes instruits qu'à cette canonnade
ils pertlirent cent artilleurs.
La canonnade finie, la curiosité sur ses effets le
fut et chacun pensa à manger un morceau, car la
plupart des officiers n'avoient guère pris de la jour-
née qu'un morceau de pain, et j'étois du nombre.
Ce qui lestement fait, je fus joindre M. de Bréhant,
qui étoit à table sur le gazon avec le général Chevert,
qui arrivoit de chez M. le maréchal d'Estrées. Leur
repas pris (il étoit alors neuf heures un quart), M. de
Chevert ordonna que les deux brigades à ses ordres
se tinssent prêtes à marcher, qu'il n'v eût que le
moins de chevaux possible menés à cette marche. 200
volontaires, aux ordres de M. de Rocqueval, capi-
taine de Picardie, avoient été poussés à dix heures en
avant et étoient venus se placer sur la lisière du bois
et au bas des hauteurs que la gauche de l'armée
ennemie occupoit et dont les troupes que nous
avions vues pendant la journée n'étoient pasà plus de
mille ou douze cents pas. A onze heures de la nuit, ces
deux brigades en colonne, ayant rompu par compa-
gnie, se mirent en marche et, la direction étant de
tourner la gauche des ennemis, elles vinrent passer
contre le bois qu'ils occupoient (ce bois étoit prolongé
à sa droite par un terrain en culture qui n'avoit pas
quatre cents pas de large, et puis le bois reprenoit) '.
1. Trouée de Voremberg, entre le mont Scheckenberg, qu'oc-
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 129
Le chemin que la colonne fut obligée de prendre
rasoit à sa gauche le bois où étoient les ennemis ;
il étoit si étroit, si pierreux, si encaissé que dans sa
plus grande partie à peine pouvoit-on marcher deux
hommes de front, ce qui occasionnoit un défilé
continu, quoiqu'il y eût très peu de chevaux dans
cette colonne, car tous les officiers en état de marcher
étoient à pied ; mais plusieurs d'eux avoient ordonné
à leurs domestiques à cheval et qui menoient le
leur en main, de suivre la colonne; les autres valets
et leurs chevaux étoient par conséquent séparés,
ce qui causoit, de la part de ces chevaux, des hen-
nissements continuels.
J'affirme que ces deux brigades marchoient dans
le plus grand désordre, par l'impossibilité que cela
fût autrement, avec un bruit de gamelles et bidons
et choc des armes par les chutes fréquentes que fai-
soient les soldats dans ce mauvais chemin. Le
silence seul étoit observé et je l'attribue au danger
que chacun voyoit dans cette marche, sans oublier
d'y maudire le hennissement des chevaux. Si chaque
officier eût laissé ses chevaux au bois que nous quit-
tions, la marche eût été plus secrète et je dois dire que
la majeure partie de ceux de la brigade de Picardie
avoient pris ce parti.
Après avoir monté dans ce désordre pendant une
demi-heure à la file les uns des autres, assez les-
cupait en force la gauche de l'armée ennemie, et les hauteurs
boisées dont l'armée française s'était emparée dans la journée
du 25. Chevert avait reçu du maréchal d'Estrées l'ordre de
tourner pendant la nuit le mont Scheckenberg et de s'en
emparer au point du jour.
9
130 CAMPAGNES [1757]
lement, car chacun se voyoit dans un coupe-gorge,
le premier bataillon déboucha sur une petite plaine
de champs cultivés, tenant et faisant suite à ceux
qui ëloient à notre droite. Au fur et à mesure que les
compagnies sortoient de ce défilé et se formoient
par compagnie, les colonnes se prolongeant par
la droite, on arrivoit près du bois qui terminoil
cette trouée. Les quatre bataillons du régiment de
Picardie tinrent tout l'espace, à peu de chose près, de
ce terrain entre les deux bois ; dans celui de gauche,
que nous venions de longer, ëloient les ennemis.
Cette première brigade formée fut portée envi-
ron soixante pas en avant pour faire place à celle
de Navarre qui se mit en seconde ligne, et tous les
chevaux qui appartenoient à ces deux brigades
furent placés dans le penchant delà trouée, derrière
Navarre, et, comme ce terrain étoit sans la moindre
ressource pour les faire manger, les hennissements
furent toujours continuels.
De n'avoir pas trouvé un ennemi dans l'espace que
nous avions parcouru, malgré tout le fracas qui s'é-
toitfait ; ayant longé, et sous les branchages du bois
qu'ils occupoient, le chemin creux dont je viens de
parler et n'y ayant personne d'eux à cette lisière du
bois, cette négligence inouïe de leur part (si c'en
étoit une, idée à laquelle on ne pouvoit s'arrêter)
donnoit à penser au général Clhevert qu'ils dévoient
être en pleine marche sur Hanovre, comme il a voit
toujours pensé qu'ils le feroient. Sa persuasion à
cet égard étoit si constante qu'en mettant les
deux brigades à ses ordres en bataille, leur front
faisoit face au chemin de Hanovre et le dos en partie
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 131
au bois où les ennemis étoient. La nuit se passa
dans cette position ; il fut permis aux soldats de
s'asseoir ; fatigués de toutes les marches de la veille
et des jours précédents, ils ne tardèrent pas à s'en-
dormir.
Les huit pièces de canon de ces deux brigades
gravirent la montagne à leur tour, noii sans beau-
coup de bruit, et le silence persévérant de la part
des ennemis confirmoit de plus en plus qu'ils
dévoient avoir quitté leur position de la veille.
Un peu avant le jour, M. de Bussy, qui comman-
doit 400 volontaires de l'armée, vint joindre M. de
Chevert, et sa troupe et lui furent placés à la gauche
des deux brigades d'infanterie. Arrivé à cette gauche
et appuyant la sienne à la lisière du bois, il lui prit
fantaisie, en homme de guerre pourtant, de pousser
trente volontaires dans le bois, avec ordre de le
fouiller en se portant en avant, vu que la disposition
que nous tenions lui paroissoit singulière, excepté
que l'on ne fût sûr de la retraite des ennemis.
L'aube du jour commencoit à paroître alors. Les
trente volontaires en petit peloton n'eurent pas fait
cent pas dans le bois, que nous entendîmes tirer
quelques coups de fusil. Comme la plus grande partie
des officiers et soldats avoient dormi deux ou trois
heures et s'étoient éveillés, les deux brigades furent
bientôt debout et à leurs armes, chacun ayant reposé
les tenant dans les bras et les couvrant pour les
garantir de l'humidité de la nuit, ainsi que chaque
officier particulier l'avoit recommandé à sa troupe ;
les capitaines en firent sur-le-champ l'examen pour
voir si les amorces étoient bien séchées et pour porter
132 CAMPAGNES [1757]
remède à celles qui, négligées, ne le seroienl pas, ce
qui fut exécuté.
Pendant ce temps, M. de Bussy quitta l'ordre qu'il
Icnoil en bataille, disposa sa troupe en faisant face
au bois et fit marcher cinquante hommes de plus
dans le bois, pour soutenir les trente premiers
qu'il V avoit jetés, avec ordre, comme lui avoit pres-
crit le général, d'être sur la défensive et de ne point
avancer dans le bois, pour éviter que les ennemis
fussent instruits que nous fussions avec une apparence
de force si près et derrière leur gauche, ce qui fut
exécuté avec intelligence, et les deux brigades res-
tèrent dans la position de la nuit, tant le manque
de la garde de la lisière du bois confirmoit à chacun
que les ennemis s'étoient retirés.
T.es premiers ennemis découverts dans le bois
entrelenoient toujours une petite escarmouche avec
les trente hommes de M. de Bussy, mais, comme
chacun des nôtres et des ennemis prenoit un bon
et gros arbre de la forêt pour se mettre à couvert
et cherchoit à tirer avec avantage, il ne se tiroit
guère qu'un ou deux coups de fusil par minute et
le bruit que nécessairement les ennemis dévoient
entendre ne leur portoit nulle alarme par sa médio-
crité, surtout restant toujours fixé au même lieu.
Le jour augmentant sa lumière, M. de Chevert
s'avança dans la trouée derrière nous ; il découvrit
partie de l'armée Françoise qui formoit sa ligne et
découvrit également la droite de l'armée ennemie
dans la même position qu'elle avoit tenue la veille,
ainsi que le centre et la gauche, qu'il n'avoit pu
voir, à cause de la montagne et des bois où nous
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 133
touchions ; il jugea que tout devoit être dans le
même ordre que la veille et il fut décidément éclairé
et vit que nous jouerions des couteaux et qu'il y
auroit bataille.
Dans ce cas, il avoitpris les ordres de M. le maré-
chal d'Estrées, comme pour le cas où les ennemis se
retireroient. Tout avoit été prévu dans le conseil de
guerre tenu la veille en présence de M. le duc d'Or-
léans, premier prince du sang.
De retour de ses observations, le soleil frappant
alors l'horizon, il ordonna que les brigades de Picar-
die et de Navarre se missent en colonne par bataillon
de front, le premier de Picardie tenant [la tête], les
autres successivement et après, les quatre de Navarre.
Là dévoient les joindre deux autres brigades d'infan-
terie, d'abord celle de la Vieille Marine, qui nousjoi-
gnit seulement sur les sept heures ; elle étoit aux
ordres de M. de Maupeou, qui nous annonça la pro-
chaine arrivée de celle d'Eu et d'Enghien que condui-
soit M. de Randan. Ces deux brigades étoient celles
qui avoient marché sous les ordres de ce dernier
général pour couvrir la droite de l'armée à son départ
de Halle, et avoient marché par échelons puisqu'elles
ne purent arriver ensemble, ce qui retarda le commen-
cement de l'attaque de M. de Chevert (ce qui avec
raison lui donnoit grande fâcherie et impatience, les
ennemis pouvant se pourvoir à leur gauche par une
augmentation de troupes et de difficultés).
La brigade de la Marine prit la même formation que
celles de Picardie et de Navarre en se formant par
bataillon de front en colonne. Celle d'Eu ne paroissant
pas encore, cela donna tout loisir à M. de Chevert de
134 CAMPAGNES [1757]
rappelai' :iii\ troupes à ses ordres un des moyens de
l'ancieiuie clicvalciie. Placé sur la droite du (U'ulre
de la colonne, il mande que les colonels et lieute-
nants-colonels viennent à lui ; ils s'y rendent et
M. de Chevert leur dit : « De ce que nous allons
faire dépend aujourd'hui la continuité de la i>loire
des armes du Roi, celle des vieilles et premières
phalanges de l'État à vos ordres. Vous voyez notre
position et que nous sommes, par la marche que
nous avons exécutée pendant la nuit, sur le flanc
gauche et même derrière cette aile des ennemis.
Notre attaque doit être aussi prompte que l'éclair ;
nous ne devons pas y tirer un coup de fusil, mais,
passant toujours en avant dans le bois où nous
allons entrer, joindie l'ennemi et le chasser à coups
de baïonnette. Je demande donc vos paroles. Mes-
sieurs, que vous conduirez ainsi vos troupes ; que
chacun de vous aille à son régiment y assembler les
officiers pour avoir d'eux même promesse, avec indi-
cation d'en faire part chaque capitaine à sa compa-
gnie. Je vous préviens de plus que le commencement
de notre attaque doit décider la marche et les
attaques de l'armée. » Dans les points convenus,
chaque colonel vint à son régiment y assembler ses
officiers et leur répéta ce que le général C^hevert
avoit exigé d'eux, leur demandant à son égard même
parole. Le tout convenu, les officiers furent à leur
poste.
A ce moment la brigade d'Eu débouche d'un
petit bosquet à un quart de lieue de nous. M. de
Chevert ordonne neuf compagnies de grenadiers,
trois de chacune de ces trois premières brigades,
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 135
aux ordres de M. le comte du Châtelet \ lesquelles
viennent se mettre en bataille à la tête de la colonne,
en avant du premier bataillon de Picardie, et font
le premier échelon de la colonne qui devoit être
formée de ces quatre brigades. Le canon de chacune
d'elles devoit marcher dans le bois, sur le flanc, ce
qui ne pouvoit s'exécuter qu'en serpentant et par
l'adresse des conducteurs, M. de Bussy, avec les
400 hommes à ses ordres, fait la tête du tout.
L'ordre donné, tout s'ébranle et se met en mar-
che. A deux cents pas dans le bois commence une
fusillade entre les troupes qui s'y trouvent et celles
aux ordres de M. de Bussy, qui y fut tué. Cette for-
midable colonne marche toujours. Les 400 hommes
de feu M. de Bussy, une moitié appuyée à droite et
l'autre à gauche, continuent de tirer en marchant
en avant et, à hauteur de la colonne qui tient sa
parole et marche toujours sans tirer, le premier
échelon des troupes que nous avions trouvées y joint
un second qui devoit le soutenir et eux s'y rallient et
le feu devient plus considérable. Ici il faut dire que
le terrain alloit toujours en montant insensiblement,
ce qui faisoit que les ennemis faisoient beaucoup de
feu, mais peu de mal, le bois nous garantissant en
partie. La colonne tient encore ici sa parole et, conti-
nuant sa marche, part au pas bien décidé, avec une
contenance très assurée. A quatre pas les ennemis
font demi-tour à droite et se retirent.
i. Marie-Louis-Florent, comte puis duc du Châtelet, né en
1727, alors colonel de Navarre, puis colonel du régiment du
Roi, et lieutenant-général . eu 1780. Il fut ambassadeur de
Louis XVI en Angleterre. Il était le fils de la célèbre Emilie de
Breteuil, marquise du Châtelet.
136 CAMPAGNES [1757]
La colonne devoit tout entraîner et l'auroit fait
bien certainement après avoir marché encore deux
cents pas, mais les grenadiers qui en tiennent la lète
s'arrêtent malheureusement et commencent un feu
de mousqueterie très vif. Comme celui des ennemis
tomboit tout sur le centre, insensiblement ces gre-
nadiers, pour éviter le danger de ce centre, appuyent
les uns à droite, les autres à gauche, et découvrent
environ quatre pelotons du premier bataillon de ceux
placés au centre, où j'étois, y commandant le mien.
M. de Bréhanl, qui étoit à la droite de son premier
bataillon, vient au centre et me dit : « Pourquoi donc
cette fusillade ? » et montrant de la main ceux qui
la faisoient: « levais à eux, me dit-il ; dites aux offi-
ciers, s'il est possible, de les faire marcher en avant. »
Je prévois que beaucoup, qui sont à genoux et
ont l'air de ne plus rien entendre, vont appuyer
à droite et à gauche, comme ont fait les volontaires
de Bussy, que la colonne découverte se portera en
avant, que nous enfourner par le centre dans cet
endroit est chose dangereuse pour l'ordre qui va se
rompre et que, si nous trouvons une force impor-
tante, cela pourra devenir dangereux. A ce moment
nos quatre pièces de canon, qui éloient à la droite,
tirent, les quatre de Navarre s'y joignent et font un
vacarme affreux, répété par les échos qui multiplient
le bruit.
Les ennemis combattoient derrière quelques
arbres qu'ils avoient abattus à la droite ; il en sortit
une quarantaine, qui firent une charge sur notre
artillerie, vinrent saisir deux chevaux près de nous,
avec projet sans doute de les emmener, et saisirent
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 137
le chevalier Le Prêtre ^ âgé de dix-sept ans, aujour-
d'hui lieutenant-colonel du régiment de Provence.
Mais une compagnie de grenadiers du régiment de
Picardie tomba sur ces braves et, à coups de baïon-
nette, eut bientôt fait tout disparoître ; la plupart
de ceux qui a voient fait cet acte de vigueur furent tués.
Pendant ce temps, M. de Bréhant s'étoit porté aux
grenadiers de la Marine, à dix pas de notre front ;
venu sur la gauche du centre du premier bataillon,
il voulut pérorer les officiers et grenadiers, mais il
ne lui fut possible de se faire entendre ni des uns
ni des autres, le bruit du canon et de la mousque-
terie étant considérable. Il revint au centre du
bataillon et me dit assez haut : « Nous allons marcher
en avant. » Vite, je dis aux trois pelotons qui fai-
soient la gauche du bataillon : « Si les grenadiers
qui sont devant vous ne marchent pas, passez devant
eux, et sans vous rompre. » M. de Bréhant en dit
autant aux deux pelotons de ta droite, dont le front
étoit encore couvert par les grenadiers, et, se portant
à dix ou douze pas en avant, met l'épée à la main
en faisant face à ce premier bataillon, pour lui
ordonner de se porter en avant ; il reçoit un coup
de feu à la cuisse, que lui pare un cachet d'or qu'il
avoit dans la poche de sa culotte, et, du coup, il
tombe sur le cul. Mon attachement et mon estime
pour ce colonel font que je cours à lui, le croyant
1. François-Charles Le Prêtre, baron de Théméricourt de
Jaucourt, né en 1740, enseigne en 1756, lieutenant en 1757,
«apitaine en 1762, major de Picardie et chevalier de Saint-
Louis en 1778, lieutenant-colonel du régiment de Blaisois en
1784 et du régiment de Provence avant 1788.
138 CAMPAGNES [1757]
grièvement blessé. Il éloit tombé à vingt pas des
ennemis. Mon entbousiasme se joint aux sentiments
quej'avois pour lui ; je me place donc entre lui et
les ennemis, désirant lui faire une égide de ma
personne ; je l'invite à se lever ; il me répond :
« Tout à l'heure. » A cet instant vingt balles viennent
labourer le gazon à côté de nous ; je le lui fais
observer ; il y regarde. Dans ce moment d'autres
V viennent frapper ; il voit le danger et, s'aidant
d'un arbre qu'il tient, je passe alors mes deux bras
sous les siens en le tenant par derrière. Étant debout,
il remue ses deux jambes pour voir s'il n'a pas
quelque fracture ; il les trouve l'une et l'autre exemptes
de cet accident ; je le saisis sous le bras et l'aide à
venir au bataillon, où arrivé je fais serrer les files
de ma compagnie, le fais passer derrière et lui donne
un soldat de ma compagnie qui lui donne le bras ;
chaque file à mon commandement reprend ses
distances et je reste à leur tête.
Le moment d'après, nous sommes instruits que
M. de Gascoin, notre lieutenant-colonel, détaché
aux grenadiers sous M. le comte du Châtelet, colo-
nel alors de Navarre, aujourd'hui lieutenartt-général,
colonel du régiment du Roi-infanterie, vient d'être
tué. Au même instant ce M. du Châtelet, soutenu
sous ses deux bras par deux officiers du régiment
de Navarre (l'un se nommoit I^estrade, de ma con-
noissance), vient à nous, la cuisse et la botte cou-
vertes de sang, ayant un coup de feu à peu près
dans l'aine. En approchant de nous, il dit à ces
officiers d'une voix très distincte : « Il faut savoir
donner son sang et sa vie pour le service de son
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 139
prince. » Je fais ouvrir les files de ma compagnie et
il passe derrière, s'y arrête, fouille dans la poche
de sa veste et en sort un écrit qu'il déchire.
(Dix-huit ou vingt mois après, de quartier dans la
petite ville Degocy (?), je suis aux ordres du che-
valier du Châtelet S lieutenant-général attaché à la
gendarmerie. Je lui raconte les propos de son neveu
et l'acte d'avoir déchiré un écrit. Dans les uns il
reconnoît la valeur et le courage qu'il tient des
siens, et dans l'autre la discrétion qui doit être une
des vertus des grandes âmes, et, content de mon
récit, il m'en fait des remerciements.)
Je saisis l'instant du passage et des bons propos
de ce colonel pour dire assez haut : « Voyez, mes
amis, voilà un jeune seigneur avec plus de cent
mille livres de rentes ; il vient de se marier, il quitte
tout en France et voyez la manière qu'il donne son
sang et peut-être sa vie pour le Roi. Avec combien
peu de regrets nous autres nous devons donner l'un
et l'autre. Quel bel exemple il nous donne ! »
A peine avois-je fini cette petite allocution que
M. de Chevert, à cheval, arrive vis-à-vis mon pelo-
ton. Les ennemis, qui l'aperçoivent, redoublent leur
feu pour tâcher de l'abattre ; je vois le général sans
cuirasse (il n'en avoit que le collet autour du col),
et son cordon rouge placé sur son habit. Le sif-
flement des balles tourmentoit son cheval ; il observe
1. Jean-François du Châtelet, marquis d'Haraucourt, entré
au service en 1706, major général et inspecteur de la gendar-
merie en 1735, lieutenant-général en 1748, grand-croix de
Saint-Louis, mort en 1770. Était le cousin germain du marquis
du Châtelet.
140 CAMPAGNES [1757]
et, comme il ne disoit rien, je me hasarde k lui
demander si c'est M. de Bréhant qu'il cherche. Je
savois qu'il l'aimoit beaucoup etj'étois instruit aussi
que M. de Bréhant lui étoit fort attaché. 11 me
regarde et me dit : « Où est-il ? » Je lui dis : « Il
est passé tlerrière le bataillon, un peu blessé. M. le
comte du (Ihâtelet y est passé blessé aussi. M. de
Gascoin l'est aussi, mais plus fort. »
La fusillade continue toujours. M. de Chevert,
occupé en partie de contenir son cheval, vouloit tou-
jours qu'il présentât la tète aux ennemis. Il me vint
dans l'idée : « Si notre général est ici tué malheureuse-
ment ou blessé fortement, qui nous donnera ses
ordres ? » (Nous n'avions pas un seul maréchal de
camp pour nos deux brigades.) Je prends alors mon
parti et, voulant conserver les jours de notre général,
je dis à ma compagnie : « A droite et à gauche, serrez
vos files. » Et, m'adressantà M. de Chevert, je lui dis :
« Général, voilà le chemin par où MM. de Bréhant
et du Châtelet ont passé tout à l'heure ; puisque vous
désirez leur parler, vous ne pouvez manquer de les
trouver. » Et de la main je lui indique son chemin.
Il me fixe de la tète aux pieds et passe. J'affectois
de me redresser le plus qu'il m'étoit possible, afin
de lui montrer que ma crainte n'étoit que pour lui
et en vérité je le sentois de même.
Nous restâmes dans cette position encore un quart
d'heure. Les ennemis, qui, par la continuité de leur
feu, avoient fort diminué le front des compagnies de
grenadiers qui étoient devant nous, voyant que la tête
de la colonne persévéroit à ne pas tirer, s'avisèrent, en
nous bien ajustant, de baisser leurs coups, qui aupa-
[1757] DE MEnCOYROL DE BEAULIEU. 141
ravant, tirant devant eux horizontalement, ne nous
portoient pas grand préjudice, et comme ils n'étoienl
qu'à trente-cinq ou quarante pas, ils abattirent dans le
moment cinquante ou soixante hommes du bataillon.
M. Gelb ', brave aide-major, arriva où j'étois,
observant que depuis deux minutes les figures des
soldats, vermeilles jusqu'alors, blanchissoient à vue
d'œil. Ne voyant nul officier supérieur, je dis à ce
Gelb : « Écoute, c'est moi qui commence le feu.
Les ennemis nous tirent, rendons-leur même mar-
chandise. Dis au peloton de Denocq, qui a encore des
grenadiers devant lui, et à celui de la Paluette 2, qui
est à sa droite, de ne pas tirer. Je vais avertir le che-
valier de Monteil ^ d'empêcher que les siens tirent
pour la même raison. » Et, courant sur le front du
bataillon, j'avertis le chevalier de Monteil et les
autres que nous allions commencer le feu de pelo-
ton tout comme à l'exercice.
1. Nicolas-Louis Gelb, dit le comte de Gelb, né à Strasbourg
en 1721, d'abord au service de Bavière, puis capitaine au
régiment d'infanterie allemande de Saint-Germain au ser-
vice de France en 1747, major en 1755, lieutenant-colonel en
1758, incorporé dans le régiment de Nassau en 176ê, briga-
dier en 1761, maréchal de camp en 1770, lieutenant-général en
1784, démissionnaire en 1792, passe dans l'armée de Condé et
est tué en 1793.
2. Jean-Baptiste de la Paluette de Coatquin, de Combourg
en Bretagne, né en 1718, lieutenant en 1738, chevalier de Saint-
Louis en 1752, capitaine de grenadiers en 1761, retiré en
1766.
3. Aunès-Antoine de Monteil, dit le comte de Monteil, né
en 1722 à Viviers en Vivarais, second fils de Balthazar-Aymar
de Monteil, marquis de Durfort et seigneur du Pouzin. Lieute-
nant en 1741, capitaine en 1747, lieutenant de Roi à Narbonne
en 1760.
142 CAMPAGNES [1757]
De retour à ma troupe, je fais le commandement
d'usage à mon peloton et le feu suit jusqu'aux ailes
indiquées, où parvenu je recommeiiee. Quatre
décharges des cinq pelotons qui avoient possibilité
de tirer chassèrent les ennemis de devant nous et,
au lieu de commencer une cinquième décharge,
j'écoute : pas une balle. Je regarde à travers les
feuilles et branches des arbres abattus vis-à-vis nous,
je ne vois plus les ennemis où je les voyois aupa-
ravant. Je dis à mon peloton, qui étoit disposé à
continuer le feu : « Portez vos armes et, s'ils recom-
mencent, nous leur répondrons. »
A cet instant, M. de Bréhant, dont la blessure étoit
une contusion, arrive. Je lui rends compte du feu
qu'il vient d'entendre, que, s'il veut ordonner de
marcher en avant, je suis sûr que les ennemis ont
fait la même manœuvre que les volontaires de Bussy
elles neuf compagnies de grenadiers et se sont jetés
à droite et à gauche pour éviter le feu qui les chauf-
foit tout à l'heure ; il fait le commandement d'une
voix forte : « En avant, marche ! » ce que le bataillon
exécute vivement. Nous nous emparons du terrain
que tenoient les ennemis et nous les trouvons,
comme je l'avois jugé, qui revenoient joindre leur
poste que le feu que nous leur avions fait leur avoit
fait abandonner ; alors un cri de : « Tuez, tuez ! »
fut le signal de leur fuite. Nous les poussons jusqu'à
la sommité de la montagne dont on les culbute sur
le revers ; la baïonnette avoit jusque-là servi à les
détruire et chasser, et la fusillade les accompagne
dans la descente de l'autre côté.
Sur la hauteur, où toute l'armée françoise pouvoit
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 143
nous voir si elle y a voit porté ses regards, M. de
Chevert ordonna qu'on fit flotter les drapeaux du
premier bataillon, ce qui fut exécuté ; déplus, M. de
Chevert y fit conduire à bras les quatre pièces de
canon de la brigade de Picardie, qui tirèrent plusieurs
coups à dos et à flanc de l'armée ennemie. De cette
hauteur nous vîmes une colonne suisse et dragons
à pied qui entroit dans le bois, laquelle protégeoit
la droite de l'armée francoise, et une ligne d'infan-
terie dont la droite rasoit le bois et se prolongeoit
jusqu'au village d'Hastenbeck et quelques troupes
qui attaquoient et chassoient ce qu'il y avoit dedans.
Le canon de l'armée protégeoit la marche de cette
ligne et celui des ennemis y ripostoit, surtout de
la redoute que nous avions découverte la veille.
Cette ligne s'avançoit fièrement, drapeau haut et
bien déployée. La ligne, marchant plus rapidement
que la colonne qui, dans le bois, rencontroit des
obstacles par les ravins qui sont au bas de la mon-
tagne, se trouva à portée du feu de trois bataillons
ennemis, qui étoient sur la lisière du bois et que
personne n'avoit aperçus ; elle en reçut une décharge
pleine qui étonna cette brigade : elle fit demi-tour
à droite et rentra dans un ravin qu'elle venoit de
passer, mais la colonne, qui cheminoit toujours,
chassa ces trois bataillons ennemis. La brigade se
reforma dans ce ravin, en sortit et remarcha en
avant. La colonne et elle s'emparèrent de la redoute *
1. La redoute enlevée par le régiment de Champagne sous
les ordres du comte de Gisors fut reprise par le Prince hérédi-
taire de Brunswick et de nouveau emportée par Champagne.
144 CAMPAGNES [1757]
et l'armée ennemie fit sa retraite, d'abord repliant
son centre et sa ijauche sur Hameln, où, laissant un
bataillon hanovrien, elle mareba sur plusieurs
colonnes à un ruisseau fort encaissé, sur lequel elle
avoit fait plusieurs ponts, le passa et se rallia sur
un plateau très vaste et fort élevé, au bas duquel
passe le ruisseau dont je viens de parler.
Revenons à la division de M. de Chevert voir ce
qui s'y passa depuis qu'il eut gagné les derrières des
ennemis et culbuté leur gauche. Après avoir donc
fait flotter au haut de cette sommité les drapeaux du
premier bataillon du régiment de Picardie pour
donner signe à l'armée qu'il étoit vainqueur dans
sa partie, et après qu'il eut fait tirer quelques volées
de canon à deux bataillons ennemis dans le bas et
qui faisoient face au bois, trois bataillons de Picar-
die avoient suivi deux pelotons du premier batail-
lon, lesquels avoient suivi les grenadiers, et Navarre
avoit suivi ces bataillons de Picardie. La Marine,
soutenant sa direction plus vers la gauche, se trouva
sur celle de Navarre et, comme un bataillon de la
Marine étoit en avant de lui et sur sa droite, les
taillis fort épais l'empêchoient de voir ; il pense
que ce sont des ennemis et en conséquence le
bataillon lâche tout son feu sur Navarre, qui, se
voyant fusillé par derrière, ne sait qu'en penser, ce
qui met dans ce régiment du désordre et encore plus
d'étonnement, mais sans beaucoup de mal parce que
le bois taillis qui les séparoit étoit fort épais et arrêta
presque toutes les balles. Comme cette décharge
s'étoit faite sans ordre, les officiers de ce corps empê-
chèrent qu'il en fût fait davantage, et le bataillon
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 145
de Navarre qui avoit reçu cette décharge descendit
à mi-côte de la montagne, où il joignit les trois autres
bataillons.
Cette erreur arriva au moment où M. de Chevert
m'avoit donné commission d'aller voir ce qu'étoient
devenus les trois bataillons de Picardie et les deux
pelotons de la compagnie de grenadiers du premier
bataillon qui n'étoient point aux ordres de M. du
Châtelet, car sur le haut de la montagne nous n'é-
tions que six pelotons du premier bataillon et trois
compagnies de grenadiers de la Marine; tout le reste
de la colonne avoit pris à droite et trouvé devant
lui un taillis si épais que l'on ne pouvoit y passer,
ce qui l'avoit jeté encore plus à droite et poussé les
ennemis jusqu'à la lisière du bois.
Je vois les ennemis dans la plaine. C'étoit le
moment où on attaquoit la redoute. Je regagne
promptement le haut de la montagne et je rends
compte à MM. de Bréhant et de Chevert de ce que
j'ai vu ; je dis que le moment est [venu] de descendre
pour prendre les ennemis à dos ; je leur ajoute que
j'ai laissé M. de la Rochethulon ^ à mi-côte de la
montagne, qu'il m'a dit qu'il resteroit là où il étoit
jusqu'à ce que le général lui envoyât des ordres;
j'assure que, par le chemin que j'ai tenu pour reve-
nir, il y en a un par où l'artillerie peut passer.
M. de Chevert ordonne à Lusignan de se mettre
1. Claude-Philippe-AnneThibaud de Noblet, comte puis mar-
quis de la Rochethulon, seigneur de Beaudiment, de Beaumont,
etc., né en 1715, lieutenant en 1728, capitaine de grenadiers en
1752, commandant de bataillon en 1757, lieutenant-colonel en
1762, brigadier, retiré en 1764, mort en 1781.
10
14() CAMPAGNES [1757]
en marche ; les quatre pièces de canon de Navarre
le suivent, les six pelotons du premier bataillon et
les trois compagnies de grenadiers de la Marine en
colonne par compagnie sur le flanc. Dans cet ordre
nous descendons la montagne et je conduis le tout
où j'avois laissé M. dv la Rochetliulon, qui com-
mandoit les deux bataillons et auquel le troisième
venoit de se joindre.
M. de Chevert dit à M. de Randan, lieutenant-gé-
néral, qui étoit arrivé avec la brigade d'Eu : « Prenez
poste, Monsieur, sur la sommité de la hauteur que je
quitte et placez la brigade à vos ordres comme vous
jugerez convenir. » M. de Randan place sur ce pla-
teau les pièces de canon de la brigade à ses ordres
et de plus les quatre du régiment de la Marine, parce
que l'officier qui les commandoil étoit jeune et qu'à
la proposition que lui en fit le général, il n'osa refuser
(ce qu'il eût dû faire et aller chercher son régiment
qui étoit en avant, la suite va démontrer son tort).
A peine M. de Randan est-il établi que les
deux régiments qu'il commande viennent par leurs
chefs lui demander la permission d'aller chercher
de Teau à un petit ruisseau qu'ils avoient passé tout
près de l'endroit où nous avions été en relation
pendant la nuit précédente. M. de Randan le permet
à des soldats à raison de quatre ou cinq par compa-
gnie, qui se hâtent de prendre des bidons et, pour
faire cette course, ôtent leur giberne et leur habit.
M. de Randan et les officiers qui étoient avec lui,
qui de la sommité voyoient l'armée des ennemis
qui se retiroit, ne portèrent nulle attention que
presque tous les soldats de cette brigade mirent
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 147
leurs cartouches bas ainsi que leurs habits ; ils ne
s'attendoient pas certainement à ce qui leur advint.
Dans cet état ils s'assirent et attendirent avec impa-
tience le retour de ceux qui avoient été à l'eau.
Le chevalier de Gramont *, du régiment d'Enghien,
jeune homme très alerte, qui s'étoit avancé dans
l'épaisseur du bois, voit venir à lui une colonne de
[soldats] vêtus de rouge ; ce qui en faisoit la tète
avoit des bonnets qui ne ressembloient en rien à
ceux des Suisses au service de France ; il court et
vient porter l'alarme à sa brigade en criant : « Aux
armes ; les ennemis ! » et, prenant les quatre premiers
soldats qu'il trouve, il marche à la colonne en criant :
« Qui vive ? » Cette colonne continuant sa marche et
ne répondant pas, il ordonne à ces quatre soldats
de tirer. Les deux compagnies de grenadiers, dont
plusieurs avoient sauté sur leurs armes, font feu sur
cette colonne. Cette brigade prise dans le désordre
dont j'ai parlé, les uns sans armes, d'autres avec
leurs armes, la plupart en chemise, tout fuit et vient
gagner le chemin par où ils étoient entrés dans le
bois. A peine sont-ils dans cette petite plaine dont
nous avons parlé et où nous avions passé la nuit,
qu'ils aperçoivent de la cavalerie qui vient sur eux.
Les plus proches du bois s'y jettent ; trois ou quatre
cents hommes se jettent dans la trouée où le terrain
dans une trop roide pente les met à l'abri de la
poursuite de cette cavalerie.
1. Silvain-Joseph, chevalier de Gramont, de Castillonès en
Périgord, lieutenant en 1756, capitaine-commandant en 1771.
Une note d'inspecteur dit de lui : « Très joli sujet, très intelli-
gent, a de quoi faire un officier major ; bonne conduite. »
148 CAMPAGNES [1757]
De la (Iroile de l'armée on aperçut ce désordre,
ainsi que les trois escadrons de cette cavalerie qui,
en bataille, remplissoient la trouée, ce qui donna
à penser à des généraux de l'armée que la colonne
hanovrienne s'étoit emparée de la sommité de la
montagne où M. de Clievert avoit laissé M. de Randan,
lieutenant-général, ayant à ses ordres la brigade
d'Eu, les quatre pièces de canon de la brigade d'Eu
et les quatre de celle de la Marine restées mal à pro-
pos, comme il a été dit.
La colonne hanovrienne ne trouva d'autre résis-
tance de cette brigade en désordre, que de portion
de deux compagnies de grenadiers du régiment
d'Enghien qui s'étoient mises dans une espèce
d'entonnoir que formoit le terrain et où elles tinrent
ferme ; mais toute leur brigade étoit en fuite et ils y
furent tous tués ou pris ; les deux capitaines y
furent tués : l'un nommé Saint-Pons ' et l'autre
iMiraval, d'Aix en Provence. Ce régiment perdit un
autre capitaine, blessé au bras, nommé Grandvil-
lars~. Cette colonne hanovrienne, qui trouva ces
huit pièces de canon sur la sommité, les pointa sur
l'armée françoise qui étoit dans la plaine au bas de
la montagne et, voyant toute son armée en pleine
retraite, fit la sienne en emmenant avec elle les huit
pièces de canon : l'une fut versée et ses rouages
brisés; les ennemis l'abandonnèrent et on la trouva
le lendemain couverte de branchages.
Lors du commencement de l'attaque du bois et
1. N. de Saint-Pons, enseigne au régiment d'Enghien en
1734, lieutenant en 1737, capitaine en 1739.
2. N. de Grand-Villars, lieutenant en second au régiment
d'Enghien en 17'i4, <-apilaine en 17^8.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 149
au bruit de la vive mousqueterie qui s'y passoit,
M. le duc de Cumberland ^ ordonna qu'il iùt envoyé
un renfort à cette gauche. Trois bataillons tirés de
la seconde ligne et quatre escadrons se mirent en
mouvement pour s'y porter ; ils y arrivèrent lorsque
tout fut fmi ; ils aperçurent des troupes françoises
dans la plus grande négligence, les attaquèrent, les
battirent et firent feu sur notre armée avec nos
canons, puis se retirèrent promptement en suivant
le chemin par où ils étoient venus '^, qui fut de
repasser le bois et en dehors d'en suivre la lisière,
qui se prolongeoit jusque vers la droite que tenoit
leur armée, qu'ils joignirent en passant le ruisseau
et gagnant le plateau, où ils se retirèrent tous.
M. de Chevert,qui avoit continué sa marche, arrive
sur la lisière du bois qui étoit à dos des ennemis ;
nous sommes très étonnés de voir l'armée ennemie
en pleine retraite et déjà hors de portée de notre
canon. Maîtres donc du champ de bataille, nous
apercevons les troupes françoises qui venoient de
faire une marche rétrograde qui les avoit éloignées
dudit champ de bataille^.
1. Cumberland avait, dès le 25 au soir, formé un petit corps
sous le commandement du colonel Breidenbach et l'avait envoyé,
le 26 au matin, àDiedersen pour surveiller le revers du Schec-
kenberg. Breidenbach montra de l'initiative et de la vigueur.
2. L'auteur décrit, avec plus de détails qu'aucune relation
française connue, la bagarre et les méprises produites dans le
bois du Scheckenberg par la courte et vigoureuse attaque du
colonel Breidenbach sur les derrières du corps de Chevert. Son
récit, qui a tous les caractères de la sincérité, ramène à ses
justes proportions un succès momentané dont les conséquences
furent très supérieures à son" importance réelle.
3. D'Estrées, trompé sur la gravité du désordre arrivé dans
150 CAMPAGNES [1757]
Nous débouchons enfin et nous nous formons dans
celle plaine. Ce mouvement ne se fait qu'une heure
après notre arrivée à celle lisière.
Je n'entrerai pas dans les discussions que cette
journée occasionna entre M. de Randan et M. de
Chevert, et pas davantage dans celle de M. le maréchal
d'Estrées avec M. de Maillebois, lieutenant-général,
maréchal des logis de l'armée. La disgrâce de ce der-
nier, tant du reste du règne de Louis XV que de
celui de Louis XVI (à y joindre l'opinion générale
de l'armée), prouve qu'il avoil lorl^
Nous gagnâmes donc cette bataille [26 juillet]. Je
pense que la perte en tués ou blessés fut à peu près
égale. Nous fîmes des prisonniers, le jour de l'action,
environ sept à huit cents; le lendemain, Hameln se
rendit ; sa garnison, de deux bataillons, fut prison-
nière. Cette ville nous fut de ressource considérable
par ses magasins de fourrages, toutes sortes de graines
et abondance de vin, trente-six pièces de canon de
tout calibre, mais la plupart de siège. Les ennemis
le bois et mal renseigné, a-t-on dit, par Maillebois, se crut
attaqué à droite par un corps d'armée et arrêta le mouvement
en avant pour prendre des dispositions dt'Tensives. Ce temps
d'arrêt permit à l'ennemi de battre en retraite sans être pour-
suivi.
1. Maillebois (Yves-Marie Desmarets, comte de), né en 1715,
fils du maréchal du même nom. Lieutenant-général en 1748.
Ayant, en 1758, répandu un libelle très injurieux pour le
maréchal d'Estrées, il fut traduit devant un tribunal de maré-
chaux qui le condamna à la prison. Après un certain séjour à
la citadelle de Doullens, il fut remis en liberté, mais resta en
disgrâce jusqu'à la fin de sa vie. II mourut en émigration à
Liège, en 1791.
[1757] DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 151
profitèrent de la nuit et successivement firent trois
marches en arrière, sur la direction de Klosterseven
et Stade.
L'armée prit deux séjours àHameln,où ses équi-
pages la rejoignirent ; le troisième, elle se mit en
marche à la suite des ennemis. Le lendemain, elle fit
une seconde marche, elle prit un séjour et, le soir
de ce jour, l'armée fut bien étonnée d'être instruite
que le maréclial de Richelieu ^ étoit arrivé [3 août]
pour prendre le commandement de l'armée, que le
maréchal d'Estrées devoit lui céder en partant de
suite pour Versailles, ce qui fut exécuté [7 août].
L'armée regretta beaucoup le maréchal d'Estrées ;
elle ne pouvoit se faire à l'idée qu'il fût démis de sa
place au moment où il venoit de gagner une bataille
qui lui procuroit la conquête de tout l'Électorat de
Hanovre, et on se disoit : « Eh bien, il part couvert
de lauriers et, arrivant avec eux à Versailles, le
ministre et le Roi seront bien fâchés de pareille
bévue », ce qui la consoloit de l'injustice qu'éprou-
voit son général.
Cet événement extraordinaire nous fit rester
deux jours de plus dans ce camp, où M. de Chevert
eut une scène vive avec M. de Randan, et comme
nous étions le soir à nous en entretenir, le chevalier
de Monteil, capitaine du régiment, frère du lieute-
nant-générai aujourd'hui des armées navales ~ et
1. Louis-François-Armand du Plessis, duc de Fronsac, puis
de Richelieu, petit-neveu du cardinal, né en 1696, maréchal
de France en 1748, mort en 1788.
2. Pierre-Louis, chevalier de Monteil, commandeur de Saint-
Louis enl781, fut lieutenant-général des armées navales en 1783.
152 CAMPAGNES [1757]
l'autre de terre ^ et un troisième maréchal de camp,
capitaine des Suisses de la garde de Mgr le comte
d'Artois ', avec nous i\lM, de Richemonl et de la
Paluette, capitaines du régiment, avec lescjuels nous
causions sur les affaires du temps, me dit : « M. de
Chevert vous a-t-il fait quelque remerciement de vos
bons services le jour de la bataille ? Étant du même
bataillon, j'ai suivi tout ce que vous avez fait et
entendis partie de ce que vous lui dîtes pour l'engager
à se retirer, lorsqu'il vint se placer à cheval au centre
de notre bataillon, où il me paroissoit plus occupé
de contenir son cheval que de prendre un parti utile
pour le gain de la bataille. »
Je lui répondis que ce général ne m'avoit parlé de
rien, que la seule générosité que j'avois éprouvée
étoit que le soir même de ce jour, lorsqu'il otïrit à
tous ses officiers du régiment de venir manger du riz
avec lui, je m'aperçus qu'après avoir servi M. de
Bréhant, il me fit passer la seconde assiette qu'il en
servit, que là se sont terminées toutes ses générosi-
tés ; que je sens fort bien qu'il eût pu me dire
quelque chose d'honnête, mais que je suis assez
récompensé parce qu'il y a plusieurs de mes cama-
rades qui ont bien voulu faire attention à ma con-
duite. (( Que je l'improuve ! me dit le chevalier de
Monteil, vous fûtes son dieu tutélaire, il vous a la
plus grande obligation. » Notre conversation finit là
et je n'y portai pas plus d'attention. J'étois fort
1. François-Just-Charles, marquis de Monteil, né en 1718,
fut lieutenant-général en 1780.
2. François-Louis de Monteil devint maréchal de camp en
1780.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 153
jeune et ne croyois avoir fait que ce que je devois
pour le service du Roi. Il étoit écrit sur mon cœur,
et tout naturellement. Combien je voudrois faire
pour lui prouver mon zèle et mon amour, et la perte
de quelques jours, en abrégeant les miens, me
paroissoit d'un bien petit sacrifice K..
L'armée se pourvut de toutes choses nécessaires
pour se porter en avant, chercher les ennemis, dont
la résolution paroissoit devoir être de prendre
quelque position avantageuse et de nous y attendre.
Après quatre marches, nous nous trouvâmes bien
près d'eux ; on s'attendoit à quelque fait d'armes,
mais les ennemis étoient hors d'état sans doute d'en
hasarder et ils obtinrent, par la médiation de M. de
Lynar, ministre du roi de Danemark, de passer
avec le maréchal de Richelieu cette fameuse capitu-
lation de Klosterseven.
L'Europe sait quelle en fut la suite, à laquelle
nous aurons lieu de revenir ci-après. Nous nous
contenterons seulement de dire que cette armée
fut circonscrite dans une position de limites fixes,
qu'elle ne pouvoit transgresser, comme elle ne
devoit point servir contre la France et ses alliés.
Les troupes hessoises et celles appartenant à d'autres
princes alliés du roi d'Angleterre, électeur de
1. Ici l'auteur s'étend pendant huit pages sur le désintéresse-
ment des officiers (« . . . à cette époque l'ambition n'étoit pas montée
au point oîi elle est aujourd'hui... »); sur l'ordonnance de 1762,
relative aux lieutenants-colonels et majors, et sur les bonnes
mœurs (« ... la chasteté doit être de tout chrétien et je la main-
tiens comme plus nécessaire à qui veut suivre la profession des
armes... »] .
154 CAMPAGNES [1757]
Hanovre, dévoient être séparées pour chacune
d'elles retourner dans sa patrie et principauté, où
les François, (iiii auroienl fait la loi à tous ces petits
princes, les eussent fait lieen(;ier et, à l'exemple de
ce que le roi de Prusse avoit fait vis-à-vis des Saxons,
ils eussent pu et même dû les prendre à leur service ;
mais, par un article de cette capitulation, il étoit dit
que les troupes des différents alliés du roi d'x'\.ngle-
terre ne seroient séparées qu'après que la cour de
Versailles et celle de Vienne auroient ratifié ladite
capitulation ; faute grande que fit le maréchal de
Richelieu, car, dans la position où étoient les enne-
mis, il pouvoit tenir ferme à ce que la séparation
eût son effet sur-le-champ. Ce qui peut l'excuser
est qu'il ne devoit pas s'attendre que la cour de
Vienne pût être mécontente et mît des longueurs à
cette ratification. Les suites prouveront les regrets
qu'elle dut en avoir, ainsi que celle de Versailles.
L'armée françoise quitta les environs de Stade et
vint établir son quartier général à Hanovre, d'où elle
marcha sur Brunswick, puis sur Wolfenhûttel et
Halherstadt. Là, toutes ses forces se réunirent et l'ar-
mée y étoit de 50.000 hommes, y vivant dans
un pavs appartenant à Sa Majesté prussienne.
L'armée du maréchal de Richelieu resta dans
sa position d'Halberstadt six semaines, au lieu de
se porter à Halle. Ce mouvement eût empêché la
bataille de Rossbach d'avoir jamais lieu. La cour de
France vouloit que le prince de Soubise acquît des
lauriers sans que le maréchal de Richelieu les parta-
geât avec lui : de là l'hésitation de ce général et de
son armée à Halberstadt, d'où M. de Saint-Germain
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 155
fut détaché avec un corps de 8.000 hommes seule-
ment pour se rapprocher de M. de Souljise et le
joindre si cela devenoit nécessaire à ce prince.
Le roi de Prusse, pressé de toutes parts et au
moment où il venoit de perdre la bataille de Breslau,
que le prince Charles avoit gai^née sur ses troupes,
manœuvre son armée qui étoit à vue de celle du
prince de Soubise. L'opinion est qu'il se retire ; en
conséquence, l'ordre est donné à l'armée de se
porter en avant.
Les troupes marchent avec la plus grande
sécurité, tant on est convaincu que l'armée prus-
sienne se retire. Pas un détachement de vingt
hussards en avant pour aller à la découverte et voir
ce qui se passe derrière un rideau qui couvre tous
les mouvements que le roi de Prusse peut faire exé-
cuter ! L'empressement de joindre un ennemi qui
fuit fait que toutes les colonnes quittent les hauteurs
qu'occupoit l'armée, par le chemin le plus direct,
pour arriver à celles qu'on croit que le roi de Prusse
quitte. Descendant dans la plaine, les troupes la
traversent avec une sécurité pernicieuse, où le géné-
ral en chef, les généraux et tous les officiers particu-
liers partagent les torts. O François, quand est-ce
que la méfiance voyagera avec vous et que la pré-
somption sera extirpée de chez vous ?
J'ai su, par des officiers qui étoient de cette armée,
que tous les soldats porteurs des bâtons dé tentes
les avoient liés avec leurs armes, que ces colonnes
marchoient avec la même négligence qu'elles eussent
pu employer en pleine paix et traversant une pro-
vince amie. Quels durent être leur étonnement et
156 CAMPAGNES [1757 1
leur surprise lorsqu'à la portée du mousquet elles
virent paroître, sur ces mêmes hauteurs où il leur tar-
(loit iranivor pour satisfaire leur curiosité et voir les
troupes prussiennes en fuite, une ligne pleine de
guerriers qui par leurs feux de mousquet et de canon
leui- présentoient et leur donnoient la mort, et qu'en
même temps elles aperçurent sur leur droite une
muraille de cavalerie qui se présentoit et leur annon-
çoitleur destruction !
A l'étonnement succède l'épouvante et à celle-ci
le plus grand désordre et la fuite. Quelques esca-
drons françois la protègent ; ils se font tuer et tout
fuit. Le maréchal de Souhise, par son courage, veut
l'allier quelques troupes ; le Prussien y marche et,
malgré lui, elles se retirent. Pauvre courage, de
quelle utilité es-tu lorsque seul tvi enflammes la tête
du général ! Jamais déroute pareille à celle-là ! Il y
eut des officiers et des soldats qui dans trente heures
portèrent leur honte et leurs terreurs à trente lieues
du champ de bataille. Il y eut quelques régiments,
cependant, qui se conduisirent assez bien et ce furent
eux qui firent la perte en tués et blessés, dont le
nombre fut de deux mille et douze ou quinze cents
prisonniers. La perte des ennemis fut très médiocre
[Rossbach, 5 novembre].
Le roi de Prusse eût tiré plus de fruit de cette
terreur panique, mais des affaires de plus grande
importance l'attirèrent en Silésie, où il marcha
avec son armée victorieuse, qui, jointe aux débris de
son armée battue par le prince Charles, remporta
la victoire la plus considérable et la plus com-
plète de cette guerre [Leuthen, 5 décembre]. Elle
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 157
coûta aux Autrieliiens, en tués, blessés ou prisonniers,
plus de dix-huit mille hommes. Leur armée fut sépa-
rée en deux, dix-huit ou vingt mille hommes se
jetèrent dans Breslau. Le roi de Prusse en fit le siège.
Celte garnison nombreuse capitula et fut prison-
nière de guerre [25 novembre] ^ . .
L'armée du maréchal de Richelieu quitta le 6 de
novembre le camp d'Halberstadt pour se retirer
dans ses quartiers d'hiver, le froid étant déjà très
aigu, et ce fut à notre seconde marche du 7 que
nous fûmes tous instruits de l'événement de la
bataille de Rossbach, qui amena de grands change-
ments et des fatigues à l'armée du Roi. Les maladies
détruisirent l'armée plus que n'eût fait une bataille
sanglante. Le quartier de la brigade de Picardie fut
Brunswick, où elle arriva le 9 de novembre.
Vers le 20, nous fûmes instruits, par les gens du
pays, de la victoire complète du roi de Prusse à
Breslau et, peu de jours après, de sa prise.
A cette époque, on pressoit l'armée alliée, canton-
née dans les environs de Stade, d'exécuter la capi-
tulation faite à Klosterseven ; les malheurs surve-
nant avoient déterminé la cour de Vienne à réaliser
tout ce qu'elle contenoit. La fortune des armes du
roi de Prusse et ses avis portèrent cette armée, au
contraire, à commencer une guerre d'hiver et à faire
des hostilités. Le maréchal de Richelieu fit des
plaintes au prince régnant de Brunswick, à celui de
Cassel et autres dont nous tenions les possessions.
1. L'auteur expose ici, endeuxpages, etjuge sévèrement l'inac-
tion du comte de Saint-Germain pendant la bataille de Rossbach.
158 CAMPAGNES [1757]
Absents de leurs petits États, ils répondirent qu'ils
enverroieut des ordres à ceux qui les commandoient
pour qu'ils eussent à les ramener chez eux et à se
séparer des Hanovriens. Quelques-uns des officiers
porteurs desdits ordres virent, en passant à Hanovre,
M. de Richelieu, pour augmenter sa sécurité et sa
confiance sur la prochaine exécution de ces ordres ;
mais, rien ne s'exécutant, M. de Richelieu crut les
intimider en faisant un rassemblement de troupes
dans les premiers jours de décembre ; il marcha i\
eux et arriva avec environ 20.000 hommes à Lune-
bourg. Le froid étoit des plus cuisants et les troupes
souffrantes.
Ce fut à cette époque que le prince Ferdinand
de Brunswick \ général au service du roi de Prusse,
fut envoyé pour commander l'armée hanovrienne,
hessoise, brunswickoise et autres alliés allemands,
que peu de mois auparavant on eût pu faire prison-
nière de guerre, ou au moins dissiper. Le prince Fer-
dinand de Brunswick la rassemble, se rit de la
marche du duc de Richelieu qui arrive à Lunebourg
avec ses troupes transies de froid et fatiguées d'une
longue campagne, sans précautions pour se garantir du
froid excessif de la saison, le soldat vêtu comme il l'é-
toitaumois d'août. Le maréchal somme cette armée,
s'adressant aux différents chefs qui commandent
les troupes des princes alliés ennemis, pour qu'ils
aient à observer la capitulation de Klosterseven. Le
prince Ferdinand se charge de la réponse et mande
au maréchal que la cour de Versailles n'ayant ratifié
1. Ferdinand, duc de Brunswick, quatrième fils du duc Fer-
dinand-Albcrl, uc en 1721, inorl eu 1792.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 159
la convention que depuis peu, celle de Vienne étant
plus lente encore, les puissances à qui appartiennent
cette armée ne veulent pas qu'elle ait son effet et
il le prévient que dès demain les hostilités vont
commencer. Telle fut la réponse que son trompette
apporta.
Piqué comme il devoit l'être de ce manque de foi
et assuré du rassemblement des ennemis, qui se dis-
posoient à venir le chercher à Lvinebourg, le maré-
chal monte achevai le lendemain, se porte en avant
de Lunebourg [2 décembre], y choisit un champ de
bataille et, dès l'après-midi, 2.000 travailleurs de
l'armée y sont employés pour la construction de
deux redoutes. Toutes les cartouches qui sont à
Lunebourg sont distribuées aux troupes et les pro-
pos du maréchal tendent à annoncer une action
prochaine. Mais, instruit que la force des ennemis
est au moins de 30.000 hommes bien portants, bien
vêtus et qui venoient de jouir d'un repos de près
de cinq mois, tandis qu'à peine a-t-il à ses ordres
20.000 hommes fatigués d'une campagne de huit
mois et très mal vêtus pour la saison rigoureuse, il
assemble un conseil de guerre et d'une voix il est
arrêté qu'il faut évacuer le comté de Lunebourg, se
retirer à Zelle et que là il faudra arrêter le prince
Ferdinand et y être en force supérieure pour le
ramener dans les marais de Stade et Rlosterseven et
qu'il faut garder la forteresse d'Harbourg pour le
gêner dans ses opérations.
En conséquence de ce conseil de guerre, l'ar-
mée partit le lendemain et dirigea sa marche sur
Zellcr Des courriers furent mandés à tous les
IC)() CAMPAGNES [1757]
commandants des troupes dans les quartiers que
Icnoit l'armée, de nous au Weser et du Weser au
Kliin, de même qu'aux régiments de cavalerie éta-
blis au delà du Rhin. Le rasseml)lement fut donc
général à Zelle [3 décembre] ; le temps l'y rendit
très pénible pour toutes les armes. Le camp fut
établi à Zelle, l'infanterie sous la toile et la cavale-
rie dans tous les villages et hameaux voisins.
Le prince Ferdinand fit sommer Harbourg. Le
bataillon de garnison et 200 volontaires de l'armée
que l'on y avoit laissés répondirent qu'ils étoient là
pour sa défense et que leurs intentions étoient de
répondre à la confiance qu'on leur avoit marquée.
Le prince Ferdinand, dont l'objet étoit de nous
faire évacuer le plus de terrain qu'il le pourroit, blo-
qua cette petite place, bien sur qu'en lui laissant
consommer ses vivres, dont elle n'avoit qu'une petite
provision, il en feroit après aisément la conquête,
et passa outre.
L'armée franeoise chaque jour s'accroissoit. Le
maréchal, pour avoir nouvelles des ennemis, fait par-
tir ]VI. de Saint-Chamans ', officier général de la
gendarmerie, commandant un détachement de 1.200
hommes, tant infanterie que cavalerie, avec quatre
pièces de canon. Cie détachement se porte à trois
lieues en avant de Zelle, aperçoit quelques ennemis
à des maisons sur le bord d'un ruisseau qui le sépa-
roit d'eux ; il met son canon en batterie et fait tirer
quelques volées. Une trentaine d'ennemis quittent
1. Alexandre-Louis, marquis de Saint-Chamans, Ueutenant-
erénéral en 1759.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 161
ces maisons et se retirent dans un bois. M. de
Saint-Chamans ne pousse pas plus loin sa recon-
noissance, ordonne la retraite et rentre à Zelle.
M. le Maréchal ordonne alors un second déta-
chement de 800 hommes de différentes armes, que
M. de Bréhant, colonel de Picardie, commande,
ayant avec lui deux pièces de canon. Ce détache-
ment se porte à trois lieues en avant de Zelle. J'y
suis volontairement M. de Bréhant, mon colonel.
Nous arrivons à la nuit dans un village où nous nous
proposons de passer la nuit. On s'y établit militai-
rement ; tout ce qui n'étoit de garde est placé, par
cinquante hommes, dans chaque maison, à portée
les uns des autres, et défense à qui que ce soit de
rien quitter de son armement pendant la nuit.
M. de Bréhant envoie deux paysans, en les bien
payant et en leur promettant le double pour leur
retour s'ils lui apportent des nouvelles sûres et satis-
faisantes sur la marche et l'emplacement des enne-
mis. Ces paysans remplissent parfaitement leur mis-
sion ; à deux heures de la nuit, l'un d'eux, étant
de retour, m'instruit qu'à distance d'une lieue et
demie de nous, sur notre droite, et plus près d'une
demi-lieue de Zelle que nous ne le sommes, il est
arrivé dans un village, qu'il nous nomme, 4.000
hommes qui y passent la nuit, et qu'en avant d'eux
il y a un autre détachement de troupes légères, dont
son camarade parti avec lui a été pour s'instruire
et ne manquera de revenir bientôt faire son rapport.
Sur ce premier avis, M. de Bréhant fait partir un
maréchal des logis et quatre hussards pour Zelle,
qu'il adresse à M. le Maréchal. A quatre heures de
11
162 CAMPAGNES [1757]
la nuil, ariive le second paysan, qui nous dit qu'à
deux lieues de nous, sur notre droite, et à demi-lieue
de Zelle sont arrivés, surles quatre heures de l'après-
midi, 16.000 hommes, qui sont cantonnés dans dif-
férents villages, et que des troupes légères sont en
avant des 4.000 hommes arrivés à tel village, qui
est le même que son compagnon nous a indiqué ;
ce détachement est de 200 hussards.
A cette reddition de compte il est aisé à M. dcBré-
hant de voir l'impossibilité où nous sommes de pou-
voir retourner à Zelle par le chemin que nous avions
tenu, et qu'il faut chercher un autre moyen. Fischer*
et sa troupe étoient sur notre gauche, à une lieue de
nous. Tout bien considéré, M. de Bréhant se décide
à se retirer sur Fischer pour de là gagner le pont
d'Elden.
Les mêmes paysans, qui avoient été bien payés,
s'offrirent pour nous servir de guides. Les gardes
sont repliées, l'ordre donné, et nous allions
marcher quand arrive M. de Chalabre-, un des
1. Jean-Chrétien Fischer, allemand de nation et d'une très
humble origine. Enrôlé dans l'armée française au siège de
Prague en 1742, il fut mis à la tète d'une compagnie franche qui,
en raison des qualités et de la hardiesse de son chef, s'aug-
menta progressivement et forma un véritable corps composé
de toutes armes et qui se couvrit de gloire pendant la guerre
de Sept ans sous le nom de chasseurs de Fischer. Fischer,
nommé brigadier en 1759, mourut en 1762.
2. Il y eut plusieurs officiers de ce nom. Il est probable qu'il
s'agit ici de Jean-Pierre Roger de Chalabre, fils de Mathieu
Roger, négociant à Limoux, et de Marie Chalabre ; entré dans
la Maison du Roi en 1727, retiré en 1759 et maréchal de camp
en 1770. C'était, d'après le duc de Luynes, un grand et heureux
joueur.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 163
aides de camp du maréchal, et avec lui deux offi-
ciers que le maréchal adressoit à M. de Bréhant pour
l'instruire de l'impossibilité de son retour surZelle,
vu le mouvement des ennemis, dont il vient d'être
instruit, et lui ordonner de se hâter pour se
retirer par le pont d'Elden. M. de Bréhant dit à M. de
Chalabre : « J'ai eu les mêmes renseignements que
M. le Maréchal, dont je l'ai instruit en lui adressant,
il y a trois heures, un maréchal des logis et quatre
hussards, et vous devriez les avoir rencontrés en
chemin. » — «Quoi ! c'est eux, dit alors M. de Cha-
labre en riant de tout son cœur, que le diable les
emporte ! A une lieue et demie d'ici environ, j'ai
entendu le hennissement d'un cheval ; je me suis
arrêté et mes deux hussards ont fait de même. Nous
nous sommes mis aux écoutes et rien ne frappoit
mes oreilles. Voyant à la clarté des étoiles un bou-
quet de broussailles à ma droite, éloigné de deux
cents pas de la lisière du bois dans la direction du
chemin pour arriver ici, j'ai dit à mes deux hus-
sards : (( Au pas, suivez-moi. » J'ai donc gagné ces
broussailles le plus directement possible, où arrivés
nous avons tous trois tendu l'oreille et au même
instant nous avons distingué le bruit du trot de
quelques chevaux ensemble, ce que j'ai pensé devoir
être une patrouille; j'ai dit bien doucement à mes
hussards : « Laissons-la passer et puis nous continue-
rons notre route. » Le bruit de vos cinq hussards se
répétoit de manière que nous les jugions au moins
dix ; il est possible que notre peur les ait doublés,
mais ce qui me console c'est qu'ils ont eu peur aussi,
car, du moment qu'ils ont été à hauteur et vis-à-vis
164 CAMPAGNES [1757]
nous, un de nos chevaux a henni à son tour, ce qui
a valu à eliacun de ceux qui nous a voient épouvan-
tés un coup d'éperons bien appliqué qui les a fait
passer du trot au galop, et, suivant la lisière du
bois, notre peur s'est évanouie avec le biuit qui
l'avoit occasionnée, nous avons repris notre direc-
tion et sommes arrivés. »
Ces paysans conduisirent bien et directement
notre petite colonne, en la faisant passer par un
chemin aquatique pourtant où les pauvres soldats
avoient de l'eau jusqu'à mi-jambe. Nos deux pièces
de canon f'aisoient la tète et rompoient les glaces.
Quelques soldats avoient l'adresse de marcher à droite
et à gauche sur la glace, mais, comme plusieurs fai-
soient des chutes, ils préféroient passer dans
l'eau. Les paysans nous faisoient observer que si
nous avions voulu tourner tout l'espace qu'occu-
poient les glaces, nous eussions triplé notre chemin
et que nous eussions été obligés de parcourir envi-
ron trois cents pas avec de l'eau jusqu'à la ceinture
si la glace ne portoit partout.
Après une heure de marche, nous découvrîmes
un clocher et, sur les hauteurs, quelques troupes
à pied et à cheval. D'une maison intermédiaire, six
hussards vinrent à nous en nous criant : « France,
Fischer! » Après une courte conversation, ils rega-
gnèrent les hauteurs.
Nous arrivâmes à ce village où nous trouvâmes
abondance. M. Fischer, connu depuis longtemps de
M. de Bréhant et qui vouloit le bien recevoir ainsi que
son détachement, avoil ordonné à toutes les compa-
gnies de mettre à la broche tout ce qu'elles avoient
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 165
en poules, poulets et gigots et faire bonne soupe ;
cet ordre avoit été parfaitement suivi ; cinquante
bâtons servant de broches y étoient employés.
M. Fischer donna à dîner à tous les officiers du
détachement et ses soldats aux nôtres. Nous nous
reposâmes là deux heures et après continuâmes
notre marche.
Nous passâmes la rivière sur le pont, par la rive
gauche ; nous arrivâmes à Zelle, où nous trou-
vâmes tout en mouvement militaire et la porte où
nous nous présentâmes fermée. Après un quart
d'heure de station, elle nous fut ouverte; nous la
traversâmes et nous 'rendîmes au faubourg situé à la
droite de la rivière, que nous repassâmes à Zelle, où
nous fûmes instruits de ce qui suit par nos compa-
gnons de Picardie.
Cette brigade y étoit en bataille, sa droite au pont
et sa gauche se prolongeant, devant elle une
ravine ou fossé bourbeux dans partie de son
front, adossé à la rivière, et douze compagnies
de grenadiers répandues sur différents points dans
le faubourg. Nos compagnons de Picardie nous
dirent qu'à huit heures du matin, de la lisière du
faubourg, située au midi de la hauteur, les gardes
commencèrent à se fusiller avec nombre de hussards
et quelques chasseurs à pied ; que, vers les dix heures,
on vit paroître des colonnes d'infanterie et de cava-
lerie ; que la brigade de Picardie fut disposée comme
je l'ai trouvée, ainsi que les douze compagnies de
grenadiers ; qu'à midi les ennemis avoient marché
en force, chassé les grand' gardes et les volontaires
de l'armée qui tenoient les haies de la lisière du
166 CAMPAGNES [1757]
faubourg, mais que, du moment que quelqu'un
d'eux avoit voulu passer les haies pour se jeter
dans les vergers dudit faubourg, le canon établi dans
le rempart de Zelle (la rivière coulant au pied de
ses murs) les avoit si bien ajustés qu'aucun d'eux
n'osoit plus s'y hasarder, mais qu'ils étoient demeu-
rés les maîtres de ces premières haies...
Pour dégager les abords de la place, on détruit des clôtures de
planches qui gênaient le tir et on met le feu à un temple luthé-
rien ; les flammes gagnent les maisons voisines ; l'incendie
prend des proportions inquiétantes ; on s'efforce de l'arrêter
par des coupures, en même temps que soldats et officiers
s'emploient à secourir les habitants, à sauver les femmes et les
enfants bloqués dans les logements en feu.
Cette nuit fut donc employée à enflammer ce que
l'on vouloit détruire, ou à arrêter les progrès des
flammes pour ce que l'on vouloit sauver.
Vers les sept heures du matin , on fut pleinement
instruit que les ennemis étoient campés en front de
bandière dans la plaine, au-dessus du faubourg, et
que toutes leurs forces y étoient réimies. A dix heures
du malin, les douze compagnies de grenadiers et la
brigade de Picardie, qui tenoient le faubourg,
eurent ordre de l'évacuer, ce qui fut fait. Les gre-
nadiers rejoignirent respectivement leurs corps et
la brigade de Picardie fut campée, prenant poste à
la droite de l'armée. Ce ne fut pas une petite opé-
ration que de dresser le camp : le froid étoit si vif
et la terre si gelée, qu'à coups de hache il falloit
l'ouvrir pour pouvoir placer les piquets des tentes
et des chevaux. Nous étions alors au 18 décembre.
Dans les sept joints que nous occupâmes ce camp,
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 167
l'armée y étant toute rassemblée, le maréchal de
Richelieu fit toutes ses dispositions pour aller atta-
quer le prince Ferdinand. Voici quelles étoient ses
dispositions, imaginées et dressées par M. le comte
de Maillebois, maréchal général des logis de l'armée,
officier de génie, de grande intelligence, doué abon-
damment des talents militaires, qui eût pu un jour
accroître le nombre de nos grands capitaines Fran-
çois, mais que l'ambition de vouloir conduire et
commander trop tôt les armées et forces du Roi
entraîna dans TafTaire malheureuse qu'il se fit avec
le maréchal d'Estrées le jour de la bataille d'Hasten-
beck, dont les effets furent sa condamnation et l'ar-
rêt des bons services qu'il eût pu rendre au Roi.
Ses dispositions ^ furent donc d'établir deux ponts
sur la droite de l'armée, celui de Zelle rétabli et un
quatrième au-dessus de Zelle. M. de Villemeur ~, avec
un corps de 12.000 hommes, avoit passé la rivière
au pont de la droite; l'armée, sur trois colonnes,
devoit passer sur les trois ponts indiqués. La plus
nombreuse étoit celle de la droite, de 18.000 hommes,
à laquelle M. de Villemeur et ses troupes dévoient se
coudre. Celle qui devoit passera Zelle étoit de 10.000
hommes et celle de la gauche, au-dessous de Zelle, de
6.000. A midi, l'armée fut prévenue de se tenir prête à
marcher. L'ordre du soir fut donné à six heures, où
1. Le détail de ceUe opération fut réglé par le marquis de
Vogué, aide-maréchal général des logis de 1 armée. (Voy. M'* de
Vogué, Une famille vivaroise, II, p. 135.)
2. Jean-Baptiste-François, marquis de Villemeur, lieutenant-
général en 1744, grand-croix.de Saint-Louis en 1761, mort en
1763.
168 CAMPVGNES [1757]
il lui (lil fju'à minuit (c'étoit la veille de Noël), toutes
les troupes se mettroient en mouvement pour se
porlei- au pont où elles étoient destinées à passer la
rivière. L'artillerie, les officiers généraux et tous
les agrès nécessaires au jour d'une bataille rendus
à leur destination à minuit sonnant, on se mit en
marche. I^a saison donne à penser combien le froid
étoit excessif, et cette nuit il sembloit s'être accru ;
pas un officier ne pouvoit tenir à cheval, mais mar-
ehoit couvert de son manteau : ils n'en étoient pas
moins pénétrés du froid ^...
()u'on se représente le soldat vêtu de guêtres,
comme il l'est toute l'année, la plupart sans bas des-
sous et la chair des jambes paroissant à travers les
boutonnières de ces guêtres, commej'en voyois une
infinité ; qu'on se figure, pour les plaindre un peu
plus, que le froid fut si cuisant que, lorsqu'au point
du jour nous arrivâmes au pont pour le passer, où
l'on s'arrêta une demi-heure ou trois quarts d'heure
et où les soldats comme les officiers voulurent man-
ger un morceau, tous les pains étoient gelés, tant ceux
des soldats que ceux dans les cantines des officiers ;
que, pour satisfaire à cet appétit de nécessité, vite et
tôt l'on fit des feux pour faire dégeler le pain. Le
vin étoit également glacé dans les flacons; les offi-
ciers furent obligés de les présenter au feu pour le
1. L'auteur rappelle que, dans son pays de Vivarais, les mule-
tiers obligés de traverser en hiver les montagnes couvertes de
neige, se défendent du froid en plaçant leur bonnet de laine
sous leur veste, du menton au bas-ventre ; il engage ses cama-
rades à se munir de bonnets de laine, très utiles aussi pour se
couvrir la tète pendant les nuits froides.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 169
rendre buvable. La fumée de ces maudits feux étoit
agitée par des vents contraires et notre pain en étoit
imbibé ; je n'apercevois pourtant pas un seul délicat ;
tous mangeoient leur pain, et avec appétit, et loin
d'être étonnés de cette nécessité, elle nous occasionna
des rires et tout le monde étoit joyeux, cbacun pen-
sant mieux soutenir la circonstance que son voi-
sin.
Au petit point du jour, nos soldats de l'infanterie
n'avoient pas été peu réjouis de voir une colonne
de cavalerie qui se prolongeoit sur notre droite ;
plus de la moitié des cavaliers étoient à pied, tenant
la bride de leurs chevaux dans les bras. [Nos sol-
dats] s'amusoient à dire : « On a bien fait de leur
permettre de marcher ; ils se fussent gelés dans leurs
bottes », et la position souffrante où ils les voyoient
dans cette marche les aidoit à supporter gaîment la
leur propre.
Après ces trois quarts d'heure de halte, on se re-
met en marche. Nous passons la rivière sur un pont
de bateaux et la colonne se forme au fur et à mesure
que les troupes passent l'eau, sur un front double
de celui de notre marche de la nuit. Nous montons
la hauteur, où, la tête de la colonne arrivée, nous dé-
couvrons devant nous une plaine de trois quarts de
lieue jusqu'à des bois et d'autres petites hauteurs
qui la terminent.
Lorsque quatre brigades d'infanterie sont passées
et qu'elles se mettent en bataille sur la sommité,
nous commençons à juger que tout le terrain que
nous avons devant nous est découvert et pas un
ennemi. Ils doivent être partis et retirés. Dans cette
170 CAMPAGNES [1757]
incertitude, qui fut de peu de durée, nous décou-
vrons, à notre droite, le corps aux ordres de M. de
Villemeur, qui avoit passé la rivière au-dessus de
nous. In aide de camp du maréchal de Uichclieu
nous arrive et fait part que les ennemis sont en
pleine retraite.
On se remet en marche, faisant gagner les devants
à plusieurs troupes de dragons et de troupes légères
à cheval. Après une marche de deux heures, nous
arrivâmes en vue du camp que les ennemis occu-
poient et dont ils étoient partis à dix heures de
la nuit. Le prince Ferdinand de Brunswick, ins-
truit comme nous du mouvement que notre armée
devoit faire pour l'aller combattre, nous étant infé-
rieur de 10.000 hommes, s'étoit décidé à regagner
Lunebourg et les quartiers qu'il occupoit précé-
demment. Les troupes légères et dragons qui avoient
débouché par le pont de Zelle ramassèrent une cen-
taine de soldats malades et quelques chevaux.
Toute notre armée passa le reste du jour et la
nuit suivante dans le camp qu'avoit occupé l'armée
ennemie ; l'on y fit de grands feux et cette nuit,
tout aussi froide que la précédente, se passa au bi-
vac.Le lendemain, au point du jour, l'armée com-
mença à repasser la rivière à Zelle pour aller re-
prendre le camp qu'elle y avoit laissé tendu, et la
brigade de Picardie, qui fut la dernière à la passer,
n'arriva à son camp que sur les quatre heures de
l'après-midi. Le jour suivant, toute la cavalerie de
la seconde ligne se mit en mouvement pour se
rendre à ses quartiers. Le jour d'après, la première
ligne et successivement l'infanterie et la brigade
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 171
de Picardie rentrèrent à Brunswick (2 janvier
1758).
Les ennemis, rentrant dans leurs quartiers, firent
le siège de Harbourg, dont la garnison, manquant
de tout, après huit jours de canonnade, se ren-
dit; elle étoit composée d'un bataillon du régi-
ment de la Roche-Aymon, deux cents volontaires
de l'armée, aux ordres de M. de Lanoue de Vair\
capitaine du régiment d'Enghien, qui, pendant le
blocus de cette ville, faisoit des sorties fréquentes
pour aller dans les campagnes y enlever des mou-
tons, des cochons et des vaches. Son courage et son
intelligence avoient été de grand secours à cette
place, pour l'aider à subsister.
M. de Lanoue de Vair proposa au général ^ qui y
commandoit, une de ses courses ordinaires ; il sortit
donc avec cent hommes de ses volontaires et passa
la nuit entre les quartiers des ennemis. Comme son
intention n'étoit pas d'être fait prisonnier de guerre
à Harbourg, prévoyant que cette garnison auroit ce
sort et qu'il ne vouloit pas arrêter le cours de ses
services, il arriva à quatre lieues sur le derrière des
ennemis et manda à son général à Harbourg la cha-
1. Joseph-Alexandre, chevalier de la Noue de Vair, fils de
René-François et de M. -M. -Françoise de Tiennes le Carlier, fut
nommé capitaine aide-major au régiment de Marcieu-cavalerie
en 1759.
2. Le marquis de Péreuse, maréchal de camp, qui fit une
très belle défense et ne capitula que le 30 décembre après un
mois (et non huit jours) de canonnade et aux conditions très
honorables que rapporte l'auteur un peu plus loin. Il fut
nommé lieutenant-général le 15 janvier suivant, à cause de sa
belle conduite.
172 CAMPAGNES [1757]
ùci'c |)ai' laquelle il avoit passé à travers la li»ne des
ennemis, que eeux-ci, instruits de sa sortie,
l'avoient fermée, de manière qu'il seroil très impru-
dent à lui de chercher à rentrer dans la place et
qu'il étoit décidé, pour l'impossibilité qu'il y voyoit,
de se retirer en tenant les bois sur le premier poste
de l'armée Françoise ; que si les ennemis qui le sui-
voient le joignoient, il làcheroil par sa défense de
mériter l'estime de son général et des compagnons
qu'il ne pouvoit rejoindre. Il arriva donc à Bruns-
wick, ayant pris cette direction comme la plus sûre
à son projet, sans perdre un seul de ses hommes.
Comme je le connoissois beaucoup, il me narra
tout son fait.
Peu de jours après, nous fûmes instruits par les
habilanls du pays que Harbourg avoit capitulé, avec
la condition que sa garnison rentreroit en France
et que d'un an elle ne pourroit servir contre les
ennemis et leurs alliés, n'emmenant avec elle que
les effets à elle appartenant et les chevaux, que tout ce
qui appartenoit au Roi resteroit aux ennemis, ce qui
fut ainsi fait et suivi, et alors M. de Lanoue de Vair
fut très satisfait de la conduite qu'il avoit tenue.
Cet officier étoit natif de Saint-Quentin en Picar-
die; il continua ses services avec distinction et fut
tué quelques années après, d'un coup de canon.
M. le maréchal de Broglie, commandant alors l'ar-
mée, le regretta beaucoup. Ce fut lui qui, pour la
bataille de Bergen, avoit suivi toute la progres-
sion de la vallée de la Quinche, commandant
400 volontaires faisant une espèce d'avant-garde
en avant de celle des ennemis, auxquels il ne ce-
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 173
doit le terrain que lorsqu'il ne lui étoit plus possible
de le conserver davantage, instruisant à chaque
instant le maréchal de Broglie de tout ce qu'il sa-
voit, de manière que, la dernière journée, se repliant
à Bergen, il mena les ennemis au maréchal, qui fut
attaqué le lendemain. On voit qu'il dut lui être de
grande utilité et combien il dut en être regretté.
Quant à moi qui le connoissois particulièrement, je
le regrettai beaucoup. Mon amitié avec lui venoit
d'avoir été de brigade avec Enghien pendant les
guerres de Flandre, de garnison à Metz et de ce
qu'il avoit une tante religieuse à Sainte-Ursule, au
Bourg-Saint-Andéol, nommée M™" de Liberta, qui
lui étoit fort attachée ^ .
On doit prévoir combien une campagne de huit
mois, se terminant dans une saison aussi dure que
celle que nous donnoit le mois de janvier, dut pré-
parer l'armée françoise à éprouver des maladies fâ-
cheuses, pour peu que l'on s'arrête sur la différence
du climat et sur la manière dont cette armée s'étoit
nourrie.
La dureté de la saison, dans cette dernière course,
avoit porté le maréchal de Richelieu à fermer les
yeux, avec trop de complaisance et point assez de
réflexion, sur la maraude que faisoit son armée ; elle
étoit si complète en bêtes à laine, vaches, bœufs et
cochons, qu'elle se portoit jusque sur les meubles,
1. Une sœur de Libertat figure en effet parmi les religieuses
du couvent de Sainte-Ursule, au Bourg-Saint-Andéol, le l^"" juin
1764, où elle signe un acte en qualité de zélatrice du couvent.
On la retrouve comme assistante dans plusieurs actes de 1768
à 1783. (Archives du Bourg-Saint-Andéol, GG. 62-64.)
174 CAMPAG>'ES [1757J
linge et effets de toute espèce. Les chefs des régi-
ments et ofïicicis particuliers suivoient à cet éi^ard
la tolérance gcncialcincnl répandue ; le soldat est
toujours un être indiscret ; il en éloit une infinité
d'eux qui mangeoient par jour jusqu'à six livres de
viande et souvent huit, et ils payèrent chèrement
telle i<loutonnerie.
(>ette armée fut donc frappée d'une maladie épi-
démique, dont le principe étoit des vers ; dans l'es-
pace de vingt-quatre heures, ceux qui en étoient
atteints expiroient. On les ouvroit et on trouvoit à
tous des pelotons de vers qui, montant à la gorge,
les avoient étouffés. Il périt donc de cette maladie
ou autres occasionnées par différentes raisons un
cinquième delà portion soldatesque, et ce qui prouve
que toutes venoient d'avoir trop mangé de viande,
c'est qu'à la garnison de Brunswick, composée de
deux brigades d'infanterie, d'un régiment de cava-
lerie, d'un de dragons, d'un détachement d'artillerie
et d'un de troupes légères, il ne mourut pas un seul
officier : quelques-uns furent malades, mais sans mort
aucune, tandis qu'en soldats, il en périt mille K..
J'aime à croire que si le maréchal de Richelieu
1. L'auteur consacre plusieurs pages à des considérations gé-
nérales sur l'indiscipline, la maraude, les exactions, sur les
ravages que ces désordres font dans l'armée. Il est très sobre
de détails sur l'arrivée du comte de Clermont, nommé à la
place de Richelieu au commandement de l'armée, sur les pre-
mières opérations de ce prince et sur la lamentable retraite
qu'il fut obligé de faire devant la vigoureuse offensive du
prince Ferdinand, sur son passage du Rhin avec des troupes
délabrées. Il est très sévère pour Riclielieu, pour son impré-
voyance, sa légèreté; néanmoins il le regrette.
[1757] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 175
eût continué à commander l'armée, instruit de ce
que faisoit son ennemi, il eût paré à tous les maux
qu'il nous fit et que [les fruits de] la victoire du
maréchal d'Estrées et [de] la sienne par la capitula-
tion de Rlosterseven eussent pu être mieux con-
servés et défendus.
Le comte de Clermont, prince du sang de nos
rois, qui vint le remplacer, attaqué en même temps
qu'arrivé, ne connaissant pas même la position
qu'occupoit l'armée qui lui étoil confiée, que pou-
voit-il contre le prince Ferdinand dans un pays où
tout étoit [nouveau] pour lui, sinon chercher un
asile ? et c'est ce qu'il fit.
Le peu de temps qu'avoit l'armée du Roi pour
commencer la campagne prochaine fut employé à
se vêtir et aux réparations de tout genre. Pour recru-
ter l'armée, on lui incorpora quinze miliciens par
compagnie, dont la force totale étoit de quarante
hommes, et aux frais des capitaines, le reste, pour
se compléter, ayant été envoyé en recrue dès le
mois de novembre.
CAMPAGINE DE 1758.
L'armée, depuis la fin de mars jusqu'à la fin de
mai, s'occupa avec toute activité à réparer tous les
habits et les armes, à instruire et à former les recrues
qu'elle avoit reçues pour se compléter, qui, dans le
plus grand nombre des régiments d'infanterie, étoient
moitié des compagnies.
A la fin de mai, M. le comte de Clermont est
instruit que les ennemis sont en marche et qu'ils
se disposent à passer le Rhin, au-dessus de Clèves ;
il donne des ordres pour le rassemblement de son
armée.
La Cour lui a donné M. de Mortagne ^ lieute-
nant-général ; cet officier avoit acquis ses grades
au service de l'empereur Charles, électeur de Ba-
vière ; on comptoit sur ses talents pour aider le
prince de ses lumières.
Le rendez-vous pour assembler l'armée est dési-
gné à Rheinberg ; toutes les troupes sont en marche
et s'v rendent. Pendant ce temps, les ennemis passent
le Rhin, établissent un pont qu'ils ont à leur suite à
Rees, où toute leur armée achève de le passer, et,
continuant toujours leur manœuvre de nous menacer
1. Ernest-Louis Mortani, comte de Mortagne, lieutenant-
général en 1745, mort en 1762.
[1758] CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. 177
par la gauche, semblent vouloir se diriger vers la
Meuse et se portent en force à Goch, qui termine
leur gauche. liC comte de Clermont envoie M. le
comte d'xirmentières ^, lieutenant-général, avec la
brigade de Picardie et une autre, et deux brigades
de cavalerie, qui se portent vers Auten, pour être
instruit de leurs mouvements. Un autre corps, à peu
près de même force, est envoyé sur leur droite pour
le même objet.
Les ennemis dépassent Gueldre et viennent
s'emparer des hauteurs d'Alpen [9 juin, au matin].
Ce mouvement fait rentrer au camp de Rheinberg
le détachement de M. d'Armentières et celui qui
avoit marché pour observer leur droite. On place à
l'abord du camp, en avant de la gauche de notre
camp, M. de Vogué 2, lieutenant-général, avec
1.000 hommes d'infanterie, et une brigade d'infan-
terie intermédiaire pour le soutenir. Vers la droite
1. Louis de Brienne Conflans, marquis d'Armentières, né en
1711, maréchal de France en 1768, mort en 1774.
2. Charles-François-Elzéar, marquis de Vogué, né à Vogué
le 13 juillet 1713, mort à Aubenas le 15 septembre 1782,
Entré au service en 1729, capitaine aux dragons d'Armenon-
ville en 1730, colonel d'Anjou-cavalerie en 1736, maréchal général
des logis de la cavalerie en Italie en 1746, colonel de Dauphin-
dragons en 1746, maréchal de camp en 1748, fît avec distinc-
tion les campagnes d'Italie de 1733 et de 1745. Aide-major
général de l'armée de Hanovre en 1757, maréchal de camp en
1758, lieutenant-général en 1758, inspecteur général de la
cavalerie en 1760, major général de l'armée d Allemagne en
1762, la commande en chef pendant l'hiver de 1763 ; gouver-
neur de Montmédy en 1763, commandant en second en Alsace
en 1764 et en chef en Provence en 1777. Chevalier de Saint-
Louis en 1743 et du Saint-Esprit en 1778.
12
178 CAMPAGNES [17581
M. de Blot \ colonel d'Orléans, est jeté en avant
dans les haies sur le penchant des hauteurs d'Alpen,
avec 400 hommes.
A la pointe du jour, une colonne paroît sur les
hauteurs et s'y met en bataille. Une demi-heure
après, on y voit arriver nombre d'artillerie. Vite et
tôt les deux brigades de la droite forment un déta-
chement de 400 hommes que l'on fait marcher en
avant pour soutenir M. de Blot et être intermédiaire
entre lui et le camp ; je suis de ce détachement, qui
se porte à un bouquet de bois de saules au milieu
de la petite plaine qui sépare le camp des hauteurs
d'Alpen. Les ennemis établissent leurs artillerie et
canons contre M. de Blot et son détachement. Comme
notre détachement marche à ce bouquet de bois, ils
le couvrent aussi, mais arrivés à la faveur [?] des
fossés qui l'enveloppent, nous nous plaçons si à
couvert, par l'intelligence de M. de Rocqueval, capi-
taine de Picardie, qui le commandoit, que, malgré
quatre heures de canonnade que nous essuyâmes,
il n'y eut pas un seul homme de touché. A côté de
ce bosquet étoit une case que nous eûmes ordre
d'incendier, ce qui fut fait.
Comme quelques-uns des boulets des ennemis
(venant de pièces de treize tirées à toute volée)
furent rouler jusqu'au camp, l'on plaça sur une petite
butte, à sept ou huit cents pas du camp en avant, huit
pièces de douze qui commencèrent leur artillerie
sur leurs lignes, où nous vîmes que nos boulets
1. Gilbert de Chauvigny, comte de Blot, colonel du régiment
de Chartres en 1753, puis d'Orléans en 1758, lieutenant-général
en 1780, mort en 1785.
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 179
donnoient parfaitement, ce qui détermina cette ligne
à se porter en arrière et à se couvrir de la hauteur.
Pendant ce temps, un détachement des leurs, qui
vouloit sans doute connoître la force du détachement
de M. de Blot, se porta en avant en descendant les
hauteurs d'Alpen. Ils firent replier les petits postes
avancés et M. de Blot, voyant qu'ils n'étoient pas
nombreux, fit marcher 200 hommes à eux, qui,
montant courageusement et rapidement, leur firent
tourner tète et à coups de fusil les suivirent jusqu'à
leur arrivée sur la sommité des hauteurs. Le déta-
chement, ayant ordre de ne pas pousser plus loin,
revint joindre M. de Blot.
Le feu de l'artillerie se continua jusque vers les
cinq heures du soir, que les ennemis le disconti-
nuèrent et retirèrent leur artillerie. Notre camp
resta tendu toute la journée.
M. le comte de Clermont, instruit que l'armée des
ennemis avoit marché par la droite pour nous
devancer à Meurs s'ils le pouvoient, la retraite fut
générale à notre armée et de suite on plia bagages
et se mit en marche. Au point du jour, nous, qui
faisions l'arrière-garde, arrivâmes à Meurs, où l'ar-
mée se reposa quelques heures et après partit pour
Puys, où nous arrivâmes le soir et campâmes
quelques jours.
M. de Saint-Germain, lieutenant-général, qui avoit
acquis son avancement et ses grades comme M. de
Mortagne au service de l'empereur Charles VII, élec-
teur de Bavière, ayant à ses ordres 8.000 hommes, eut
l'ordre d'aller s'emparer de Crefeld [14 juin], ce qu'il
exécuta, et quelques jours après, toute l'armée quitta
1<S0 CAMPAGNES [1758]
Puys et vint camper sur deux lignes, se couvraiit
du liandAvehr', (Irefeld en avant, à un demi-quart
d'heure de marclie, la l)ri"ade des srrenadiers de
l'ranee et celle de Navarre en potence des deux
lignes faisant face au levant et formant là un corps
de réserve dont il sera parlé.
Nous restâmes quelqu(\s jours dans cette posi-
tion. A dix heures du malin, les troupes en avant
prévinrent M. le comte de Clermont que l'armée
des ennemis étoit en marche sur plusieurs colonnes.
Nous fûmes nombre d'officiers de la brigade qui
nous portâmes à un moulin à vent intermédiaire du
Landwehr qui couvroit notre front à Crefeld, où
nous avions un détachement de 800 hommes. De
là, plusieurs officiers généraux de jour, entre autres
M. de ïraisnel ', [aujourd'hui] lieutenant-général,
virent une colonne d'infanterie avec beaucoup d'ar-
tillerie qui filoit dans les bois de l'autre côté de Cre-
feld, à une demi-portée de canon. M. de Traisnel
courut sur-le-champ au quartier général pour assurer
à M. le comte de Clermonl qu'il alloit être attaqué.
On donna ordre aux 800 hommes qui étoient à Cie-
feld de se replier sur l'armée, ce qu'ils firent
sans être inquiétés.
A midi, on battit la générale, le camp fut mis bas
et tous les équipages eurent ordre de se porter vers
Huys [Huis?], où l'armée se mit en bataille dans
1. Fossé formant la séparation du comté de Meurs et du pays
de Cologne.
2. Claude-Constant de Ilarville, marquis de Traisnel, né en
1723, mousquetaire en 1738, lieutenant-général en 1762, grand-
croix de Saint-Louis en 1781, mort le 15 vendémiaire an III.
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 181
l'ordre où elle étoit campée. A midi et demie,
quelques coups de canon furent tirés à la gauche
et le feu s'y augmentant annonça que les coups
décisifs se porteroient là. M. le comte de Saint-
Germain y commandoit onze bataillons qui en cou-
vroient le flanc. Les ennemis, la tournant par les
bois, débouchèrent dans la plaine ; leur infanterie y
fut chargée par les carabiniers qui leur passèrent
sur le ventre, mais avec pertes. La brigade d'Aqui-
taine-cavalerie y souffrit aussi beaucoup. La se-
conde ligne des ennemis fit sur ces deux brigades
un feu de canon et de mousqueterie épouvantable
et, chargées en même temps par de la cavalerie enne-
mie, elles furent forcées de se retirer.
M. de Saint-Germain, avec ses onze bataillons,
soutenoit toujours le combat contre les forces prin-
cipales des ennemis et se maintint plus de trois
heures à raison d'un contre quatre au moins. Il
avoit fait demander des troupes à M. le comte de
Clermont, qui avait ordonné que sur-le-champ il lui
en fût envoyé ; mais la jalousie et la vengeance parti-
culière que quelques officiers généraux sont, mal-
heureusement pour le bien du service du Roi,
capables d'exercer dans les événements de la plus
grande importance, furent ici marquées d'une
manière non équivoque. La position de M. de Saint-
Germain étoit d'être cousu à la gauche de l'armée,
en couvrant le flanc. Rien n'empêchoit de faire
usage des brigades d'infanterie de la seconde ligne,
qui par un simple à gauche pouvoient être rempla-
cées par celles qui les avoisinoient, mais, par une
fatalité dictée et non de marche comme M. de
182 CAMPAGNES [1758]
Morlagne le prétendoit, la brigade de Navarre et
celle des grenadiers, campées en potence sur la
droite de l'armée, furent celles qui furent mandées
pour se porter à la gauche et être de secours à
M. de Saint-Germain.
Qu'on observe que ce secours ne fut mandé que
lorsque M. de Saint-Germain étoit déjà en partie
épuisé du combat qu'il soulenoit avec les onze
bataillons à ses ordres, et que l'aide de camp partit
à ce moment pour aller chercher ces deux brigades
en bataille à la droite, à trois quarts de lieue au
moins du lieu où l'on vouloit les porter. Le temps
du trajet pour celui qui portoit cet ordre, le temj)s
de la marche nécessaire à ces deux brigades pour
arriver ne pouvoit que donner aux ennemis celui
d'écraser le corps de M. de Saint-Germain. Les
choses se passèrent ainsi et je puis assurer que non
seulement les officiers qui étoient attachés à la
droite de l'armée, où étoit la brigade de Picardie,
ainsi que ses chefs, mais généralement tout ce qui la
composoit fûmes très étonnés, en voyant la marche
de Navarre et des grenadiers de France, qui
appuyoienl à nous, d'être instruits qu'ils marchoient
pour aller joindre M. de Saint-Germain.
M. de Saint-Germain, forcé, comme il ne pouvoit
manquer de l'être, abandonna son terrain, se retirant
derrière les lignes de l'armée, et cette armée, qui étoit
restée dans sa position de camp, canonnée par son
flanc et par son front, n'eut plus que le moyen de
la retraite, pour ne pas augmenter sa perte, la
gloire et les avantages du prince Ferdinand qui
eussent pu suivre de rester plus longtemps dans une
[1758] DE MERGOYROL DE BEAULIEU. 183
position si critique. La retraite fut ordonnée, elle se
fit le plus tranquillement possible ; les ennemis nous
firent ce qu'on appelle le pont d'or.
J'observai que, pendant tout le temps que dura
cette bataille, il étoit visible à tous les yeux que les
ennemis avoient on ne peut pas moins de forces
sur tout le front de l'ordre qu'ils tenoient, leur
gauche en avant de Crefeld ; que, pour nous en impo-
ser, ils avoient répandu sur ce front un nombre assez
considérable d'artillerie poussée en avant de leurs
lignes, qu'à peine nous aperçûmes, se couvrant du
terrain favorable à cette affaire. Toute leur force
principale étoit donc à leur gauche, où ils vouloient
réussir. Notre droite étoit inattaquable par son flanc
vu l'escarpement où elle appuyoit, les bois très
fourrés qui en couvroient le terrain et l'impossibi-
lité apparente que l'on pût y conduire de l'artillerie
et impénétrable pour de la cavalerie.
C'étoit donc sur ce flanc impénétrable que l'on
avoit placé la réserve, composée des grenadiers de
France et de la brigade de Navarre ; elle étoit là en
parade pour le brillant du quartier général qu'elle
couvroit ; aussi ne servit-elle qu'à cet effet et on
remplit les gazettes pour justifier le général Mortagne
du mot de fatalité inconcevable qui avoit égaré ses
deux brigades dans leur marche pour joindre
M. de Saint-Germain, ce qui est de toute fausseté et
la preuve est que, pour arriver à leur point ordonné,
elles filoient derrière les lignes et en les suivant,
toujovns à vue à leur droite ; la direction étoit
marquée par elles et le bruit de l'attaque les eût
éclairées.
184 CAMPAGNES [1758]
Je dois ajouter ici une chose qui déplut l)eaueoup
à noml)ie d'olïiciers particuliers, dont j'élois ; c'est
que ]M. de Saint-Pern \ lieulenant-général, qui con-
duisoit cette colonne, voulant sans doute faire
montre à toute l'armée, qu'elle parcouroit sur le
derrière, de son ordre en bataille, faisoit marcher
cette colonne en belle ordonnance, exacte dans ses
rangs et ses files. Quelle lenteur cela n'apportoit-il
pas encore à son impossibilité d'arriver ? Ses tam-
bours battoient aux champs et la colonne en suivoit
le pas lent et cadencé.
(( Quelle différence! » disoient quelques vieux offi-
ciers du régiment, qui avoient fait les campagnes
d'Italie en 1733, 1734 et 1735. A une des batailles
(qui s'y gagnèrent toutes), le roi de Sardaigne y
commandant en personne, la brigade de Picardie,
à son poste de la droite, fut mandée par ce monar-
que pour se porter vers le centre, où étoit le combat
principal. Elle s'y rendit dans un pas presque de
course ; les plus lestes arrivèrent les premiers ; cet
empressement réveilla le courage et donna de nou-
velles forces à ceux qui étoient déjà fatigués de
combattre ; la mousqueterie devint plus vive et,
par un effort, tous ensemble cherchèrent à joindre
les ennemis avec la baïonnette ; l'affaire fut décidée
et la bataille gagnée, ce qui valut à la brigade de
Picardie une lettre de remerciement de la part du
roi de Sardaigne, que ce régiment conserve dans
ses archives, et ce prince donna un de ses ordres à
1. Vincent-Juddes, marquis de Saint-Pern, né en 1683,
lieutenant-général en 1748, commandeur de Saint-Louis en
1750, mort en 1761.
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 185
M. du BlaiseP, lieutenant-colonel de ce régiment.
A ceux qui avoient fait les campagnes de la guerre
de 1741, 42, 44, 45, 46, 47 et 48, je disois : « Vous
rappelez-vous l'attaque des lignes de Weissembourg
en Alsace, en 1744 ? Vingt-cinq bataillons aux ordres
de M. de Lutteaux, lieutenant-général, venant d'Op-
penheim et faisant sa retraite pour joindre le maré-
chal de Coigny, commandant l'armée, vu que les
ennemis avoient passé le Rhin à Germersheim,
s'étoient emparés de Lauterbourg, de Weissembourg
et de ses lignes ; la brigade de Picardie faisoit
l'arrière de ces vingt bataillons. Le maréchal de
Coigny ordonne l'attaque de Weissembourg et de
ses lignes. M. de Lutteaux et sa division, au premier
coup de canon qui se fait entendre, se remettent en
marche. M. de Vassé, colonel de Picardie, représente
à M. de Lutteaux que, marchant aux ennemis dont
nous étions à une lieue et demie, son régiment doit
marcher à la tète de la colonne. — « Je le veux bien,
« lui répond ce général, mais mon projet étant de ne
« pas ralentir ma marche, prenez à droite dans les
« terres ; la colonne tient la chaussée de Landau et
« Weissembourg, gagnez-en la tète. » M. de Vassé
rend cet ordre à son régiment ; il s'élance dans les
terres et, au pas très redoublé, malgré les sillons et
terrains labourés, il gagne la tète de cette colonne,
et sa colonne, dont l'ordre étoit par demi-bataillon,
1. Antoine du Blaisel de la Neuville, capitaine au régiment
de Picardie en 1704, mort en 1734. Probablement père d'An-
toine-Joseph du Blaisel de la Neuville, enseigne de Picardie
en 1730, lieutenant-général en 1762, grand-croix de Saint-Louis
en 1787.
186 CAMPAGNES [1758]
présente sa tète sur les hauteurs en face des lignes
où étoient encore les ennemis. Cette nouvelle armée
qui venoit se joindre à celle qui les attaquoit les
décida à la retraite. »
La marche lente de M. de Saint-Pern déplaisoit
dans son début à tout militaire témoin et sembloit
annoncer un fâcheux augure, qui se vérifia malheu-
reusement. M. de Bréhant, notre colonel, par son
courage ardent, eût bien voulu que l'on eût marché
en avant, passé le Landwehr et que l'on fût allé
chercher les ennemis, que l'on eût culbutés l)ien aisé-
ment, si peu ils avoient de troupes à leur gauche,
leurs forces étant réunies à leur droite, l.a retraite
fut ordonnée'; il fallut obéir. Il n'y eut d'autres
troupes qui nous suivirent que quelques centaines
de hussards, qui, pour la première fois depuis vingt-
cinq ans, frappèrent les oreilles de la brigade et de
l'armée par le mot : « Victoria, Victoria ». Aux
premières haies que nous fûmes dans le cas de
mettre entre eux et nous, on laissa bon nombre de
tireurs, qui, se cachant le plus exactement, les lais-
sèrent bien approcher et vnie décharge faite à propos
en culbuta plusieurs ainsi que des chevaux. Là ils
prirent congé de nous et nous fûmes délivrés de
leurs cris de « Victoria » qui, venant à plusieurs de
nous pour la première fois, nous étoient fort incom-
modes et fort nouveaux [23 juin]. Toute l'armée se
retira à Huys, à peu près dans la position que
nous avions quittée quelques jours auparavant, et
les blessés furent envoyés à Dusseldorf.
Cette journée coûta à l'armée françoise environ
3.000 hommes tués ou blessés. M. de Mortagne
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 187
pouvoit s'y [couvrir] de gloire, s'il eût employé la
moindre portion du talent militaire qui lui avoit fait
confier la conduite d'un prince du sang pour les
opérations militaires. Qu'il eût soutenu M. de Saint-
Germain par les troupes de la gauche de la seconde
ligne (qui, par un seul à gauche, se remplaçant suc-
cessivement, eussent repoussé et lassé le prince Fer-
dinand), le champ de bataille et l'honneur eussent
été pour lui.
Le prince [comte de Clermont], lorsqu'on lui
annonça que la bataille étoit perdue et qu'il fal-
loit se retirer, voyant tout le fâcheux de cette
journée, dit : « Je n'avois pas besoin d'aide et seul
j'en eusse bien fait autant. »
L'armée étoit instruite de la mésintelligence qu'il
y avoit entre le général Mortagne et M. de Saint-
Germain et disoit hautement que ce premier avoit
tout fait pour le laisser écraser et tuer. M. de Saint-
Germain eut la gloire, avec onze bataillons, de
soutenir pendant trois heures toutes les forces du
prince Ferdinand. Tout prouve donc qu'il eût été
vainqueur, s'il eût été secouru. Les régiments à ses
ordres se conduisirent avec valeur et les officiers
qui les commandoient avec intelligence. Jamais
bataille perdue ne donna plus de regrets, par la
raison que le plus ignorant des généraux l'eût
gagnée, vu qu'il ne lui falloit que faire battre
quelques bataillons de plus qu'il avoit sous la main,
sans en aller chercher à la droite, à trois quarts
de lieue [de l'endroit] où se passoit l'action.
Le prince Ferdinand, qui avoit sans doute vu que
nous avions fait tout le possible pour lui laisser le
18S CAMPAGNES [1758]
champ (If la victoire, satisfait d'en jouir, se contenta
de le garder, sans chercher à nous faire suivre.
T. 'armée fit donc deux lieues et demie pour se
rendre à Huys.
Si l'intelhgence et les connoissances du prince
Ferdinand l'engagèrent à chercher à quel dieu ou
à quel malin génie il dut la victoire, il dut découvrir
aisément que ce fut à la jalousie et à la haine que
leMortagne portoit au Saint-Germain, fomentées lors
des services de ces deux généraux sous Charles VII,
empereur et électeur de Bavière, où tous deux
avoient fait fortune, et l'anecdote que je vais lap-
porter ci-après va convaincre combien ell'^s étoient
invétérées peut-être dans leurs deux cœurs, et, pour
l'accréditer, je dois dire que je la tiens de M. de
Gell), aujourd'hui lieutenant-général des armées du
Roi, lequel commença ses services chez l'électeur de
Bavière. Lorsque M. de Saint-Germain passa à ce
même service, ledit Gelb, natif de Strasbourg, y étoit
lieutenant. M. de Saint-Germain se l'attacha et
celui-ci, content d'avoir un patron, s'y voua. M. de
Saint-Germain lui procura une compagnie de dra-
gons. A la mort de Charles VII, empereur et élec-
teur de Bavière, MM. de Mortagne et de Saint-Ger-
main passèrent au service de France. On donna à
M. de Saint-Germain le grade de maréchal de camp ;
il avoit celui de lieutenant-général au service de
Bavière et, pour le dédommager de la différence de
grade, on lui ajouta un régiment de son nom. Pourvu
de ce régiment, il se rappela M. de Gelb, dont il
s'étoit fait un ami, et demanda pour lui la lieute-
nance-colonelle de son régiment ; elle lui fut accor-
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 189
dée et ledit Gelb vint en France en prendre
possession, abandonnant la majorité d'un régiment
de dragons qu'il avoit en Bavière : par ses bons
services il fut successivement brigadier, maréchal
de camp et lieutenant-général des armées du Roi.
Il venoit souvent au régiment de Picardie y voir un
frère qui y étoit aide-major, officier de distinction
par son attache à son métier et par les talents mili-
taires innés en lui. M. le maréchal duc de Broglie,
en différentes circonstances, l'avoit justement appré-
cié et ce fut à cette considération qu'il le nomma,
pour l'hiver de 1760 à 1761, major de la ville de
Gôttingue où commandoit M. de Vaux, aujourd'hui
maréchal de France. Sa position de major le dis-
pensant de marcher avec aucun des détachements
qui sortoient très fréquemment de cette place aux
ordres de M. le comte de Belsunce K il sortit néan-
moins à un d'eux et, voulant aller reconnoître un
nombre de chasseurs hanovriens, il fut avec tant
d'indiscrétion à portée et si près d'eux, qu'il fut tiré
et si bien ajusté qu'il y fut tué ; le Roi perdit un
zélé serviteur qui, dans les suites, n'eût manqué de
le bien servir et dont on eût pu tirer grand parti pour
le grand de la guerre. Lié donc de connoissance
avec le frère aîné et mie trouvant à ses ordres,
causant sur les événements que produit la guerre, la
conversation roula aisément sur M. le comte de
Saint-Germain, auquel il étoit par tant de titres
1. Armand, vicomte de Belzunce, né en 1722, lieutenant au
régiment du Roi en 1740, colonel du régiment d infanterie de
son nom en 1749, lieutenant-général en 1762.
100 C.VMPAGNES [1758]
justement attaché ; nous parlâmes de la bataille de
Crefeid, où ce généial avoit servi avec autant de
distinction que de courage ; il échappa à M. de Gelh
de dire : « Ah ! le maudit Mortagne ! » Je lui deman-
dai l'explication de ce qu'il vouloit dire : « La voici,
me dit-il, c'est une anecdote du temps des ser-
vices de M. de Saint-Germain et de M. de Mor-
tagne près de Charles Y 11, électeur de Bavière et
empereur »
M. de Gelb raconte alors que l'infortuné (Charles VII, chassé
de sa capitale par les Autrichiens, cherchait les moyens d'y
rentrer. Munich était gardée par 6.000 Autrichiens. Saint-Ger-
main, qui avait des intelligences dans la place, lui proposa de
s'en emparer par surprise. L'Empereur accepta à condition que
Mortagne fût de l'expédition. Les deux généraux reçurent
chacun un corps de 3.000 hommes et convinrent des détails de
l'opération. Arrivé le premier au rendez-vous, au milieu de la
nuit, Saint-Germain fut informé par un de ses affidés que les
Autrichiens avaient évacué la place en y laissant 600 hommes.
Mortagne n'ayant pas répondu à ses signaux, il s'empressa de
faire escalader le rempart, non défendu, et s'empara de toutes
les portes de la ville. Quand Mortagne arriva, la place était
prise et les hussards de Saint-Germain, par manière de plai-
santerie, l'accueillirent avec leurs bonnets ornés de branches
vertes, symbole de victoire. Mortagne fut très mortifié et,
suivant Gelb, « garda à M. de Saint-Germain un venin éternel,
venin qu'il ne manifesta que trop le jour de la bataille de
Crefeid, comme il a été rapporté ci-devant ».
Après deux jours de camp à Huys, l'armée se porta à
Worringen, où elle resta plusieurs jours, mais tout
se disposoit sur ses derrières à ouvrir des marches
rétrogrades ; on assuroit qu'elles étoient jusqu'à
Cologne et Coblenz ; les bureaux des postes étoient
déjà partis sur cette direction et, au moment oii
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 191
l'armée croyoit la prendre, arriva ordre à M. le comte
de Clermont, général de cette armée, d'en remettre
sur-le-champ le commandement à M. de Contades*,
lieutenant-général, et lui de sa personne de revenir
à la Cour. Le commandement de l'armée fut donc
remis à M. de Contades [8 juillet], à qui, du Cabinet
de Versailles, on donnoit l'ordre précis de marcher
en avant. Le comte de Clermont partit le lende-
main de son ordre reçu et, le jour suivant, l'armée
françoise se mit en marche sur plusieurs colonnes
pour se porter en avant.
A peine notre colonne de la droite d'infanterie,
aux ordres de M. de Chevert, avoit-elle fait deux
lieues et demie ou trois lieues, que nous enten-
dîmes au devant de nous et découvrîmes une
escarmouche entre nos troupes légères et celles
des ennemis. M. de Chevert ordonna à la
colonne de faire halte et se porta au galop au
régiment de Turpin hussards, placé sur la sommité
des hauteurs dont nous étions à une petite demi-
lieue. M. le duc de Brissac ~, lieutenant-général,
qui commandoit la colonne de cavalerie de droite,
ordonna halte à celle à ses ordres, à l'imitation de
M. de Chevert, qui, arrivé à la sommité des hau-
1. Louis-Georges-Erasme, marquis de Contades (1704-1793),
fit la campagne d'Italie en 1734, comme colonel du régiment
de Flandre, puis du régiment d Auvergne ; maréchal de camp
en 1740, lieutenant-général en 1745, il prit part aux campagnes
sur le Rhin et en Flandre. Maréchal de France en 1758, il
quitta l'armée après la malheureuse campagne de 1759 et reçut
en 1762 le commandement de la province d'Alsace.
2. Jean-Paul-Timoléon de Cossé, duc de Brissac, né en
1698, maréchal de France en 1768, mort en 1784.
lî>2 CAMPAGNES [1758]
leurs, convint avec les chefs de ses troupes légères
de la nécessite d'empêcher que sur aucun des points
les ennemis pussent y arriver, étant très important
de leur cacher ce qui se passoit derrière, d'y être
donc de la plus grande fermeté.
M. de Chevert et le duc de Brissac reviennent
donc au galop. M. de Chevert ordonne que la
colonne d'infanterie se mette en marche, disant
qu'il est de la plus grande importance que cette
marche se fasse très légèrement, vu qu'il est pres-
sant de gagner les hauteurs qui sont devant nous.
La brigade de Picardie, celle de Belsunce, une troi-
sième et pour quatrième celle de Navarre, qui
composent la colonne, s'ébranlent. M. de Chevert
ordonne que la colonne se forme par demi-batail-
lon ; la tête de la colonne marchant toujours vive-
ment, il est aisé de concevoir que les pelotons qui
doubloient sur les autres pour prendre cette ordon-
nance étoient obligés de l'exécuter au pas de
course. Le souvenir de la lenteur de la colonne qui
nous avoit tant choqués à la bataille de Crefeld,
il n'y avoit guère qu'un mois, nous éloit si présent
qu'il triploit la force de notre marche et, quoique
le terrain fût toujours en montant et dans des
chaumes, nous ne mimes pas vingt-cinq minutes
pour parcourir cette demi-lieue, ce qui mit tous nos
soldats à la nage, le jour étant très chaud.
M. le duc de Brissac conduisoit sa colonne de
cavalerie diagonalement à droite, pour la dévelop-
per ensuite à droite et à gauche. La colonne d'in-
fanterie arrivée sur la crête de la hauteur, la pre-
mière division y fit halte et les autres successivement
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. • 193
se mirent sur sa gauche en bataille, ce qui fut exé-
cuté par trois de ses brigades; la quatrième, celle
de Navarre, fut placée au village un peu en avant de
la droite; la colonne de cavalerie se déploya en
bataille, sa gauche près du premier bataillon de
Picardie.
Venons actuellement à ce que nous aperçûmes
[14 juillet]. Toute l'armée des ennemis en bataille à
une demi-lieue de nous, dont le centre étoit au
village et hauteur de Frowiller, adossé au ruisseau
qui traverse cette plaine. Clomme nos trois brigades
se formoient en bataille : « Allons, Messieurs de
Picardie, nous disoit le général Chevert, disposons-
nous à la bataille que nous allons avoir. » Il pouvoit
être alors environ deux heures de l'après-midi.
Comme il suivoit la progression de l'ordre de bataille
et comme les différents régiments de ses brigades
arrivoient, il tenoit à tous le même langage. Sa
courte ligne fut bientôt formée. Pendant ce temps,
le duc de Brissac disposoit la sienne de cavalerie.
Comme l'on ignoroit si l'on seroit attaquant ou
attaqué, la brigade de Navarre s'arrangeoit à rendre
le village qu'elle occupoit de difficile accès.
Nos troupes légères, à notre arrivée, avoient poussé
celles des ennemis et leur avoient fait perdre quelque
terrain. L'escarmouche se continuant, on plaça, en
avant de la droite du régiment, huit pièces de canon
de huit, qui firent quelques décharges sur les
troupes légères des ennemis.
M. le comte du Châtelet, colonel alors de Na-
varre (aujourd'hui lieutenant-général, colonel du
régiment du Roi), proposa à M. le marquis de Con-
13
194 CAMPAGNES [1758]
tildes, qui commandoil l'armée et venoit d'arriver à
cette droite, de faire établir une batterie sur un
terrain avantageux à défendre par la hauteur qu'il
présentoit du côté des ennemis, en avant du village
où étoit la brigade de Navarre et d'où les boulets
eussent très incommodé la ligne des ennemis.
Le marquis de Contades considéra qu'il voyoit
toute l'armée des ennemis réunie qui, ce jour
tout comme nous, faisoit une marche en avant
et dont le projet étoit de la terminer au même
terrain que nous commencions à occuper, et qu'à
riiein-e de deux heures, il n'y avoit d'arrivés que les
quatre brigades d'infanterie dites et environ trente
escadrons de la colonne du duc de Brissac.
A trois heures et demie, une autre colonne d'in-
fanterie de six brigades vint se coudre à nous. Tout
le monde pestoit d'impatience de ce qu'une autre
colonne du centre d'infanterie et celle de la gauche
de même arme aux ordres de M. le comte de
Guerchy ' , de même que celle de cavalerie qui mar-
choit à sa gauche, ne paroissoient. Je pense bien
qu'à quatre heures et demie toute l'armée fut à
portée d'être réunie. Une infinité d'officiers de tous
grades ont prétendu que M. de Contades manqua,
en n'attaquant pas les ennemis ce jour-là, le plus
beau de sa vie.
Je dois dire ici, sur cette journée qui attira tant
de blâme audit général de Contades, ce que j'y ai
vu, non pour chercher à l'excuser, comme dans ce
1. (-laude-Louis-François de Régnier, comte de Guerchy,
né en 1715, lieutenant-général en 1747, mort en 17G7.
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 195
temps même, dans des conversations entre ofïieiers
particuliers, on vouloit me l'imputer. Je ne pouvois
être porté par nul motif de tolérance et aujourd'hui
je ne puis l'être davantage, affirmant premièrement
que, lorsque le marquis de Contades fut nommé
général, je ne fus instruit qu'alors qu'il existoit,
n'ayant dans nulle circonstance connu ses talents
militaires et n'ayant jamais servi sous ses ordres ;
et secondement que, depuis qu'il est maréchal de
France, j'ai eu avec toute l'armée occasion d'éprou-
ver son savoir-faire, comme il en sera parlé ci-après.
En troisième lieu, depuis la paix de 1762, j'ai passé
cinq ans, dont trois à Strasbourg et deux à Lan-
dau, villes de son commandement, et pour affir-
mer de plus fort la vérité le concernant pour la
journée de Frowiller, je veux dire ici ce qu'en temps
de paix j'ai observé sur ce général, étant à portée
de le voir tous les jours, lors de sa résidence à
Strasbourg, et dire en général l'opinion à son égard.
Ce maréchal, aujourd'hui, par la mort du maréchal
de Richelieu, chef du tribunal, est d'un caractère
doux, fort honnête, prévenant et a toute la répu-
tation qui caractérise l'honnête homme et le bon
citoyen, enclin au commerce des dames et aimant
la société des trois de la première qualité de Stras-
bourg, avec lesquelles il vivoit dans la plus grande
intimité, passant partie des étés à la campagne avec
elles, très peu d'officiers, même supérieurs, admis
à ce cercle, ce qui prouve le dégoût que ses mal-
heurs militaires lui avoient donné pour cet état. Il
se conduisoit avec la plus grande réserve, observant
religieusement son ton de silence (ne lui ayant
106 CAMPAGNES [1758]
jamais ouï j)ail{'i' du moindre fait d'armes). Ses
dîners à la ville étoient eomposés presque toujours
de militaires, les dames n'y étant pas admises; le
courant des nouvelles du jour en faisoit les conver-
sations et jamais un mot du métier de ceux qu'il
régaloit n'étoit admis. Sa retenue à cet égard ordon-
noit à un chacun de l'observer. Il étoit plus gai à
ses soupers, où les dames étoient nombreuses, mais
les préférences marquées pour les trois élevées,
qu'on nommoit les trois poules, satisfaisant peu les
autres, répandoient du froid cliez elles toutes et
tout y étoit triste. Toutes ces raisons et observations
[faites en temps] de paix ne sont pas pour être
prévenu en sa faveur. Je n'ai jamais été connu de
lui que très superficiellement et je dirai en peu de
mots ce que j'eus occasion de remarquer à la marche
sur Frowiller.
L'armée étant en marche, trois quarts d'heure
avant d'arriver au lieu où M. de Chevert et le duc
de Brissac firent faire halte à leurs colonnes, l'une
d'infanterie et l'autre de cavalerie, nous avions
commencé à entendre quelque bruit sourd de coups
de fusil et trois ou [quatre] que nous étions deman-
dâmes à M. de Bréhant la permission de nous por-
ter en avant pour prendre connoissance de ce que
c'étoit, ce qu'il nous permit. Nous exécutâmes ce
projet en allant obliquement à droite d'où les coups
paroissoient venir, gagnâmes la première hauteur
à notre droite, d'où nous ne découvrîmes rien.
Nous traversâmes une petite plaine, gagnâmes la
hauteur qui la terminoit, d'où nous aperçûmes des
troupes à cheval qui faisoient l'escarmouche avec
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 197
d'autres qui étoient les ennemis. Nous pouvions
être à trois quarts de lieue de ces combattants. Nous
suivîmes la crête de la hauteur où nous étions, par
notre gauche, afin de nous rapprocher de notre
régiment qui y marchoit ; nous l'aperçûmes et le
joignîmes quelques minutes avant que M. de Chevert
n'arrêtât sa colonne, d'où l'on apercevoit le petit
combat que nous avions déjà observé et dont notre
reddition de compte à M. de Bréhant devenoit inu-
tile puisqu'il découvroit et voyoit lui-même ce que
nous pouvions lui dire.
J'ai dit comment ces deux colonnes de la droite
gagnèrent la hauteur. Je répète ici que, lorsqu'elles
arrivèrent, il étoit deux heures après midi, qu'il
étoit cinq heures que l'armée étoit à peine prête à
être réunie, mais qu'elle ne l'étoit pas ; que les
ennemis avoient toute leur armée en bataille et
toutes les troupes assises sans nul mouvement de
leur part ; qu'avant que les dispositions et ordres
pour combattre eussent été donnés et exécutés, il
eût été six heures de l'après-midi ; qu'il nous restoit
une petite demi-lieue à faire pour aller à eux et
qu'avant de pouvoir les joindre, il ne nous fût pas
resté deux heuresde jour, et les mouvements eussent
été précipités, réflexions que ne pouvoit manquer
de faire M. de Contades, qui depuis vingt-quatre
heures commandoit l'armée, laquelle, un mois aupa-
ravant, avoit eu bataille avec celle qui lui étoit en
présence, celle-ci ayant été victorieuse. Cette pre-
mière réflexion ne pouvoit que l'inquiéter.
Sa seconde pensée étoit que M. le prince de
Soubise et avec lui le duc de Broglie, lieute-
lî)8 CAMPAGNES [1758J
nant-général (aujourd'hui maréclial de France),
marchoient daus le pays de Hesse avec une armée de
"2''i.000 hommes, (jue les forces des ennemis dans
cette partie, toutes réunies, n'étoient pas de plus de
12.U00 ou l.'J.OUO hommes. lien résultoit donc que
l'armée du prince ne pouvoit manquer, sans même
combattre, de les pousser toujours devant soi, de
ruiner la Hesse, de se porter en Westphalie et se
trouvant sur les derrières des ennemis, le fleuve du
Rhin entre deux, Wesel place très forte qui pouvoit
la partager, le pont du prince Ferdinand établi à
Rees qui n'en étoit pas éloigné, tous les vivres pour
l'armée de ce prince interceptés, son pont même
pris, que devenoit son armée sur la rive gauche du
Rhin? M. de Contades, en ne rien hasardant, étoit
donc moralement sûr de faire repasser le Rhin à ce
prince. M. de Clontadcs pouvoit me^me avoir des
ordres de ne rien hasarder. La promesse du bâton
de maréchal de France, assuroit-on, lui étoit faite
si les ennemis repassoient le Rhin. Il craignoit au
moins d'agir à bâtons rompus, étant bien évident
que, sans compromettre les forces du Roi à l'évé-
nement toujours incertain du sort d'une bataille,
il arrivoità son but en temporisant, ce que l'événe-
ment justifia, puisqu'à la suite de cette campagne
il fut fait maréchal de France.
Revenons aux armées que nous avons laissées en
présence. La nuit tombée, les ennemis établirent
des feux sur tout leur front. Nous en fîmes autant,
ce qui fit penser à plusieurs que le jour nous trou-
veroit dans la même position et que la bataille
deviendroit inévitable. Le prince Ferdinand ne
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 199
pensoit pas ainsi : du moment que la nuit fut close,
il commença sa retraite. Toutes les patrouilles que
l'on poussoità chaque instant en avant rapportoient
que les ennemis étoient en marche pour passer le
ruisseau qui étoit derrière eux. Une, deux et trois
fois on fut en rendre compte à M. de Contades,
qui passa la nuit au village qu'occupoit Navarre ; à
ces différentes redditions de [compte], il répondoit :
« Cela suffit. » A la troisième, il ordonna qu'on eût
à le laisser reposer tranquillement, ayant besoin de
repos.
Comme l'armée franeoise passa la nuit au bivac
et que la plupart des officiers se promenoient sur
son front, cherchant à observer si les feux des
ennemis avoient toujours la même vivacité, nous
aperçûmes une colonne de cavalerie qui filoit entre
un de leurs feux et nous ; nous avions toute la
facilité d'en compter toutes les divisions, marquées
par les officiers qui, les séparant, marchoient à leur
tête. Il étoit alors onze heures du soir. M. de
Bréhant envoya un sergent dire cela de sa part à
IVI. du Châtelet, colonel de Navarre, pour qu'il le
fît parvenir à M. de Contades. Enfin, à force de
certitude de la retraite des ennemis, on frappa à la
porte de la chambre où reposoit le général ; il étoit
environ deux heures du matin et, sur le récit de
tout ce qui lui fut dit, il ordonna un détachement
de troupes légères en infanterie et cavalerie pour
tâcher de joindre ce qui leur seroit possible de leur
arrière-garde. Avant que ce détachement fût assem-
blé et qu'il se mît en mouvement, il étoit trois
heures.
200 CAMPAGNES [1758]
La marche ne pouvoit être que lente dans
des terrains inconnus, coupés par des ravins dont
il falloit cliercher les passages, ce qui n'est pas aisé
dans la nuit ; aussi le point du jour leur arriva qu'ils
n'étoient pas à un quart de lieue d'où ils étoient
partis. Ils aperçurent dans le lointain quelques
queues d'infanterie et quelques escadrons de troupes
à cheval. Ils y marchèrent avec rapidité ; tout étoit
déniché de la plaine, où il n'y avoit plus personne.
La retraite totale de l'armée étoit faite. Clette queue
d'infanterie qu'ils avoient aperçue d'abord, se trou-
vant dans des positions couvertes, tout le long du
ruisseau, y fit halte et les quelques escadrons de
cavalerie qu'ils avoient également vus disparurent.
L'infanterie passa le pont et il s'établit une fusillade
entre elle et la nôtre, de peu d'importance, vu le
petit nombre de part et d'autre, et, les ennemis se
repliant successivement, ils passèrent le ruisseau
et là finit le combat.
Tout le profit que fit ce détachement fut une
pièce de canon de vingt-trois livres de balles, ren-
versée dans le ruisseau avec son aflVit, par la mala-
dresse sans doute de son conducteur, et que les
ennemis pressés n'eurent pas le temps de retirer. Le
ruisseau passé, ils établirent leur camp sur la som-
mité des hauteurs qui bordoient ce ruisseau. Notre
armée en fit autant ; elle établit son camp, la droite
où elle se trouvoit, Navarre rentrant en ligne et
remplacé par une garde seulement de cinquante
hommes. La gauche fut rapprochée de Frowiller.
On resta dans ce camp dix ou douze jours et
le prince Ferdinand le même temps dans le
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 201
sien, qu'il quitta à l'entrée de la nuit pour se porter
en arrière. Le soir du jour qui suivit son départ,
M. de Contades reçut la nouvelle de l'avantaee
remporté par M. le duc de Broglie sur les troupes
alliées près de Cassel [à Sandershausen, 23 juillet],
dont il s'étoit emparé le même jour.
Dès lors, il fut visible à toute l'armée que le
prince Ferdinand alloit faire des marches rétro-
grades pour gagner son pont à Rees, y repasser
le Rhin et aller au secours des pays alliés dont
étoit composée son armée. Il fit une seconde marche
en arrière, tandis que nous la faisions en avant. De
marche en marche, sans qu'il se passât rien de bien
intéressant, il se rapprocha à une journée de son
pont de Rees.
M. de Chevert, qui avoit formé le projet d'aller
s'emparer de ce pont par la rive droite du Rhin,
passa ce fleuve à Dusseldorf avec deux brigades
d'infanterie ; il prit deux bataillons qui y étoient
arrivés ; à Wesel, il prit encore quelques troupes et
de l'artillerie.
Ce point étoit trop intéressant au prince Fer-
dinand pour qu'il l'eût négligé : il y avoit envoyé
un renfort de ,5.000 hommes, qui, joint à ce
qui y étoit, pouvoit en former 9.000. Celui qui
y commandoit, instruit de la marche de M. de
Chevert, qui croyoit l'y surprendre, chercha à le
surprendre lui-même. Bien instruit par les gens du
pays, qui étoient Prussiens, il se porta environ une
lieue et demie en avant de la tête de son pont, y
prit une position avantageuse et là attendit M. de
Chevert, qui, rempli du coup important qu'il alloit
202 CAMPAGNES [1758]
porter et au moment où ses troupes furent engagées
où son ennemi le vouloit, fut attaqué avee toute la
ehaleur et l'impétuosité possibles.
Les régiments à ses ordres se défendirent molle-
ment, étonnés d'être surpris ; il ne put tirer nul parti
de son canon, qui, engagé dans un chemin creux
à l'entrée d'un village, fut tout pris, ses troupes
canonnées et fusillées : point d'ordres, puisqu'il n'en
avoit été donné aucun de prévoyance, les diffé-
rentes troupes pêle-mêle. Le tout se retira à Wesel
avec perte, le général peu content des troupes et
les troupes se plaignant de son excès de sécurité,
qui lui avoit dicté de mauvaises dispositions et une
confiance aveugle, cause du malheur de cette jour-
née où l'on perdit 600 hommes tués, blessés ou pris
[combat de Meer, 5 août!.
Cet événement fut d'un tort infini à M. de Che-
vert, qui, de soldat parvenu, seroit peut-être mort
maréchal de France, ce qu'on regardoit comme cer-
tain si cette journée eût répondu à tout ce qu'il s'en
promettoit, car il eût rendu un grand service au
Roi.
Le prince Ferdinand, instruit de cette tentative et
des progrès de l'armée de Soubise, dont l'avant-
garde, aux ordres du duc de Broglie, venoit de
battre tout ce que les alliés y avoient de troupes,
se décida à repasser promptement le Rhin. En con-
séquence, il fit tous ses préparatifs, faisant filer
d'avance à son pont et le passer tout ce qui pou-
voit rendre sa marche lourde, tardive, et l'embar-
rasser. Il forma une arrière-garde de 12.000 hommes
de l'élite de ses troupes, qu'il poussa en avant sur
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 203
des détachements qui l'observoient, dont le princi-
pal, de 5.000 hommes, étoit aux ordres de M. de
Saint-Germain, qui, malgré la prévoyance et le
talent de cet officier général, courut le risque d'être
attaqué par des forces supérieures en terrain désa-
vantageux, la cavalerie qui faisoit partie de ce
détachement étant restée en arrière. Comme je
faisois nombre de ce détachement, je suis bien
aise de raconter comme le tout se passa et quelles
furent les ressources de M. de Saint-Germain pour
éviter d'être attaqué dans un moment où certaine-
ment il ne croyoit pas devoir l'être...
Suit un long et peu intéressant récit des petites manœuvres par
lesquelles Saint-Germain, surpris à l'arrière-garde par un déta-
chement ennemi supérieur au sien, parvint à se dégager sans
pertes et à en imposer à l'ennemi qui se retira et se mit à cou-
vert dans un bois.
Du moment où la colonne ennemie fut rentrée
dans le bois, M. de Saint-Germain, sans doute plus
tranquille sur les suites de cette apparition inatten-
due, me dit : « Écoutez, Monsieur de Beaulieu (ma
connoissance avec ce général pouvoit dater de 1748,
ayant été à ses ordres à Louvain, et plus fraîchement
de 1751 à 1753, ayant passé plus de deux ans à ses
ordres à Givet où il étoit employé et d'où il passa
au commandement du Hainaut),il me dit donc : « Je
vais vous confier une de mes voitures qui est ici,
non que j'y aie de l'argent, mais bien des papiers
qui me sont très précieux, et que je désire con-
server de préférence à tout ce qui peut m'appar-
tenir ; vous prendrez avec vous les cinquante
204 C.UIPAGNES [1758]
hommes tlu puiuct à vos ordres avec (li\ hussards
et un maréchal des logis que je vais vous faire
doniKM" ;... vous la conduirez jusqu'au camp et vous
la conlicrez au régimcnl de la Marine. »
Ma mission accomplie, je retrouvai M. de Saint-
Germain à dix heures du soir, dans un petit hameau
où il occupoit ime maison et avec lui M. le comte
de Lusace',fils du roi de Pologne, électeur de Saxe
et frère de Madame laDauphine, alors en volontaire
à ce détachement où il étoit venu pour son insti'uc-
tion.
J'y fus introduit et rendis compte au général de
ma mission et de ma rentrée, lui demandant ses
ordres pour rentrer dans l'ordre de la ligne, où
mon piquet devoit être placé. Sa réponse fut de me
demander si j'avois soupe. T.a mienne, que je n'avois
fait aucune halte depuis mon départ du camp. —
« Où est votre détachement? — En hataille vis-à-
vis la maison que vous occupez. — Eh bien, mettez-
vous à table et soupez. » Et il dit à un de ses aides
de camp : « Allez dire à ce détachement de se
joindre à ma garde et de se reposer », ce qui fut
exécuté. Telle fut l'occasion qui me procura de
souper avec M. le comte de Lusace, de profiter de
toutes les réflexions militaires que narra le comte
de Saint-Germain et de passer le reste de la nuit
avec le général et le prince.
1. Fr. -Louis-Xavier de Saxe, second fils d'Auguste III, né en
1730, mort en 1806. Entré au service de France à vingt-cinq ans,
lieutenant-général en 1758. Résidence en France : Pont-sur-
Seine. Emigré en 1793. Ses collections et ses archives furent
confisquées et transportées à Troyes.
[1758] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 205
La marche de trois quarts de lieue qu'avoit faite
M. de Saiut-Germain, en se prolongeant sur la
droite, étoit pour suivre le mouvement qu'avoient
fait les troupes ennemies que nous avions aperçues
le matin et qui, occupant toujours des bois et pays
couverts, clierchoient à nous dérober la marche
rétrograde de l'armée du prince Ferdinand.
La nuit se passa de manière que, pendant toute sa
durée, notre détachement, à deux portées de fusil des
ennemis, entendoit parfaitement tous les cris d'u-
sage sur les patrouilles qu'ils faisoient, comme ils
dévoient entendre les nôtres. Au petit point du jour,
on cessa de les entendre, ce qui donna suspicion
qu'ils étoient partis. On poussa différents petits
détachements en avant, qui s'enfoncèrent dans le
bois à une certaine distance et, n'ayant rencontré
personne, en rendirent compte. M. de Saint-Germain
vint se mettre à la tête de son détachement, envoya
reconnoître pour la deuxième fois et, sur le compte
qui lui fut rendu, se mit en marche, poussant dif-
férentes troupes par échelons, pour ne pas tomber
dans le même inconvénient que le jour précédent.
Après avoir fait environ une lieue, en nous méfiant
toujours du bois qui étoit à la gauche de la marche et
en tenant les hauteurs qui le prolongeoient, nous
nous trouvâmes en face d'une petite plaine et là le
détachement s'arrêta et fit la soupe.
L'armée marcha ce jour-là et vint camper sur le
terrain que nous occupions. M. le maréchal de Con-
tades, tenant toujours au système qu'il s'étoit fait
de ne rien hasarder et entreprendre sur l'armée des
ennemis, fit rentrer à leurs corps respectifs toutes
206 CAMPAGNES [1758]
les difFérentcs troupes qui formoient le détaehement
de M. de Saint-Germain et celui de M. le comte de
Séi^ur ', joints ensemble depuis trois jours. Ce déta-
chement, (jui liit de cinq jours, fut très fatigant et
pénible pour ceux qui le composoient. M. de Con-
tades poussa d'autres petits détachements en avant
de lui, pour avoir seulement nouvelles des ennemis,
lesquels faisoient force de marches pour arriver à
leur pont de Rees et y passer le Rhin, ce qu'ils exé-
cutèrent sans le plus petit inconvénient, tant le gé-
néral Clontades leur fit ce (ju'on appelle vulgairement
un pont d'or.
L'armée marcha le lendemain, traversa les l)ru-
yères et plaine d'Alpen, campa sa droite à une lieue
de Wesel ; quittant ce camp le lendemain, la pre-
mière ligne passa le Rhin et campa sous le canon
de Wesel et, le jour suivant, la seconde ligne se
joignit à la première et elles y firent leur séjour. Le
troisième, elle marcha, fit trois lieues et prit une
position de camp très militaire. Le lendemain, le
prince Ferdinand vint reconnoitre la situation de
notre camp, qu'il trouva bien prise, ce qui lui donna
une très bonne idée des talents de M. de Contades.
Nous ne restâmes que deux jours dans ce camp : le
prince Ferdinand ayant fait encore une marche
rétrograde et évacué Haur, nous marchâmes en
avant. M. de Contades prit encore une très bonne
position de camp.
1. Pliilippe-IIenri, comte puis marquis de Ségur, né en
1724, lieutenant-général en 1760, ministre de la guerre de
1780 à 1787, maréchal de Fraiicr en 1783, mort en 1801 .
[1758] DE MERGOYROL DE BEAULIEU. 207
Il se passa ce jour-là un combat assez vif entre
toutes les troupes légères des ennemis, les nôtres et
quelques régiments de dragons de ce camp. M. de
Chevert parti avec une division de 8.000 hommes
pour se joindre à l'armée de M. le prince de Soubise,
vu que le prince Ferdinand avoit détaché de la
sienne 10.000 hommes pour joindre l'armée hes-
soise et les armées alliées opposées à l'armée de
Soubise, ces deux armées qui se cherclioient se
joignirent sur le terrain de Lutzelberg, où la bataille
se donna [10 octobre]. M. de Chevert y attaqua la
gauche des ennemis, qui, battue, se replia. Au centre
et à la gauche de notre armée, on se contenta de se
canonner, et les ennemis firent leur retraite à la
faveur des bois auxquels ils étoient adossés ; leur
perte fut de 2.000 hommes tués ou blessés et 500 ou
600 prisonniers. L'honneur de cette journée fut pour
IVI. de Chevert, dont la division prit quelques dra-
peaux, quatre étendards et huit pièces de canon ; elle
le dédommagea de sa catastrophe du pont de Rees.
Cette bataille, où je n'étois pas et dont j'ai parlé
si brièvement, eût dû porter quelque compensation
à celle de Rossbach perdue par le prince de Soubise,
mais comme les hommes sont injustes, on s'étoit
longtemps entretenu de celle perdue de Rossbach et
à peine à l'armée, à la Cour, à la capitale et dans le
royaume, parla-t-on du gain de celle de Lutzel-
berg.
M. de Chevert rejoignit à Haur l'armée de IVI. de
Contades avec les troupes qu'il avoit amenées en
Hesse, où l'armée finit la campagne et d'où elle
partit pour venir prendre ses quartiers en se cou-
208 CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. [1758]
vrant du Kliin (jue toute l'armée repassa à Wcsel.
L'armée de Souhise prit les siens en se eouvrant
(lu Main. Le quartier général fut établi à Francfort.
Ce prince fut à la Cour et le commandemeni de
cette armée fut confié à M. le duc de Broglie, lieute-
nanl-général. Le re'giment de Picardie fut placé :
trois de ses bataillons à Gocli et le quatrième à
Guenneppe, ces deux quartiers entre le Rhin et la
Meuse.
A l'armée du général Contades tout fut tranquille
jusqu'au moment de son rassemblement pour ouvrir
la campagne qui de voit suivre.
CAMPAGNE DE 1759.
Par la position des quartiers d'hiver de l'armée
des alliés, remplacement de leurs troupes, l'impossi-
bilité de ne rien pouvoir entreprendre sur l'armée du
maréchal de Contades (arrivé à ce grade suprême
depuis peu et pour récompense de ses services de la
campagne précédente, qui, sans rien hasarder ni
compromettre les troupes du Roi,avoitde marche en
marche conduit et suivi le prince Ferdinand, l'avoit
forcé de repasser le Rhin pour courir au secours de
l'armée hessoise battue par le duc de Broglie avec
l'avant-garde seulement du prince de Soubise qu'il
commandoit[Sandershausen, 23 juillet 1758]), ilétoit
de toute nécessité [pour le prince Ferdinand] d'a-
bandonner la rive droite du Rhin, où il se promet-
toit des conquêtes, pour aller défendre ses pays.
Le duc de Broglie, prévoyant avec raison que
l'armée qui lui étoit confiée, ayant ses quartiers der-
rière le Main et un cordon de troupes légères seu-
lement en avant, seroit le point susceptible d'être
insulté si l'armée du prince Ferdinand vouloit entre-
prendre une campagne d'hiver (comme il l'avoit
exécuté de 1757 à 1758), mit donc tout en usage
pour se mettre à l'abri de toute insulte et d'être sur-
pris, si l'orage se formoit, ne pouvant être dirigé
que vers lui. Il profita des leçons du feu maréchal
son père, auquel on donnoit le talent supérieur de
14
210 CAMPAGNES [1759]
pouvoir rassembler promptement ses quartiers au
rendez-vous indiqué et avoir en peu de temps son
armée formée, et joignit aux talents de son père les
siens et toute l'activité d'un général de son âge à
l'expérience d'un vieux guerrier.
A peine les régiments étoient-ils arrivés dans les
dineienls quartiers où ils dévoient passer l'hiver, que
le duc de Broglie avoit dressé l'ordre de marche pour
chacun d'eux, de quelque espèce d'arme qu'il fût, le
temps de leur départ et de leur arrivée au rendez-vous
qu'il se proposoit (calculé sur les heures ou les jours
nécessaires pour que chacun pût s'y rendre sans em-
barias dans sa marche et trouver sur son chemin les
vivres nécessaires tant pour les hommes que pour
les chevaux).
Ces ordres furent donc dressés pour tout ce qui
avoit rapport au rassemblement de son armée ; il ne
leur manquoit que la date et d'être signés. Pour tout
ensemble, deux fois vingt-quatre heures lui suffî-
soient pour que chacun se portât au rendez-vous.
Il avoit dressé son ordre de bataille sur le terrain
où il vouloit combattre. Le tableau qu'il en avoit
dressé régiment par régiment devoit mettre à même
celui qu'il chargeroit de cette exécution, l'occasion
venant, de le remplacer sans difficulté et sans la
moindre confusion.
Il avoit donc tout préparé et disposé dans le secret,
calculant la force de son armée de 30.000 à 35.000
hommes ; le champ de bataille qu'il s'étoit fixé répon-
doil à ce nombre. Cependant, pour ne rien négliger,
les forces de l'ennemi qui marcheroit à lui pouvant
être très supérieures, il avoit demandé au Hoi d'être
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 211
autorisé à pouvoir donner l'ordre à douze bataillons
de l'armée du maréchal de Contades de venir le
joindre si le cas le requéroit et, pour cela, il avoit
décidé qu'il les tireroit de la garnison de Cologne,
aux ordres de M. de Saint-Germain, sur le talent
duquel il établissoit beaucoup pour ce renfort. Le
Roi adhérant à la justesse de sa prévoyance, il fut
ordonné à M. de Saint-Germain d'obéir, avec douze
bataillons de l'armée du maréchal de Contades, en
tout ce que M. le duc de Broglie lui commanderoit.
Tout prévu, il ne resta plus au duc de Broglie que
de chercher avec la plus grande attention à être
instruit de tout ce qui se passoit à l'armée des enne-
mis, ce qui rencontroit bien des difficultés dans un
pays où tout étoit pour eux. Le prince Ferdinand, tant
de loin que dans le silence, disposoit ses mouvements
(qui ne dévoient éclore qu'en avril, temps de la foire
de Francfort), dont la réussite, qu'il espéroit, le ren-
dant maître de cette ville plus opulente à cette
époque que dans toute autre, il se promettoit, avec
motif de grande vérité, d'en tirer des subsistances
qui l'eussent bien payé et dédommagé de sa venue.
Mais le duc de Broglie, aussi discret et prévoyant que
lui, fut prévenu à temps de sa marche, qui s'effectua
en effet en avril et pendant le temps de la foire
de Francfort. Tous ses ordres furent mandés, le
premier à M. de Saint-Germain, comme étant le
plus éloigné, et le rendez-vous indiqué dans ledit
ordre étoit à Bergen, situé à demi-lieue en avant de
Francfort.
Je dois dire ici que le duc de Broglie avoit poussé
sa prévoyance si loin, qu'au cas où il eût été malheu-
212 CAMPAGNES [1759]
reux à Bergen, il s'étoil choisi, à mi-chemin de ce
hoiirg à Francforl, un second champ de hataille, dont
hi position éloit tout aussi bonne que celle de Bergen,
et que son projet étoit d'y arrêter et rallier ses
troupes pour y attendre une seconde bataille, et que,
dans la supposition de continuité d'infortune, il se
seroit retiré à FrancCort, qu'il eût défendu avec tous
ses débris.
H faut noter qu'après minuit, jour de la bataille
de Bergen [13 avril], il arriva au rendez-vous
indiqué trois régiments, dernières des troupes au\
ordres du duc de Broglie. Le jour précédent et pen-
dant la nuit, à mesure que les différents régiments
d'infanterie arrivoient, M. de Gelb, dont j'ai déjà
parlé, brigadier à cette épo((ue, les plaçoit suivant
l'ordre de bataille qu'il avoit reçu du duc de
Broglie, dans les ligne et terrain qu'ils dévoient
remplir. D'autres officiers de l'état major étoient
chargés de ceux de cavalerie, dragons ou hussards.
jM. le chevalier de Lanoue de Yair instruisoit à
chaque instant M. de Broglie de la marche rapide
de l'armée du prince Ferdinand ; il le joignit à cinq
heures du soir, veille de la bataille, au lieu du
rassemblement, poussé par une multitude de troupes
légères, et lui ayant seulement à ses ordres 400
hommes du moment de sa dernière reddition
de compte, car de poste en poste il avoit parcouru
toute la vallée de la Quinche, disputant autant qu'il
lui étoit possible le terrain et instruisant son géné-
ral de tout ce qu'il savoit.
Au point du jour, les troupes légères des ennemis
parurent sur les hauteurs en avant de Bergen et l'es-
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 213
carmouche s'établit entre elles et les nôtres. N'ayant
pas été présent à cette Ijataille, je me contenterai
de dire que l'on s'y battit de part et d'autre avec
beaucoup d'opiniâtreté, que les ennemis repoussés
avec pertes très considérables de toutes les attaques
qu'ils tentèrent et lassés, le prince Ferdinand ordonna
la retraite, qui se fit avec beaucoup de désordre,
jusqu'à la sommité des hauteurs où ils avoient d'a-
bord paru en bataille et d'où ils étoient partis pour
venir attaquer l'armée Françoise. Ils se reformèrent
sur les hauteurs, le feu du canon de notre part et
de la leur se continuant ; au bout de quelque temps,
ils retirèrent leur artillerie et après commencèrent
leur retraite. Le duc de Broglie, instruit que leurs
forces étoient de plus de 40.000 hommes, les siennes
étant à peine de 30.000, ne les fit suivre que par les
troupes légères, qui ne leur apportèrent pas grand
dommage. Il cantonna ses troupes et, bien assuré
que les ennemis en avoient leur compte, il fit partir
tous les régiments pour que chacun eût à retourner
dans son quartier.
M. de Saint-Germain, parti de Cologne avec
douze bataillons pour se joindre au duc de Broglie,
n'arriva de sa personne à Bergen qu'après la retraite
des ennemis, ayant même laissé ses troupes à
quatre lieues du champ de bataille. Si la jalousie dont
son cœur étoit susceptible eût pu honnêtement se
manifester, elle eût paru pour tous les yeux. Ces
deux généraux se firent des compliments, mais la
sincérité paroissoit seule du côté du vainqueur, qui
jouissoit seul et purement de sa victoire, qu'il ne
devoit qu'à la justesse de sa prévoyance... Dans
214 CAMPAGNES [1759]
le silence il avoit loiil préparé, tout disposé, tout
reconnu ; aussi. |)()iii l'iuit de ses travaux divers, la
victoire couroniioil son Iront de nouveaux lauriers,
d'autant plus précieux qu'ils furent peu arrosés du
sang l'raneois, mais trempés abondamment dans celui
des ennemis, dont la perte ("ut de plus de 7.000
hommes, et la nôtre de 1 .400 à 1 .500 tués ou blessés ^ .
M. de Saint-Germain, avec sa division de douze
bataillons, letourna à (lologne, et j'ai recueilli dans
le temps, par une infinité d'officiers du régiment de
Champagne qui en faisoient partie, que des journées
que cette division avoit eu à faire pour se joindre
au duc de Broglie, la plus forte avoit été de trois
lieues et que, si elle eût marché comme elle le devoit,
elle fût arrivée et de reste le jour de la bataille.! lette
lenteur se trouva prouvée encore par la marche
lente que M. de Saint-Germain mit pour se rendre
à Corbach, comme il en sera parlé ci-après, car
tous ces motifs réunis formèrent l'orage qui disgracia
M. de Saint-Germain
Après cet heureux événement, que le prince Fer-
dinand avoit pensé devoir être tout autre, l'armée
resta paisible jusqu'au mois de mai, qu'elle com-
mença à se mettre en mouvement. Celle aux ordres
du maréchal de Contades passa le Rhin à Wesel,
se porta jusqu'à Hanes ~, où elle resta un si long
nombre de jours sans se mouvoir que ce fut alors
1. L'auteur exagère sur la foi de récits erronés :les pertes
furent sensiblement égales des deux côtés et ne dépassèrent
guère 3.000 hommes hors de combat.
2. Mot sans doute erroné, dont la note de la page 216 donne
l'explication probable .
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 215
que la capitale, toujours sage dans ses observations,
ajouta au nom de maréchal de Contades : baron
de Hanes, ce qui se confirma à l'armée.
Celle aux ordres du duc de Broglie s'assembla en
avant de Francfort, marcha en Hesse, arriva à Cas-
sel, que les ennemis abandonnèrent et, environ à
une lieue et demie, se choisirent une position à pou-
voir attendre et combattre le duc de Broglie, dont
toutes les forces réunies pouvoient être de 20.000
hommes. Le surplus des troupes à ses ordres pen-
dant l'hiver et après la bataille de Bergen avoit joint
l'armée de Contades pour la rendre d'égalité et même
supérieure à celle du prince Ferdinand.
Le duc de Broglie dépasse Cassel avec sa petite
armée, reconnoît le plus exactement possible les
position et contenance de l'armée ennemie, forte de
17.000 à 18.000 hommes, et quelque avantageux que
soit le camp qu'ils occupent, le vainqueur de Bergen
voit le moyen de vaincre, fait toutes ses dispositions,
attaque, force ce camp, dont la droite au Weser et
la gauche à des bois (ce qui rendoit ces deux appuis
inattaquables), il pénètre par le centre, les bat
après un combat opiniâtre, et ce n'est que par des
mouvements bien exécutés et le courage des troupes
animées par sa présence qu'il obtient la victoire.
Les ennemis perdirent, en tués, blessés ou prison-
niers, 2.500 hommes ; ils eussent pu perdre infini-
ment davantage si les bois n'avoient favorisé leur
retraite, de manière à ne pouvoir être suivis, et,
abandonnant absolument le pays de Cassel, ils se
retirèrent vers Minden et de là à Brémen. Le prince
Ferdinand nous abandonna la plus grande partie de
216 CAMPAGNES [1759]
la Weslphalie et le cours du Weser jusqu'à cinq lieues
au-dessus de AIinden,où il se fil joindre parles troupes
battues à Sandershauseu par le due de Broglie '.
M. le maréchal de ( lontades suivoit le prince Fer-
dinand, qui avoit laissé environ 2.000 hommes à
Munster. I^e maréchal de (-ontades, en passant, fit
bloquer cette place, se fu joindre par le duc de Bro-
glie et les troupes à ses ordres, laissa 15.000 hommes
pour faire le siège de Munster et se porta à Minden,
où il s'établit, sa droite à cette ville et sa gauche
vers la gorge de Lubbecke. La position de son camp
étoit bonne et le prince ne fût pas venu l'y chercher.
1. Le récit de l'auteur paraît se rapporter aux opérations de
l'année précédente : la bataille qu'il prétend avoir été gagnée
par le duc de Broglie ne peut être que celle de Sandershauseu
(23 juillet 1758). Entre Bergen et Minden, en 1759, le duc de
Broglie ne livra aucun combat. L'auteur a été trompé par ses
souvenirs ou par de faux renseignements sur les mouvements
des corps auxquels il n'appartenait pas. Tout son récit est à
rectifier. Voici le résumé des opérations tel qu'il résulte des
documents officiels :
Contades concentra toutes ses troupes autour de Giessen
(Hesse) pendant le mois de mai 1759 et ne laissa autour de Wesel
qu'un petit corps commandé par le marquis d'Armentières, avec
l'ordre de passer le Rhin le 15 juin et d'assiéger Munster qu'il
investit le 9 juillet. Peut-être Armentières s'arrêta-t-il un peu
longtemps à Hamm et faut-il chercher le nom de cette ville
dans le mot incompréhensible Hanes ?
Quant à Contades, il se mit en marche dans les premiers jours
de juin, occupa Cassel le 11 juillet et Minden le 15 sans avoir
rencontré l'ennemi. Sa réserve, forte de 18 bataillons et de 29
escadrons, soit 10.000 hommes environ, fit l'arrière-garde jus-
qu'au 8 juin, jour où Broglie vint en prendre le commandement
à ïreyssa et fut chargé de l'avant-garde. L'ennemi se repliant
sans combattre, Broglie n'eut que des escarmouches. Arrivé le
9 juillet d(;va!it Minden, il s'en empara par surprise, grâce à
l'audacieuse initiative de son frère, le comte de Broglie.
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 217
Le lendemain de notre position prise, le prince
Ferdinand, instruit que le maréchal de Contades
avoit laissé 15.000 hommes pour assiéger et prendre
Munster, marcha et vint s'emparer d'une position
aussi bonne que celle que nous tenions, sa gauche
au Weser, sa droite à la même chaîne de montagnes,
presque toutes boisées, où appuyoit notre gauche.
Les deux armées se trouvèrent à la distance d'une
petite lieue.
Que le maréchal de Contades eût bien fait de
suivre son pressentiment et celui de toute l'armée,
qui s'attendoit à batailler dans vingt-quatre heures ou
quarante-huit heures au plus tard après la première
apparition de l'armée ennemie ! Une plaine cultivée,
avec une de ses parties en bruyères, présentoit un
terrain propre à combattre. Les 15.000 hommes
laissés à Munster donnoient des regrets au maréchal
de Contades d'en être privé, et il fut constant à l'ar-
mée qu'il avoit ordre de la cour de Versailles de ne
rien entreprendre, d'attendre la prise de Munster et
que, les troupes qui y étoient occupées l'ayant joint,
alors il pourroit attaquer les ennemis avec avantage,
étant supérieur de 20.000 hommes. Obligé d'obéir,
les ennemis mirent à profit environ trois semaines
pour se retrancher
Disons, pour ne plus y revenir, que la ville de
Munster fut prise et capitula le 30 de juillet ^ Le
maréchal de Contades avoit justement prévu qu'à
cette époque sa position à Minden ne seroit plus
tenable, y manquant de fourrage pour son armée
Il rendit compte à la Cour de la position où il pré-
1. La date réelle de la capitulation est le 25 juillet.
218 CAMPAGNES [1759]
voyoit qu'il se trouveroit. Lemiuéchal de Belle-Isle^
qui, de Versailles, vouloit diriger les opérations de
celte armée à plus de cent cinquante lieues de lui,
avoit indiqué au maréchal de Contades la position
qu'il tenoil à Minden, où il devoit attendre la prise
de Munster, ce qui îfVoit déterminé ce maréchal à
déduire ce qu'il prévoyoit devoir bientôt le forcer à
quelque marche rétrograde. La réponse que fit la
Cour fut d'attaquer le prince Ferdinand et de livrer
bataille 2.
Le maréchal de Contades qui, s'il n'eût eu les mains
liées, auroit attaqué à la première apparition le prince
Ferdinand, au lendemain [du jour où il prit] la position
qu'il occupoit depuis trois semaines, que ce délai lui
avoit donné tout loisir de rendre formidable, vit à
regret l'ordre qu'il recevoit, ce qui le détermina, dans
une circonstance si critique, à ne rien prendre sur lui
que de l'avis unanime de tous les officiers généraux
de son armée. En conséquence il manda que le len-
demain matin ils eussent à se trouver chez lui à
l'heure donnée, sans manque d'un seul, ce qui fut
exécuté comme il en avoit été ordonné, dès neuf
heures du matin. Le quartier général et l'armée peu
après furent instruits qu'il y avoit chez M. le maré-
chal de Contades grand conseil de guerre, ce qui
avoit attiré à Minden tous les curieux de l'armée
1. Charles-Louis-Auguste Fouquet, comte puis duc de
Belle-Isle, petit-fils du célèbre contrôleur général Fouquet, né
en 1684, maréchal de France en 1741, ministre de la guerre en
1757, mort en 1761.
2. Les relations officielles ne confirment pas le récit de l'au-
teur en ce qui touche les ordres donnés par la Cour et les cora-
[1759] DE MERCOYROL DE BEALLIEU. 219
désireux d'être instruits de ce qui pouvoit l'occa-
sionner et de chercher à pénétrer ce qui pouvoit s'y
résoudre. Ces affamés de nouvelles ne furent pas
longtemps dans l'attente, comme il sera dit ci-après.
Le conseil de guerre assemblé, le maréchal de
Contades, après une courte harangue, exposa la
position du prince Ferdinand à son début du
camp qu'il lenoit, l'envie qu'il auroit eue de l'atta-
quer alors et l'impossibilité de céder à ce désir par
les ordres positifs qu'il avoit reçus de ne rien entre-
prendre que le siège de Munster n'eût procuré au
Roi la prise de cette ville et la jonction des troupes
de son armée qui y étoient occupées. [Le maréchal
ajouta] qu'il prévoyoit que les préparatifs de ce siège,
ou le temps nécessaire pour le mettre à sa fin et à
ses troupes pour le joindre, seroient d'un terme trop
long pour que, dans la position qu'il occupoit, il pût
trouver les fourrages nécessaires à la subsistance
des chevaux de son armée, et que, lorsqu'à quatre
lieues de lui tout seroit consommé, il ne voyoil
d'autre parti à prendre que de se reculer à une ou
deux marches, étant trop dangereux d'aller chercher
munications faites par Contades au conseil de guerre. Il est cer-
tain qu'à Versailles et dans l'armée on éprouvait une certaine
impatience de l'inaction de Contades, mais aucune pression ne
paraît avoir été exercée sur le maréchal. D'autre part, il est
incontestable que les positions prises par Contades étaient très
fortes et que le prince Ferdinand, hésitant à l'attaquer, s'effor-
çait de l'attirer hors de ses lignes. L'auteur se trompe certaine-
ment lorsqu'il attribue à Contades l'intention d'abandonner le
voisinage de Minden. Mais le récit qu'il fait de la bataille
reproduit assez exactement les hésitations du commandement
et les incohérences de l'attaque.
220 CAMPAGNES [1759]
(lu roiinai;e à quatre lieues de lui, n'étant distant
que d'une de son ennemi ; que même les ennemis
faisoient couler de fréquents détachements sur les
derrières de la chaîne de montagnes où ils appuyoient
leur droite, comme l'armée du Roi sa gauche, que
l'armée Françoise était donc obligée d'y en avoir aussi
pour la sûreté de sa communication à ses derrières.
(11 sera parlé d'un [de ces détachements] qui eût l'ait
bruit s'il n'eût été absorbé par l'événement du len-
demain du conseil de guerre et dont l'on n'étoit
point instruit, au moment de la tenue du conseil.)
[Le maréchal de Contades] ajoutoit encore aux ré-
flexions dont il avoit fait part à la cour de Versailles
celles connues de tous : comme quoi le prince Fer-
dinand avoit, par des redoutes, retranchements et
autres moyens de défense, rendu son camp infiniment
fort et respectable, ayant eu trois semaines à s'en
occuper ; que, sur l'ordre positif qu'il avoit reçu du
Roi d'attaquer et qu'il produisit, ne voulant pas
prendre sur lui seul l'exécution de cet ordre dont
les suites pouvoient être dangereuses et de la plus
grande conséquence, il les avoit assemblés pour
avoir leur avis unanime, si l'on devoit se compro-
mettre à le suivre, ou à tout autre parti comme
de quitter Minden par une ou deux marches rétro-
grades qui nous rapprocheroient des troupes occu-
pées au siège de Munster, qui éloit au moment d'être
pris ; qu'ainsi il les prioit de discuter les raisons
pour se conformer ou se refuser à l'ordre qu'il
recevoit.
Cet objet longtemps débattu, les avis furent
partagés à peu près. Ceux qui tenoient pour la
[1759] DE MERCOYROL DÉ BEAULIEU. 221
bataille réunirent ceux qui en étoient éloignés,
et il passa ensuite pour certain que les vues et
intérêts particuliers décidèrent de cette malheureuse
journée. Tout pour l'attaque fut aplani; la certitude
de la victoire fut si bien démontrée que M. le
maréchal de Contades se livra avec trop de confiance
à cet espoir : le poison de la persuasion s'empara
malheureusement de ce brave et honnête homme,
qui n'avoit pas le talent qui désigne le général,
miais bien un cœur honnête à qui le soupçon ne
vint pas qu'on pouvoit lui tendre quelque piège pour,
par la perte de la bataille, le faire renvoyer et le rem-
placer au généralat. Cette idée ne pouvoit le frapper,
vu qu'il étoit question du service du Roi et de
l'honneur de ses armes, deux moyens qui lui fai-
soient regarder comme impossible qu'il existât un
François qui, par une opinion feinte, cachât la vérité
de ce qu'il pensoit. La bataille résolue, M. le Maré-
chal sépara le conseil de guerre, pour s'occuper
avec quelques-uns d'eux de l'ordre de la marche et
de celui de bataille qui avoit été déterminée pour
le lendemain.
Chose étrange, MM. les officiers généraux sortant
de ce conseil de guerre, traversant cette afïluence de
curieux que le conseil avoit attirés et y rencontrant
nombre d'officiers, soit de leur connoissance ou des
régiments à leurs ordres, ne mirent nulle circonspec-
tion à leur dire : « Allez aiguiser vos couteaux ; demain
matin bataille, si le prince Ferdinand nous attend. »
Dans l'instant, Minden, ville ennemie où étoit le
quartier général, retentit de la nouvelle de la bataille
pour le lendemain et cette certitude se communi-
222 CAMPAGNES [1759]
qiia au c'amp avec une rapidité étonnante, ce qui
paroissoit si étonnant aux officiers lédéclns (ju'ils se
disoient : « C'est certainement une feinte, car étant
à une lieue des ennemis, ils ne peuvent manquer
d'être instruits dans une heure de temps de cette
résolution, communiquée à tous les habitants d'une
de leurs villes, dont une infinité ne peuvent man-
quer de leur porter cette nouvelle. Ils peuvent d'ail-
leurs être instruits par leurs espions ordinaires et
même par quelques déserteurs François ou allemands
à notre service. » Il est sans exemple que jamais un
général ait annoncé vingt-quatre heures à l'avance
qu'il alloit attaquer un ennemi qui n'est qu'à une
lieue de lui. L'on fera les réflexions que l'on voudra,
mais les choses furent ainsi.
La journée se passa dans le camp à nettoyer et
disposer les armes pour l'usage du lendemain.
L'ordre fut donné de bonne heure dans l'après-
midi, où il fut dit que la retraite serviroit de géné-
rale ; que les équipages seroient disposés pour être
chargés au point du jour, pour se rendre de suite au
rendez-vous qui leur étoit indiqué ; que les soldats,
pour être plus lestes et moins embarrassés, amoncel-
leroient leurs sacs, chaque bataillon en formant un
tas au centre du terrain de son camp, pour après pou-
voir mieux les reconnoître ; que l'armée marcheroit
sur différentes colonnes, dont la composition de cha-
cune d'elles seroit donnée aux officiers généraux
qui dévoient les conduire et les commander, comme
il leur seroit également remis à chacun d'eux un
ordre général de la disposition des troupes dans
celui de bataille ; qu'à minuit l'armée se mettroit en
[1759] DE MERCOYROL DE BEABLIEU. 223
marche ; qu'à chaque colonne il y auroitdes officiers
de l'état major de l'armée pour les conduire, de
manière qu'au petit point du jour l'armée fût en
mesure de commencer l'attaque.
L'officier général destiné à conduire et commander
la première colonne de l'armée du maréchal de Con-
tades étoit M. le chevalier de Nicolay*, lieutenant-
général, mort maréchal de France ; on verra tout à
l'heure pourquoi je dis de l'armée du maréchal. Cet
officier général nous arriva à onze heures. Il faisoit
alors une petite pluie, mais le temps fort élevé nous
annonçoit qu'elle ne seroit pas de durée, que ce
n'étoientque les vapeurs du jour qui tomboient pen-
dant la nuit, comme il arrive souvent à la saison où
nous étions (du 31 juillet au 1"^ août). M. de Bré-
hant, notre colonel, ordonna à MM. les officiers
de son régiment de s'occuper de faire couvrir avec
soin les armes. Cet ordre fut exécuté. Tout le camp
étoit détendu au régiment, à l'exception d'une seule
tente de ce chef, où il reçut le général de Nicolay,
dans laquelle il se glissa, à cause de la pluie, autant
d'officiers qu'elle pouvoit en contenir, tous debout,
excepté le général et M. de Bréhant, assis sur deux
ballots d'équipages. Là, à la lueur d'une seule bougie,
1. Antoine-Chrétien, chevalier puis comte de Nicolay (1712-
1777), colonel du régiment de dragons de son nom en 1731,
fit avec distinction la campagne d'Italie (1733-1736). Brigadier
en 1740, maréchal de camp en 1744, fit les campagnes de
Westphalie, de Bohême, d'Alsace et de Flandre ; lieutenant-
général après la prise de Maëstricht en 1748; blessé à Ross-
bach en 1757 ; nommé commandant du Hainaut en 1760 ; maré-
chal de France en 1775.
224 CAMPAGNES [1759]
M. de Nicolay, après un moment de conversation
générale, nous dit : « Messieurs, il faut que je vous
donne eonnoissanee de l'ordre de bataille dont
chaque commandant et conducteur de colonne est
pourvu. »
Cet ordre, transcrit sur grand papier, con-
tenoit deux pages et demie; il y étoit premièrement
dit qu'à huit heures du soir la division du duc de
Broglie, campée à la rive droite du Weser, le passe-
roit sur le pont de bateaux établi au-dessus de Min-
den (cette division étoit composée de vingt-quatre
bataillons et trente escadrons) ; que, débouchant du
pont, elle continueroit sa marche jusqu'au lieu qui
lui étoit indiqué ; que la brigade des grenadiers de
France, avec elle une brigade de grenadiers royaux,
qui étoient campées en avant de Minden, couvrant ce
quartier général, marcheroient et seroientaux ordres
du duc dcBroglie, ainsi que deux brigades de cavalerie
campées à leur gauche ; que cette division devoit
commencer l'attaque de la gauche des ennemis
appuyée au Weser, suivant les dispositions conve-
nues avec ledit duc, dont la cavalerie devoit être
placée en bataille à la gauche de son infanterie ;
que la colonne aux ordres de M. de Nicolay, sa
droite se développant en bataille, appuyeroit à la
gauche de la cavalerie aux ordres du duc de Broglie ;
que les autres colonnes ainsi successivement seroient
formées sur deux lignes, en désis^nant les différents
régiments qui dévoient y être employés.
Entre minuit et une heure, la colonne de droite
de l'armée de Contades se mit en marche (la division
aux ordres du duc de Broglie lui avoit fait donner
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 225
cette dénomination), malgré la petite pluie et les
difficultés du chemin, où l'on rencontroit par inter-
valle des ravins qu'il falloit rendre praticables pour
l'artillerie attachée à cette colonne, qui consistoit
en dix pièces de douze livres de balles et dix de
huit, non compris celles des régiments. Cette colonne
arriva à des maisons nommées Maisons rouges ; en
avant d'elles, elle se forma en bataille, descendit
dans cet ordre dans la plaine, où elle s'avança envi-
ron six cents pas, et fit halte. Une demi-heure après,
parut la division du duc de Broglie, dont la gauche
vint appuyer à la droite de cette première troupe.
Une demi-heure encore après, arriva la seconde
colonne de l'armée du maréchal, qui prit poste dans
la ligne, appuyant sa droite à la gauche de la pre-
mière en bataille. Ainsi toutes les colonnes succes-
sivement se formèrent jusqu'à la gauche de la posi-
tion que devoit tenir l'armée. La colonne du centre
étoit toute cavalerie et se mit en bataille, occupant
par son front la plaine cultivée et les bruyères
qu'elle présentoit ; la seconde ligne s'étoit formée à
l'instar de la première, avec la différence à y obser-
ver que la distance de la première ligne à la seconde
étoit d'environ huit cents pas, éloignement qu'on
trouvoit bien considérable, n'étant pas d'usage de
prendre une distance aussi grande.
Lorsque l'armée me parut être toute arrivée et en
mesure de s'entr'aider, il étoit six heures du matin,
et l'attaque que le duc de Broglie devoit exécuter sur
la gauche des ennemis eût dû être déjà commencée ;
mais ce duc, prêt à l'exécuter, avant de s'y détermi-
ner s'étoit porté seul de sa personne près du front
15
226 CAMPAGNES [1759]
de cette gauche, qu'on ne pouvoil tourner, [puisqu'elle
étoit] appuyée au Weser, poiu- la reconnoîtro. Il la
jugea ioiniidable et ina(la(|uable par les redoutes et
retranchements qui la eouvroienl, la nombreuse
aiîiiicric <|iii v étoit établie et la fourmilière des
troupes destinées à la défendre, ce f{ui lui lit vouloir,
avant de commencer, une conversation avec le
maréchal de Contades, qu'il fut trouver où il étoit,
placé au centre de l'armée, et il courut pour le
joindre.
Profitons de ce temps pour voir comment le prince
Ferdinand fut instiuit que l'armée françoise mar-
choit pour l'attaquer. Quelle qu'eût été la publicité de
la marche, par le soin même de la tenue du conseil
de guerre, pour aller l'atlaquer, il ne lui en paivint
pas la moindre nouvelle pendant la durée du jour
et partie de la nuit. Ce prince, qui étoit général,
pouvoit-il en ellet supposer que le maréchal de
Contades, s'il eût dû l'attaquer, ne devoit le faire dès
le moment de son arrivée dans la position qu'il
tenoit, où il n'avoit que le terrain tel que la nature
le lui avoit présenté, et que trois semaines après
s'être occupé de le rendre inattaquable, ce seroit
précisément alors que le maréchal de Contades vien-
droit l'y assaillir ? Ce système, trop éloigné de toute
manœuvre de guerre, ne put ni ne dut lui venir à
l'idée. Si le maréchal eût reçu les 15.000 hommes
qui faisoient le siège de Munster, sans doute alors le
général ennemi eût vu quelque possibilité à la
démarche de M. de Contades et il se fût tenu sur
ses gardes ; mais, comme cette place tenoit encore,
il étoit dans une parfaite sécurité, lorsqu'à deux
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 227
heures et demie il fut éveillé et qu'on lui présenta
deux déserteurs IVaneois ^, qui l'assurèrent de la
marche de l'armée du Roi, qui venoit l'attaquer. Il
tira d'eux tout ce qu'il put, les mit sous sûre garde,
donna ses ordres pour que son armée se disposât à
recevoir la hataille qu'on venoit lui présenter.
Toutes ses précautions premières étoient prises et
les troupes n'eurent qu'à se porter aux postes
qui leur étoient destinés, ce qu'elles exécutèrent
avec célérité, et la meilleure preuve que j'en puisse
donner, c'est que le premier coup de canon qui fut
tiré le fut de leur part ; il étoit alors six heures et
demie. Insensiblement la canonnade devint des plus
vives à la gauche des ennemis et à la division du duc de
Broglie. Comme de la droite de l'armée de Contades
nous prenions en écharpe cette gauche, M. de Nicolay
fit placer sur un petit mamelon qui étoit devant la
brigade de Picardie les dix pièces de canon de douze,
et elles firent un feu très vif sur cette gauche. Les
dix de huit faisoient feu devant elles sur les troupes
qui nous étoient en face.
Cette canonnade alloit avec furie de part et d'autre,
lorsque passèrent derrière notre ligne le maréchal de
Contades, le duc de Broglie et cinq ou six autres offi-
ciers généraux. Le maréchal se rendoit à la division
de Broglie pour examiner avec lui le danger déterminé
qu'il y avoit d'attaquer leur gauche, vu la bonne
construction des redoutes, retranchements et autres
difficultés. Je nombre de troupes et de l'artillerie qui
y étoient. Le maréchal, convaincu par ses yeux du
1. L'auteur ne dit pas que c'étaient deux soldats de Picardie,
son régiment.
228 CAMPAGNES [1759]
rapport que lui a voit fait le duc de Broglie, ne prit
nulle sorte de parti et, regagnant au pas de son che-
val le centre de son armée, d'où il étoil venu, passa
pour la seconde fois derrière nous ; il devoitêtre très
occupé puisque l'attaque que devoit commencer le
duc de Broglie étoit réduite à néant. Au conseil de
guerre on la lui avoit faite plus que praticable et, au
moment de l'exécution, on la lui disoit impossible,
en lui offrant d'obéir, mais qu'il eût à ordonner, ce
qu'il ne voulut faire. Un caractère plus ardent eût
dit : « Le vin est tiré, il faut le boire ; vous m'avez
tous démontré la possibilité de vaincre, je me suis
rendu à vos connoissances, à vos avis, à cette volonté
déterminée que vous m'avez montrée ; il y a deux
heures que votre attaque auroit dû être commen-
cée » ; mais tranquillement, sans rien dire, le maré-
chal retourna au poste qu'il s'étoit choisi, où il
trouva une canonnade vigoureuse établie de notre
artillerie du centre sur les ennemis, qui y répon-
doient avec une artillerie moins nombreuse, ce qui
nous donnoit dans cette partie de l'avantage.
Les ennemis firent alors mouvoir un gros corps de
troupes qui se dirigea sur deux maisons situées en
avant de leur ligne. Ce corps de troupes s'appro-
chant, il fut aisé de distinguer que c'étoient neuf ou
dix bataillons anglois ou hanovriens en colonne par
bataillon. Notre artillerie y fut dirigée et y faisoit
un mal prodigieux ; il n'y avoit qu'à la laisser aller et
elle seule eût mis en pièces cette coloniae, mais la
vivacité de deux de nos généraux sut la rendre inu-
tile : l'un fit avancer la ligne de notre infanterie ;
l'autre, qui crut cette colonne suffisamment ébran-
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 229
lée, la fit charger par quelques escadrons de cavale-
rie, achevant de masquer par ce mouvement l'effet
de l'artillerie. Les ennemis, enchantés de s'en voir
délivrés, les virent venir avec plaisir à la charge et
les reçurent de même par un feu de canon et, les
laissant venir à quinze ou vingt pas, par leur feu de
mousqueterie. Ces escadrons furent renversés, quoi-
qu'il y eût parmi eux des braves, qui se jetèrent
dans les intervalles de cette colonne, où les uns
furent tués et les autres pris.
La bataille eût été gagnée dès cette première charge,
si elle eût été faite par quinze ou vingt escadrons qui
eussent embrassé cette colonne par sa tête et ses
deux flancs ; mais que pouvoient huit escadrons ? Ils
furent donc chassés, et ce premier succès ne fit que
donner de l'audace et de la fermeté pour vaincre à
cette colonne, qui, l'instant d'après, fut chargée parle
corps des carabiniers. Ceux-ci s'en acquittèrent mol-
lement, en essuyèrent le feu et se retirèrent. Deux
autres brigades de cavalerie chargèrent à leur tour et,
comme les précédentes, furent renvoyées. Le corps
de la gendarmerie chargea aussi, mais ne fut pas plus
heureux. Il résulta de ces différentes charges que
plus de cinquante escadrons, pour avoir chargé par
parcelles, comme il vient d'être dit, furent battus
par ces dix bataillons d'infanterie en plaine rase.
S'ils eussent chargé ensemble, ces dix bataillons
eussent certainement été détruits.
Pendant ce temps, il se présenta des escadrons
des ennemis qui chargèrent la brigade de Touraine
et celle de Rouergue, qui étoient l'une et l'autre
dans l'ordre mince, au lieu d'être en bataille ; l'une
230 c\:mp\Gi\es [1759]
k'iiaiit à la droite, l'autre à la gauelie du eentre,
furent sabrées. Les ennemis s'avaneant dans tout ce
ij;rand vide, la seconde ligne, comme je l'ai observé,
étant très éloignée de la première, il n'y eut d'autre
paiti à prendre que celui de la retraite. Elle fut
ordonnée.
Toute la division de M. le duc de Broglie se retira
sur Minden ; la droite de l'armée se retira par le
même cbemin qu'elle étoit venue ; le centre par le
même qu'il avoit tenu et la gauche également, et
chacun rentra dans son camp, chose qui peut-être
ne se seroit pas exécutée aussi tranquillement et
avec autant d'ordre sans la conduite que tinrent
trente escadrons anglois auxquels le prince Ferdi-
nand avoit envoyé un de ses aides de camp pour
qu'ils eussent à charger. Le général anglois qui les
commandoit ' demanda un ordre par écrit ; le prince
Ferdinand le lui envoya : le temps qu'il fallut à cet
aide de camp pour aller s'en pourvoir et le porter
changea sans doute les circonstances, mais le géné-
ral anglois refusa de charger malgré l'ordre par
écrit, ce qui fut à l'armée françoise d'un grand sou-
lagement (surtout s'il eût chargé au moment où la
retraite fut ordonnée) et lui procura de se retirer
fort tranquillement, les ennemis ne la suivant que
de très loin et par un feu de canon. Arrivés à por-
tée de Minden, l'artillerie qui y étoit placée éteignit
bien vite ce feu et, ses boulets portant dans leurs
troupes, elles reculèrent pour se couvrir de la
hauteur où elles s'étoient d'abord montrées et dis-
1. Celait Lord Sackville.
[1750] DE MERGOYROL DE BEAULIEU. 231
continuèrent de tirer. Il en fut fait de même de la
part des François.
Toute l'armée, rentrée dans son camp, ne pouvoit
tenir vu le manque de fourrage, qui avoit engagé à
donner cette bataille, si mal exécutée par toutes les
fautes qui s'y firent. L'ayant donc perdue, il falloit
par cette raison de plus songer d'en partir, et le plus
tôt étoit ce qui convenoit aux circonstances. M. le
maréchal de Contades se décida donc à donner
l'ordre pour que les équipages du quartier général,
suivis de tous ceux de l'armée, se missent en marche,
prenant leurs directions de passer en laissant la rive
gauche du Weser à gauche et la chaîne de mon-
tagnes à leur droite, chemin qu'ils avoient déjà fait
en arrivant à Minden, ce qui commença à s'exé-
cuter.
Passons rapidement aux circonstances qui chan-
gèrent cet ordre une heure après.
Deux jours avant la bataille, pour protéger la
communication de l'armée françoise avec ses der-
rières, sur l'indication qu'il avoit reçue que les enne-
mis avoient fait marcher un fort détachement pour
y porter l'alarme ou l'interrompre, le maréchal de
Contades, qui en ignoroit la force, fit partir M. le
duc de Brissac, ayant à ses ordres 3.000 hommes;
il lui donna son instruction et ce détachement par-
tit.
Le troisième jour de son absence, 31 de juillet, il
fit rencontre [près de Gôhlfeld] du détachement des
ennemis, fort de 5.000 hommes, aux ordres du
prince héréditaire de Brunswick \ qui, instruit du
1. Charles-Guillaume de Brunswick-Lunebourg, nommé le
232 CAMPAGNES [1759]
nombre des troupes aux ordres du duc de Brissac,
le L'iierc'lioil |)our le c'oml)atlre avec avantage ; il en
avoil déjà du nombre, (le duc, qui ignoroit la force
des ennemis, fit bravement ses dispositions pour se
défendre et attaquer ; il eflectua ce dernier [parti],
les ennemis lui marquant de la timidité pour mieux
l'engager. Les premières eliarges de ses troupes
légères se firent avec avantage ; il fit des prison-
niers et ce fut par eux que l'on fut instruit de la
force des ennemis.
Au moment où l'infanterie de ce duc débouchoit
pour traverser une petite plaine, les ennemis étoient
dans des bois. S'il eût suivi sa pointe, c'est là où le
Prince héréditaire et Luckner l'attendoient pour
l'envelopper.
Instruit du dire des prisonniers, il fit faire halte
à ses troupes. Les ennemis, craignant de manquer
leur projet, vu que la station devenoit un peu
longue, firent tirer du canon, auquel il fut ré-
pondu par celui de ce duc, qui, sur-le-champ,
ordonna la retraite, et, au premier mouvement qu'il
en fit, toutes les troupes du prince de Brunswick
sortirent du bois et vinrent pour l'attaquer. Plusieurs
piquets et quelques compagnies de grenadiers tin-
rent ferme assez de temps pour que la retraite se fît
sans précipitation, quoique avec un peu de désordre.
Ces piquets et grenadiers, assaillis vigoureusement.
Prince Iiéréditaire, fils aîné du duc Charles de Brunswick,
régnant, et de Philippine-Charlotte, sœur de Frédéric II, né en
1735. Célèbre par le manifeste qu'il publia le 25 juillet 1792;
commanda les armées coalisées contre la France, fut battu à
Auerstaedt et mourut de ses blessures en 1806.
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 233
perdirent du monde, mais en firent perdre aux
ennemis. Les troupes à cheval furent au-devant des
premières qui venoient à elles, les culbutèrent par
leurs charges, mais, au grand nombre qu'elles en
virent qui venoient sur elles, elles gagnèrent très
sagement au galop le bois où notre infanterie venoit
d'arriver, sûres que là elles seroient protégées par
son feu, ce qui fut et força les ennemis à s'éloigner,
d'autant que six pièces de canon les y forçoient.
Les ennemis firent avancer le leur et le reste du
combat se passa en canonnade, où les ennemis n'eu-
rent pas l'avantage, notre position pour cela étant
plus heureuse que la leur.
M. le duc de Brissac pensa que les ennemis, plus
nombreux que lui, pouvoient bien chercher à le
tourner en se plaçant entre lui et l'armée, ce qui
pourroit rendre sa retraite difficile ; en conséquence,
il la commença, laissant aux ennemis le champ de
bataille du petit combat qui venoit de se passer.
Quant à la perte, elle fut égale de part et d'autre en
tués et blessés. Les ennemis firent quelques prison-
niers de cette infanterie qui avoit tenu ferme et
protégé la retraite et soixante hommes, enveloppés
et leur retraite coupée, furent faits prisonniers. Il
n'y eut pas d'autre perte et ce détachement cher-
cha à rejoindre l'armée, ce qu'il effectua le jour
même de la perte de la bataille.
Le maréchal de Contades, instruit de cet événe-
ment et que le prince héréditaire de Brunswick
seroit tout au moins sur son flanc s'il se retiroit par
la gorge du Weser derrière Minden, où il avoit
ordonné, une heure auparavant, que les équipages
234 CAMPAGNES [1759]
se dirigeassent (son premier projet étant que toute
l'aimée eût à les suivre), vit la nécessité de changer
bien promptement cet ordre ; il donna celui qu'on
fût promptement les joindre, pour les faire revenir
d'où ils étoient partis. Ceu\ (jui furent ehargés de
l'exécution de cet ordre, qu'ils cherchèrent à remplir
rapidement, ordonnèrent demi-tour à droite à tous
ceux qu'ils rencontrèrent et, courant à toute bride,
ils arrivèrent à ceux du quartier général qui en fai-
soientla tête, un peu mêlés avec d'autres de l'armée,
qui, près des premiers, s'étoient mêlés avec eux. Les
ennemis les attaquèrent à ce moment, en prirent
quantité et les eussent tous pris si le maréchal n'eût
donné ce contre-ordre et envoyé des troupes à cheval
pour les défendre. I.a perte de ceux pris tomba sur
les officiers généraux et quelques officiers particuliers.
Du temps que ceci s'exécutoit, l'armée, c'est-à-
dire l'infanterie et devant elle les équipages, traversa
Minden et le Weser sur son pont, la cavalerie à des
gués et la division du duc de Broglie sur le pont
qu'elle avoit sur le Weser et qu'elle replia, char-
gea sur les baquets et emmena. Ce fut de l'avis du
duc de Broglie qu'il fut décidé que l'armée gagneroit
la rive droite du Weser, pour, le remontant, arriver
à Cassel.
Le reste du jour de la bataille, la nuit qui la sui-
vit et tout le lendemain furent employés à faire filer
l'armée. La brigade de Picardie, celle de Belsunce,
les grenadiers de France et deux régiments de
hussards furent chargés de l'arrière-garde. Les sol-
dats prirent tlu [)ain en traversant Minden autant
qu'ils voulurent s'en charger. On laissa dans cette
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 235
place 700 hommes de garnison, avec ordre de tenir
au moins un nombre de jours qui leur fut fixé, afin
de donner le temps à l'armée de faire chemin.
Le lendemain de la bataille et à la nuit tombante,
ce qui composoit l'arrière-garde étoit encore à la
porte de Minden, parla raison que l'armée marehoit
sur une seule colonne, ce qui procura aux troupes
de cette arrière-garde le désagrément d'être témoins
de la réjouissance que firent les ennemis du gain de
la bataille.
Leur armée avoit fait une marche et étoit venue
camper, sa gauche à une demi-lieue de Minden, sa
droite s'étendantsur tout le long du Weser, où cette
armée faisoit face, et venant aboutira la gorge pour
sortir de la plaine de Minden. Cette position annon-
çoit que les ennemis la quitteroient le lendemain,
vu qu'il n'y restoit rien en fourrages ; ce qu'ils
effectuèrent en effet.
La perte de cette bataille fut, pour l'armée fran-
çoise, de 3.000 hommes tués et blessés \ des pri-
sonniers, quelques malheureux blessés qu'on ne put
emporter et environ 200 hommes, dont la plupart
blessés de coups de sabre, de la brigade de Tou-
raine et de celle de Rouergue. La perte des ennemis
fut de 2.000 hommes. A cette journée, les pertes
furent de part et d'autre occasionnées par l'effet du
canon.
1. D'après les états officiels publiés par le comte Pajol
[Les guerres sous Louis XV, t. IV, p. 415), les pertes de l'ar-
mée française à la bataille de Minden furent de 480 officiers
tués ou blessés, et de 7.892 soldats tués, blessés ou disparus.
230 CAMPAGNES [1759]
Les 700 hommes laissés à Minden se rendirent
prisonniers de gnerre au bout de quatre jours.
Munster, occasion de la bataille, avoit capitulé.
Une garnison de 3.000 hommes avoit remplacé
celle des ennemis, faite prisonnière de guerre, et
une partie des troupes qui avoient fait ce siège s'é-
toit repliée à Wesel, l'autre avoit marché à Cassel,
suivant Tordre que le maréchal de Contades leur
avoit fait passer.
Le principal objet de l'armée françoise étoit de
prévenir, par une marche continuelle, que l'armée
du prince Ferdinand ne pût s'emparer de Cassel et
y arriver avant elle... Le duc de Broglie, qui avoit
conseillé ce parti au maréchal de Contades comme
le meilleur à suivre, faisoit donc force de marche
avec sa division pour y arriver; il savoit que les
ennemis avoient moins de chemin à parcourir que
nous pour s'y rendre par le cours du Weser, que ces
deux armées suivoient ; le leur étoit plus droit et
faisoit la corde sur le cercle que l'armée françoise
étoit obligée de suivre. Ce duc, intéressé à la réussite
de l'opinion qu'il avoit tenue, mit toute la célérité
pour son arrivée à cette ville et y réussit si bien
que les ennemis, arrivés à huit lieues de Cassel, furent
instruits qu'il y étoit arrivé avec sa division, ce qui
leur fit renoncer au projet qu'ils s'en étoient formé
et cherchèrent d'autres moyens de nous être préju-
diciables.
Le lendemain de la réjouissance du gain de la
bataille, dont j'ai parlé, ils s'étoient mis en marche
et, le second jour, pour inquiéter l'armée françoise
dans la sienne, l'amuser et la retarder, ils firent
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 237
passer le Weser à un gué commode à 9.000 hommes,
avec une artillerie en petites pièces de trois et sept
livres de balles assez nombreuse, aux ordres du
prince héréditaire de Brunswick, enorgueilli du
petit avantage que son détachement de 5 .000 hommes
avoit eu sur celui du duc de Brissae, de 3.000.
Ce prince nous fut sur les oreilles dès le troisième
jour après la bataille. Connaissant par les gens du
pays, ses amis ou alliés, tous les lieux de notre marche
où il pouvoit nous inquiéter, il sa\ oit les faire saisir,
et tous les jours c'étoient des canonnades sur l'arrière-
garde. Les défilés que nous parcourions empêchoient
qu'il pût se passer rien de considérable ; notre armée,
qui marchoit toujours rapidement, obligeoit l'ar-
rière-garde de faire même marche, et elle étoit à
peu de distance, toujours cousue à l'armée. Les
coups de canon qu'elle essuyoit et qu'elle rendoit à
ce jeune prince, bien loin de l'ennuyer, lui faisoient
passer les journées dans une activité qui la guéris-
soitde l'ennui d'une marchequi, sans ce passe-temps,
eût été trop monotone et eût paru plus fatigante,
au lieu que le bruit du canon et un peu de danger,
quelque léger qu'il fût, lui faisoient toujours désirer
que l'on tendît quelque piège au jeune guerrier qui
nous suivoit avec tant d'audace et d'ardeur, mais
toujours nous procurant très peu de mal et encore
moins de crainte.
Il s'emparoit des hauteurs qui se trouvoient sur
le flanc soit de la droite, soit de la gauche de la
marche que nous devions exécuter le lendemain.
Tout pour cela lui étoit commode, d'autant que
l'armée, qui partoit au point du jour, ne permet-
238 CAMPAGNES [1759]
toit à l'arrière-i^arde de se mettre en marche qii à
dix, onze heures ou midi ; il avoit donc tout le
loisir de se placer le plus sûrement et commodé-
ment (ju'il le pouvoit pour nous harceler, prenant
toujours les hauteurs. Son canon venoit frapper
près de nous et ses coups plongeants nous faisoient
on ne peut pas moins de mal, et je crois que les
nôtres qui, par leur direction, alloienl toujours les
chercher sur la sommité de ces hauteurs, ne leur
faisoient pas plus dédommage que les leurs ne nous
en procuroient, (Taulaiit qu'à ces arrière-gardes la
hrigade de Picardie, celle de Belsunce et les grena-
diers de France n'avoient que les pièces attachées à
ces régiments ; elles étoient plus fatiguées d'arriver
toujours à leur camp à huit heures ou dix heures du
soir et ne le quittoient qu'aux heures qu'il a été dit
ci-devant.
On manquoit un peu de tout en viande ; le cochon
seul éloit abondant, dont on pilloitle pauvre paysan,
et malheureusement la nécessité foryoit les officiers
à fermer les yeux à cet égard ; ce désordre désespé-
rant fit assassiner par le paysan plusieurs soldats
et ceux-ci, en se défendant, tuèrent plusieurs de ces
malheureux. Deux villages furent livrés aux flammes
et absolument consumés pour avoir assommé deux
chariots chargés de blessés, les deux charretiers et
deux soldats des quatre qui les escortoient ; cette
inhumanité occasionna la destruction de ces deux
villages.
A notre septième journée, nous arrivâmes à Eim-
beck, toutes s'étant passées avec les mêmes événe-
ments, toujours le prince héréditaire de Brunswick
[1759] DE MERCOYROL DE BEA.ULIEU. 239
sur nous, sans cependant jamais rien entreprendre
de considérable. Cette journée avoit été courte, ce
qui nous permit d'arriver au camp vers les six
heures du soir, et nous pûmes, pour la première
fois depuis huit jours, jouir de l'aspect du camp de
partie de l'armée l'rançoise, ce dont les ténèbres de
la nuit nous avoient privés jusqu'alors.
A peine fûmes-nous rendus sur le terrain qui
nous étoit destiné pour camper, que le Prince
héréditaire parut avec son corps sur les hauteurs
au nord d'Eimbeck, et on le vit établir une chaîne
de postes sur la sommité de toutes les hauteurs
qui embrassent moitié de cette ville, du levant
au couchant ; plusieurs de nous vîmes des chariots
qui nous annonçoient de l'artillerie et nous ne fûmes
pas trompés...
Le quartier général étoit établi dans la ville
d'Eimbeck. Le Prince héréditaire eût pu la fou-
droyer et obliger la généralité d'en sortir, mais
cette ville, leur alliée et amie, fut épargnée et, lorsque
la nuit fut bien close, un feu d'artillerie fut dirigé
sur les feux d'abord de la gendarmerie et de la
cavalerie, troupes les plus à portée d'eux, que trop
négligemment on avoit fait camper très près de ces
hauteurs... Les premiers soins de la gendarmerie
et de la cavalerie campée à côté d'elle furent d'é-
teindre les feux, ce qui ne donna le temps à cette
artillerie de ne pouvoir tirer que trois ou quatre dé-
charges un peu fâcheuses, par la perte de quatre gen-
darmes ou cavaliers et de quelques chevaux ; les feux
éteints, les ennemis continuèrent leur feu, quoique
sans direction autre que les feux éloignés, où les
240 CAMPAGNES [1759]
l)oulels no pouvoient arriver, mais, le fracas de leur
passage siiV les têles inquiétant l^eaucoup, on fil
(léteniiro ce eamp au brillant des étoiles et la t^en-
darmerie et cette cavalerie furent se camper entre
les deux lignes, se couvrant de la ville d'Eimbeck.
T^es ennemis se lassèrent de leur feu inutile et le
cessèrent vers les onze beures du soir, et tout fut
tranquille jusqu'au lendemain, qu'à cinq beures du
matin l'armée se mit en marcbe, comme l'ordre en
avoit été donné, pour se rapprocber de Classel.
Le lendemain fut un jour à événements. Le quar-
tier général évacuant Eimbeck, l'on vit les 9.000
bommes aux ordres du prince héréditaire de Bruns-
wick en bataille, garnissant les bauteurs où ils
avoient passé la nuit et faisant mine de se préci-
piter dans Eimbeck, du moment que les gardes éta-
blies à ses portes s'en retiroient, ce qui détermina le
marécbal de Contades à y pourvoir, comme il sera dit
ci-après.
Mais, avant d'y venir, je veux rendre ce qui s'y
passa d'intéressant entre M. de Brébant, mon colo-
nel, et moi. La brigade de Belsunce, qui, pendant
toute la marcbe, avoit été de l'arrière-garde avec nous,
avoit reçu l'ordre de se porter jusqu'à une justice
établie sur un mamelon, à la distance d'un quart
de lieue de la ville d'Eimbeck, sur le cbemin que
nous devions tenir pour nous rapprocber des gorges
du petit Munden, que ce jour l'armée devoit passer
et, laissant le petit Munden à une lieue en arrière
d'elle, n'être plus qu'à une petite lieue de Cassel.
i\u moment que l'armée étoit en marcbe, l'on porta
[en avant] la brigade de Picardie, composée de cinq
[1750] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 241
bataillons, telle qu'elle l'étoit depuis le commence-
ment de la campagne (et ce cinquième bataillon étoit
le régiment de la Marche-Prince), et la brigade
des grenadiers de France, et on rapprocha ces neuf
bataillons des vergers au midi de la ville d'Eimbeck.
x\u moment où tout avoit l'air de l'incertitude, me
promenant avec mon colonel, M. de Bréhant, seul
à seul, lui qui étoit le courage même me tint des
propos fort inconsidérés sur toute notre généralité,
voulant me prouver combien cela étoit dégoûtant
et combien il étoit frappé de toutes les fautes qu'on
faisoit chaque jour. Je fus bien étonné de ce langage,
que je n'aurois jamais attendu de ce brave et géné-
reux serviteur du Roi, soldat et chevalier aussi valeu-
reux qu'il soit possible que la France en fournisse
et dont les héros qu'il s'étoit choisis et qu'il idolàtroit
étoient Bavard, Henri IV, ne désirant rien tant que
d'imiter le premier pour bien servir les succes-
seurs du second.
Comme je connoissois à cet égard tous les replis
de son âme, je lui marquai, sans lui répondre, mon
étonnement, par le silence obstiné que je gardai,
lorsque le hasard me fournit un moven de le rendre
à lui-même. Par notre promenade nous étions dans
un camp qui avoit été occupé la nuit précédente
par de la cavalerie ; le plumage d'une poule blanche
comme de la neige frappa ma vue : je m'en approche,
me baisse et ramasse ces plumes dont je cherche
à faire un panache ; il s'aperçoit que je ne l'écoute
plus et me dit : « Que faites-vous donc là ? » Je
lui réponds : « Un faible souvenir du panache du
brave Henri ». Je le vois pensif; je perfectionne
16
242 CAMPAGNES [1750]
mon aigrette, je la lie avec un peu de ficelle que je
me trouve dans la poche, je lui demande la per-
mission tle rattacher à son chapeau ; il s'y prête,
nous revenons au régiment dont nous étions à cinq
ou six cents pas. Il ne me disoit rien ; je romps
le silence et lui fais observer que plusieurs pelo-
tons des troupes du l^rince héréditaire sont en mou-
vement et descendent des hauteurs ; il les fixe, son
œil s'enflamme et il médit : « Puissent-ils descendre !
Que ne pouvons-nous, allant à eux, leur éviter la
moitié du chemin ! » Les soldats le fixent, le regar-
dent, se plaisent à sa mine guerrière, dont ils con-
noissoient toute la vérité, et se disent, observant
son chapeau : « Regarde le panache qu'il s'est mis, il
est fier comme un coq. » Chacun d'eux se redresse
et le sentiment dont ils le voient animé semble
parcourir les rangs et se communiquer.
A ce moment même arrive un aide de camp du
maréchal, qui demande M. de Nicolay, aux oi-dres
duquel nous avions continué d'être depuis le com-
mencement de la campagne et qui, ce jour-là, avoit
à ses ordres de plus qu'à l'ordinaire seize pièces de
canon de huit livres de balles. L'aide de camp le
joint et lui dit : « M. le maréchal de Contades, qui
est à la porte d'Eimbeck, m'envoie pour vous deman-
der les deux premiers bataillons de la brigade de
Picardie et les lui amener. » Le général Nicolay en
donne l'ordre à M. de Bréhant et, à trois cents pas
de là, après avoir passé les vergers qui nous sépa-
roient de la ville, nous trouvons, à cent pas de la
porte, M. le Maréchal qui dit à M. de Bréhant : « Portez
vos deux bataillons sur le rempart, où vous les
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 243
disposerez pour la défense, en faisant border la
haie ; vous veillerez à la sûreté des deux portes qui
sont du côté des ennemis et fermées; vous ferez
mettre en dedans beaucoup de matières combus-
tibles et, lorsque je vous enverrai l'ordre pour vous
retirer, vous ferez replier avec vous toutes les
gardes qui sont établies à Eimbeck. »
M. de Bréhant défila avec les deux bataillons de son
régiment pour aller exécuter l'ordre qu'il venoitde
recevoir, et le maréchal nous vit passer. Nous res-
tâmes dans Eimbeck environ une heure et demie.
Pendant ce temps, il prévint qu'au moment où il
donneroit l'ordre pour que l'on eût à se retirer, les
gardes [étant] aux deux portes disposées pour y
mettre le feu, l'officier commandant l'y feroit mettre,
et que la troupe à ses ordres suivrait le mouvement
du bataillon de son régiment qui appuyoit à eux ;
que le premier bataillon suivant le rempart se reti-
reroit par sa droite en filant tel qu'il étoit placé,
qu'il ne se formeroit qu'après avoir fait quatre cents
pas hors de la ville et qu'à mesure que les pelotons
seroient formés, ils prendroient de suite l'ordre de
bataille de la brigade, qui, à la dernière haie des
vergers, y étoit dans cet ordre.
Les fatigues de la marche, la quantité de cochon
dont on y vécut en partie, le manque de vin, les
mauvaises eaux et le pain grossier dont la plupart
des oflficiers furent obligés de se nourrir, ces diffé-
rentes causes occasionnèrent des maladies aux consti-
tutions faibles, tant des officiers que des soldats,
qui se déclarèrent après quelques jours de repos.
L'amitié me porte à parler ici de la fâcheuse et
244 CAMPAGNES [1759]
triste situation où se trouvoit le marquis de Vogué,
lieulenant-général, mon compatriote, pendant toute
cette reliaile ; il la passa dans les plus vives alarmes,
l'inquiétude et l'incertitude la plus désespérante.
Père de deux fils au service (le troisième dans l'état
ecclésiastique ^), le comte de Montlor -, son cadet,
[étoit] capitaine au régiment de son frère, le comte
de Vogué ^. Ce cadet reçut, à la bataille de Minden,
deux coups de feu au même bras, sans fractures, mais
devenant dangereux par les fatigues d'une marche si
longue qu'il fit dans la berline de son père, un chirur-
gien avec lui. A la fièvre de suppuration, il s'enjoignit
une autre de différent caractère, ce qui le mit pour
plusieurs jours au bord du tombeau, premier motif
des regrets de son respectable père, qui fut cinq jours
sans avoir nouvelle aucune de son fils aîné, le comte
de Vogué, mestre de camp d'un régiment de cavalerie
de son nom, qui, à la même bataille, avoit disparu.
Étoit-il du nombre des morts, des prisonniers, [ou
1. Jacques-Joseph-François de Vogué, né en 1740, mort le
26 février 1787. Agent général du clergé de France de 1770 à
1775. Evèque de Dijon en 1776.
2. Florimond-Innocent-Annct de Vogué, dit le comte de
Montlor puis le marquis de Montclus, né le 15 mars 1734,
mort le 18 juin 1777. Sous-lieutenant au régiment du Roi en
1750, capitaine au régiment de Vogué en 1759, lieutenant-
colonel de carabiniers en 1765, colonel en second de Royal
Pologne cavalerie en 1776, chevalier de Saint-Louis en 1770.
3. Cérice-François-Melchior, comte de Vogué, né le l*^"" dé-
cembre 1732, mort le 16 décembre 1812. Capitaine dans Anjou
cavalerie en 1748, colonel du régiment de son nom en 1759,
brigadier en 1768, maréchal de camp en 1780, chevalier de
Saint-Louis en 1760, député de la noblesse du Bas-Vivarais aux
Etats généraux de 1789.
[1759] DE MERCOYROL DE BEATJLIEU. 245
des] blessés ? Qu'on se fasse une idée de la tendresse
paternelle chez un cœur sensible et une âme ver-
tueuse, l'un et l'autre réunis chez un père affligé!
A.près ces cinq jours, qui furent pour lui cinq lustres,
il fut instruit par deux officiers de Colonel-général
cavalerie, faits prisonniers de guerre ce même jour,
que son fils voyoit le jour et par [eux] il apprit qu'à
la charge que le régiment de Vogué avoit faite, le
cheval de ce chef, percé de plusieurs coups de feu,
étoit tombé comme frappé du tonnerre et dans sa
chute avoit cassé la jambe de son cavalier, sur lequel
il étoit tombé ; que là l'un et l'autre étoient restés,
le cheval sans vie, le maître froissé de la rapidité de
sa chute et sa jambe cassée engagée sous le poids
énorme du cheval qu'il montoit, ne pouvant nulle-
ment se retirer d'une situation si triste, mais que
M. le Marquis son père devoit être tranquille,
que la fracture de son fils, qui ne provenoit que de
sa chute, n'avoit rien de dangereux, qu'ils l'avoient
vu et laissé dans un état des plus tranquilles, qu'il
étoit soigné avec tout le soin et l'intérêt imaginables :
tel est le compte qu'ils rendirent à ce digne père, qui
commença à respirer, l'espoir lui venant qu'il rever-
roit ce fils et qu'il le tiendroit encore dans ses
bras.
Je dois dire ici les raisons qui privèrent le mar-
quis de Vogué d'être instruit plus tôt du sort de son
fils. Ami du marquis de Contades, général de l'ar-
mée, il avoit été adressé un trompette de la part de
ce général au prince Ferdinand pour avoir nouvelle
du comte de Vogué. La réponse du Prince avoit été
que le nom du comte de. Vogué, mestre de camp de
246 c\MP\GNES [1759]
cavalerie, n'étoit pas sur l'état des prisonniers. Le
maréchal dcConlades dissimula un peu cette réponse
sèche du j)rince Ferdinand et laissa, autant que
possible, une lueur d'espoir au marquis de Vogiié.
T^a question fut faite le lendemain de la bataille et
la réponse le même jour.
Je vais rapporter les raisons pourquoi le comte de
Vogué n'étoit ni sur l'état des prisonniers blessés,
ni sur celui de ceux faits à cette journée qui ne
l'étoient pas ; son aventure est, pour toute personne
qui suit ou qui veut suivre les armes, assez inté-
ressante, pour qu'elle y découvre l'insouciance sol-
datesque, quoi qu'il en soit, parmi les soldats, de sus-
ceptibles des plus généreux procédés et de ceux
qu'on est fier de trouver dans les chefs ou officiers
qui les conduisent. L'exemple que je vais rapporter
fait honneur à l'ofTicier particulier et au chef qui
le commandoit.
La colonne victorieuse, comme il a été dit, se
portant en avant, quelques soldats hanovriens, sous
l'espoir des dépouilles, s'étoient portés en avant sur
les morts ou blessés. Resté sur le champ de bataille,
l'un d'eux arrive au comte de Vogué ; ce comte, qui
le voit venir, en espère du secours et, pour l'y déter-
miner plus sûrement, il prend sa bourse et sa
montre et, à son approche, lui présente l'une et
l'autre ; ce soldat prend les deux. A ce moment
arrive un de ses camarades, qui prétend partager
les dons du comte. Le premier résiste : querelle et
reproches entre ces deux êtres malfaisants ; celui qui
tient tout veut tout garder, celui qui n'a rien, pour
se venger, menace le comte, qui n'a plus rien à don-
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 247
lier. Voici, par parenthèse, qui doit être bien per-
suasif combien il importe à des officiers de savoir
et d'entendre le langage du peuple contre lequel
ils sont employés à la guerre, tant pour le bien du
service du Roi, que pour leur conservation et utilité
particulière, ce dont ce comte eût tiré parti. S'il eût
su l'allemand, il eût promis au soldat mécontent
une récompense plus forte que le don qu'avoit reçu
son camarade. Et faute de pouvoir entendre ce que
l'un et l'autre se disoient, y porter remède et faire
de ce soldat sa sauvegarde, celui-ci, par méchanceté,
fait deux pas en arrière, couche en joue ce pauvre
comte et lui lâche son coup de feu au milieu de
la poitrine. La commotion du coup, autant que
l'étonnement, le renverse ; le comte de Vogué avoit
une demi-cuirasse telle qu'en portent les cavaliers ;
elle étoit couverte d'un frac de camelot boutonné,
ce qui heureusement en avoit sauvé la vue à ce vilain
hanovrien qui, le voyant renversé, le crut mort et
s'éloigna.
Le comte de Vogué prit donc le parti d'attendre
du Ciel le moment à donner signe qu'il respiroit; le
temps n'en fut pas long : la colonne vint passer
près de lui ; il entendit parler un langage qui n'étoit
pas allemand ; c'étoit la langue angloise ; il espéroit
dans ceux-ci plus de générosité qu'il n'en avoit
éprouvé des premiers. La nation angloise est connue
à cet égard par mille traits qui l'honorent et est
rivale de la françoise, qui l'est infiniment par carac-
tère et tout naturellement, alors que l'on reproche
à la première de l'être par un effet d'amour-propre
et de vanité ; toutes les nations les voient et les
jugent ainsi.
248 CAMPAGNES [1759]
Pour en revenir au eomle de Vogiié, la jambe
toujours engagée sous son cheval, il se soulève
et fait signe du bras à cette colonne que quel-
qu'un vienne à lui. Un officier, un des premiers
qui l'aperçoivent, va à lui et, comme il l'approche, le
comte lui dit : « Monsieur, je suis colonel, au ser-
vice de France, d'un régiment de cavalerie, j'ai la
jambe cassée, je souffre beaucoup. Je vous prie de
me faire donner du secours. » Un soldat anglois
avoit suivi son officier, qui lui dit : « Restez ici avec
ce François jusqu'à mon retour. » Il va joindre la
colonne et son colonel, auquel il raconte le secours
que ce François réclame de lui. Ce colonel, em-
pressé d'être utile à un de ses confrères, quoique
ennemi, d'un temps de galop se porte vers le
comte, après avoir dit à un sergent et à deux sol-
dats de son régiment de le suivre, ainsi qu'à un chi-
rurgien qui lui étoit attaché ; il arrive près du comte
et lui demande son nom. Celui-ci lui dit : « Vogué ».
Alors ce chef, par les quatre hommes de son régi-
ment, le fait dégager de dessous son cheval et
s'aperçoit du coup de feu qu'il a sur la poitrine. Le
comte lui apprend, en peu de mots, d'où il provient.
L'Anglois ordonne au chirurgien qu'il lui laisse de
le faire transporter dans la ferme prochaine, de le
panser et de lui porter tous les soins que son art
pourra lui suggérer ; que, pour la sûreté de cet offi-
cier, il eût à laisser les quatre hommes de son régi-
ment qui le portèrent à la ferme voisine, l'y gar-
dèrent jusqu'au soir que ce colonel vint l'y voir, et,
comme l'armée des ennemis devoit partir au point
du jour pour suivre l'armée françoise et leurs vie-
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 249
toires, ce colonel témoigna ses regrets au comte
d'être obligé de le quitter et, sans calculer sur les
suites, lui laissa son chirurgien, un sergent et un
des trois soldats, pour qu'ils ne le quittassent que
lorsqu'il pourroit se passer d'eux, et dit au chirur-
gien de ne le quitter que lorsqu'il seroit guéri et en
état d'être transporté.
Le comte, isolé dans cette ferme, y passa plus de
trois fois vingt-quatre heures, que l'on ignoroit, au
quartier du prince Ferdinand, qu'il y existât un pri-
sonnier blessé de marque, ce qui avoitfait renvoyer
avec une réponse peu satisfaisante le trompette que
le maréchal de Contades avoit adressé à ce prince
pour avoir nouvelle du comte de Vogiié.
Son père, donc, instruit par ces deux officiers
de Colonel-général, renvoyés sur leur parole, en
fut, comme Ton doit le penser, extrêmement content
et satisfait, non sans inquiétude pour les suites, et
obtint un passeport du prince Ferdinand pour le
valet de chambre de son fils et un autre domestique
qu'il lui adressa, et dix à douze jours après, instruit
que son fils alloit à merveille, il pria tous les offi-
ciers vivarois, ses compatriotes, à dîner chez lui,
pour leur faire part de sa joie, sûr qu'ils avoienl
été très affectés de sa peine, et, le verre à la main,
que la joie y mettoit, nous bûmes à coups répétés à
la convalescence de ses deux fils chéris.
Si je suis entré dans le récit d'un fait si intéres-
sant pour le marquis de Vogué, c'est pour que tout
officier du Vivarois soit instruit combien le père et
les enfants étoient chers à tous ceux qui guerroyoient
alors et pour que, dans l'avenir, ceux qui viendront
250 CAMPAGNES [1759]
aiment les rejetons d'une si brave race, que le mar-
quis a illustrée le premier par l'obtention du cordon
])leu et (piiin an de plus dévie eût vu faire marécbal
de France ', mais la Fortune, qui favorise jusqu'à un
certain point, permit là à la Parque de trancber le
fil de ses jours.
Revenons au camp au-dessus du Pctit-Munden,
qui nous donna l'avantage de joindre nos lits. Nous
en partîmes le lendemain et arrivâmes à Cassel
[11 août], où l'armée resta environ dix jours, pendant
lesquels le prince Ferdinand manœuvroit et nous
donnoit de la jalousie sur notre gauche, menaçant
notre communication avec Francfort, d'où l'armée
devoit, sous peu de jours, tirer toutes ses subsistances,
celles de Cassel étant en petite quantité [et devant
être rapidement consommées], ce qui détermina le
maréchal de Contades à venir en deux marches
camper à une lieue de ^ , l'ayant à sa
gauche, l'intermédiaire couvert de bois.
Ce fut à ce camp que le maréchal d'Estrées joignit
l'armée et devoit, d'accord avec le maréchal de
Contades, dont il étoit l'ancien, la commander. Le
maréchal de Belle-Isle, ministre de la guerre, avoit
1. Le marquis de Vogué faisait partie de la promotion de
maréchaux qui fut signée par le Roi le 13 juin 1783, c'est-à-
dire neuf mois après sa mort. Elle comprenait le marquis de
Ségur et le marquis de Castries, les deux compagnons d'armes
du marquis de Vogué, ainsi que le comte de Mailly, le prince
de Beauvau et le comte de Laval, qui étaient loin d'avoir des
états de service égaux aux siens.
2. Le nom est en blanc dans le manuscrit . Sans doute Gross-
Seelheim, où le maréchal d'Estrées, envoyé par la Cour, arriva
le 25 août.
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 251
pensé que quatre yeux y voyoient mieux que deux, que
ces deux maréchaux avoient éprouvé l'un et l'autre ce
que peut [faire] à des inférieurs la soif de comman-
der et de succéder à ceux aux ordres desquels ils
sont, l'un pour la bataille d'Hastenbeck et l'autre
pour celle qu'il venoit de perdre à IMinden.
Chez les ennemis du duc de Broglie, il étoit ordi-
naire de leur entendre dire sans ménagement que si,
à IVIinden, il eût attaqué à l'heure qui lui étoit pres-
crite, nous eussions gagné cette bataille et que la
coulpe de sa perte étoit à lui seul. Le duc de Broglie
sejustifioit[en disant] qu'il avoitofFertau maréchal de
Contades d'attaquer; qu'à la vérité, il lui en avoit fait
voir les difficultés ; que, malgré elles, il avoit persisté
à lui faire montre de son courage et de sa volonté à
suivre ses ordres ; que le maréchal étoit retourné au
centre de son armée, où le duc de Broglie avoit été
le chercher sans en recevoir nul ordre et qu'une
heure et demie après, la bataille avoit été perdue à
ce centre, lequel, se repliant sur la seconde ligne,
avoit forcé de nécessité les ailes de son armée à
suivre le même mouvement. Les suites prouveront
que le duc se justifia près de la Cour, quoique le
premier instant ne fut pas pour lui. Ses ennemis,
continuant leur venin, répandirent alors que, quels
que fussent ses torts, la nécessité de tirer parti de ses
talents les avoit laissés pour un temps à l'écart.
A l'arrivée du maréchal d'Estrées, dont toute
l'armée avoit regretté le départ, après le gain de la
bataille d'Hastenbeck, pour passer aux ordres du
maréchal de Richelieu, il courut parmi les soldats
le mot de dire qu'il étoit arrivé en poste, derrière
252 CAMPAGNES [1759]
sa voiture, 10.000 grenadiers. Cet enthousiasme
commun au peuple ne fut pas de durée et l'on vit
que ce maréchal eût mieux fait pour sa gloire de
jouir à Paris de sa première réputation ; son infirmité
lui en donnoit le moyen. Il vint compromettre sa
réputation à la fin de cette campagne, où il fui
obligé de partir et de laisser l'armée avant sa sépa-
ration. Nous verrons par la suite comme il revint à
l'armée, pour s'y compromettre encore davantage.
L'armée fit encore une marche rétrograde ; le quar-
tier général s'établit à Klein-Linden, vers la gauche,
la droite à Annerod, Giessen à peu près en avant du
centre. L'armée occupa ce camp environ six semaines.
Le maréchal d'Estrées, qui, à cause de son infir-
mité, en étoit parti pour Paris après quelques
jours de séjour, fut, quinze jours après, suivi du ma-
réchal de Contades, qui eut ordre de se rendre à
Versailles et de remettre le commandement de l'ar-
mée à M. le duc de Broglie, à cette époque le quin-
zième lieutenant-général de ceux employés à l'ar-
mée. Cela donna de la jalousie et beaucoup d'hu-
meur à tous les intéressés, ce que la Cour avoit prévu
et avoit en conséquence fait dire à chacun d'eux,
par le maréchal de Contades, que, comme elle regar-
doit la campagne finie, puisqu'on touchoit au 15 de
novembre, ils étoient les maîtres de quitter l'armée
avant son départ pour ses quartiers d'hiver, que le
Roi les y aulorisoit, ce qui calma beaucoup cette
humeur, et trois ou quatre seulement la quittèrent,
mais, vers le 30 novembre, le maréchal de ('ontades
parti, tous les corps s'empressèrent d'aller faire leurs
compliments au duc de Broglie de la satisfaction
(jLi'ils avoient de se trouver à ses ordres.
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 253
Ses premières opérations militaires, comme com-
mandant de l'armée, furent de faire deux fourrages
critiques, exécutés très près des ennemis et sur les-
quels il leur étoit très aisé de porter des inquiétudes,
mais l'un et l'autre se firent sans la moindre opposi-
tion de leur part.
A cette époque, la saison étoit déjà très froide et
dans les deux armées en présence chacun des
généraux qui les commandoient ne vouloit quitter
le champ de Mars qu'après son ennemi.
Le duc de Broglie, pour y déterminer le prince
Ferdinand de Brunswick, ordonna au marquis de
Voyer^ lieutenant-général, de partir avec douze
bataillons de ceux à ses ordres du camp du Bas-
Rhin, pour qu'ils eussent à se rendre de suite dans
la principauté d'Hachenbourg et, le 5 de novembre,
le marquis de Vogué, à ses ordres la brigade de Pi-
cardie, celle de la Tour-du-Pin, une brigade de
cavalerie et un régiment de hussards, partit du
camp de Rlein-Linden pour se porter avec ce corps
dans la principauté d'Hachenbourg, s'y joindre à
M. deVoyer et, par ce mouvement, se portant sur les
derrières des ennemis, gêner si fort leurs subsis-
tances, que cela les obligeât à quitter leurs positions
vis-à-vis Giessen et les déterminât à prendre leurs
quartiers d'hiver. Ces deux corps [furent] réunis
dans le pays d'Hachenbourg; celui du marquis de
Vogué marcha à Herborn.
1. Marc-René, marquis de Voyer, fils du comte d'Argenson,
ministre de la Guerre, et neveu du marquis d'Argenson, ministre
des Affaires étrangères, né en 1722, maréchal de camp en 1752,
lieutenant-général en 1758, mort en 1782.
254 CAMPAGNES [1759]
PeiulaiU noire seconde marclie, qui nous metloit
en mesure d'y arriver, j'élois à la tête de notre
colonne, où étoit le marquis de Vogué. Nous enten-
dîmes tirer beaucoup du canon à notre droite et non
loin de nous. Compatriote du marquis de Vogiié, je
lui demandai ce que c'étoitque ce canon ; sa réponse
fut que ce devoit être le marquis de Voyer qui faisoit
à Dillenbourg la même opération que nous allions
faire à Herborn, c'est-à-dire le prendre et les
troupes qui y étoient dedans ainsi qu'à son château.
Au début de cette même campagne, le régiment
avoit passé par Herborn, où il avoit fait un séjour de
quatre jours, pendant lesquels j'avois été me pro-
mener à Dillenbourg, qui n'en est éloigné que
d'une lieue, et j'y avois examiné avec bien du soin
le château, qui est un carré, à chacun de ses angles
un très bon bastion, les courtines en très bon état,
couvertes de demi-lunes, le tout revêtu en très belle
et bonne maçonnerie, les fossés profonds et larges,
un bon chemin couvert, mais point palissade ; et,
parcourant ce château avec quelques-uns de mes
camarades, je leur disois que je m'estimerois heu-
reux d'avoiràle défendre, avec une garnison de 300
hommes et quelques pièces de canon ; nous étions
tous d'accord sur cette satisfaction.
Ce souvenir me détermina à répondre à M. le
marquis de Vogué : « Quant à la ville de Dillenbourg
(dominée de trente toises d'élévation par le châ-
teau et dont le jet d'une pierre lancée de sa som-
mité arriveroit sur la place de cette petite ville), il
s'emparera sans difficulté de la cité, mais, pour le
château, s'il y a seulement 100 hommes, il ne le
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 255
prendra pas et, si l'officier qui les commande se
rendoit, le prince Ferdinand devroitle faire pendre,
car, pour peu qu'il y ait pensé, il lui a été aisé de se
pourvoir de vivres au moins pour un mois, se trou-
vant en position si sûre. — Vous m'étonnez, me
riposta ce général; j'étois présent lorsqueM. Dauvet \
lieutenant-général, a dit au duc de Broglie, qui ne
connoît pas plus que moi Dillenbourg, que l'on
entreroit dans ce château à cheval. » Ma réponse
fut : « Par la porte, si on la laisse ouverte, mais je
dois penser que nous verrons le contraire. »
Comme nous approchions d'Herborn, nous aper-
çûmes environ 80 chevaux, hussards de Luckner,
qui, s'apercevant que quelques escadrons dirigeoient
leur marche vers la rivière qui traverse là cette autre
petite ville, s'empressoient à toutes jambes de l'éva-
cuer.
M. de Nordman ~, lieutenant-colonel du régiment
de hussards aux ordres de M. de Vogué, avoit, la
veille, tenté de prendre Herborn, ayant avec lui un
détachement de 300 hommes d'infanterie, mais il
avoit été repoussé.
Le rempart de cette petite ville étoit très élevé et
à l'abri d'un coup de main, excepté que l'on eût été
1. Louis-Nicolas, marquis d'Auvet, mousquetaire en 1730,
guidon des gendarmes d'Orléans avec rang de lieutenant-colo-
nel en 1734, mestre de camp en 1738, brigadier en 1745,
maréchal de camp en 1748, lieutenant-général en 1759, grand-
croix de Saint-Louis en 1774, mort en 1781.
2. Le manuscrit porte « Dormane ». Il s'agit probablement
d'un parent de Sigismond Nortmann, né en Silésie en 1715,
qui passa en 1745 du service d'Allemagne au service de France
et se retira de l'armée en 1748.
256 CAMPAGNES [1759]
muni (l'rcliolles assez Ioniques et que l'atlaque se fût
faite sur deux ou trois j)oiuts et peutlant la nuit, ou
avant le point du jour. L'infanterie qui y étoitconsis-
loit à 80 hommes ; l'offieier (jui les eommandoit y
avoitfort bien disposé la défense de ces deux |)ortes,
qu'il avoil fait créneler et fait derrière un retran-
chement avec du fumier.
Le marquis de Vogué, instruit de la résistance de
la veille, fit sommer ce commandant, dont la réponse
fut que, s'il y avoit du canon, il étoit déterminé à
ne pas faire une défense inutile, qu'il abandonne-
roit la place et se retireroit à son armée, qu'il
demandoit qu'il lui fût permis d'envoyer un des offi-
ciers à ses ordres pour voir de ses yeux si nous avions
du canon, ce qui lui fut octroyé.
Pendant ce pourparler, le marquis de Vogué avoit
fait passer le ruisseau à deux escadrons de hussards
et deux de cavalerie, pour que de tout ce qui étoit
dans la ville rien n'en pût sortir.
L'officier envoyé par le commandant pour recon-
noître nos canons arriva et, après lui avoir montré
les huit pièces des régiments de ces deux brigades,
le marquis de Vogué lui dit : « Il est telle heure,
vous pouvez retourner à votre commandant, et si,
une demi-heure après votre rentrée dans la ville,
vous ou tout autre ne venez me dire que tout ce qui
est dans la ville se rend prisonnier de guerre, ces
huit canons vont faire sauter vos portes, la ville au
pillage et sa garnison passée au fil de l'épée ; telle est
ma première et dernière proposition, à quoi j'ajoute
que vous conserverez les équipages des officiers et
soldats prisonniers de guerre. » Cet officier rentra
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 257
dans la ville et, un quart d'heure après, le comman-
dant en sortit et accepta la capitulation proposée, ce
qui fut exécuté l'instant d'après, et les deux brigades
d'infanterie y furent logées avec le quartier général
[3 janvier 1760].
Le soir du même jour. M, de Vogué fut
instruit que son collègue, M. de Voyer, avoit fait
tirer deux cents coups de canon sur le château
de Dillenbourg, comptant en imposer à sa garnison,
qui n'en avoit fait compte, de même que de la
sommation effrayante qu'il avoit faite à cette garni-
son ; qu'enfin, par arrangement, il avoitété convenu
que du château on ne tireroit pas sur la ville, comme
de la ville on n'insulteroit d'aucune manière le châ-
teau, dont la garnison étoit de 220 hommes.
Par cet arrangement convenu, M. de Voyer rem-
plissoit les vues du duc de Broglie, l'opération des
vingt bataillons et douze escadrons employés dans
cette partie ayant pour but de forcer le prince Fer-
dinand à prendre ses quartiers et l'éloigner autant que
possible de pouvoir rien entreprendre sur la ville de
Giessen, abondamment pourvue de vivres et d'une
bonne garnison aux ordres de M. du Blaisel, à cette
époque maréchal de camp.
Car il étoit plus que probable que, quand bien
même il eût pris le château de Dillenbourg, on l'eût
abandonné par l'éioignement où il se trouvoit de la
ligne des quartiers d'hiver que le duc de Broglie se
proposoit de donner à son armée ; mais l'avantage
eût été considérable, en évitant l'événement fâcheux
dont je parlerai ci-après, et la précaution que l'on
eût pu prendre de faire sauter un des bastions de
17
258 CAMPAGNES [1759]
ce château eût évité le siège que l'on fut obligé d'en
faiie à l'ouvcrUirc de la campagne suivante, dont
deux brigades d'infanterie et vingt pièces de canon
de siège furent occupées pendant vingt et un jours,
et ce château ne se rendit que lorsqu'il fut un tas de
pierres.
Comme j'eus, à cette époque, l'occasion de voir
souvent le marquis de Vogué, j'avois celle de lui
parler de ce château en lui ramenant la reddition de
compte qu'en avoit faite le général Dauvet au duc de
Broglie,
L'événement fâcheux qui suivit les arrangement
et concordat faits par M. de Voyer et le com-
mandant de ce château fut que M. de Voyer se
porta en arrière avec dix des douze bataillons à ses
ordres et sa cavalerie, pour cantonner les uns et les
autres dans des villages, laissant deux bataillons
suisses à Dillenbourg et, à une lieue en avant d'eux,
de l'autre côté de la rivière, 200 dragons aux ordres
de M. de La Chassagne \ lieutenant-colonel de
Beauffremont.
M. de Paravicini-, lieutenant-colonel, comman-
doit les deux bataillons suisses à Dillenbourg.
Instruit qucLuckner, avec un corps assez nombreux,
1. Firrain-Aimé Dassier de La Chassagne, né à Lyon en
1702, volontaire en 1720, capitaine en 1721, rang de lieutenant-
colonel et commandant de dragons à pied en 1748, pourvu
d'une compagnie en 1755, lieutenant-colonel en 1757, retiré
en 1763.
2. Jean-Baptiste de Paravicini, néàCoire, capitaine au régi-
ment de Waldner en 1735, chevalier de Saint-Louis en 1741,
lieutenant-colonel au même régiment en 1754, brigadier en
1758, tué le 7 janvier 17G0.
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 259
avoit été envoyé par le prince Ferdinand pour pro-
téger les derrières de son camp, ayant donc des avis
que ce corps étoit en mouvement, il avoit poussé
ses deux compagnies de grenadiers sur le chemin
par où il pensoit que ce corps pourroit venir à lui,
se croyant assuré d'être instruit s'il prenoit l'autre
route où étoient les 200 dragons, et éviter, par
cette double précaution, toute surprise.
Je passe à M. de Vogué et à la division à ses
ordres. Herborn formant une petite ville plus consi-
dérable que Dillenbourg, ce général y tenoit ensemble
les huit bataillons à ses ordres, ses hussards sur le
bord de la rivière, de fortes patrouilles en avant pour
avoir à chaque instant des nouvelles des ennemis,
et sa cavalerie cantonnée dans les villages, derrière
et le plus près possible d'Herborn ; telle étoit sa
position.
Le corps de Fischer, aux ordres de M. de Voyer,
occupoit un village sur le l)ord de la rivière,
à sa rive gauche, intermédiaire de Dillenbourg à
Herborn. J'observe ici qu'étoit avec Fischer le régi-
ment d'Orléans cavalerie, dont étoit mestre de camp
M. le marquis de Conflans, fils de feu le maréchal
d'Armentières, qui, par son amour des troupes
légères, y avoit assimilé son régiment d'Orléans
cavalerie.
M. de Vogiié, donc, instruit que les ennemis étoient
en mouvement près de lui, ignorant parfaitement
quel pouvoit en être le nombre, forma un détache-
ment de 800 hommes d'infanterie et 200 che-
vaux et en donna le commandement à M. le mar-
quis de Bréhant, colonel de Picardie, et deux pièces
de canon de régiment.
260 CAMPAGNES [1759]
Nous nous mîmes en marche au point du jour.
Après avoir (ait deux lieues de l'autre côté de la
rivière qui traverse Herborn, nous arrivâmes à un
village où nous trouvâmes des feux encore allumés
dans tout son pourtour ; nous y fûmes instruits qu'un
corps de 4.000 liommes des ennemis y avoit passé
la nuit et qu'il en étoit parti au point du jour. Le
détachement ne poussa pas plus avant sa marche,
mais bien des patrouilles achevai sur tous les points,
pour avoir des nouvelles, car des paysans il ne fut
possible de tirer le moindre indice certain, tant ils
étoient à la dévotion de leurs troupes ou alliées. La
plupart des hommes avoient même fui de ce village,
où il ne restoit que les femmes, les enfants, les
vieillards et des infirmes. Nous passâmes là tout le
jour ; c'étoit celui de la veille des Rois et le froid
étoit excessif.
A la nuit, je fus détaché, avec la compagnie des
grenadiers et 50 fusiliers du régiment de Picardie, sur
un mamelon très élevé qui dominoit le village, et nous
y passâmes cette nuit au bivac, par un temps alïVeux
de vent, de grésil et de froidure. Nous y établîmes
des feux à l'aide desquels le mauvais temps fut sou-
tenu avec l'attention de tourner tantôt le devant,
tantôt le derrière. Nous fîmes là les Rois, avec de
l'eau-de-vie et du pain de munition, et la gaieté nous
y soutint. Les deux capitaines, M. de Saint-Maurice ^
et moi, fîmes les frais de la fête, qui ne furent pas
bien coûteux.
1. Jean-Charles Ardoin de Saint-Maurice, né à Verges
en Frunche-Comté en 1713, cadet en 1727, brigadier en 1729,
lieutenant en 1734, capitaine de grenadiers en 1707, com-
mandant de bataillon en 1762.
[1759] DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 261
Au soleil levant, notre ordre portoit de descendre
au village et, comme le jour du lendemain fut une
brume et de la neige et point de soleil, nous atten-
dîmes qu'il nous arrivât du village un sergent et
quinze hommes, qui vinrent nous remplacer pour,
découvrant de cette sommité une partie de la cam-
pagne, y servir de vedettes et avertir le général de
ce qu'ils découvriroient. Lorsque nous descendions,
il parut à plusieurs de nous que nous entendions
quelques coups de canon, mais comme ce bruit ne
fut que d'un instant, nous pensâmes qu'il pouvoit
venir du côté de Dillenbourg et sa cessation nous
fit croire que c'étoit peu de chose. Nous fûmes
nous réchauffer et nous reposer..
Toute la journée se passa dans ce même village.
M. de Bréhanty donna à dîner à tous les officiers de
son détachement, d'où, sortant du village, nous vîmes
arriver, à un hameau situé sur un petit mamelon à
un demi-quart de lieue de nous, une troupe de cava-
lerie — il étoit alors trois heures et demie — et en
même temps trois hommes à cheval qui venoient à
nous. Notre vedette de notre mamelon avoit averti
de cette venue au moment même que nous l'aperce-
vions. Ces trois cavaliers étoient un officier d'Orléans
cavalerie et deux cavaliers ; ils rendirent compte
que c'étoient M. de Conflans et son régiment qui
arrivoient là avec le projet d'y passer la nuit.
M. de Bréhant et les officiers qui étoient avec lui
rentrèrent dans le village et chacun fut chez soi. Je
restai avec M. de Bréhant qui me dit : « Je vais
vite écrire un mot à Conflans pour savoir les rai-
sons qui l'ont amené ici. » Instruit qu'ils étoient
262 CAMPAGNES [1759]
fort liés, parce que j'en avois été témoin à Metz où
nous avions été en garnison ensemble, je dis à
M. de Bréhant : « Il v a tout près pour l'y aller voir:
voulez- vous y aller? je vous accompagnerai. Voilà la
nuit qui va tomber, il faut y aller à pied, car, incer-
tains des chemins et tout glacés, nous serons plus
en sûieté de cette manière. » Il prend son parti et
nous sortons de chez lui. Avant de quitter le village,
il fait établir un détachement de 100 hommes, pour
aller occuper le mamelon dont j'ai parlé; cela fait,
nous sortons pédestrement du village.
La nuit tomboit et les feux du régiment d'Orléans
éclairoient notre direction. De temps en temps je me
tournois pour reconnoître ce qui pourroitnous servir
pour notre retour. « Que regardez-vous ? » me disoit
IVI. de Bréhant. — « Le chemin que nous devons
tenir pour notre retour, afin de ne pas nous égarer. »
Car, sans lui en rien dire, je prenois à mon compte
de l'avoir engagé à faire cette course et d'avoir quitté
son détachement. Jel'avois fait de vivacité, il le fai-
soit de même, et je ne voulus pas le troubler par des
réflexions tardives et le priver de se voir à pareil
rendez-vous avec M. de Conflans. J'avois été à Metz
trop souvent témoin de leur désir ardent de se trouver
à la guerre.
La nuit étoit des plus obscures. Malgré les glis-
sades que nous faisions sur la glace, d'où s'ensui-
voient quelques chutes, nous arrivons aux pre-
mières sentinelles. Après avoir été reconnus parées
postes, nous nous faisons conduire chez lui : logé
dans un taudis, derrière son régiment, qui étoit
campé dans des vergers, nous le trouvâmes éclairé
[1759J DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 263
d'une lampe, un grand bassin de lait sur la table,
un officier de son régiment avec lui et un valet qui
coupoit du pain très noir qu'il mettoit dans ce lait.
Il nous dit : « C'est là notre souper ; si vous voulez
le partager, à votre service ; il y a deux jours que
je vis de cela. ))M. de Bréhant lui dit : « Comment !
il y a une heure et demie au moins que tu sais que
je suis près de toi? Il falloit m'adresser quelqu'un,
je t'aurois envoyé du pain, du vin et quelques mor-
ceaux de veau ou de gigot. » La plaisanterie fut d'un
moment, après quoi M. de Bréhant lui dit : « Je
suis venu pour que tu me dises un peu des nou-
velles et savoir si tu as quelques notions d'un corps
qu'on dit de 4.000 hommes parti hier matin
du village que j'occupe ; j'ignore s'ils sont plus
ou moins de ce nombre, mais hier, à une lieue
et demie d'ici, quelques détachements de Fischer
et de mon régiment nous avons guerroyé plus de
trois heures avec leurs hussards et dragons. Leur
infanterie tenant toujours les bois, nous n'avons
pu juger de ce qu'ils sont. A la nuit, les troupes
à cheval se sont réunies en bataillon sur la lisière
du bois ; nous en avons fait de même à l'extrémité
de la plaine qui nous séparoit. Comme je voyois
qu'ils étoient plus nombreux que moi, j'ai marché
la nuit précédente une heure et demie et vins
en passer le reste à une lieue d'ici. Toute la jour-
née j'ai été à cheval ; je l'ai employée à être instruit
de ce qu'ils étoient devenus et, sur les deux
heures de l'après-midi, j'ai reçu une estafette de
Fischer, qui me dit que le détachement que
j'avois vu hier et perdu de vue à la nuit avoit sur-
204 CAMPAGNES [1759]
pris, pendant la nuit dernière, les 200 dragons aux
ordres de M. de La Chassagne et que tout avoit
été fait prisonnier; que de là ee détachement s'étoit
porté à Dillenbourg, y avoit battu le régiment
suisse qui y étoit et y avoit fait grand nombre de
prisonniers, ce qui a déterminé ma retraite de ce
côté, où plus sûrement je puis gagner Herborn, et
c'est le hasard de ta rencontre qui m'a instruit que
tu étois ici. » Comme il n'avoit plus rien à nous
dire, nous le quittâmes et revînmes à notre village.
Vers les neuf heures du lendemain, M. de Bré-
hant reçut ordre de M. de Vogué de se replier sur
Herborn ; il fit part de cet ordre à M. de Conflans, à
qui Fischer avoit mandé qu'il s'étoit replié à un
quart de heue d'Herborn.
A midi, nous quittâmes notre village. Notre marche
se fit tranquillement, mais avec plus de difficultés ; le
temps s'étoit mis au dégel, nous trouvâmes la rivière
un peu grossie et je ne sais par quelle raison on
nous la fit passer au-dessus de la ville, sans aller
chercher le pont, à un gué où néanmoins les sol-
dats avoient de l'eau jusqu'aux genoux ; d'autant
qu'après l'avoir passée, nous longeâmes la rive gauche
pour nous porter vis-à-vis Herborn, où nous joi-
gnîmes, sur les hauteurs qui sont entre le midi et le
couchant, nos deux brigades en bataille. Là je deman-
dai pourquoi on avoit fait guéer notre détachement ;
je n'ai eu d'autre éclaircissement que, lorsque l'ordre
avoit été donné, il n'y avoit presque pas d'eau à cette
rivière, qu'on doit considérer plutôt comme un tor-
rent.
Pendant la nuit que ces deux brigades passèrent
[1759] DE MERCOYROL DE BEA.ULIEU. 265
au bivac, le temps se mit au nord et le froid fut
très sensible. Le lendemain, au point du jour, on se
mit en marche avec le temps le plus serein et le
plus beau soleil possible.
M. de Voyer, avec la division à ses ordres, faisoit
retraite aussi pour gagner le pays d'Hachenbourg.
Aucune des deux divisions ne vit trace des ennemis.
Ce qui avoit déterminé notre retraite étoit l'ordre
qui en étoit venu à ces deux officiers généraux de la
part du duc de Broglie. Son mouvement avoit pro-
duit ce qu'il en avoit espéré, c'est-à-dire que le prince
Ferdinand lèveroit son camp et se détermineroit à
aller chercher ses quartiers. Mais comme, dans ce
mouvement général, il avoit 15.000 ou 18.000
hommes pour aller hiverner en Westphalie, il lui
étoit très facile d'arriver sur le marquis de Vogué
et successivement sur M. de Voyer; pour éviter tout
échec, il leur avoit ordonné de se retirer de suite
dans le pays d'Hachenbourg.
Avant de terminer l'expédition de ces deux divi-
sions, je dois dire comment les deux bataillons
suisses aux ordres de M. de Paravicini, qui en étoit
lieutenant-colonel, furent surpris à Dillenbourg.
M. de Paravicini, instruit qu'un corps des ennemis,
non éloigné de lui, y étoit arrivé..., pour se mettre à
l'abri de toute surprise, [étant] couvert dans un des
points en avant de lui par 200 dragons, vou-
lut accroître de prévoyance et pour cet effet fit par-
tir les deux compagnies de grenadiers à ses ordres,
leur indiquant le village où elles dévoient s'aller éta-
blir, y être très alertes et, au moindre indice qu'elles
auroient que les ennemis marcheroient sur elles, se
266 CAMPAGNES [1759]
replier sur Dillenbourg. M. de Paravicini avoit étal)li
une garde au pont ; cette garde avoit une avancée de
quelques hommes à l'autre bout du pont, l^es deux
pièces de eanon de son régiment étoient établies à
l'entrée du pont, du côté de la ville. L'ordre qu'il
avoit donné à son régiment étoit qu'à la première
alarme de jour ou de nuit, le rendez-vous seroit à
l'emplacement où étoient les canons.
Le matin du jour des Rois, à huit heures, les sol-
dats de garde à l'avancée virent partir du bois vis-
à-vis d'eux des vêtus de rouge, marchant sur une
seule file, les fusils en écharpe sur les épaules, les bras
croisés et les mains sous leurs habits. A cette manière,
ils pensèrent que c'étoient les deux compagnies de
leur régiment, parties depuis deux ou trois jours, et
que c'étoient elles qui arrivoient ; le sergent qui les
commandoit le pensa de même, mais, lorsqu'il s'a-
perçut que la longueur de cette file dépassoit le
nombre de deux compagnies de grenadiers de son
régiment, il fit prendre les armes à sa troupe et
envoya un soldat avertir le capitaine qui étoit à l'autre
bout du pont. Les ennemis, témoins et à vue de voir
ce que faisoit cette avancée, et le soldat envoyé à
l'autre bout du pont, prirent alors la course, se
saisissant de leurs armes, et vinrent gagner le bout
du pont. L'avancée fit feu sur eux, mais fut forcée
de se replier sur le poste du capitaine. Comme les
premiers des Hanovriens arrivés n'étoient pas en
force, ils n'osèrent se porter en avant et là s'établit
un feu de mousqueterie entre eux et le poste du
capitaine suisse, qui avoit envoyé son tambour pour
battre l'alarme afin que chaque officier et soldat eût
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 267
à se rendre au lieu indiqué. M. de Paravicini et ses
deux fils furent des premiers au rendez-vous et, à
mesure que l'on arrivoit, l'on se formoit et on eom-
battoit.
Les ennemis en faisoient de même ; ils vou-
lurent tenter d'arriver en colonne par le pont, mais
cinq ou six coups de canon y frappèrent si à point
qu'ils quittèrent ce projet et, voulant profiter du
moment de l'étonnement qu'éprouve toute troupe
surprise, ils firent deux troupes de 400 hommes
chacune, dont l'une se dirigea laissant le pont à
droite, l'autre à gauche, avec ordre de passer la
rivière et de venir chacune attaquer le flanc des
troupes qui défendoient le pont, ce que ces deux
troupes exécutèrent avec courage.
Les deux bataillons suisses étoient de 300
hommes chacun, y compris les grenadiers; les
grenadiers manquoient à M. de Paravicini ; il n'avoit
donc que 500 hommes (à déduire même au moins
100 qui n'étoient pas encore arrivés au rendez-vous
et les gardes de police et quelques malades), qui,
accablés d'une mousqueterie de 2.000 hommes de
front et de celle de 800 hommes divisés sur leurs
flancs, continuoient à se battre avec acharnement,
mais M. de Paravicini, percé de trois coups de
feu et tombé mort, plusieurs officiers tués ou blessés,
dont un des fds de M. de Paravicini \ la plupart
des soldats tués ou blessés, le reste fit battre la
chamade et se rendit prisonnier de guerre ; ainsi ce
régiment avec son canon fut pris dans son entier, à
1. Joseph de Paravicini, capitaine au régiment de Waldner
et chevalier de Saint-Louis en 1760.
268 CAMPAGNES [1759]
l'e.xception des deux compagnies de grenadiers
[8 janvier 1760].
L'oflicier commandant le détachement des enne-
mis, craii^nant sans doute que M. de Voyer et
M. de Vogiié ne marchassent sur lui, établit les
blessés dans des maisons, laissa deux chirurgiens
pour en avoir soin et quelques hommes pour leur
sûreté, augmenta la garnison du château de 100
hommes et du même jour quitta Dillenbourg en se
retirant par où il éloit venu. Quant à la perte de
tués et blessés, elle fut égale de part et d'autre.
Tous ceux qui connoissoient M. de Paravicini le
regrettèrent beaucoup. Si les dragons de BeaufTre-
monl n'eussent pas été enlevés, sans échappatoire
d'un seul homme sur 200 qui pût porter nouvelles,
M. de Paravicini, instruit, eût manœuvré de manière
que les ennemis n'auroient fait aucun préjudice à
son régiment. Celui-ci eut les regrets des troupes
et M. de T. a Chassagne tout le blâme.
Pour terminer cette campagne, il ne me reste plus
qu'à parler du siège de Marbourg et de celui de
Munster.
Dans le château de la première de ces villes, on
avoit laissé 700 hommes de piquets de diffé-
rents régiments et tous de notre camp de six se-
maines à Rlein-Linden. Les ennemis en firent le
siège, qui fut l'objet de huit jours, au bout desquels
la garnison fut faite prisonnière de guerre. Le com-
mandant de celte garnison acquit peu de gloire ; il
pouvoit tenir davantage, il ne le fit pas : ce fut aussi
la fin de ses services.
Munster étoit défendu par une garnison de
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 269
2.000 hommes aux ordres d'un brave et bon lieute-
nant-colonel d'infanterie, M. de Boisclaireau \ qui
fît une défense de trente jours de tranchée ouverte,
causa beaucoup d'inquiétude, de mal et de soins aux
ennemis et surtout beaucoup de pertes en tués, bles-
sés et malades qu'il occasionna aux troupes qui l'atta-
quoient ; il les avoit habituées à de petites sorties qui
les tenoient continuellement sous les armes dans les
tranchées. Instruit qu'un camp de trois bataillons
faisoit partie de celui de circonvallation, il ordonne
1.200 hommes d'infanterie, 100 chevaux et, sûr de
trouver ce camp dans la sécurité, il y marche à onze
heures du soir. Les premières sentinelles sont sur-
prises et égorgées ; il entre dans le camp, qu'il trouve
endormi ; les troupes qui y reposent y reçoivent le
réveil et en même temps la mort ; lassé d'égorger,
il fait mettre le feu à ce camp, se retire et rentre
dans sa place, sans perte que de 7 ou 8 soldats,
après avoir causé aux ennemis celle de 700 à
800 hommes et une terreur générale, dont il les
alarma à chaque instant pour le reste du temps de
ce siège. Sa place ouverte, il fut sommé et menacé
d'un assaut ; il demanda vingt-quatre heures pour
répondre ; elles lui furent accordées ; il dressa les
articles de la capitulation. Sa belle défense et sa fer-
meté à soutenir l'assaut dont on le menaçoit lui
1. Paul-Ignace Guéroult de Boisclaireau, cadet en 1724,
enseigne dans le régiment de Mauconseil en 1726, capitaine de
grenadiers en 1747, commandant de bataillon en 1754, lieute-
nant-colonel au régiment de Durfort, puis brigadier en 1759,
maréchal de camp en 1762, gouverneur d'Oléron en 1767,
commandeur de Saint-Louis en 1779, mort en 1781.
270 CAMPAGNES [1750]
firent obtenir tout ce qu'il demandoit, et il en sortit
avec les honneurs de la guerre. Sa récompense fut
d'être fait brigadier et d'acquérir de l'estime cl de
l'honneur. Comme je n'étois pas de ce siège, je ne
puis entrer dans le détail des belles actions que firent
les troupes.
La brigade de Picardie et celle de la Tour-du-Pin,
après toutes les marches et contremarches dans le
pays d'Hachenbourg, se rendirent en trois marches
à Cologne, ville qui leur étoit destinée poury passer
leurs quartiers d'hiver, où elles arrivèrent le 22 du
mois de janvier ; il étoit temps de prendre un peu
de repos.
Le duc de Broglie fut créé maréchal de France
du 6 décembre 1759, et tous les chefs des
régiments, lorsqu'ils en furent instruits, s'empres-
sèrent de lui en faire leurs compliments ; toute l'ar-
mée prit part à son élévation rare d'être promu à
ce grade à l'âge de quarante ans. Sa gloire fut donc
vivement intéressée à mettre tous ses talents en
œuvre pour justifier le choix que Sa Majesté avoit
fait de lui, voulant lui confier, la campagne pro-
chaine, les forces de son Empire.
Le maréchal duc de Broglie, par des lettres circu-
laires, recommanda à tous les chefs des corps de
tenir la main pour que tous les régiments fussent
bien réparés d'armes, d'habits et de tout ce qui leur
étoit nécessaire pour la campagne.
Au mois de février [1760], il ordonna qu'il fût
formé par chaque bataillon d'infanterie une troupe
d'élite de 50 hommes, sous la dénomination de
chasseurs ; qu'il fût choisi un capitaine plein de
[1759] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 271
volonté et un lieutenant pour être attachés et com-
mander chacune de ces troupes de 50 hommes.
Il étoit dit dans cet ordre qu'on les exerceroit à bien
tirer autant que possible. On y prévenoit que,
pendant la campagne, quatre compagnies de gre-
nadiers et quatre de chasseurs formeroient par
brigade un bataillon, qu'à ce bataillon, pour le com-
mander, il seroit nommé un commandant de batail-
lon de la brigade ; l'on prévenoit que l'ordre étoit
donné que toute la poudre et pierre à fusil néces-
saires pour leur instruction leur seroient fournies.
Cet ordre fut lu à tous les officiers présents au corps.
Je prévis que je serois le premier capitaine du régi-
ment, par le rang que j'y tenois, qui désireroit d'y
être employé ; en conséquence, je me fis inscrire pour
commander une de ces compagnies. Les autres capi-
taines du régiment furent MM. de Foucault ^ Sala-
bert^ et de Noyel^ tous remplis de la même volonté
qui m'animoit.
Deux jours après, la composition de ces troupes
fut faite ; les hommes qu'on nous donnoit n'étoient
pas tous, bien s'en faut, du leste et du robuste,
comme le maréchal duc de Broglie l'indiquoit ;
j'en dis un mot à M. de Farges ^, notre lieu-
1. Louis-Daniel Foucault, lieutenant en 1748, capitaine en
1757.
2. Joseph-Hector Salabert de Mingin, né à Astaffort, au dio-
cèse de Condom, en 1731, lieutenant enl745, capitaine en 1755.
3. Jean-Baptiste de Noyelle, né à Lyon en 1722, quitta le
service en 175.3.
4. Joseph-Marc de Farge ou Desfarges, né à Marsigny-sur-
Loire, lieutenant en 1720, capitaine de grenadiers en 1747,
commandant de bataillon en 1752, lieutenant-colonel en 1757,
mort en 1762.
272 CAMPAGNES [^759]
tcMianl-eolonel à cette époque, et à M. Duvivier^
notre major. M. Diivivier me dit : « Je coniiois
votre attache pour vos drapeaux ; les grenadiers
et chasseurs peuvent, un jour de bataille, ne pas
se trouver au régiment et être employés ailleurs ;
privés donc de cette élite en ofïiciers et soldats,
vos drapeaux ne seront-ils pas exposés ? » 11 avoit
[raison] de penser que je leur étois très attaché; aussi
ma réponse fut de lui dire : « Faites le choix qu'il
vous plaira ; nous tâcherons de recréer ces mêmes
hommes ; nous y mettrons tant du nôtre que nous
les rendrons dignes de leur destination, celle de
servir avec les grenadiers. »
Ce choix fait, comme premier capitaine, je fis
part aux trois autres, qui se plaignoient de la com-
position de la troupe, de la conversation que j'avois
eue à cet égard avec le major, de son observation
et de ma réponse ; [j 'étois] sûr de les trouver pen-
sant comme moi et je ne me trompois pas. Nous
convînmes donc que le surlendemain, au point du
jour, nous commencerions notre instruction, ce qui
fut exécuté.
Soir et matin, cela l'espace de près de trois mois,
nos compagnies furent parfaitement exercées et très
obéissantes, si versées à bien tirer que j'étois parvenu,
après les avoirtenues très longtemps, à [les faire] tirer
homme par homme, par file, par division, par deux
1. Jean-Baptiste-Laurent Doys-Duvivier, né en 1711 à
Vivier près de Tonnerre, mousquetaire en 1729, lieutenant en
1731, major en 1748, rang de colonel en 1762, mort en 1765.
Une note d'inspecteur dit que c'était « un homme du plus
crrand mérite à tous égards y.
[1759] DE MEHCOYROL DE BEÂULIEU. 273
divisions et par compagnie. Je me portois souvent à
la cible qui étoit d'une compagnie de front, et en vérité
les balles y arrivoient avec une justesse étonnante dans
un espace de deux cents pas, distance la plus éloignée,
et, pour accroître leur confiance dans leurs armes, je
les faisois placer tour à tour sur le flanc de cette cible
pour qu'ils en vissent par leurs yeux l'effet. Cette
manière leur avoit élevé le courage et je voyois avec
le plus grand plaisir leur impatience de faire usage,
à la guerre et contre les ennemis, de cette arme meur-
trière. Je passai donc ainsi trois mois à former
ces 200 hommes.
Le moment d'entrer en campagne s'approchoit ; je
la vovois venir, espérant qu'elle me fourniroit l'occa-
sion de tirer quelque avantage de tous mes soins. Les
semestriers, arrivant chacun de leur province,
venoient nous voir à nos essais ; ils étoient tous
étonnés de voir tel ou tel de leurs soldats qui, lors-
qu'ils l'avoient quitté, n'osoit les regarder, les fixer
en face et répondre à leur demande avec la fierté
que donne le courage, sans sortir du respect que des
soldats doivent à leurs officiers.
18
CAMPAGNE DE 1760
L'ordre de quitter Coloi^ne et d'entrer en cam-
pagne nous arrive. L'armée doit s'assemlîler dans
les environs d'Amœnebourg, ce qui s'efTeclue, et,
dès notre première marche, M. de La Rochelhulon,
commandant de bataillon, est nommé pour com-
mander, pendant la duiée de la campagne que nous
allons commencer, le bataillon des grenadiers et
chasseurs de la brigade, qui, pour sa composition,
est augmenté du bataillon de la Marche-Prince.
M. Gelb est l'aide-major qui est attaché à ce batail-
lon.
L'armée est assemblée avec célérité. Le passage
de la rivière de l'Ohm, quelque petite qu'elle fût,
mais très encaissée, annonçoit de grandes difïicultés
pour la passer si les ennemis v eussent été en force ;
il falloit donc les y prévenir et de là se porter à
Clorbacli, position chérie, vu qu'il est notoire et
depuis plusieurs siècles que qui tient la position de
Corbach donne la loi et est le maître de la Hesse.
Le jour de l'arrivée de l'armée sur le bord de
l'Ohm, on aperçut un camp sur des hauteurs séparées
par d'autres couvertes de bois, au pied desquelles
coule cette petite rivière, ce qui donna quelques
inquiétudes à M. le maréchal [de Broglie], qui, vrai-
semblablement, n'étoit pas instruit parfaitement de
[1760J CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. 275
la force de ce camp, dont la droite et la gauche se
perdoient dans les bois. On découvroit des pelotons
de troupes de cavalerie, éparses sur tout le front de
ce ruisseau. Sur les hauteurs de sa rive droite,
bordée de positions excellentes, en remontant ce
ruisseau et sur la droite de l'armée, un corps de
troupes légères, dragons et quelque infanterie passa
ce ruisseau; il s'y donna un combat assez vif; les
ennemis, repoussés partout, commencèrent à éprou-
ver qu'ils n'étoient pas en force.
Pendant ce temps, l'armée en panne, on s'occupa
à faire ime infinité de ponts sur le ruisseau qu'elle se
proposoit de passer et, à trois heures après midi, elle
eut ordre de passer, ce qu'elle exécuta sans que le
passage lui fût disputé et sans que ses ennemis y
missent le moindre obstacle, et toutes les petites
troupes que nous avions aperçues se retirèrent sans
attendre l'approche d'aucune des nôtres.
Les hauteurs gagnées, l'armée s'y mit en bataille;
l'artillerie et les équipages arrivés, elle campa, à la
grande satisfaction du maréchal, qui avoit présumé
que là il pouvoit être arrêté ; il dut donc au rassem-
blement prompt de son armée d'avoir franchi cette
première difficulté.
Instruit que le prince Ferdinand rassembloit son
armée à Ziegenhain, il porta la sienne, par la
marche du lendemain, du passage de l'Ohm, à Neus-
tadt, où elle séjourna quelques jours, pendant
lesquels il disposa toutes choses pour la marche
rapide qu'il se proposoit d'exécuter sur Corbach, se
rendre maître de cette position qui lui promettoit la
conquête de la Hesse et de revoir son cher Cassel,
-i/H CAMPAGNES [1760J
qu il ;(M)il piiscn i;i;m(l(' a(ï"eclion, — reproclic <|ue
les critiques lui firent, avec quelque raison, à l'oc-
casion (le l'allaire de M. du Muy ', à VVarbourg,
dont nous parlerons lorsque nous serons à cette
époque.
Ici va commencer l'aflaire majeure du maréchal
duc dcBroglie avec le comtcdc Saint-Germain, lieu-
tenant-général, commandant l'armée qu'aNoit le lioi
en Westphalie, dont la force étoit de 16.000 à 18.000
hommes, et, par ordre du Roi, cette armée et son
généial dévoient exécuter très ponctuclh-ment tous
les ordres que le maréchal duc de Broglic leur don-
neroit.
Conséquemment donc aux opérations que le
maréchal duc se proposoit, il ordonna à M. de
Saint-Germain de se porter, sans le moindre séjour,
à Çorhach, lui inchquant l'heure, l'instant et le jour
ou lui-même y arriveroit avec toute son armée ; il
lui faisoit sentir la nécessité de la marche rapide
qu'il devoit emplover, tout étant prévu pour cette
marche.
L'armée en reçoit l'ordre et part; elle marche
trois jours consécutifs et ai-rive à Corbach. M. de
Saint-Germain y arrive pendant la nuit [10 juilleti.
Au point du jour, on est étonné d'entendre nos
postes avancés se fusiller avec les ennemis ; toutes
nos troupes légères sont à cheval ; elles attaquent
quelques escadrons de celles des ennemis, les jettent
1. Louis-Nicolas-Victor de Félix, comte du Muy, né en 1711
à Marseille, lieutenant-général en 1748, ministre de la Guerre
en 1774, mort maréchal de France en 1775.
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 277
sur quelques escadrons de dragons anglois, les uns
et les autres sont culbutés et battus.
Le maréchal de Broglie, qui s'étoit porté, sur le
compte qui lui en avoit été rendu, en avant de
Clorbach, où étoit son quartier général, voyant se
multiplier les ennemis dans un bois entre Sachsen-
hausen et (lorbach, fait marcher vis-à-vis ce bois
plusieurs brigades d'infanterie qu'il tire du centre
de la gauche de l'armée ; vingt pièces de parc y sont
amenées et il fait établir une canonnade très vive.
Après deux heures de son eflet, les troupes ont
ordre d'attaquer ce bois, dont les troupes qui s'y
trouvoient étoient protégées par quinze pièces de
canon de parc de leur grosse artillerie, non compris
celle attachée à cette infanterie. Pour que notre
infanterie fût à eux, il falloit traverser cent cinquante
toises de plaine, au bout de laquelle étoit une des-
cente très rapide de deux cents toises de trajet, et
de là, pour monter au bois, même trajet à parcou-
rir, et par une montée très roide, M. de Saint-Ger-
main attaquoit vers notre gauche le même bois.
Cette attaque fut poussée par les troupes de l'armée
du maréchal duc de Broglie avec tant de vigueur
que, nul obstacle ne ralentissant leur marche, elles
arrivèrent au bois et culbutèrent tout ce qu'elles
rencontrèrent. A cet instant, toute ladroite et lecentre
de l'armée étoient en marche pour se mettre en
mesure avec les troupes qui formoient cette attaque ;
on voyoit l'armée du prince Ferdinand qui arrivoit
successivement et se formoit sur les hauteurs de
Saclîsenhausen, mais, les ennemis culbutés et chas-
sés du bois, cette journée fut là terminée.
278 CAMPAGNES [1760]
Le prince Ferdinand avoit fait son calcul et avoit
prévu avec raison que le projet du maréchal de
Broglic devoit être de se porter et s'emparer de
Corbach. Dans cette persuasion ils'étoit dit : « Il faut
l'y prévenir )),et en conséquence avoit mis son armée
en marche, avant à peu près le même espace de
terrain à parcourir; mais, parti quelques heures
après l'armée Françoise, ou ses marches moins
longues, il arrivoit que toute l'armée du maréchal
v étoit. Cette armée l'avant donc devancé, il établit
son camp sur les hauteurs de Sachsenhausen, où il
mit son quartier général.
Cette dispute de position coûta aux ennemis envi-
ron l.OOO hommes; notre perte fut de 400.
Pendant les premiers jours de séjour au camp de
Corbach, l'armée retentissoit des plaintes qu'on
assuroit que faisoit le maréchal duc de Broglie, dont
il en étoit bien une partie contre M. le comte de
Saint-Germain, auquel il avoit donné l'ordre pres-
sant et positif d'arriver à Corbach à tel jour avec
toutes les troupes à ses ordres.
M. de Saint-Germain, qui y étoit arrivé avec sa
première ligne seulement, disoit, pour sa défense,
qu'il lui avoit été de toute impossibilité de pouvoir
arriver avec toutes les troupes à ses ordres ; que les
marches longues et dans des terrains difficiles avoient
mis les chevaux de la plus grande partie de sa cava-
lerie, ceux de son artillerie et de tous les équipages
dans l'impossibilité de pouvoir arriver avec toutes
ses troupes, faisant marcher l'artillerie et les équi-
pages au centre de ses deux lignes pour ne pas les
donner en proie aux troupes légères qui le suivoient
[1700] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 279
dans sa marche, et que telle étoit la raison qu'il
n'avoit pu arriver qu'avec la moitié de ses troupes.
Cette affaire fut discutée devant plusieurs officiers
généraux et le maréchal de Broglie rendit compte
à la Cour de l'opinion de ce comité, qui ne fut point
favorable à M. de Saint-Germain.
A cette époque fut rappelée la bataille de Bergen,
donnée et gagnée au mois d'avril 1759 sans le secours
deM. de Saint-Germain, qui, partant de Cologne avec
douze bataillons, pouvoitetdevoit joindre l'armée le
matin de la veille de la bataille, mais que les petites
journées qu'il avoit fait faire à ses troupes l'avoient
mis dans l'impuissance d'arriver, et qu'au moment
où la bataille étoit gagnée, ses douze bataillons
étoient à quatre lieues de Bergen, où il étoit arrivé
de sa personne, tout étant terminé.
Cette circonstance fit tenir aussi des propos sur
ce qu'il avoit été expectateur de la perte de la
bataille de Rossbach, où, au commencement de la
marche de l'armée de Soubise réunie à celle des
Cercles que commandoit le général Hybourgausen,
il s'étoit contenté de répéter à plusieurs instants :
« Mais où vont-ils ? mais où vont-ils ? » Que pou-
voit-on conclure de cette observation, surtout après
l'événement, que le prince de Soubise et son col-
lègue Hybourgausen hasardoient une marche des
plus inconsidérées ? Placé avec sa réserve sur des
hauteurs, versie flanc gauche de l'armée de Soubise,
il étoit possible à son œil militaire de voir ou de
juger de la manoeuvre du roi de Prusse et de l'im-
prudence de celle du prince de Soubise, qui, Fran-
çois comme lui, en conduisoit des milliers ou à la
280 CAMPACiNES L^'^^J
lioiilc (»u ;i la inoit (colle dcrnicie ('laiil encore peu
(lecîliose, lorsque des paienls, desamis, des pahioles
peuvt?nl honorer le lieu où va reposer à jamais votre
cendre el y remerciei- par de justes prières le Dieu
qui a donné la victoire à votre nation). Par ee
Irisle présage : « Mais où vont-ils? », il vouloit,
pour ravenii-, annoncer ses lumières et acqué-
rir la confiance qu'elles donneroient aux troupes
qui pourroient être à ses ordres. L'ambitieux se
montroit, mais que le patriotisme étoit loin de son
cœur ! D'origine espagnole, l rente-cinq ans de ses
services donnés à l'Électeur de Manheim ' et à celui
de Bavière, avoient sans doute absorbé de son âme
(ju'il l'avoit reçue dans une |)iovince Françoise et
annexée depuis longtemps à l'empire des Lis. Un
cœur vraiment François eût couru à son général,
lui eut dit tout ce qu'il croyoil voir et peusoit.
Enfin toutes ces différentes circonstances frappoienl
tour à tour tout ce qui composoit l'armée, qui vil
avec indifférence les mallicuis qui en vinrent à
M. de Saint-Germain.
Le maréchal de Broglie passa plusieurs jours dans
ce camp de Corbach et, lorsque l'armée y dormoit
tranquillement, il y veilloit à chercher les moyens
de faire quitter au prince Ferdinand la position
qu'il tenoit à Sachsenhausen.
Avant quesescombinaisonset dispositions fussent
prêtes, un de ses généraux, M. de Glaubitz-, éprouva
un échec assez fâcheux. Il étoit campé, avec deux
1. L'Électeur Palatin.
2. Christian, baron de Glaubitz, lieutenant-général en 1702.
'1750] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 281
bataillons d'infanterie allemande et un régiment de
hussards, à chemin intermédiaire à la droite de
l'armée à Mar bourg pour la sûreté de notre com-
munication et protection des vivres que nous
tirions de cette dernière ville. Le prince Ferdi-
nand, de son camp de Sachsenhausen, fit un
détachement de 5.000 ou G. 000 hommes c[ui,
faisant un grand circuit pour mieux couvrir leur
marche, arrivèrent à l'improviste et surprirent
d'abord le régiment de hussards campé à un demi-
quart de lieue en avant, ce qui donna la première
alarme, mais, avec elle et avant que M. de Glaubitz
eût pu donner le moindre ordre, les hussards enne-
mis entrèrent dans le camp de l'infanterie et s'em-
parèrent des faisceaux d'armes. Ce qui contribua à
cette prompte prise est que le tiers des soldats de
ces deux bataillons avoient été à Marbourg y cher-
cher le pain pour quatre jours, et qu'avec ceux
commandés à cet effet, les caporaux de chambrée y
avoient été pour acheter les denrées nécessaires à
leur consommation et quelques autres soldats pour
s'y pourvoir d'effets; parmi ceux qui éloient au
camp, nombre étoient au bois ou à l'eau, qui, à
l'alarme, gagnèrent par les bois le chemin de Mar-
bourg, s'y portèrent et tous ensemble y restèrent ;
dont il résulta que de ces deux bataillons il y en
eut le nombre d'un de fait prisonnier, le camp pillé
et le général de Glaubitz pris ; la plupart des tentes
sabrées et restées en place. Comme il n'y eut, de la
part de ces quatre ou cinq cents hommes, point de
défense, il n'y en eut pas dix de tués ou blessés
[16 juillet].
282 CAMPAGNES [1760]
Les ennemis, après celte leste opération, n'osèrent
se porter à Marbourg, crainte que la retraite ne
leur fût coupée, présumant avec raison qu'environ
300 hussards, qui avoient échappé à la surprise
qu'ils en avoient faite, auroienl été de suite en
porter la nouvelle au maréchal de Broglie, et,
alin d'éviter l'inconvénienl de toute fâcheuse ren-
contre, ils partirent sui-lc-champ pour regagner
leur camp, emmenant avec eux toutes leurs prises.
Toutes les précautions du maréchal due prises et
dispositions faites, le24 juillet, à soleil levant, l'armée
battit la générale. Une heure après, elle se mit en
marche, laissant le camp tendu, et marcha aux
ennemis, dont nous n'étions qu'à trois quarts de
lieue, avec toutes les démonstrations d'aller les
attaquer dans leur camp de Sachsenhausen. Après
avoir fait la moitié du chemin d'eux à nous, l'armée
fit halte, rectifia tout le front de l'ordre de bataille
de sa première ligne, occupant des postes avantageux
sur des hauteurs intermédiaires de notre camp à
la position des ennemis ; des bataillons de grena-
diers et chasseurs furent portés en avant; celui de
la brigade de Picardie fut porté sur le flanc droit,
sur une éminence couverte de bois.
Dès le premier instant de notre marche, l'armée
des ennemis prit les armes, se mit en bataille en avant
de son camp, tenant toutes les hauteurs, qui faisoient
un couronnement d'environ trois quarts de lieue de
front, sur lesquelles ils avoient fait quelques redou-
tes. La position des ennemis leur donnoil l'avantage
de découvrir tous nos mouvements et nous ne pou-
vions découvrir que les troupes de leurs premières
[1700] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 283
lignes, mais ce n'étoit pas notre présence seule qui
devoit les décider à abandonner la position qu'ils
occupoient. Le maréchal de Broglie avoit poussé un
corps de 20.000 hommes sur leur droite, qui, la
prenant en flanc et même sur leurs derrières, devoit
faire leur principale inquiétude, et, vers les neuf
heures du matin, nous entendîmes plusieurs coups
de canon qui se tiroient dans le lointain, à l'extré-
mité de la droite des ennemis ; quant à la mousque-
terie, étant trop éloignés, nous ne pouvions l'en-
tendre. Tous les détachements des ennemis qui
couvroient leur droite, trop faibles pour résister au
corps de 20.000 hommes qui les poursuivoit, fm^ent
rejetés aA^ec perte vers la droite du prince Ferdinand,
que ces 20.000 hommes approchèrent d'une manière
menaçante pour l'attaquer le lendemain s'il eût
voulu garder la position de Sachsenhausen ; mais ce
prince étoit général à ne pas combattre dans une
position si critique.
Je dois placer ici la fin de la carrière du brave
Lanouede Vair. Cet officier, plein de connoissances,
étoit capitaine du régiment d'Enghien ; j'ai ci-devant
parlé de ses services rendus à Harbourg et dans la
vallée de la Quinche, avant la bataille de Bergen,
ainsi que de son importante correspondance à cette
époque avec le duc de Broglie, qu'il instruisoit de
tous les pas des ennemis se dirigeant sur Francfort ;
il fut à ce duc de la plus grande utilité et celui-ci,
devenu général de l'armée, lui eût procuré de mar-
cher rapidement à la fortune ; il l'employoit déjà
avec un corps de 700 à 800 hommes, composé d'offi-
ciers et soldats volontaires de l'armée, avec eux
2.S'i CAMPAGNES [1760]
deux pirces de canon. Dans ce jour malheureux
pour lui et où il donuoit les preuves d'un eourage
si ardeiU, il poussoil loul ce qu'il renconlioit,
quoique de force supérieure, i.e comte de Broglie^
('•toit à l'attaque des 20.000 hommes qui dévoient
senei' de près la (h-oite des ennemis et dont Lanoue
de Vair faisoit \n première avant-garde. ( hiel que IVit
le caractère houillant de ce comte, voulant modérer
le courage dudit de Vair pour ([u'il ne se compromît
pas autant et fût plus modérément, il lui fit passei-
un mot d'écrit où il l'y inviloil ; cet écrit lui l'ut
remis par un dragon. De Vair ouvre ce hillet et, au
moment même où il le paicouit, un boulet le frappe
au milieu de la poitrine et il tombe sans vie. Le
maiéchal de Broglie, le comte son frère, la troupe
à ses ordres et tous ceux qui le connoissoient le
regrettent [25 juillet].
Les 20.000 hommes, arrivés au point que le ma-
réchal de Broglie leur avoit fixé, s'y arrêtent, s'y
forment plus correctement, se saisissent de tout
ce que le terrain leur présente d'avantageux et ne
sont qu'à une petite demi-lieue de la droite de lar-
mée des ennemis.
L'armée du maréchal étoit toujours en panne, en
face de celle du prince Ferdinand, qui, comme nous,
restoit stable dans sa position. Les deux armées res-
tèrent donc ainsi jusqu'à deux heures après midi,
où l'on déplaça quelques brigades de celle du maré-
1. Cliarles-François, comte de Broglie, frère de Victor-
François, duc de Broglie, IIP maréchal de France du nom, et
comme lui fils de François-Marie, duc de Broglie, IV maréchal
de France du nom.
[1760i DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 285
chai de Broglie pour les porter sur des poinls plus
avantageux.
Le maréchal duc étoit de sa personne continuel-
lement en observation pour voir ce qui se passoit
à l'armée des ennemis, dont la première ligne étoit
bien visible, mais les hauteurs cachoient la vue de
la seconde comme grande partie du camp de la
première ligne et absolument celui de la seconde.
On passa encore quatre heures dans cette inaction,
ce qui nous conduisit à celle de six après midi.
Le maréchal duc, qui pensoit que les ennemis
déblayoient leur camp et qui croyoit s'être aperçu
que de l'artillerie qui étoit sur leur front de bataille
il avoit disparu plusieurs pièces, se porta vers la
droite de son armée, appuyée à un bois, et dit à
M.de Villepatour ^ de reconnoître s'il pourroit conduire
à la sommité huit pièces de canon de douze livres de
balles, les y faire monter et de là tirer sur la ligne
des ennemis; que les cinq compagnies de chasseurs
de la bi'igade de Picardie seroient poussées sur le
flanc droit et les huit pièces de canon placées de
manière à présenter une tête de colonne.
Le tout exécuté et les pièces en batterie, elles com-
mencèrent à faire feu sur la ligne des ennemis ; le
moment d'après, je vis de mes yeux qu'ils tournoient
sur la direction de nos pièces plusieurs des leurs et,
l'instant d'après, nous les vîmes enflammées et les
boulets nous arriver; les nôtres continuant, ils con-
tinuèrent aussi. M. de Villepatour me dit : « Dites
1. Louis-Philippe Taboureau de Villepatour, lieutenant-géné-
ral en 1780, commandeur de Saint-Louis, mort en 1781.
280 CAMPAGNES [1760]
à (|iulqiK'.s-iiiis (le vos chasseuis do s'avancer un
|)('u dans le l)ois et de tâcher d'avoir quelques-uns
des boulets qui nous viennent, pour en connoître
le calibre, car, rencontrant des arbres, ils ne peuvent
aller loin. » J'ordonnai douze chasseurs pour cela
cl, un (juart d'heure après, ils nous apportèrent
deux boulets de sept et quatre de treize livres. Après
une canonnade de trois quarts d'heure, M. de Ville-
patour fit cesser la sienne. A son exemple, les enne-
mis en firent autant. Les pièces de canon furent
retirées et reprirent le poste qu'elles avoieni quille.
Au soleil couchant, nous vîmes se former une petite
colonnette de 400 à 500 hommes qui, suivant un
grand ravin qui se prolongeoit jusqu'au fond de la
vallée qui nous séparoit, descendit des hauteurs,
suivant ce ravin jusqu'à moitié chemin, et trente
hommes poussés plus bas, à une maison de paysan,
à deux cents pas plus haut que le fond de ladite
vallée. Pendant tout le temps que j'étois resté, je
m'étois amusé à bien fixer et rcconnoître le terrain
qui me paroissoit militairement le plus sûr à par-
courir si, le lendemain, on vouloit par là attaquer les
ennemis, ce qui me paroissoit improbable. Jemetlois
mes idées en quatre, pour faire naître de la facilité,
mais je ne pouvois l'asseoir et ne voyois que les
troupes détruites avant qu'elles pussent arriver au
haut de la montagne, sans possibilité que des hussards
seulement pussent la gravir; je me disois donc: «Il
ne se fera rien par ici » ; mais ce qui me servit de mes
observations fut d'avoir bien casé dans mes idées
la nature du terrain, comme il va être dit.
Sur les neuf heures du soir, nous fûmes instruits que
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 287
toute Tarmée venoit de recevoir l'ordre de se retirer à
son camp, à l'exception de quatre bataillons de
grenadiers et chasseurs qui resloient aux ordres de
M. de Boisclaireau, à qui cette nuit donna le sobri-
quet de Belle-de-nuit. M. de La Rochethulon, notre
commandant, permit que les grenadiers placés dans
l'intérieur du bois fissent du feu, ce que je ne voulus
pas permettre aux chasseurs qui étoient sur la lisière.
J'avois poussé en avant, sur trois points, trente
hommes pour être aux écoutes et éviter toute sur-
prise. Je savois par mon expérience qu'un ennemi
qui se retire (car nous les soupçonnions d'y être
forcés par leur peu de monde) fait souvent attaquer
les premiers postes avancés, sous l'espoir de cacher
et dérober ce qui'il fait, ce dont j'avois prévenu ma
troupe, à laquelle, sans certitude aucune, je disois
(aux officiers et aux soldats) : « Mangeons vite un
morceau, car il est possible que nous recevions
des ordres pour marcher tout à l'heure. » Il étoit
alors dix heures de la nuit; un quart d'heure après,
vint le chasseur d'ordonnance que j'avois près le
commandant du bataillon, qui vint me dire que
M. de Boisclaireau venoitd'} arriver, demandant à me
parler, et qu'il venoil à cet efiet me chercher. Je
traverse avec ce chasseur le peu de bois que j'avois
à parcourir. M. de Boisclaireau me dit : « Soyez
le bien venu. — A vos ordres, lui dis-je. — Eh
bien, ajouta-l-il, je vais vous les déduire : M. de
La Rochethulon vous donnera un lieutenant de
grenadiers, et à ses ordres trente grenadiers ». I^e
tour à marcher parmi eux me donna M. de Van-
teaux, lieutenant ordinaire du corps, qui étoit ce
288 ca:vip.\gnes [1760J
qu'on nommoil jîosliche, oUicier brave et très iiilcl-
lii^enl. (( Yous ;ill(V. pailir d'ici avec eux, joiiidie
vos cinq compagnies de chasseurs et, à minuit
précis, après avoir disposé votre troupe comme
vous le jugerez à propos, vous monterez la mon-
tagne où les ennemis ont été en bataille toute la
journée ; vous attaquerez tout ce que vous ren-
contrerez, ferez le plus de bruit et de feu possible.
D'autres chasseurs, sur différents points, doivent
exécuter même chose, je leur en ai déjà donné
Tordre. Le but de cette opération est que M. le
Maréchal veut être instruit si les ennemis pré-
tendent garder la position qu'ils onl tenue tout le
jour. »
■T'avois bien écouté, aA^ec attention, l'ordre
qui m'étoit donné et dis à M. de iioisclaireau :
(( Voilà qui est entendu. » Les trente grenadiers
étoient prêts ; je me mets à leur tête et joins les
cinq compagnies de chasseurs pour faire mes dis-
positions de marche et de conduite. Je vis combien,
pendant le jour, j'avois bien fait d'observer tout le
terrain...
f/aulcur s'acquiuc de ccUc mission et péiielre dans le village
de Sachsenhausen, oîi ses troupes font quelques prisonniers,
dont un ingénieur et l'aumônier d'un régiment de dragons
anglais, et où il constate que 1 ennemi est en retraite.
M. le maréclial duc de Broglie ayant été instruit,
dès une ou deux heures après minuit, que l'armée
des ennemis étoit en marche, on battit la générale
au camp françois. A huit heures, l'armée en partit
et vint camper la dioite en avant du centre qu'a-
[1760J DE MERGOYROL DE BEAULIEU. 289
voient occupé les ennemis au camp de Saclisenhau-
sen. Tous les bataillons de grenadiers et chasseurs,
formant une division aux ordres de Mgr le prince
de Condé^, furent poussés à une demi-lieue en
avant de l'armée et trois de ces bataillons furent
poussés à un demi-quart de lieue du prince, lesquels
lui servoient d'avant-garde ; les bataillons campèrent
sans équipages, tous les officiers sous des canon-
nières. Le bataillon de la brigade de Picardie en
étoit.
C'omme l'on a vu que j'avois voyagé toute la
nuit, après un repas des plus frugaux, je me couchai
sur la paille ; appétit, comme l'on dit fort bien,
vaut mieux que bonne chère ; il en fut de même
pour le lit : à neuf heures je dormois et ce sommeil
fut jusqu'à cinq heures du matin. Je quittai ma
paille, je me secouai et fus prêt. Comme tout étoit
tranquille, je me mis à déjeuner, persuadé que nous
marcherions peut-être bientôt. Je n'avois pas mangé
le tiers de mon pain et bu un coup que j'aperçois
Gelb, l'aide-major de notre bataillon, qui me dit :
« Le peloton de Saint-Maurice va marcher, les
chasseurs en font moitié, dispose-toi. » — «Je suis
prêt », lui dis-je.
Il bruinoit ; alors je prends ma redingote, j'en
couvre de mon mieux mon fusil et me rends à ma
compagnie, qui se disposoit à partir. Les quatre
troupes étoient prêtes, c'est-à-dire une compagnie
1. Louis-Joseph, prince de Condé, fils unique du duc de
Bourbon, premier ministre de Louis XV, né en 1736, mort en
1818. Chef du corps d'émigrés connu sous le nom d'armée de
Condé.
19
290 CAMPAGNES [1760]
de grenadiers et une de chasseurs du régimenl des
Gardes françoises, une de grenadiers et une de
cliasseurs du régiment, de Picardie. Ces quatre
troupes, que M. de La Morlière conduisoit, mar-
chent un petit quart de heue pour arriver à un vil-
lage nommé Hippenshausen. (jui fermoit la gorge
que nous avions parcourue, bordée de montagnes
à droite et à gauche, couvertes de bois.
Comme nous sommes à luie portée tle fusil de ce
village : « Restez ici et portez votre troupe contre
la lisière du bois, en y plaçant plusieurs senti-
nelles », me dit M. de La Morlière. Te commence Ix
exécuter cet ordre; je n'avois pas placé deux senti-
nelles et donné la consigne qu'elles dévoient exécu-
ter, que j'entends des coups de fusil qui se tirent
au village d'Hippenshausen ; je monte sur un petit
morceau de terrain plus élevé qui se présente et
legarde du côté du village où Ton tire ; j'aperçois
un homme à cheval qui, son chapeau à la main, me
fait signe de venir à lui : je vois que c'est M. de La
Morlière. Je ramène mes sentinelles, crie à ma
troupe : « Chargez vos sacs. » Je les joins et lem-
dis : « Les grenadiers de Saint-Maurice, avec les-
quels nous sommes de peloton, sont attaqués ;
montrons-leur qu'ils ont en nous de bons compa-
gnons. »
Les coups de fusil se multipliant à cette attaque
et M. de La Morlière [continuant] à me faire
signe d'arriver, je pris un pas de course, par un
chemin étroit. Mes chasseurs, chargés de leurs sacs
et de leurs armes, chacun d'eux allant selon sa force
et légèreté, il devoit en naître ce qui fut, que
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 291
toute ma compagnie se trouvât sur une seule file.
Arrivant à l'entrée du village, j'y trouvai le peloton
des Gardes françoises à droite et de là fusillant mal
à leur aise une troupe d'ennemis qui occupoient
un verger en face de l'entrée du village ; la com-
pagnie de grenadiers de Picardie à gauche de cette
même entrée, mal à son aise aussi et fusillant les
uns sur le verger dont je viens de parler, d'autres
dans une petite ruelle de traverse à leur gauche,
l'espace de l'entrée du village vide et une mare
d'eau bourbeuse de deux toises de large sur quatre
ou cinq de longueur. Je me tourne et, voyant que
je n'ai pas d'autre route à prendre pour arriver au
verger vis-à-vis, d'où partoit un feu vif, et de tour-
ner ledit verger (car, par son devant, impossible de
le monter, la haie relevée en terre présentant comme
un mur de dix pieds de haut), je crie : « A moi,
chasseurs ! » Je traverse cette mare, où je n'eus de
l'eau que jusqu'aux genoux ; je marche rapidement
à la pointe de ce verger, où je m'aperçois que ceux
qui le défendoienl se pressoientde me tirer et de
l'abandonner.
Un chemin se présente à gauche, je le prends ;
il étoit montant et j'allois être de niveau par le
terrain avec le verger, dont la face du côté du vil-
lage paroissoit si redoutable. J'observai que le
mauvais ordre de ma compagnie, à la file un à un,
la prolongeant, faisoit penser aux ennemis que ce
qui arrivoit étoit très nombreux. Dans ce verger,
j'aperçois un officier en écharpe, qui m'avoit l'air
d'y commander ; je crie : « A l'écharpe, à l'écharpe ! »
Dans le moment, cet officier se perd dans la foule de
ceux qui se sauvoient
202 CAMPAGNES [1760]
J'avance encore quelques pas a\ec le projel de
continuer à tourncM- el couper, si je le pouvois, les
troupes à ma droite qui fuyoient, lorsqu'au même
instant, il me semble entendre parler allemand à ma
i^auche et derrière moi ; je me tourne et je vois
une compagnie de grenadiers (leurs bonnets me les
désignant être tels) ; elle étoit liessoise. Par ce petit
arrêt, je me trouve seul ; les dix ou douze premiers
cliasseursqui me suivoient, ne s'apereevant pas que
je m'étois arrêté, suivoient les ennemis qui étoient
à droite, où j'avois désigné l'officier à l'écharpe.
J'ai dit que la compagnie de grenadiers de Saint-
Maurice faisoit feu dans une petite ruelle à leur
gauche ; c'étoit contre cette compagnie liessoise, qui
gardoit ce débouché et vis-à-vis laquelle je me
trouve seul l'espace de trois ou quatre minutes,
à trente pas d'eux. Voici à quoi j'attribue leur
première indécision : ma redingote étoit rouge
et ils me prirent pour un Hanovrien, puisque la
troupe à leur gauche l'étoit. Revenus de leur erreur,
toute cette compagnie fait haut les armes. Seul et
plus leste qu'eux, je les mets en joue et, sans tirer,
je promène le bout de mon arme sur tout leur front,
les menaçant par là chacun en particulier et pour
que chacun d'eux pût croire que mon coup de fusil
étoit pour lui. Dans cette critique position, ils me
tit-ent successivement leurs cinquante coups de fusil,
car ils étoient ce nombre ; ce qui les y porta, c'est
qu'ils me voyoient toujours debout et que chacun
espéroit de me jeter par terre.
Cette fusillade fit que dix ou douze de mes chas-
seurs, qui étoient ceux du centre de ma compagnie,
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 293
se portèrent à mol, auxquels je dis : « Suivez-moi,
ils n'ont plus de feu », et rapidement je marche à
eux ; ils prennent la fuite au pas de course, moi et
ces dix ou douze chasseurs après. Le premier que je
saisis, le prenant par la banderole de sa giberne et
le tirant avec force, je le jette à la renverse, disant
à mes chasseurs : « Ramassez. » Très vif à la course,
m'y étant exercé aux jeux de camp, je prends et
renverse de la même manière quatorze de ces gre-
nadiers, en disant toujours : « Ramassez », ce que
mes chasseurs exécutoient. Le reste de cette troupe
gagna en dehors la pointe de ce village.
Je dois dire ici que vingt grenadiers de la com-
pagnie de Saint-Maurice suivoient à la file les
derniers de mes chasseurs et que je me trouvois
renforcé de quatre cavaliers démontés, depuis
quelques jours ayant eu permission de servir à
la première compagnie de grenadiers de Picardie,
et de trois grenadiers des Gardes françoises qui
avoient suivi ceux de Picardie, et du lieutenant des
grenadiers de Saint-Maurice, un des braves officiers
de fortune, nommé Tignolet ', qui, pour récompense
de ses services, est aide-major à Besançon, et son fils,
à cette époque — 1788 — sous-lieutenant du corps du
régiment de Picardie, faveur qu'il doit à la valeur
de son père. Je fus donc fort aise de les trouver
réunis à moi.
1. Jean-Baptiste Rignon de Tignolet, de Damanges (?) en
Franche-Comté, soldat dans Picardie en 1747, sergent en 1753,
sous-lieutenant en 1760, lieutenant en 1765. Une note de
M. de Rochambeau, inspecteur en 1763, le qualifie ainsi :
« Très bon, a du détail. »
294 CAMPAGNES [1760]
L'expédilion de la compagnie des grenadiers hes-
soise faite comme je l'ai dit, je me trouvai avec tous
mes chasseurs, à l'exception de sept qui a voient
été : un de tué et six de blessés. Je dis à Armand,
sergent : « Prenez quatre chasseurs et conduisez
ces quatorze grenadiers et ces deux chasseurs lus-
sois à la première garde de camp, dont vous vous
ferez donner un reçu, indiquant à celui qui vous
le donnera de les faire conduire à la prévôté et d'en
tirer un reçu qui servira d'échange avec celui qu'il
vous remettra. » Je veux dire de suite que mon
sergent Armand, trouvant toute la division du prince
de Coudé en mouvement lorsqu'il y arriva, conduisit
lui-même ces seize jorisonniers au prévôt, dont le
soir il m'apporta le reçu. Ces quatorze grenadiers
s'en furent tête nue. Leur bonnet étant très brillant,
quatorze de mes chasseurs s'en étoient parés et les
portoient.
Revenons à la pointe du village, où les ennemis
des différents points qui le défendoient s'étoient
réunis, et ils étoient au moins 600 hommes.
Nous établîmes avec eux une fusillade assez vive, à
laquelle M. Tignolet, à côté de moi, eut les chairs de
la cuisse percées d'une balle, dont je fus très marri.
A mon inquiétude, il me dit : « Ce n'est rien, il n'y
a point de fracture », et, à l'aide de son fusil, il
marcha quelques pas et me dit : « C'est aujour-
d'hui le 26 de juillet ; la bataille d'Hastenbeck se
donna le même jour en 1757, j'eus le même coup
de feu à l'autre cuisse ; je m'en tirai bien et j'es-
père qu'il en sera de même de celui-ci. » — «Allez-
vous-en sur les derrières », lui dis-je, et j'ordonne
à un grenadier de le soutenir sous le bras.
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU, 295
Voyant que la partie ii'étoit pas égale avec ceux
auxquels j'avois à faire, je voulus essayer de les
tourner et, comme j'eus avancé par ma gauche d'une
vingtaine de pas et que j'étois sur un terrain un peu
plus élevé, je vis derrière le village et ses vergers, à
la distance de deux cents pas de ceux avec lesquels
je me fusillois, l'aspect d'une armée sur trois lignes,
et c'étoit toute l'arrière-garde de l'armée du prince
Ferdinand, et, sur le haut des hauteurs qui termi-
noient la petite plaine où étoit cette arrière-garde,
étoit encore partie de l'armée de ce prince, dont on
voyoit flotter les drapeaux.
[Voyant], à tant d'aspect de troupes, [qu'il m'étoit
impossible] de pousser plus loin les avantages des qua-
rante chasseurs qui me restoient et environ quinze
grenadiers, je pris le parti de laisser douze grenadiers
ou chasseurs derrière une petite butte où j'étois alors,
leur disant : « Continuez d'ici à tirer sur la troupe
qui est à la pointe du village ; vous y serez à couvert
et, pour faire feu sur eux, vous n'aurez que la tête qui
ne le sera pas ; vous les incommoderez beaucoup
et leur ferez grand mal, tandis qu'ils ne pourront
vous en faire, et, supposé qu'ils marchent sur
vous pour venir vous déposter, vous vous replierez
sur moi. Observez que je vais me placer dans le
chemin creux qui sort du village, pour gagner la
campagne. »
Ce qui me décida à me placer ainsi fut que,
dans ce même moment, je voyois qu'il se formoit
deux colonnes de 2.000 hommes chacune, que
je jugeois que l'une marcheroit par la gauche du
village, l'autre parla droite, et que, l'embrassant de
296 C\Ml'VGNES [1700]
cette manière, ils rcussciil hicnlôl ciilcNr cl pris ce
qui seroit dedans. Comme mon intention n'cloit
pas d'clre fait prisonnier de guerre, que j'o'tois là
rarl)itre de conduire les hommes à mes ordi-cs
comme cela me paroîlioil convenir, je me fouiiai
(iiiiis ce chemin creux, disant à mes soldats de gar-
dei' de l'un à l'autre deux pas de dislance, comme
lorsque le jour de la Fête-Dieu on horde la haie avec
peu de troupes. Montrant donc des chapeaux dans
une longueur qui me quadruploil, j'en imposoisaux
ennemis.
A mesure que je plaçois mes hommes comme
je le voulois, j'expliquois à chacun d'eux que nous
tiendrions là tant que nous pourrions, qu'ils eussent
attention d'avoir, en cas d'attaque, l'œil sur moi, qui
serois à leur droite, et qu'à l'instant qu'avec mon
chapeau je ferois signe de se retirer, chacun eût à
monter l'autre rive du lavin derrière soi, que cha-
cun eût à arranger le lieu pai* où il devoit monter
pour que cela se fît lestement et que de suite, en
chasseur, chacun eût à gagner le hois situe sur la
hauteur, à deux cents pas de l'emplacement que nous
occupions, que là on feroit face en tète, pour faire
feu sur les ennemis s'ils nous sui voient.
Ces précautions prises, je me portai à mon poste ;
de là j'y ohservai les ennemis.
Il faut dire ici que le temps de deux heures qui
se passa pendant ce que je viens de décrire, la divi-
sion de Mgr le prince de Condé eut ordre de se
porter en avant ; l'avant-garde de ce prince avoit
déjà marché, dont douze compagnies occupoient
les hauteurs couvertes de bois à la droite d'Hip-
penshausen, faisant face au nord.
[1760] DE MEHCOYHOL DE HEAULIEU. 297
La colonne des ennemis formée vis-à-vis ce
bois et ces hauteurs marche de suite et de bonne
grâce pour y attaquer le détachement François, qui
fait feu sur cette colonne, ce qui ne l'arrête pas, et
elle parvient au bois, en chassant ce qui étoit devant
elle.
Celle à la gauche fînissoit de se former. Je pré-
viens tout mon monde de tirer sur elle à la distance
que je leur indiquai, en leur désignant un arbre à
huit cents pas de nous. Je donnai exprès cette
longue distance, pour avertir quej'étois attaqué. La
colonne vient à nous, mon feu commence comme
je l'avois dit ; la colonne avoit quatre pièces de
canon sur son flanc gauche ; je voulois m'en faire
tirer, ce qui réussit. La colonne s'approche de
quatre cents pas de mon ravin ; là, elle s'arrête et
nous tire douze coups de canon, après lesquels elle
se remet en marche ; elle ne venoit pas d'une grâce
merveilleuse, croyant ce chemin creux farci de
troupes, mais, à ce moment, je fais le signal convenu
pour gagner le bois, ce qui s'exécute promptement,
et les ennemis, ébahis de voir qu'il ne sortoit de là
qu'une soixantaine d'hommes, nous tirèrent encore
quatre coups de canon.
Comme j'arrivois au bois, M. de Boisclaireau y
menoit quatre bataillons de grenadiers et chasseurs
qui prenoient poste de suite derrière une espèce de
landwehr , de manière que la colonne, après avoir
passé le ravin que je lui avois abandonné, pensant
n'avoir à faire qu'à ce qu'elle en avoit vu sortir,
essuya un feu des plus vifs, auquel elle ne tint
pas deux minutes, et s'en alla infiniment plus vite
298 CAMPAGNES [1760]
qu'elle n'étoit venue, laissant plus de 100 hommes
tués ou blessés très grièvement. Des deux décharges
que fit la première troupe de cette colonne, un
ofFicier des gardes, le baron de Brosse, fut blessé
légèrement à la jambe et un orpenadier au bras.
La colonne qui avoit attaqué la hauteur et le bois
de la droite d'Hippenshausen s'y maintenoit contre
les douze compagnies de grenadiers et chasseurs, qui
avoienl pourtant perdu du terrain, mais, à ce mo-
ment, toute la division des grenadiers et chasseurs
aux ordres du prince de Condé arrivant de ren-
fort à ces douze compagnies, après quelque vingt
coups de canon que le prince leur fit tirer, sa divi-
sion marcha rapidement pour joindre les ennemis.
Les douze compagnies furent divisées à droite et à
gauche de la colonne.
Les ennemis, prévoyant et voulant éviter la charge
qui alloit les accabler, se retirèrent au pas très préci-
pitamment et rejoignirent l'arrière-garde du prince
Ferdinand, que commandoitle général Wangenheim,
avec peu de perte par l'impossibilité de les joindre.
Après, il se passa trois quarts d'heure de station, que
les ennemis employèrent à se retirer.
IjC maréchal de Broglie envoya ordre que tous les
grenadiers et chasseurs eussent à dépasser le village
d'Hippenshausen et se mettre en bataille de l'autre
côté de ce village, et, au moment où cet ordre finis-
soit de s'exécuter, le maréchal duc arriva à la
tête des carabiniers, gendarmes et autres corps de
cavalerie, lesquels, tournant les hauteurs et bois par
où nous avions vu partie de l'armée et l'arrière-
garde se retirer, se formèrent en bataille à la gauche
de la division de Mgr le prince de Condé.
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 299
Pendant ce temps, Mgr le prince de Condé et M. le
maréchal duc de Broglie parcoururent le front de
bataille de la division des grenadiers et chasseurs. Les
quatorze de mes chasseurs qui portoient les bonnets
des Hessois qu'ils avoientpris, distinguoient particu-
lièrement ma compagnie, réduite à moins de qua-
rante hommes ; le prince et le général furent frappés
de cette étrange coiffure; il fallut leur déduire qu'ils
s'en étoient parés en chassant les ennemis du village
d'Hippenshausen, et le prince de Condé fit donner
à ma compagnie quatre louis, à moi des compliments
de la part de ce prince, auxquels le maréchal joignit
les siens.
De cet événement, où j'aurois dû être tué, ayant
été par cinquante grenadiers tiré à trente pas de
distance, j'en fus quitte pour la baïonnette qui étoil
au bout de mon fusil, qui fut coupée d'une balle,
et une seconde qui perça ma redingote à hauteur de
la cuisse. Cette action m'enfla de courage, ce fut là
ma première récompense ; me^ chefs et mes cama-
rades voulurent bien m'en savoir gré, comme les
officiers généraux, particulièrement Mgr le prince
de Condé et le maréchal duc de Broglie, comme
j'aurai lieu de le dire.
Toute l'armée, qui avoit eu ordre de marcher,
étoit à peu de distance de nous et, du moment
qu'elle en fut assez près, la division du prince se
mit en marche, laissant les hauteurs adroite et mar-
chant toute la journée à la suite des ennemis sans
trop les joindre, se contentant de tirer du canon
sur leur arrière-garde.
A une lieue de Zierenberg et à son midi, étoit un
300 CAMPAGNES [1760]
boiiqiicl (le l)()is (|ii(' nous laissions à notre dioile ;
quelques soldais s'y jetèrent pour des besoins ; l'un
d'eux en ramena un soldat brunswiekois, devenu
son prisonnier ; par celui-ci on fut instruit qu'il yen
avoit plusieurs autres qui, fatigués, avoient voulu s'v
reposer. On fit investir ce bois, on le fit fouiller et on y
ramassa soixante soldats fatigués ou éclopés.
î^a nuit prête à tomber, la division campa, sa
gauche à environ une lieue de Zierenberg.
Le lendemain, la division de Mgr le prince de
Condé se porta en avant, laissant Cassel à sa droite,
à environ deux lieues. Après avoii' touiné la foret
qui tient à la cascade, le maréchal duc de Hroglie,
empressé de revoir Cassel qu'il alFectionnoit de
reprendre, y marcha avec un corps de 18.000 ou
20.000 hommes. Les ennemis y avoient laissé un
corps de 6.000 hommes, dont les derniers à l'éva-
cuer essuyèrent quelques volées de canon, dont
nous fûmes témoins de vue et d'ouïe. M. le Maré-
chal avoit envoyé ordre à Mgr le prince de Clondé
de gagner le Weser au-dessus de Cassel, pour qu'il
eût à le passer au-dessous de Sandershausen et
couper la retraite à ces 6.000 hommes.
Mais le maréchal, peu de temps après avoir envoyé
ordre à Mgr le prince de Condé, lui manda de ne pas
pousser plus loin sa marche, vu que les ennemis
qui étoient à Cassel étoient déjà à Munden, où ils
s'étoient retirés ;que, quanta la division à ses ordres,
il pouvoit la cantonner dans les villages qui se trou-
voient à portée de Volmer, ce qui fut exécuté et les
18.000 ou 20.000 hommes qui dévoient servira l'at-
taque de Cassel, s'il se fût défendu, furent cantonnés
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEt. 3Ôi
aussi, (l'étoit une gasconnade de cantonner partie de
son armée, le prince Ferdinand ayant toute la sienne
ensemble au camp de Calden, dontja droite étoità
deux lieues de Libenau.
A cette époque, du 28 au 29 de juillet, arriva de
Versailles le coup de tonnerre qui disgracia M. le
comte de Saint-Germain. Il fut si pénétré de se voir
disgracié, avec toute l'injustice qu'il y croyoit, qu'il
fit dire au maréchal de Broglie, qui lui avoit fait
signifier l'ordre de rentrer en France, que, sa santé
ayant besoin de repos, il partoit pour Aix-la-Cha-
pelle, dont les eaux lui seroient salutaires, et, dès
la première journée, il fit un paquet du brevet de son
ordre auquel il joignit cordon et croix, avec une
lettre, qui accompagnoit le tout, au maréchal duc de
Belle-Isle, alors ministre delà guerre, et le lui adressa.
La lettre ne pouvoit qu'être amère pour ce ministre,
qui toutefois, sans s'en vanter, fit tomber tout son
courroux sur l'audace du comte d'avoir renvoyé au
Roi Tordre dont il l'avoit honoré, et pour punir ce
général rebelle, on lui ôta son commandement du
Hainaut et toutes ses pensions ; tous les objets réunis
faisoient une somme de quatre-vingt mille livres de
rente, y compris les douze mille francs qu'il avoit
conservés, quoique le régiment de son nom eût été
incorporé dans un autre.
Il s'ensuivit à l'armée d'autres malheurs : la divi-
sion de 18.000 à 20.000 hommes à ses ordres, le com-
mandement en fut donné à M. le chevalier du Muy,
ami du maréchal de Broglie. Mgr le Dauphin ché-
rissoit beaucoup ce lieutenant-général, qui avoit été
un de ses menins.
302 CAMPAGNES [1760]
Voilà donc M. du Muy placé à Warbourg avec la
division qu'il commande.
Celle au\ ordres du prince de Condé a ordre de se
porter du côté de Weimar ', ce qu'elle exécute. En
avant de Weimar est un mamelon d'une hauteur
prodigieuse, lequel est placé à son midi, et Weimar
est derrière. Arrivée en face de ce mamelon, la divi-
sion du prince s'y forma en l)alaille ; nous n'étions
pas à trois quarts d'heure du camp des ennemis,
placé en partie sur un plateau très élevé de l'autre
côté de ce Weimar. A la sommité du mamelon
dont j'ai parlé, paroissoit un nombre d'ennemis dont
on ne pouvoit connoître la force, vu que la sommité
de ce mamelon étoit couverte de bois ; il fui donc
agité près du prince qu'il falloit les faire attaquer
par une compagnie de chasseurs. Le bataillon des
grenadiers et chasseurs de Picardie doit la fournir et
c'est à moi d'y marcher. L'ordre reçu, je fais sortir
ma compagnie de la ligne et je la porte à cent pas
en avant; j'en fais l'appel, il n'y manque personne ;
je fais l'inspection de leurs armes, elles sont toutes
en état.
Mgr le prince de Condé y arrive. « C'est donc vous,
Monsieur de Beaulieu, qui allez attaquer le mamelon ?
— Ma bonne fortune le veut, réponds-je. Monsei-
gneur, et je m'en félicite ; j'ai ici dix Picards qui
n'étoient pas à SachsenhausenetHippenshausen,mais
ceux qui y étoient et moi répondons d'eux. » Le régi-
ment, depuis deux jours, avoit remplacé ceux qui me
1. Petit village de liesse, qu'il ne faut pas confondre avec la
capitale saxonne.
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 303
manquoient. « Si les ennemis sont nombreux, me
dit ce prince, je vous ferai soutenir et, s'il le
faut, nous irons tous. » Pénétré de la bonté de ce
prince et plein du désir de la mériter, je lui fis une
grande révérence et fis à ma troupe le commande-
ment de marcher; arrivé au pied du mamelon, je
l'arrêtai, je leur fis poser leurs sacs à terre et j'or-
donnai que le dernier fusilier restât pour les garder ;
cela fait, je leur dis : « Vous voyez que toute la di-
vision des grenadiers et chasseurs, le prince et
toute la troupe dorée qui l'accompagne vont avoir
les yeux sur nous ; ils vont être les juges de ce
que nous valons. Pour avoir leur approbation,
voici ce qu'il faut faire : nous monterons sans
arrêt d'aucune espèce. Surtout je vous défends à
tous de tirer un seul coup de fusil ; vous compre-
nez que si vous tirez vous voudriez charger votre
arme, que vous seriez forcé de vous arrêter et que
toute troupe qui attaque et qui tire avant que
l'ennemi soit en fuite, c'est qu'elle a peur. Lorsque
nous serons au haut de la montagne et qu'ils la
descendront, je vous permettrai alors de tirer. »
Promesse faite qu'ils se conformeroientà cet ordre,
nous commençâmes à monter et les ennemis, de très
loin, commencèrent leur feu ; le terrain étoit couvert
de pierres roulantes et la pente très rapide. Moi, qui
étois d'une constitution leste, habitué en Yivarois à
gravir des montagnes de ce même genre, j'y trou-
vois des difficultés qui ne m'empêchoient pas pourtant
d'être toujours quinze pas en avant du plus avancé.
Aux deux tiers de notre course, j'eus un chasseur de
blessé. Continuant à monter et à trente pas avant
30't CAMPAGNEé [1760J
(I arriver à eux, ils nous lirèreul leius derniers
coups de fusil, de manière que, lorsque nous fûmes
au sommet du mamelon, ils le deseendoient de l'aulie
côté et étoienl déjà à cent pas de nous. Je dis âmes
soldats : « Feu ! », et à mesure qu'ils arrivoienl, ils le
faisoienl ; ils m'avoient tenu parole. Nous n'eûmes
qu'un chasseur blessé au haut de l'épaule et légè-
lement. Je fus content d'eux et eux d'avoir suivi mon
ordre.
Je dis à Armand : « Aile/, trouver M. de La
Rochethulon, dites-lui que nous voyons environ
.'îOO hommes qui sortent de Weimar et prennent
la direction d'aller à leur camp, que les hommes qui
défendoient le mamelon au nombre de 40 hommes,
laissant Weimar à leur gauche, vont joindre les
IJOO hommes dont ils avoient été sans doute déta-
chés ; vous lui ajouterez qu'on voit d'ici une majeure
partie de leur camp, qui s'étend fort loin vers leur
droite. Vous lui direz que je vous envoie à lui pour
qu'il en instruise S. A. Mgr le prince de Condé. »
Armand suivit l'ordre que je lui avois donné et vint
me rejoindre.
Il étoit six heures lorsque j'étois arrivé au haut du
mamelon ; j'y fus donc pendant plus de deux heures
de grand jour etmedisois : « Si, comme à Sachsen-
hausen, j'avois ordre ce soir de montera ce camp,
|)Our y porter l'alarme s'ils y restent, ou être ins-
truit de bonne heure s'ils en partent, examinons le
terrain pour voir comment, pendant la nuit, je m'y
prendrois. » Je m'étois bien trouvé de mes réflexions
sur le terrain de Saclisenhausen.
Je vis donc que, laissant Weimar à gauche, j'arri-
[1760] DE MEKCOYRÔL DE ËEAÙLIEU. ^^05
vois à une petite maison à huit cents pas de l'entrée
de Weimar, que ma carte de Rosière me désignoit
être un moulin à eau ; que, passant le ruisseau, je me
trouvois de suite au pied du plateau où étoit assise
une partie du camp des ennemis et derrière eux un
bois percé dans quelques-unes de ses parties. tVeilln-
stadt et Calden étoient de l'autre côté de ce bois,
qui n'avoit pas une grande profondeur. A la gauche
de ce plateau, vers notre droite à nous, étoit de la
cavalerie. Ce plateau, qui formoit un croissant ren-
trant, avoit, vers son milieu, un ravin très considé-
rable, dont la naissance commençoit au haut du pla-
teau, où étoit une petite plaine très unie. En cas
d'ordre, ce ravin m'avoit frappé.
A la nuit qui commença à tomber, les ennemis éta-
blirent, à la tête de leur camp, de grands feux.
Quoiqu'ils eussent tiré le coup de canon de retraite
et cet appareil, des troupes de soldats que l'on
voyoitde temps en temps autour de ces feux, étant
près de dix heures, et l'abandon qu'ils avoient fait,
en plein jour, de Weimar, tout annonçoit un
départ prochain.
A dix heures, mon chasseur d'ordonnance près
M. de La Rochethulon vient m'ordonner de sa
part de quitter la sommité du mamelon où j'étois
et de venir lejoindre. Nous descendons par ou nous
étions montés. Au bas du mamelon, je rencontre
M. de Boisclaireau, qui, au bruit des pierres rou-
lantes, étoit venu nous y attendre ; je fais faire
un moment de halte pour attendre les derniers de
mes chasseurs, car il étoit tout aussi difficile de
descendre que de monter, les pierres échappant
20
306 CAMIWG.NES [1760J
sous les |)it'(ls fl les hommes loml)anl sur le cul ;
pentlanl ee court intervalle, M. de Boisclaiieau me
(lit :« Vous avez bien, de noIic poste, examiné le
camp des ennemis ? — Pailaitement, lui répondis-
je. — M. le maréchal duc de Broglie désirant être
instruit s'ils font, cette nuit, un mouvement, vous
allez monter à leur camp ; pour cela vous aurez à
vos ordres les cinq compagnies de chasseurs
de Notre brii;ade et les quatre de chasseurs de celle
de Champagne. Dans votre marche, vous laisserez
le village qui est devant nous à votre gauche, vous
pousserez jusqu'à un petit ruisseau non éloigné et,
arrivé au bas du plateau, vous ferez vos dispositions
comme vous le voudrez. L'opération que vous allez
faire est dans les mêmes vues que celle à Sachsen-
hausen. Avec les neuf compagnies de grenadiers,
dont vous commanderez les chasseurs, je vous sui-
vrai de près. »
L'auteur (ait cette reconnaissance, axant sous ses ordres
M. Dehaitz', lieutenant, M. de Foucauld, capitaine de Picardie,
et M. de Geodre de Chabrignac^, capitaine de Champagne.
Ils ne trouvent pas Tennenii et rencontrent seulement un con-
voi d équipages, que M. de Boisclaireau les empêche de pour-
suivre (30 juillet).
Les grenadiers et chasseius arrivés et placés d'où
ilsétoient partis, M. de Boisclaireau me dit : « Venez
dans la maison ici à côté. » 11 en dit autant àlNL de
1. Pierre Dehaitz, enseigne en 1755, lieutenant en 1756,
capitaine en 17(>1, quitta le service en 1772 et devint lieutenant-
colonel des Bandes béarnaises.
2. Jean-Baptisle-Josephde Geoffrc de Chabrignac, de Monté-
limar, lieutenant en 1748, capitaine en 1758.
[1760] DE MEftCOYROL DE BEAULIEU. 307
Gelb et nous l'y suivîmes, où, arrivés, il prit une
éeritoire et nous dit : « Je vais instruire M. le Maré-
chal de la marche des ennemis et comme il n'y
a pas à douter qu'ils la dirigent sur Munden. » A
ce moment, M. de Gelb étoit à parcourir la carte,
placée sur une table. « Général, dit-il en mettant le
doigt sur un embranchement de chemins dont l'un
se dirigeoit à la forêt de Sabbabourg et Munden et
l'autre sur Libenau, ils pourroient bien marcher
à Libenau, y passer la Diemel et, tournant à gauche,
se diriger sur Warbourg, y attaquer le chevalier
du Muy qui y est campé avec la division de 18.000
à 20.000 hommes ci-devant aux ordres de M. le
comte de Saint-Germain, lui donner un fort coup de
patte et le culbuter dans la Diemel, le forçant de
la repasser. » La réponse de M. de Boisclaireau
fut de dire que Libenau étoit gardé.
M. le maréchal duc de Broglie, après l'événement
fâcheux du 31 juillet, dont nous parlerons ci-après,
soutint qu'il avoit ordonné que M. de La Morlière,
lieutenant-général, s'y portât avec les trois batail-
lons du régiment d'Alsace, pour défendre et garder
ce poste, et qu'en conséquence il avoit mandé à
M. le chevalier du Muy cette disposition ; que M. le
chevalier du Muy en étoit si intimement persuadé
que ce fut la raison pour laquelle il résista à tous les
avis que Fischer lui faisoit passer coup sur coup que
le prince Ferdinand et son armée passoient la Die-
mel à Libenau et qu'il ne doutoit pas que, vers
l'après-midi du jour, il ne fût attaqué avec des forces
si supérieures qu'il ne pourroit y résister. Tant il en
fut, après l'événement de ce jour, que, pour justifier
, V
308 CAMPAGNES [1760]
le maréchal de liroglie et le chevalier du Muy de la
fatalité de ce que le i^énéral La Morlièie ne s'étoil
pas trouvé à Libenau avec les trois bataillons d'in-
fanterie tl'Alsace, ce général, comme s'il en avoit
tout le loi't et que sa faute fût de n'avoir pas exécuté
l'ordre verbal qui lui en avoit été donné, fut sacri-
fié et quitta l'armée.
Il est bien certain que si M. de La Morlière avoit
été à Libenau avec trois bataillons, cette petite ville,
enveloppée d'un rempart et située dans une île que
forme la Diemel, n'auroit pu être forcée aisément et
que tout le bruit de canon et de mousqueterie qui
s'y seroit fait, en supposant qu'elle eût été attaquée,
auroit averti M. du Muy sur le parti qu'il avoit à
prendre, n'en étant qu'à deux lieues et demie.
Revenons sur ce qu'exécuta le maréchal duc de
Broglie le jour malheureux du 31 juillet.
M. de Boisclaireau, qui avoit fait monter au camp
des ennemis la nuit précédente, étoit le quatrième
officier supérieur qui, sur le front de l'armée, avoit
eu le même ordre et l'avoit exécuté, et, par une suite
de fatalités, tous les quatre, dans leurs redditions de
compte à M. le Maréchal, s'accordoient à dire que
la marche du prince Ferdinand étoit dirigée sur la
forêt de Sabbabourg et Munden. M. le Maréchal prou-
voit, et par écrit, ces quatre redditions de compte qu'il
avoit reçues, vers le point du jour, de ces quatre
officiers supérieurs ; sans doute que tous les quatre
étoient assurés, ou le cro} oient ainsi, (jue Libenau étoit
occupé par des troupes françoises ; ce qui portoit de
plus fort M. le Maréchal à s'en rapporter à ces comptes
rendus étoit sa certitude à lui que Libenau étoit
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 300
gardé, comme il a été dit, puisqu'il en avoit donné
l'ordre, et surtout la retraite des 6.000 hommes qui
étoient à Cassel, lorsqu'il y avoit marché, lesquels
s'étoient retirés vers Munden du moment qu'ils
avoient vu le maréchal dans la volonté de les
envelopper et attaquer à Cassel ; et la retraite de ce
corps sur Munden lui paroissoit indiquer que le
projet du prince Ferdinand étoit de se retirer sur le
Weser, soit qu'il voulût le défendre, se tenant en
avant de cette rivière, ou se couvrant d'elle.
Le maréchal, donc, persuadé de la marche des
ennemis vers Sabbabourg et Munden, dès le point
du jour donna ses ordres pour que l'armée se tînt
prête à marcher, les équipages devant la suivre. Il
monta à cheval et, à la tète d'un gros corps de cava-
lerie, arriva à Weimar et, après avoir conféré avec
Mgr le prince de Coudé, il se porta en avant. Il étoit
alors entre six et sept heures du matin ; la nuit et
les premières heures du matin avoient été de la
plus belle nuit et du plus beau jour ; à peine M. le
Maréchal et le corps qui le suivoit eurent-ils dépassé
Weimar qu'un brouillard des plus épais commença
à s'élever et, lorsqu'ils parvinrent aux hauteurs et
bois en avant de Wilhelmstal, le brouillard fut si
prodigieux que l'on n'y voyoit pas de quatre pas.
La division du prince de Coudé se mettoit en
marche pour suivre le corps que conduisoit M. le
Maréchal ; elle reçut contre-ordre et ce corps de
cavalerie resta en panne jusque vers midi, que le
brouillard fut dissipé ; la division du prince se mit
alors en marche. Cette marche annonçoit l'indéci-
sion par les haltes continuelles qu'elle faisoit de
demi-heure et quelquefois d'une heure.
310 CAMPAGNES [1760]
\ six lieiirt's du soir, nous avions à peine l'ail
deux lieues, lorsqu'une voiture très légère (c'étoit le
cahriolel du maréchal dont il faisoit usage lorsqu'il
étoit l'alii^ué et que les eliemins qu il parcouroil pour
ses reconnoissances le lui permettoient) se dirige où
le prince éloit pied à terre ; à une certaine dislance ce
cahi'iolet s'arrête; le maréchal et le comte de Broglie
niellent pied à terre ; le prince s'avance vers le
maréchal ; ils causent tous trois ensemble ; le maré-
chal avoit Tair très préoccupé. La conversation fui
courte ; le maréchal quitte le prince, remonte dans
son cabriolet avec le comte son frère ; sa suite le
suit, prenant un chemin qui étoit sur notre gauche.
Le prince annonce que nous allons marcher ; on
fait le roulement qui l'indique et, d'après les tam-
bours ballant aux champs, la division se met en
mouvement, prenant le même chemin que nous
avions vu prendre au maréchal.
Tous les officiers, des uns aux autres, se disent à
Toreille que le prince Ferdinand, avec plus de 50.000
hommes de son armée, a passé la Diemel à Libenau, a
attaqué à Warbourg M. le chevalier du Muy et qu'a-
près un combat très vif, mais trop inégal pour ses
forces, les troupes de M. du Muy ont été culbutées
et obligées de passer la Diemel, en la guéant comme
elles ont pu. Le régiment de bourbonnois, dit-on, est
celui qui a le plus souffert. Ce bruit répandu vient
jusqu'au prince de Clondé ; ce prince dit que ce fait
étoit vrai, que M. le Maréchal, dans la conversation
qu'ils avoient eue, lui avoit raconté cette action, où
les troupes du Roi s'étoient conduites avec tant de
fermeté et de valeur que la perte en tués et blessés
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 311
étoit égale de part et d'antre et que, quoique atta-
quées par trois contre un, elles avoient fait leur
retraite et passé la Diemel avec assez d'ordre et
sans être suivies.
L'on a vu, parce qui vient d'être dit, que le prince
Ferdinand [étoit] instruit que Libenau n'étoit pas
occupé, et connoissoit la position avantageuse qu'il
auroità Warbourg s'il dépostoitle chevalier du Muy ;
[il savoit] qu'ayant des derrières immenses à cette
position, il y trouveroit des subsistances pour jusqu'à
la fin de la campagne et que le maréchal de Broglie,
quoique supérieur en troupes, seroit forcé de finir
la campagne, ce qui s'effectua. L'armée françoise,
après avoir consommé tous les fourrages de cette
partie, fut obligée de rétrograder vers ses derrières,
comme il sera dit ci-après.
Le prince Ferdinand mcU'cha la nuit du 30 de
juillet au 31 par la droite sur Libenau, dont il s'étoit
rendu maître la veille, et, au point du jour, son
armée commença à passer, la cavalerie à des gués, et,
tournant à gauche, avança en avant de trois quarts
de lieue pour marcher par des terrains couverts. T^a
droite de son armée se trouvoit, vers midi, vis-à-vis
Offendorf, à la droite duquel est une tour placée
sur un plateau assez élevé, dont l'escarpement, qui
est du levant au midi, communique à la Diemel, qui
coule dans le vallon. Sa droite arrêtée là, il forma
sa ligne et ses dispositions d'attaque.
L'épaisseur du brouillard le servit parfaitement
à couvrir sa marche. Ses dispositions et tous projets
d'attaque faits, il va la commencer. La droite de son
armée peut par elle envelopper la gauche des troupes
:^12 CAMPAGNES [1760]
(lii ('li('v;ili('i' (lu Muy. La marche du piiuce Ferdi-
nand fut de sept lieues de trajet pour arriver à la
fin heureuse (jui la e(3uronna.
l'endant sa marche, Fischer, placé à la droite de
Warhourg avec le corps à ses ordres, d'heure en heure
avertissoit M. le chevalier du Muy de la marche des
ennemis et de leur passage de la Diemel. AT. du Muy,
dans la ferme croyance queLibenau étoil gardé, pen-
soil que ce ne pouvoit être qu'un corps de troupes
légères et non toute une armée de 60.000 hommes,
raison pour laquelle il resta immuable à son camp,
(ju'il avoit fait plier, et tous ses équipages avoieni
passé la Diemel. Il rendit compte au maréchal de
sa position, mais fort tard et de manière qu'au
moment où le maréchal en fut instruit, il n'éloil
plus temps de l'aider de ses avis, encore moins du
moindre secours, et lorsque l'ofïicier qu'il avoit
adi'cssé au maréchal fut de retour vers Warhourg,
il arriva au moment où le chevalier du Muy et sa
gauche battus, toutes ses troupes, tant infanterie
que cavalerie, passoient la Diemel, dont elles
"aonèrenl les hauteurs de la rive droite, s'y refor-
mèrent en bataille et y restèrent sans qu'un seul
homme de l'armée du prince Ferdinand non seule-
ment la passât, mais descendît des hauteurs de sa
rive gauche.
M. du Muy, au moment que l'attaque com-
mença à sa gauche, à la tour où étoit le i-égiment
de Boinbonnois, adressa au maréchal un de ses
aides de camp pour l'en instruire et, au moment
où il vit que la gauche étoit forcée, il donna ordre
à toutes ses troupes de se retirer, voyant que tout le
[1760] DE MEIICOYROL DE BEAULIEU. 313
front de l'armée des ennemis s'ébranloit pour mar-
cher à lui, à quoi l'inégalité de forces le détermi-
noit. Il fit partir un autre officier pour l'en informer.
Cette action fut donc un poste abandonné et la
gauche forcée ; les troupes ne furent du tout sui-
vies, la perte en tués ou blessés fut d'égalité, mais
la gloire fut au prince Ferdinand d'avoir si bien su
dérober sa marche au maréchal deBroglie, de l'avoir
si heureusement exécutée dans une marche de sept
lieues. Il faut rendre justice aux talents de ce prince;
cette marche hardie lui procuroit une position si
avantageuse qu'elle lui assuroit que la campagne
seroit là finie.
Il faut dire aussi que, sans le brouillard d'une
épaisseur comme on n'en a jamais vu, le corps de
cavalerie avec lequel le maréchal [de Broglie] s'étoit
porté en avant vers Calden, suivi de la division du
prince de Condé, eût porté un préjudice étonnant
aux équipages de l'armée du prince Ferdinand et
au corps d'une partie des Hanovriens qui les cou-
vrait, que l'on eût joints à Libenau avant qu'ils
eussent pu passer la Diemel, ce qui auroit bien fait
la balance d'avoir perdu la position de Warbourg...
La division de S. A. Mgr le prince de Condé,
marchant ainsi qu'il avoit été convenu avec M. le
Maréchal dans la conversation qu'ils venoient d'avoir,
se dirigeant du côté de Warbourg, marcha jusqu'à
dix heures du soir et, depuis huit heures, il y eut
un orage suivi d'une pluie des plus abondantes, qui
ne cessa de continuer jusqu'à Ersen, petit village où
logea M. le prince de Condé [1" août]. Quant à sa
division, elle passa la nuit au bivac, très fatiguée de
314 CAMPAGNES [1760]
la pluie abondante qu'elle essuya jusqu'à une heure
(lu malin, où elle se calma.
A tlix heures du matin, celle division (juitla sa
position et fut portée à gauche de l'armée placée
à Welbach, de l'autre côté de la rive droite de la
petite rivière dite Tuitseh, qui se jette dans la
Diemel près Warbourg, pour assurer la gauche de
l'armée Françoise appuyée à un bois, où les troupes
légères d'infanterie ennemie s'étoient déjà jetées.
Après les avoir chassées, on établit, à la pointe de
ce bois, une brigade d'infanterie, dont la distance
de Warbourg pouvoit être d'une demi-lieue.
L'armée resta dans cette position jusqu'au 21
d'aoïil; le 22, elle vint camper à Immenhausen et
la division du prince de Condé à Maricndorf, où
l'armée resta jusqu'au 13 septembre, qu'elle vint
camper au camp retranché sous Cassel, où se finit
la campagne. Les événements qui la terminèrent
furent fâcheux pour les progrès que s'en promettoit
M. le Maréchal et qui furent tous arrêtés à l'affaire
de Warbourg.
On reprocha au maréchal que son amour pour
Cassel avoit rendu cette campagne si peu avanta-
geuse aux armes du Roi, que si, après l'abandon
qu'en firent les ennemis, il n'eût pas commis l'im-
prudence de cantonner partie de son armée, il se
fût occupé de suite de suivre le prince Ferdinand ;
il auroit vu combien il étoit possible à ce prince
de se porter à Warbourg ; trente-six heures ou
moins de temps l'auroieiit instruit que Libenau,
c|u'il croyoit occupé par M. de La Morlière et avec
lui par liois bataillons, ne l'étoit pas et que, se
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 315
tenant si près du prince Ferdinand, il étoit impos-
sible [à celui-ci] de lui dérober sa marche comme
il le fit et de passer la Diemel à la vue du maré-
chal. Telles étoient les réflexions de nombre
d'officiers généraux et la raison vouloit que, si la
conduite du maréchal eût été comme ils la fixoient,
il eût certainement évité l'affaire de Warbourg, qui
enfla beaucoup le courage des ennemis et porta de
la tiédeur à l'armée Françoise.
Ce n'est pas que le maréchal eût pu empêcher le
prince Ferdinand de se porter de l'autre côté de la
Diemel (qu'il eût pu passer à Trendelburg ou Hel-
mersliausen ?), mais, par cette nécessité, le maréchal
duc de Broglie eût eu à sa possession tout le vaste
et bon pays de la rive gauche de la Diemel, tandis
que le prince Ferdinand et son armée n'auroient eu
que la partie montagneuse et boisée, tant de la
Diemel que du Weser, et, faute seulement de four-
rage, ils eussent été forcés de perdre beaucoup de
terrain ; mais ce prince eût été le maître d'éviter
toute action décisive et les suites de cette campagne
eussent été, aux consommations près, ce qu'elles
furent, c'est-à-dire les environs de Cassel ménagés,
ce qui eût épargné en dépense au Roi des sommes
considérables pour l'approvisionnement de Cassel
et Gôttingue et peut-être mis les ennemis hors d'état
de songer à entreprendre le siège de Cassel, comme
ils le firent à la fin de l'hiver suivant, sans succès
et à leurs détriment et pertes, à la vérité, mais il
pouvoit en être autrement si les projets du prince
Ferdinand eussent réusssi.
Je dois terminer cette campagne par ce qui m'est
31() CAMPAGNES [1760]
réversible et m'intéresse, et dois dire que cette cam-
pagne m'acquit d'être connu de S. A. S. Mgr le
prince de Condé et d'en recevoir plusieurs marques
de bonté et des attentions dislinctives loisque
Son Altesse m'bonoroit de diner avec Elle ; ma
reconnoissance en étoit si plénière que j'eusse
désiié avoir cent vies pour les donnci* toutes à l'exé-
cution de ses ordres.
Je vais dire ici quelques-uns de ses traits de bonté
qui, émanant du sang auguste de nos maîtres, en-
flamment le cœur et élèvent l'âme du sujet à tout
oser et entreprendre pour la continuité des succès
et honneur de leurs armes.
Quelques jours après l'événement particulier
d'Hippenshausen et du mamelon près Weimar, dont
j'ai parlé, Son Altesse me fit prier à dîner. Le duc
de Laval-Montmorency^ y dînoit ce jour-là, avec
lui dix autres officiers généraux, non compris ceux
attachés à sa maison.
Je vais dire ici pour mes enfants, si leur projet
est de suivre la carrière des armes (comme c'est le
mien, n'y ayant pour eux d'autres états à suivre),
pour que, servant à leur tour avec le zèle, l'acti-
vité et le désir de bien remplir leur tâche, ils
n'épargnent ni leurs peines, ni leurs jours, que le
courage raisonné soit le flambeau qui les guide et
que, comme moi, ils jouissent des approbations
des princes qui, par leur naissance, tiennent an
1. Guy-André-Pierre de Montmorency, marquis puis duc
(1758i de Laval, né en 1723, lieutenanl-général en 1759, maré-
chal de France en 1783, mort en 1798.
[17*60] DE MERCOYROL DE BEAULIEt . 317
trône, des maréchaux de France qui commandent
les armées et de tous autres généraux aux ordres
desquels ils se trouveront employés ; il en naîtra
de leur part des distinctions qu'ils trouveront plus
satisfaisantes que les récompenses du Souverain,
qui ne manqueront de suivre, sur la réputation
qu'ils se seront faite près de tous les chefs de
l'état militaire. Comme tout a un principe et un
commencement, c'est près de leurs compagnons,
dans le régiment où ils feront leurs premières
armes, que leur émulation doit commencer à naître,
en apprenant avec avidité tout ce dont ils doivent
être instruits. [Ils devront] demander à servir aux
troupes, comme par exemple aux chasseurs, qui,
pendant la guerre, les mettront à même d'être
employés avec les grenadiers plus souvent, et par
conséquent de commencer à se faire une bonne
réputation de brave officier, ce qu'on acquiert en
désirant d'être employé de préférence aux autres.
[Ils devront encore] plaire au corps des capitaines
par des attentions que leur mérite l'ancienneté de
leurs services et gagner leur estime. S'ils la méritent,
ils acquerront par gradation celle du major, du
lieutenant-colonel et rapidement celle du colonel
qui, dans les circonstances où [ils seront] devenus
capitaines par leur ancienneté, appuieront le mérite
de leurs services près des inspecteurs, moyen sûr
d'arriver à son tour à une majorité ou lieutenance-
colonelle et de là à la généralité, selon la longueur et
bonté de leurs services, leur zèle, une application
suivie, des talents acquis par elle et une volonté
sans borne pour le bien de ce même service. Tout
318 CAMPAGNES [1760]
cela réuni ne peut manquer de leur faire passer avec
beaucoup d'aorément le temps de leurs services et
de leui' procurer la récompense qu'ils se seront
acquise, que le prince donne avec autant de plaisir
que peut en avoir celui qui la reçoit.
Je dirai donc que, pendant le temps de ce dîner,
je m'aperçus que le prince jetoit de temps en temps
les yeux sur moi et les miens rcncontroient les
siens ; c'étoit toujours pour m'ollrir des plats à por-
tée de cette Altesse ; je trouvois cette bonté si répé-
tée, qu'elle m'embarrassoit, quoiqu'elle parût à mon
âme bien douce. Le moment des vins de liqueurs
venu, le prince en sert un verre au duc de iMont-
morency-Laval ; il en verse un second verre et, le
remettant à son page : « Portez-le, lui dit-il en me
désignant, à l'extrémité de la table où je m'élois
placé, à M. de Beaulieu. » Cette marque distinctive
que le prince m'accordoit, je ne pouvois la rappor-
ter qu'au motif d'avoir plu à Son Altesse soit à
Saclisenbausen, Hippensbausen, au mamelon près
Weimar ou au camp de Calden, et cette jouissance,
réversible au zèle dont j'étois animé, me parut
amplement me payer, et au-del«i, de lout ce ([ue je
devois en attendre et ce qui eût achevé de me
déconcerter fut un regard jeté sur moi de la part de
tous les odiciers généraux qui étoient à ce dîner.
J'acceptai ce verre et le bus sans avoir l'air de
m'être aperçu de quelle manière il m'étoit venu.
La modestie est une belle arme, j'y mis donc à cette
circonstance toute celle que j'y devois et suis per-
suadé qu'avec elle je ne déplus à personne.
Pour prouver combien cette Altesse est mémora-
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 319
live, puisque je ne fis que cette campagne attaché
à sa division, je dois dire qu'en 1765, cette Altesse
visitant les places maritimes de Flandre, l'itinéraire
de sa marche la fit passer à Douai, où le régiment
de Picardie étoiten garnison ; major de ce régiment,
j'y commandois la garnison pour rendre les hon-
neurs dus à un prince du sang, branche des héros.
T.e régiment étoit sous les armes et, lorsque le prince
fut rendu à son hôtel, je fus à la tète de tous les
officiers de ce corps pour l'assurer de nos respects
et satisfaction de le revoir, ce dont moi particulière-
ment avois été privé depuis la paix. Voici les termes
de bonté de ce prince : « J'appris avec plaisir,
me dit-il, que vous étiez major du régiment de
Picardie. Comment vous étes-vous porté depuis
que nous servions ensemble? »
Si j 'avois été étonné du verre de vin de liqueur,
je fus confondu ici de cette bonté inattendue ; une
profonde révérence marqua tout mon respect.
Si j'avois été de ces officiers qui passent portion
de leur service à Paris, j'aurois été moins embar-
rassé, mais moi, à cette époque, qui ne l'avois
jamais vu, habitant du Vivarois, pays sauvage
(quelque élevées qu'en soient les montagnes, elles
ne peuvent permettre qu'à peu de ses habitants de
voir la cour et la capitale de son Empire), je n'avois
pu admirer qu'aux camps de Flandre et d'Allemagne
les princes qui y régnent.
Autre bonté du prince que je dois dire, pour que
mes enfants s'inculquent bien dans le cœur et l'esprit
combien il est doux de bien remplir ses devoirs, en
mettant tout en œuvre,, courage, volonté et zèle,
320 Ca:M PAGNES [1760]
pour qu'aucun compagnon puisse mériler plus que
soi, dans la sphère de services où ses moyens l'ont
placé.
Par tics arrangements de cour, en I 780, on recréa
la chariic de colonel-iiénéral de l'infanterie (Van-
çoise et étrangère, qui fut donnée à S. A. S. Mgr
le prince de Condé ; on y ajouta le régiment de
Picardie, premier régiment de cette arme, dont Son
Altesse fut colonel pro[)riélaire. M. le comte de
T^évis, colonel de ce régiment depuis dix-sept ans,
s'empressa d'aller rendre ses hommages à Son x\ltesse,
du moment que cet arrangement de la charge de
colonel-général recréée pour le prince fut su, et il
en fut instruit des premiers. A peine M. le comte
de Lévis eut-il le temps de s'acquittei* de son com-
pliment que cette Altesse, après lui avoir répondu,
lui demanda si M. de Bcaulieu y servoit encore.
M. de Lévis y satisfit en lui disant que oui, à quoi
le prince répondit qu'il en étoit bien aise, et M. le
comte de Lévis, qui a voit fait M. de Beaulieu
major et successivement lieutenant-colonel du légi-
ment de Picardie, qui avoit de lamitié pour le sieur
de Beaulieu, ne manqua sur-le-champ de l'instruire
de l'empressement que le prince avoit mis à savoir
s'il servoit encore à ce régiment, comme de sa
satisfaction en apprenant qu'il y étoit toujours, et
ce fut à cette occasion que je reçus la lettre suivante
(lu prince de Condé:
« Le Roi ^ m ayant fait f honneur. Monsieur, de
me nommer colonel-général de C infanterie fran-
çoise et étrangère, a bien voulu ajouter à cette
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 321
grâce celle de me donner le régiment de Picardie.
L'intention de Sa Majesté est qu il porte désormais
le nom de Colonel-général de V infanterie et que
fen aie le travail, seul et directement avec Elle; je
suis enchanté qu'un événement aussi flatteur pour
moi me rapproche d'un régiment qui a mérité
tant de fois, et particulièrement sous mes yeux, la
réputation dont il jouit à si juste titre. Je me
trouve bien heureux que l'honneur que je reçois
me mette aussi intimement à portée de marquer
à tous les officiers qui composent ce corps le désir
extrême que j'aurai toujours de leur être utile en
tout ce qui dépendra de moi et qui pourra se
concilier avec le bien du service. Je vous prie de
les assembler chez vous, Monsieur, et de leur lire
ma lettre. Je désirerois aussi que les bas-officiers
et soldats fussent instruits au plus tôt de cet évé-
nement et qu'ils apprissent en même temps par
vous mon estime pour le corps, ma bonne volonté
pour eux et le plaisir que f ai de me trouver à
leur tête. Il ne me reste qu'à vous assurer parti-
culièrement. Monsieur , que f ai pour vous tous les
sentiments que je dois à votre mérite, à vos talents
et à la manière distinguée dont vous servez le Roi.
Signé : Louis-Joseph de Bourbon. »
Et je conserve l'original de cette lettre, ainsi que
plusieurs autres, que m'a procuré l'avantage d'avoir
été lieutenant-colonel de son régiment Colonel-géné-
ral l'espace de quatre ans, jusqu'à ma promotion au
grade de maréchal de camp, le l*"" janvier 1784.
21
322 CAMPAGNES [1760]
Si je suis entré dans tout ce détail, c'est pour prou-
ver à tout jeune officier qui naît à cent cinquante
lieues de la cour et de la capitale, sans protection
ni protecteur dans 1 une ni I autre, qui ne doit et ne
peut espérer de s'en créer que par la manière dis-
tinguée, ou le courage, le zèle et une volonté déci-
dée pour lui en procurer, que, réunissant toutes ces
qualités pour bien servir son maître, avec des mceurs
et une conduite mesurée, il doit être sûr de plaire à
tous ses chefs, à tous les officiers généraux et aux
princes les plus élevés de la nation.
J'ai dit qu'il faut avoir des mœurs : elles tiennent
trop au courage et à la santé pour que quiconque
désire servir avec fruit et parvenir à être quelque
chose ne fasse tout pour se les conserver. Les anciens
Germains, d'où viennent les François, éviloient tout
commerce avec les femmes jusqu'à l'âge de trente
ans passés ; amis des armes, ils savoient combien le
commerce avec elles affaiblit et la vertu de l'âme et
celle du corps; ils s'en éloignoient, préférant d'être
guerriers.
En effet, que peut-on tirer d'un corps affaibli par
un commerce criminel avec elles ? Une santé chan-
celante, que le premier bivae, ou la première marche
pénible met à l'hôpital, qui ne présente qu'un soldat
qui peut à peine porter ses armes. Et comment
pourra-t-il les mouvoir et s'en servir des huit ou
dix heures de suite que peut durer une action ? Je
sais que l'honneur le fera rester à son rang, mais
que fera-t-il, incapable de porter des coups sûrs à
son ennemi l'attaquant d'un bras fort, vigoureux
et nerveux ? Bien loin de le prévenir, il ne pourra
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 323
parer les coups qui lui seront portés et, percé de
plusieurs, il mordra la poussière en lui rendant
son âme.
Voulez-vous être brave et bon soldat, vous con-
server une bonne santé ? Soyez vertueux et sage :
à toutes les heures vous aurez courage et force,
d'où naît la volonté. Voulez-vous des preuves ?
Suivez Annibal dans ses victoires d'Italie : tant que
son armée conserva des mœurs chastes, elle fut
invincible ; un hiver passé à Capoue, où elle se livra
au commerce des femmes, détruisit la force de tous
ses soldats. Privée d'elle, le courage qui en est le
fruit l'abandonna ; sa santé ne fut plus la même
et, presque sans combattre, cette armée terrible, qui
alloit faire tomber Rome et son empire, s'évanouit
et fut détruite par les seules fatigues du camp.
Voyez ces premières légions chrétiennes : la reli-
gion les rendoit chastes ; elles furent toujours invin-
cibles, tant que, fidèles à leurs préceptes, elles les
suivirent.
Faites l'analyse des différents peuples d'Europe
seulement, vous y découvrirez que ceux qui sont
chastes et dont les mœurs sont les plus pures, sont
les plus braves et les plus propres à la guerre.
Voyez cette poignée de Suisses, qui, enveloppés de
grandes monarchies, ont su, au milieu d'elles, con-
server leur liberté ; ils doivent cet avantage à la
simplicité et à la chasteté de leurs mœurs plus qu'à
l'âpreté du sol qu ils occupent.
Si vous voulez être guerrier, soyez chaste ! Si
vous voulez que votre carrière soit durable, soyez
chaste ! Si vous voulez que votre santé soit tou-
324 CAMPAGNES [1760J
jours bonne, soyez chaste ! Si vous voulez éviter
partie des amertumes de cette courte vie, soyez
chaste ! Enfin si vous voulez laconsidération publique,
soyez chaste et, ce qui est plus important que tout
ce queje viens de dire, si vous voulez plaire au Dieu
que vous servez, soyez chaste !
Saint Jean fut celui de ses Apôtres qu'il chéris-
soit le plus. Pourquoi ? me direz-vous. C'est que de
tous comme lui il étoit chaste. Ce précieux don du
Ciel est inappréciable pour qui sait le conserver ; je
vous y invite, bien sûr que j'ai raison. Cette vertu
est nécessaire pour quelqu'étal que l'on prenne, mais
elle Test infiniment davantage pour celui qui se
destine au parti des armes. Voyez l'humanité dans
son enfance : elle est craintive, parce qu'elle n'a pas
de force. Voyez-la à l'âge de vingt à quarante ans :
elle bouillonne d'activité et de courage, lorsque la
maladie ne la travaille pas ; c'est qu'elle est dans sa
force, qu'elle conserve dans un âge plus avancé,
suivant qu'elle conduit sa carrière. Voyez-la à l'âge
de la caducité : tout s'y rapproche de l'enfance ; c'est
qu'insensiblement, il ne lui reste plus que la force
de l'enfant. Tel est son cours ordinaire.
L'armée, campée au camp retranché de Cassel,
comme je l'ai dit, y termina cette campagne et il n'y
eut d'autre événement militaire qu un nombreux
détachement composé de la division de S. A. Mgr le
prince de Condé, du corps des carabiniers et autre
cavalerie, qui furent joindre la division saxonne aux
ordres du comte de Lusace, pour attaquer le général
Wangenheim, campé, avec un corps de troupes
ennemies d'environ 10.000 hommes, sur la rive
[1760] DE MERCOYROL DE BE.VULIEU. 325
droite de la Fulda et rive gauche de la Werra, lequel
général fit sa retraite, mais pas assez promptement,
ce qui lui fit perdre six pièces de canon et un dra-
peau [19 septembrel.
J'a\ois prévenu, vers la fin de cette campagne,
M. le marquis de Bréhant, mon colonel, et saisi
l'instant où il me disoit des choses très honnêtes sur
le zèle que j'y avois montré, que mon désir seroit
d'être employé pendant l'hiver et de commander
quelque poste que d'usage l'on place en avant du
cordon des quartiers de la première ligne ; que je
sacrifierois volontiers à ce plaisir celui d'aller voir
mes pénates, quoique j'y eusse quelques affaires
négligées, depuis près de cinq ans que je n'avois pro-
fité d'aucun semestre ni congé. M. de Bréhant, qui
avoit de l'amitié pour tout officier zélé et particu-
lièrement pour moi, entra avec empressement dans
mon idée, m'y affermit par l'espoir comme sûr qu'il
me donna qu'il m'obtiendroit ce que je désirois. En
conséquence, je ne fis aucune autre démarche.
Toul eût été à mon désir, sans une contrariété de
sentiment entre le comte de Broglie, frère du maré-
chal, et M. de Bréhant. Dans un souper avec plu-
sieurs généraux, où la liqueur bachique n'avoit pas
été ménagée, il fut question de la bataille d'Hasten-
beck. Le comte de Broglie improuvoit par ses propos
vivement et méchamment ce qu'y avoit fait M. de
Chevert. Ce général étoit l'ami de M. de Bréhant ;
celui-ci, Breton et du vin dans la tête, se fit cheva-
lier du général absent ; la dispute et même querelle
fut on ne peut plus vive de part et d'autre. Toute
la généralité présente eut bien de la peine à éviter
326 CAMPAGNES [1760]
qu'elle ne devînt sanglante, car il étoit constant que
si pareille querelle se fût passée entre deux jeunes
gens, la mort seule de l'un des deux devoil et
pou voit l'apaiser, (le souvenir dans le cœur vindica-
tif et malicieux du comte de Broglie ne pouvoit
manquer d'y rester.
M. le marquis de Bréhanl ne parla donc en au-
cune manière de ce qu'il ra'avoit promis et me
laissa ignorer les motifs et raisons qui, selon son
idée, l'empêchoient de pousser plus loin ma de-
mande. Je patientai jusqu'au 15 novembre. Tous
les semestriers partis depuis plusieurs jours pour
passer en France, je parlai à M. de Bréhant pour
savoir où il en étoit de mon affaire. Son embarras
me fit croire qu'il avoit été refusé tout à plat et
qu'il lui en coûtoit de m'en faire part. Je cher-
chai donc à lui dire que cette perte n'étoit pas
irréparable, que, par des services meilleurs de ma
part que ceux qu'il avoit été à même de pouvoir
citer, cela se répareroit un jour par ceux que je
pourrois rendre. J'étois donc le consolateur au lieu
d'être celui qu'on devoit consoler.
Du même jour je fus chez le major-général pour y
rencontrer plus promptement M. du Vivier, major
du régiment, qui y dînoil et pour qui j'avois de la
vénération et de la confiance. Je lui contai mon affaire.
^( Que je suis fâché, me dit-il, que votre cantonnement
à Wolffhagen avec les grenadiers et chasseurs m'ait
privé de vous voir depuis quinze jours ; je vous au-
rois dit et raconté la brouillerie du comte de Broglie
avec M. de Bréhant et nous eussions pu trouver
quelque moyen. — Non, lui dis-je, M. de Bréhant
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 327
seroit peut-être compromis si l'onfaisoit une demande
à M. le Maréchal pour un capitaine de son régiment;
étonné avec raison qu'elle ne vînt de lui, il pour-
roit en demander le motif. Il y a apparence qu'il
ignore cette querelle dont vous venez de me par-
ler ; le comte, son frère, par qui tout passe, à
propos du silence de M. de Bréhant, pourroit la
lui rendre et le maréchal en prendre de l'humeur
contre lui. J'ai un semestre, des affaires chez moi,
j'irai y vaquer et partirai demain ou après. » Ce
que j'exécutai et ce qui me détermina tout à fait
est ce qu'il me reste à dire de relatif à cette cam-
pagne.
M. de La Rochethulon, commandant du bataillon
des grenadiers et chasseurs de la brigade, homme
du plus grand mérite, d'esprit et d'amabilité, et
vieux militaire instruit, [étoitmon ami]; M. de Gelb,
brave et valeureux officier, plein de lumières pour
la guerre, Alsacien de nation, tirant parti de tout
l'avantage que lui donnoit [sa naissance] de bien
parler allemand, étoit [aussi] mon ami depuis que
nous avions commencé nos armes au régiment de
Picardie, qu'il avoit joint une campagne après moi ;
il étoit l'aide-major attaché à ce bataillon lors de
notre séjour au camp de Cassel. Notre bataillon
cantonné à Wolffhagen, Mgr le prince de Condé fit
dire à M. de La Rochethulon de venir dîner tel jour
avec MM. de Gelb et de Beaulieu chez lui à Cassel.
Nous vivions, M. de La Rochethulon, Gelb et moi,
dans la plus grande intimité ; instruits du jour pour
nous rendre à Cassel chez Son Altesse, nous parlons
ensemble. Chemin faisant, voilà ces deux Messieurs
328 CAMPAGNES [1760]
qui de bon cœur se félicitent; je ne suivois pas leur
conversation de l)ien près, dans l'idée où je fus en-
traîné d'abord, imaginant qu'il étoit question de
quelque fortune femelle, dont M. Gelb, l'Adonis de
son siècle, étoit souvent le Bateur(?) par la beauté de
sa figure, sa taille de cinq pieds dix pouces, son
beau corsage et tout bien dans sa personne ; [je
pensois] que le commandant cbercboit à s'amuser,
mais M. de La Rochetbulon [parloit de] la douce
lettre qu'il avoit dans sa pocbe du ministre de la
Guerre; [elle] avoit ébloui son esprit et, sans
mystère, il la tira de sa poche et me dit : « Voila
de quoi nous nous félicitons. » Cette lettre ministé-
rielle les instruisoit que sur le compte qu'il avoit
rendu au Roi de la manière distinguée dont le ba-
taillon de grenadiers à ses ordres avoit servi à Cor-
bach et à Hippensbausen sous son commandement,
aidé du sieur de Gelb, aide-major, le Roi lui avoit
ordonné d'en marquer sa satisfaction à ces deux
officiers, etc. Comme mon ambition étoit très modé-
rée, il me fut aisé de me contenir, et je dis seule-
ment : « Depuis quand avez-vous reçu cette lettre ?
— Depuis quatre jours, me répondit-on. — Il y a
donc quatre jours que vous vous félicitez ; c'est fort
bien ; pour moi je dois me dispenser de le faire. » Le
rouge me montoit au visage ; l'embarras de l'un et
de l'autre me donna plus de froid que je ne m'en
croyois susceptible. Je leur dis : « Encore quelques
événements guerroyants et il y aura profit pour
tous », et je changeai de propos, à quoi ils se prê-
tèrent. Il ne fut plus question de rien à cet égard
et nous passâmes joyeusement notre journée.
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 329
De retour à notre quartier, nous nous séparâmes et
ce fut à cet instant et rendu chez moi que je me livrai à
mes réflexions sur la lettre ministérielle. De quel rap-
port l'ont-ils donc reçue? Et, mettanttout poureux, je
me disois : « Le général, en rendant compte à la Cour,
aura sûrement dit que tel et tel bataillon de grena-
diers et chasseurs ont exécuté de point en point
avec zèle et courage les ordres qui leur avoient été
donnés; on en a complimenté les états majors », et,
ne cherchant pas à approfondir davantage, je voulus
m'en tenir à cette idée qui ne blessoit personne ;
mais je me rappelai alors les premiers pas de ma
carrière militaire, lorsqu'en 1746, à l'insu de mon
oncle, comme je l'ai dit, et sur son refus, je mar-
chai aux volontaires de l'armée, et la leçon qu'il
m'en fit lorsque je fus de retour. « Je ne dois pas
blâmer, me dit-il, la démarche que vous venez
de faire, mais je dois vous dire qu'il est agréable
d'aller à la guerre lorsqu'on commande en chef,
quelque quantité de troupes que l'on nous con-
fie, par la raison que si l'on fait quelque chose
de bien, cela roule sur celui qui commande ;
attendez donc d'être capitaine pour que vous
puissiez commander et avoir le profit de vos tra-
vaux militaires. » J'appréciai, à l'époque présente,
tout ce qu'il vouloit me dire.
De plus, mes réflexions me faisoient penser que
M. de J^a Rochethulon, voulant me faire part de sa
satisfaction à la réception de cette lettre ministé-
rielle, pouvoit, par des choses honnêtes, me dire :
(( Nous vous la devons. » Il eût dit vrai. Cette
manière loyale de sa part m'eût si bien gagné qu'il
330 CAMPAGNES [1760]
n'eût trouvé en moi que des remerciements à lui en
faire et que ma réponse eût été : « Commauclanl,
je ne désire que des occasions à vous faire cueillir
le fruit de vos longs travaux; mon tour viendia
après. » El il m'eût répondu après ce qu'il eût
voulu.
A sa place, j'aurois dit aux ofTiciers à mes ordres :
(( Messieurs, voilà la lettre que j'ai reçue du ministre;
je vais la communiquer à notre colonel ; ensemble
nous en ferons nos remerciements à M. le maréchal
duc de Broglie qui nous l'a procurée et, comme de
justice et de raison, devant vous, je dirai à ce géné-
ral que c'est à vous autres qu'elle eût dû être adres-
sée, puisque c'est vous autres qui avez agi et que
les compliments vous en sont dus. » Une pareille
démarche lui eût fait plus d'honneur et de profit
que le petit compliment qu'il tenoil dans sa poche.
Il avoit de l'esprit, mais le jugement ne fut pas pour
lui dans cette circonstance, car il ne devoit pas
ignorer combien, dans l'état militaire, on est sensible
à se voir enlever un petit brin d'encens que l'on
croit mériter et combien il en coûte peu et fait
honneur à tout chef de rendre justice à qui elle est
due ; [c'est] s'acquérir de plus en plus rafieclion de
ceux à ses ordres en faisant valoir et flattant les
services qu'ils ont rendus, et les préparer à en
rendre de plus profitables, dont, pour l'ordinaire, le
chef a tout l'avantage et le profit [s'il est] digne de
le recevoir par son talent, son mérite, son zèle, sa
modestie, sa justice à prôner les officiers à ses ordres
qui méritent et sans contredit sa plus pure récom-
pense ; par là il les enflamme et tous se disposent
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 331
de plus en plus au bien du service du Prince. Une
conduite contraire refroidit et dégoûte. Chacun se
dit : « Quoi ! notre commandant n'a pas paru à telle
et telle circonstance, il en reçoit les compliments
avec avidité, laisse, avec une complaisance injuste,
croire que tout est émané de lui, ne dit pas un mol
de M. tel ou tel, [alors] que l'action pour laquelle
on le flatte est à eux seuls. » Cette impertinence
maladroite fait tenir des propos qui, en amenant la
vérité, font que le public, désabusé, le blâme, l'im-
prouve et conçoit de lui une idée toute différente
de celle qu'il lui avoit d'abord accordée.
Imbu et plein de ces fâcheuses réflexions, je me
disposai à partir pour passer en France, ce que
j'exécutai le 18 novembre, et entrepris avec regret
un voyage de trois cents lieues, voulant passer par
Lille en Flandre et de là gagner mes montagnes
vivariennes, où j'arrivai le 17 du mois de décembre.
Je dois dire ici que, peu de jours après mon
départ, M. le maréchal duc de Broglie, observateur
des officiers auxquels il voyoit du zèle, de son propre
et seul mouvement, se rappelant celui dont il m'avoit
vu pénétré pendant cette campagne, (voulant em-
ployer M. de Gelb, frère de celui [qui étoit] briga-
dier à cette époque, qui l'avoit servi avec succès à
la bataille de Bergen, comme cela a été dit), fit dire
par ce frère à celui aide-major du bataillon des gre-
nadiers et chasseurs du régiment de Picardie de se
rendre chez lui, où, arrivé, il lui dit : « J'ai jeté les
yeux sur vous pour vous employer, cet hiver, à la
majorité de la place de Gottingue ; vous y serez sous
les ordres d'un lieutenant de Roi et [aurez] pour
332 CAMPAGNES [1760]
commandant en chef M. le comte de Vaux, lieute-
nant-général (aujourd'hui maréchal de France);
vous passerez de suite chez mon frère, le comte de
Broglie, qui est instruit de cet arrangement, et il
vous remettra la lettre de service que je vous ai
fait expédier à cet effet. »
M. de Gelb, reconnoissant comme il le devoit, le
remercia. M. le Maréchal, continuant, lui dit :
« Vous voudrez bien dire à M. de Beaulieu de pas-
ser chez moi demain matin; je veux l'employer dans
un poste et reconnoître la manière dont il a servi
cette campagne, et le mettre à même de servir plus
distinctement, lui procurant en outre un bien-être. »
La réponse de M. de Gelb fut : « Monsieur le Maré-
chal, il est parti il y a trois jours, mais, si vous
le permettez, je vais lui adresser un courrier qui
le joindra à quarante ou cinquante lieues d'ici. »
M. le Maréchal réfléchit un moment et lui dit :
« Non, cet officier a sans doute des affaires chez
lui. » Et ma bonne fortune expira là.
M. de Gelb, qui étoit mon camarade et mon ami,
officier de mon âge, celui avec lequel j'étois le plus
lié, par la justice mutuelle que nous nous rendions
sur notre amour pour notre métier et notre façon
de penser, toujours d'égalité sur tous les points, par
notre jugement qui nous faisoit voir les objets du
même œil, me fit part sur-le-champ de tout ce que
M. le Maréchal avoit fait pour lui et dit à mon
égard. Je reçus cette lettre en arrivant chez moi,
où je la trouvai. J'eus des regrets d'avoir fait une
si longue route et m'aperçus, mais trop tard, com-
bien j'avois mal fait de ne m'être pas présenté
[1760] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 333
moi-même à M. le Maréchal pour lui demander
d'être employé pendant l'hiver, comme M. le mar-
quis de Bréhant s'en étoit chargé, surtout lorsque
j'avois été instruit de son peu d'accord avec M. le
comte de Broglie, et de cet exemple je me proposai
pour l'avenir de faire mon profit, en demandant
moi-même si l'occasion jamais s'en présentoit.
La place que M. le maréchal duc de Broglie se
proposoit de me confier étoit le château d'Arenstein,
à une lieue de Witzenhausen et quatre lieues de
Gottingue, lequel poste fut confié à un capitaine
du régiment de Champagne, M. de VerteuiP, qui y
fut attaqué l'espace de quarante-huit heures. Mais
ce château, petit, étoit situé sur un mamelon fort
roide ; les ennemis n'ayant que de l'artillerie de petit
calibre et obliaés de tirer de fort loin, cherchèrent
un niveau par les hauteurs voisines et, leurs coups
étant sans effet, se retirèrent [28 novembre]. M. le
baron de Verteuil, aujourd'hui maréchal de camp,
cordon rouge employé et commandant à l'île d'Ol-
ron, s'y conduisit parfaitement, comme depuis il a
toujours fait ; il commença là sa fortune, en faisant
connoître qu'il méritoit de la faire.
Je dois dire que ma reconnoissance de l'intention
de M. le Maréchal en ma faveur fut extrême. Je pas-
sai l'hiver avec elle, dans le ferme désir de faire
1. Marc-Antoine, baron de Verteuil de Malleret, né à Bor-
deaux en 1720, lieutenant en 1743, capitaine en 1746, brigadier
d'infanterie en 1762, lieutenant-colonel du régiment de Piémont
en 1764, cordon rouge. Une note d'un inspecteur (1763) le dit
« sujet de la plus grande distinction à tous égards ».
334 CAMPAGNES DE M. DE BEÀULIEU. [1760]
tout ce que jepourrois pour la lui montrer. Jen'avois
pour cela que mon courage à lui offrir
L'auteur consacre trente-cjuatrc pages auv malheurs et à la
monde M. de Gclb, son ami, officier dcPicardie, originaire d'Al-
sace (frère de M. dcGelb, aide-major, qui fut nommé lieutenant-
général en 1784). Cet officier avait obtenu la majorité de la place
de Gôttingue, sous le commandement du comte de Vaux, depuis
maréchal de France II autorisa trois sous-officiers, capitaines
des portes de la ville, à prélever une légère redevance sur les
denrées qui entraient en ville. Cette mesure vint à la connais-
sance de M. de Vaux, qui blâma M. de Gelb avec la plus grande
dureté. M. de Gelb, ulcéré par ces reproches, se joignit à un
détachement commandé par le comte de Belsunce et se fit
tuer. L'auteur affirme que la probité de cet officier était scru-
puleuse et en donne pour preuve la conduite qu'il tint dans
une affaire de fournitures en 1758.
CAMPAGNE DE 1761
Le 4 de mars, je quittai le Vivarois et mes parents,
et m'acheminai pour joindre le régiment de Picardie,
où j'arrivai et le trouvai à Fulda dans les premiers
jours d'avril.
Cet hiver fut rigoureux et pénible pour toutes les
troupes des deux armées, les opérations méditées
du prince Ferdinand en ayant fait une campagne
d'hiver et forcé, vers la fin de février, l'armée fran-
çoise à la levée et abandon de tous ses quartiers.
Le projet de ce prince étoitde prendre Cassel, où
commandoit le comte de Broglie. Je ne parlerai pas
du siège qu'il en fit et de la résistance opiniâtre
qu'il y trouva de la part du chef de la garnison, ni
de tous les valeureux faits d'armes qui s'y passèrent,
n'y étant pas, lesquels donnèrent le temps à M. le
maréchal duc de Broglie de rassembler son armée
toute éparse, ni de la brillante action de M. le comte
de Narbonne ^ colonel d'un régiment de grenadiers
royaux, avec lui 300 ou 400 hommes de piquets de
différents régiments, attaqués à Fritzlar par le prince
1. Jean-François Pelet, comte de Narbonne, né à Saint-Paul-
Trois-Chàteaux en 1725, lieutenant-général en 1784, grand-croix
de Saint-Louis, mort en 1804.
336 CAMPAGNES [1761]
héréditaire de Brunswick, chef d'une division de
8.000 à 9.000 hommes de l'armée du prince Ferdi-
nand : ce jeune prince tut repoussé à l'attaque qu'il
en fit, où il laissa quatre pièces de canon [13 février].
Ce premier échec dérangea la combinaison du
vaste projet du prince Ferdinand et fut un événe-
ment unique pour l'avantage de l'armée françoise.
Dans la reddition de compte du maréchal duc de
Broglie à la Cour, il en fit le plus grand éloge et l'y
donna comme le restaurateur de l'armée du Roi.
T.ouis XV y fut si sensible qu'il voulut qu'il fût sur-
nommé Narbonne-Frilzlar, ce qui a eu son plein
effet, l'armée se faisant un devoir, une justice et un
plaisir de joindre son suffrage à celui du monarque,
et la branche de cette illustre maison dans l'avenir
va conserver, tant qu'il en existera, le surnom de
Fritzlar. Ce comte fut, de plus, honoré du cordon
de l'ordre militaire de Saint-Louis et, peu de temps
après, fut fait maréchal de camp.
L'armée, revenue de sa première surprise, et tous
les différents quartiers se portant à un point central
que M. le Maréchal avoit indiqué pour son rassem-
blement, fut, en peu de temps, en état de se porter
en avant et de chercher à son tour l'ennemi, devant
lequel, jusque-là, elle avoit toujours fait des marches
rétrogrades, et eux se flattoient de la mener ainsi
jusqu'à Francfort. Et, pendant ce temps, ils étoient
acharnés à faire le siège de Cassel : s'ils eussent
réussi, ils jetoient le maréchal et son armée de
l'autre côté du Main
Les troupes sont instruites qu'elles marcheront le
lendemain ; on se demande si c'est pour gagner
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 337
Francfort et, lorsqu'elles apprennent que c'est pour
se porter en avant et chercher les ennemis, le cou-
rage, jusqu'alors abattu, passe comme un éclair dans
tous les cœurs. On marche aux ennemis ; ceux-ci,
que la prospérité avoit suivis jusque-là, sont étonnés
à leur tour de voir qu'on cesse de les éviter, mais
qu'on les cherche. Tout ce qui est en avant pour
nous suivre se replie sur ceux qui les suivent ; à la
seconde marche on les joint, on les trouve dans
l'étonnement, on les attaque, on les bat, sans
presque de perte en tués ou blessés, de même que
fort peu de leur part, par le peu de résistance qu'ils
y mettent. On fait plus de 3.000 prisonniers, on
leur prend vingt-deux drapeaux, dix-huit pièces de
canon, et cette armée fuit de toute part [Grûnberg,
22 mars]. Le siège de Cassel est levé et tous les
projets du prince Ferdinand évanouis.
Telle fut l'époque où je trouvai l'armée. Tout y
respiroit la joie de ces derniers avantages. Cette
suerre d'hiver avant retardé toute l'organisation des
préparatifs pour entrer en campagne, elle ne put
s'ouvrir qu'en mai.
Ce que j'avois éprouvé, la campagne précédente,
de la lettre du ministre de la guerre écrite à M. de
La Rochethulon et à M. de Gelb sur le compte qui
avoit été rendu au Roi de leurs services, et comme
quoi Sa Majesté lui avoit ordonné de leur en mar-
quer sa satisfaction, cette lettre m'avoit absolument
découragé de continuer mes services au bataillon de
grenadiers et chasseurs. Je regrettois infiniment de
les quitter et leur genre de service.
Ce qui acheva de me déterminer fut, premièrement,
22
338 CAMPAGNES [1761]
la morl tie M. de Gflh, officier ([uv j'iiimois el esli-
mois autant qu'il m'étoit possible, compagnon et ami
du début de mes services, aveclequelj'avois toujours
été dans la plus active et vive intimité, et (jui ne se
seroit pas prêté longtemps, comme M. de La Hoche-
ihulon, à vouloir rapporter à lui les services d'au-
Irui. Quelque aimal)le et doué de talents militaires
que fiUM. de La Rochetlmlon. le petit brin d'encens
que sa position pouvoit lui ("aire espérer, il vouloit
en jouir seul : tels étoient son caractère el sa fausse
façon de voir. M. de Gelb étoit l'opposé, ce que
j'aurai l'occasion de ramener JMentôt, chose que je
tiens de M. le maréchal de Broglie. Ce malheureux
Gelb mort, laide-majorité du bataillon avoit été
donnée à un autre, dont les services, commencés en
1757, mettoient nuatorze ans de différence de ses
services aux miens et faisoient que je n'avois vécu
du tout avec lui et que je n'avois l'honneur de
connoître ni son cœur ni son âme.
Le second motif fut qu'instruit, comme toute l'ar-
mée, que S. A.Mgr le prince de Condé serviroit la
campagne que nous allions commencer à l'armée
commandée parM. le maréchal prince de Soubise, dite
armée du Bas-Rhin, qui devoit commencer ses opé-
rations par la Westphalie, ce motif, qui m'éloignoit
absolument de l'espoir de servir sous les yeux de cette
Altesse, me décida à demander de servir avec un
corps de volontaires et d'attendre le rassemblement
de l'armée pour en faire moi-même la demande à
M. le maréchal duc de Broglie.
J'éloignai donc l'offre honnête et obligeante que
me fit le capitaine du régiment, M. le chevalier
[1761J DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 339
d'Averton^ de me remettre cette compagnie de chas-
seurs, à laquelle il avoit fait le service pendant tout
l'hiver, lui sus un gré infini de son attention, l'en
remerciai et en restai très reconnoissant, fort heureux
d'avoir pu le lui marquer dans mes grades de major
et de lieutenant-colonel.
Au mois de mai, le régiment reçut ses ordres
pour quitter Fulda et se porter vers Cassel, où
M. le Maréchal avoit fixé le rassemblement de son
armée, ce qui s'y exécuta. Là, l'armée rassemblée
et tous les corps réunis, M. le Maréchal en fit la
revue, la parcourant sur son front. M'"^ la Maré-
chale l'y accompagnoit, placée sur un char bril-
lant et léger, trainé par des chevaux orgueilleux
de leur fonction ; elle étoit seule au milieu d'un
camp, où cent pièces de canon et 70.000 hommes
firent trois salves en mémoire de l'affaire du 22
de mars dernier (qui, comme il avoit été dit, avoit
amené la levée du siège de Cassel). Dans la scène
intéressante de la réunion du maréchal et de son
frère, le comte de Broglie, avec M™'' la Maréchale,
celle-ci paroissoit comme la Victoire qui venoit pré-
senter une double couronne à ces deux frères: tout
rendoil cette journée des plus intéressantes.
Après quelques jours encore de station dans le
camp, l'armée en partit et sa seconde marche fut de
passer le Diemel environ à une lieue au-dessous de
Stadtberg et de venir camper sa droite à Murhoff,
la gauche se prolongeant vers Leyberg, en avant
1. Marie- Jean-Frauçois Daverton, né à Fontainebleau en
1729, lieutenant dans Picardie en 1746, capitaine en 1755.
340 CAMPAGNES [1761]
d'elle la vaste et belle plaine de Rensfeldt, là où,
l'an 794, les Saxons furent entièrement défaits par
Charlemagne et ensuite convertis au christianisme.
Stadtberg, autrefois et vers la même époque, étoit
une forteresse considérable, sous le nom d'Ehror-
bergen, où étoit le temple d'Arminius, faux dieu des
Saxons, détruit par Charlemagne ; la statue fut por-
tée à Hildesheim, où l'on voit encore le piédestal
dans l'église cathédrale.
L'armée resta dans ce camp près de dix jours.
L'armée du prince Ferdinand étoit campée sa droite
vers Bùren, sa gauche derrière Brenckcn, son front
couvert d'un ruisseau faisant face à la même plaine
que l'armée du Roi.
On poussa un corps considérable à Atlelen et ce
mouvement détermina le prince Ferdinand à quitter
sa position de Biiren, à se porter dans le comté de
Lamarck et pays de Lippstadt. L'armée du maréchal
de Broglie se porta à Paderborn et le corps qui
étoit à Attelen fut poussé à Neuhaus, dont la majeure
partie étoit le corps des Saxons, aux ordres du comte
de Lusace, frère de la Dauphine de France, avec lui,
d'officiers généraux françois pour son conseil, M. le
chevalier comte du Muy.
Ce fut pendant les quelques jours de séjour à ce
camp que je demandai à M. le maréchal duc de
Broglie de vouloir bien m'employer hors de la ligne,
soit avec des volontaires de l'armée ou tout autre
détachement qu'il lui plairoit de me confier, et,
pensant que peut-être mon physique ne lui suffiroit
pas pour se rappeler que j'avois fait la campagne
précédente aux chasseurs et grenadiers de la brigade
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 341
de Picardie, j'y ajoutai mon nom. « Oui, me dit-il,
je me rappelle parfaitement vos bons services ; je
voulus vous employer à la fin de la campagne,
M. de Gelb me dit que vous étiez parti, profitant
de votre semestre ; c'étoit un de vos amis et un
officier que j'ai beaucoup regretté. »
Il me fut aisé de comprendre, vu la lettre que
j'avois reçue de M. de Gelb en arrivant cbez moi et
dont j'ai déjà parlé, que près de M. le Maréchal il
s'étoit servi des termes qu'inspire l'amitié, et, lors de
mes réflexions, M. le Maréchal me dit : « Passez chez
Guibert ^ major-général, et dites-lui de prendre
note de ce que vous désirez, ajoutant de lui dire
qu'il ait à m'en parler au premier travail que je
ferai avec lui. f>
Je fus sur-le-champ chez M. de Guibert, à qui
je fis part de ma conversation avec M. le Maréchal.
Ce digne et brave M. de Guibert, homme rare, aimé
et estimé de toute l'armée, m'accueillit par toutes
sortes d'honnêtetés.
Sur cette agréable réception de sa part, arrive
M. du Vivier, major du régiment de Picardie, qui
avoit pour moi beaucoup d'amitié, auquel je fis
part de mes démarches, lui disant que s'il n'eût été
adjoint à M. de Guibert pour le travail de major de
l'armée, je lui en eusse fait part plus tôt, mais que
son absence de la brigade m'avoit fait remettre de
lui en parler; que j'élois parti du camp pour venir
1. Charles-Benoît, comte de Guibert, né à Montauban en
1715, Hiort en 178G, lieutenant-général et gouverneur des
Invalides .
342 CAMPAGNES [1761]
au quartier -général plein de cette intention, mais
que le hasard avoit tout dérangé, lui ajoutant que,
plein de mon projet, à un quart de lieue du quar-
tier général, j'avois rencontré quelques dragons
qui alloient fort vite ; que, voyant dans un éloi-
gnement non considérable une voiture légère qui
suivoit, jeleuravoisdemandésic'éloit M. le Maréchal ;
qu'ils m'avoient répondu que oui ; que, la voiture
près de moi, j'avois fait signe au postillon de
s'arrêter, ce qu'il avoit exécuté ; que, dans celte voi-
ture, voyant M. le Maréchal, avec lui M. le comte de
Broglie son frère et le chevalier de Bon, j'avois poussé
ma demande à M. le Maréchal, qui m'avoit prescrit
d'en parler à M. de Guibert, ce dont je venois de
m'acquitter, en le priant d'accélérer le plus qu'il lui
seroit possible do me rappeler à M. le Maréchal, et
que je priois actuellement M. du Vivier, mon major,
de me continuer les marques d'amitié qu'il m'avoit
toujours prodiguées, pour que, joint à M. de Guibert,
j'éprouvasse le moins d'attente possible.
Je pris congé d'eux pour retourner au camp, très
satisfait et content de ma course, parle juste espoir
que j'avois que le major-général et son adjoint ne
m'oublieroient pas, ce qui arriva en effet, et, deux
jours après, je reçus l'ordre de partir le lende-
main, avec moi 50 hommes de la brigade de Picar-
die, 100 hommes de celle de Champagne et 50 che-
vaux aux ordres de deux lieutenants, pour me
rendre à Saltzkotten, sur la' communication de
Paderborn à Geseke (?), et fde m'y] arrêter, où,
depuis trente-six heures, M. le Maréchal avoit fait
marcher deux brigades d'infanterie et deux de cava-
lerie.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 343
J'y pris poste et, comme l'enceinte de cette petite
ville est assez considérable, qu'il y a cinq portes
et que, pour les garder toutes, j'eusse infiniment
fatigué la troupe à mes ordres, j'en fis fermer
trois, les renforçant avec beaucoup de fumier, et
les fis créneler à une hauteur assez élevée, pour
que l'ennemi qui auroit tenté de s'y porter ne pût
faire usage des créneaux par leur hauteur, et j'y mis
trois hommes de garde à chacune d'elles. Les deux
autres, qu'on étoit obligé souvent d'ouvrir pendant
la nuit, je les fis seulement créneler et plaçai pour
la nuit dix hommes de garde dans les tourelles au-
dessus de ces deux portes, et huit pour chacune
d'elles en bas, povir se défendre par les créneaux en
cas d'insulte. J'établis tant mes gens de pied que de
cheval à portée contre elles, de manière qu'à la
première alarme, ils pouvoient se porter dans un
instant aux portes qui leur étoienl indiquées.
Je dois dire ici que, du moment que le prince
Ferdinand avoit quitté le camp de Bûren, il s'étoit
porté rapidement sur les bords de la Lippe ; qu'il
avoit manœuvré avec habileté et coupé à l'armée de
Soubise sa communication avec Wesel, d'où elle
tiroit ses vivres ; que, dans cette angoisse, M. le
prince de Soubise avoit demandé du secours en
pain au maréchal de Broglie, qui donna les ordres
les plus précis pour qu'on employât tous les moyens
à faire plus que de doubler la fourniture ordinaire
de son armée. Tous les chariots du pays, en outre de
ceux attachés ordinairement aux vivres et hôpitaux,
furent mis en mouvement pour porter et donner du
pain à l'armée de Soubise, et lui, de sa personne,
344 CAMPAGNES [1761]
partit sur-le-champ avec une légère escorte pour se
porter près de M. de Soul)ise, auquel, par un cour-
rier, il avoit fait part de sa venue pour que, par un
détachement vers sa droite, il la favorisât, ce qui fut,
heureusement et sans rencontre fâcheuse, exécuté.
I.e maréchal de Soubise, qui s'y atlendoit, sous
prétexte de voir son armée et reconnoître celle des
ennemis, étoit monté à cheval, s'étoit porté à la
droite de son camp, où, a[)rès peu d'instants qu'il y
fut rendu, arrivèrent quelques hussards et dragons
de ceux de l'avant-garde de l'escorte du maréchal
de Broglie, qui annonçoient à tout ce qu'ils rencon-
troient la venue de ce maréchal. Un aide de camp
du maréchal de Soubise fut les joindre et leur dit
de venir parler à ce prince, qui leur demanda si
M. le maréchal de Broglie étoit encore bien loin ;
ils répondirent que dans moins d'une demi-heure
il devoit arriver. En effet, l'instant d'après, on vit
déboucher d'un bois une troupe à cheval et, un
quart d'heure après, les deux maréchaux furent
réunis et s'approchèrent ensemble de la ligne ; les
soldats, d'eux-mêmes, crièrent : « Succès! », et
ensuite : « Vivent le Roi et le maréchal de Broglie ! »,
et l'honnête et bon citoyen maréchal de Soubise
suivoit ce cri, en applaudissant des mains, comme
l'on fait à l'Opéra ou aux François, sans marquer la
moindre humeur s'il y étoit oublié [6 juillet, au soir.]
Du même jour, il fut fait quelque changement au
campement, et la soirée suivante fut employée à
convenir entre les deux maréchaux des opérations
dont ils furent d'accord ; après quoi, le maréchal de
Broglie reprit le chemin de son armée, qui, pendant
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 345
quelques jours, fournit du pain à celle du maréchal
de Soubise, qui, du moment que le maréchal de
Broglie l'eut quitté, fit différents mouvements.
Ces mouvements, joints à la juste appréhension
que devoit avoir le prince Ferdinand de la réunion
de ces armées, lui firent rassembler toute la sienne en
un seul corps pour être en force et, dès ce moment,
la communication de l'armée de Soubise avec Wesel
devint libre. Le prince Ferdinand couvrit son camp
de deux ruisseaux qui se jettent dans la Lippe, sur
laquelle rivière il établit plusieurs ponts. Il campa
en avant d'elle, occupant les hauteurs des deux
ruisseaux serpentant au bas de ces hauteurs ; sa
gauche, qui se prolongeoit vers Lippstadt et en étoit
à environ une lieue, étoit le seul endroit découvert,
des deux ruisseaux aucun ne la couvrant, mais [elle
étoit en] terrain difficile par différents ravins, très
coupé et couvert.
Ayant été décidé entre les deux maréchaux de
Broglie et de Soubise d'attaquer le prince Ferdinand
dans sa position, les deux armées franeoises ma-
nœuvrèrent eonséquemment. Celle du maréchal de
Broglie se porta sur Erwitte, laissant à Neuhaus les
Saxons aux ordres de M. le comte de Lusace, avec
lui le chevalier du Muy, des dragons françois et la
brigade du régiment du Roi.
Tout fat donc en mouvement sur l'événement
prochain d'une bataille qui alloit décider du sort
de tant de guerriers et des avantages que la victoire
sembloit promettre à celui des chefs pour qui elle
se décideroit. Le prince Ferdinand, non sans inquié-
tude de voir deux armées formidables prêtes à
346 CAMPAGNES [1761]
l'assaillir, réfléehissoit sur tous les moyens de
défense et à se retirer avee honneur et avantage de
sa position eritique, étant plus faible que les deux
armées franeoises de 30.000 hommes. Il étahlissoit
sa eonfianee et son espoir sur quelque faute de
eomhinaison, peut-être de mésinlelligcnee entre les
généraux fianoois, [mésintelligeneej qui, jusque-là,
l'avoit servi avec succès, ou bien sur des fautes que
l'inhabileté ne manquoit de lui procurer de la part
des armées du monarque françois. Il étoit instruit
de ce qui se passoit dans ces camps, tandis que nos
chefs n'étoient du tout instruits de ce qui se passoit
dans le sien ; il observoit un mouvement et, en
habile chef, attendoit l'instant de profiter de la pre-
mière faute où nous pourrions tomber, ce qui ne
tarda pas de se présenter.
Les généraux françois étoient convenus d'atta-
quer le prince Ferdinand le 15 de juillet et chaque
armée manœuvroit conséquemment, les 12, 13 et 14,
en formant ses approches. Le 14, lavant-garde du
duc de Broglie [se mit en marche; elle étoit] forte
de 8.000 hommes, commandée par M. le baron de
(;lausen^ ofïieier général de grand mérite, d'une
intelligence rare, de grande capacité pour son métier
et sur lequel le maréchal de Broglie avoit la plus
grande confiance, justement méritée par la manière
brillante dont cet officier avoit toujours servi.
L'ordre qu'il avoit leçu du maréchal avoit été de
1. .V., baron de Closen, lieutenant-colonel du régiment de
Saint-Germain en 1747, colonel du régiment Royal-Deux^-Ponts
en 1757, maréchal de camp en 1761, commandeur de Saint-
Louis en 1763, mort en 1764.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 347
s'approcher des ennemis le plus qu'il lui seroit pos-
sible, s'emparant de postes avantageux qui, pour le
lendemain matin 15, pourroient faciliter à l'armée
du maréchal d'attaquer avec succès la gauche de
l'armée du prince Ferdinand en la tournant et la
prenant à dos, tandis que l'armée aux ordres du
maréchal de Soubise devoit attaquer la droite et
former une seconde attaque sur le centre.
M. le baron de Clausen avoit à ses ordres le baron
de Saint- Victor, commandant d'un corps de volon-
taires de l'armée, de 2.000 hommes, et faisoit
l'avant-srarde dudil baron de Clausen, Ces braves
guerriers poussèrent leur marche avec tant de rapi-
dité et de courage que, dissipant tout ce qu'ils ren-
controient et arrivés au pied d'une petite hauteur,
ils ne balancèrent pas de la gravir, continuant à dis-
siper tout ce qui se rencontroit et vouloit s'opposer
a leur progrès. La première troupe, arrivée sur la
sommité de cette hauteur, qui, jusque-là, leur avoit
couvert ce qui étoit derrière, ne fut pas peu étonnée
de se trouver dans le camp des ennemis, où elle
porta l'alarme et le désordre dans les bataillons qui
tenoient la gauche de ce camp; mais comme toute
la ligne couroit aux armes, le succès et les premiers
avantages des troupes françoises furent arrêtés tout
court.
Le baron de Clausen, n'ayant avec lui que les
8.000 hommes dits et éloigné de plus d'une lieue
du maréchal de Broglie, jugea de l impossibilité de
pouvoir tirer gi\ind avantage de ces premiers succès
et naperçut, vu sa faiblesse, ayant devant lui l'ar-
mée ennemie, que celui de chercher à se maintenir
348 CAMPAGNES [1761]
sur une autre petite hauteur opposée à celle où
M. de Saint-Victor étoit monté et qui l'avoit mis
clans le camp des ennemis. Il jugea que, sous peu
d'instants, M. de Saint-Victor seroit attaqué et que,
ne pouvant l'y soutenir, il seroit forcé de céder au
nombre et de perdre du terrain ; c'est pourquoi il
dit à cet ofiicier : « Dans le moment, vous allez être
attaqué et forcé d'abandonner la hauteur que votre
courage vous avoit fait gagner, mais, pour ne
pas sacrifier inutilement les braves à vos ordres,
vous vous retirerez, s'il le faut, jusqu'au pied de
la hauteur que j'occupe ; je suis persuadé que les
ennemis ne vous pousseront pas plus loin, incer-
tains du nombre de troupes qui y sont. Vous vous
conduirez du reste en homme de guerre pour
donner à penser aux ennemis que toute l'armée
aux ordres du maréchal duc de Broglie peut être
derrière la hauteur que j'occupe. »
L'instant d'après, M. le baron de Saint-Victor fut
attaqué ; il disputa le terrain pied à pied et les enne-
mis ne lui firent abandonner que la hauteur et moi-
tié de la pente pour arriver jusqu'au bas ; il s'y main-
tint pendant encore une heure du soir, toute la nuit,
et jusqu'au moment de l'attaque dont nous parle-
rons.
Les ennemis établirent sur la hauteur et en face
d'un terrain découvert, et par où il paroissoit le plus
aisé de déboucher sur eux, quatre pièces de canon
qui, pendant toute la nuit, ne cessèrent de tirer soit
à boulet, soit à cartouche, pour porter du désordre
aux troupes françoises, dans la supposition où ils
étoienl qu'elles s'y formeroient pour, débouchant
[1761] DE MERCOYROL DE BEA.ULIEU. 349
sur eux, commencer l'action qu'ils s'attendoient
devoir être au petit point du jour.
Le prince Ferdinand, instruit par tous les rapports
qui lui furent rendus, tant de la droite de son armée
que de son centre, qu'aucune parcelle des troupes de
l'armée aux ordres du prince de Soubise n'avoit
approché des deux ruisseaux qui en couvroient le
front, que tous les petits postes [avoient été] détruits,
comme il l'avoit ordonné, et les gués rendus plus
difficiles, le prince Ferdinand, donc, jugea avec rai-
son qu'avant que l'armée de Soubise se fût portée
sur ces deux ruisseaux, qu'elle y eût établi quelques
ponts pour le passage de l'artillerie, vu le temps
qu'il falloit à cette armée pour son passage, même
guéant les ruisseaux, il lui étoit possible d'avoir tout
le loisir d'attaquer et battre le corps de troupes de
l'armée du maréchal de Broglie qui se trouvoit en
avant, de l'assaillir avec telle supériorité en force
que l'avantage de ce combat devoit être pour lui.
Son calcul fait et sa résolution prise, il donna ses
ordres pour l'exécution.
C'est ici où le talent du général se déploie. Il est
sûr que, s'il peut avoir le plus petit avantage sur M. de
Broglie, la campagne, qu'il avoit commencée sur la
défensive, pourroit, par la suite, mettre l'armée fran-
çoiseà désirer seulement de conserver sa conquête de
laHesse.En conséquence, il ne néglige rien pour la
réussite de ce qu'il se propose.
Sûr, vers minuit, par les rapports de ses détache-
ments et coureurs, que l'armée du prince de Soubise
ne peut, par son éloignement elles difficultés du ter-
rain qu'elle a à parcourir, rien entreprendre sur sa
350 CAMPAGNES [1761J
(lioile comme sur son centre, il prend le parti mili-
taire e( justement prévu de ne laisser à sa droite et à
son centre qu'une ligne légère, où la cavalerie domi-
noit, n'ayant besoin, dans son projet combiné, que
de son infanterie, et il porte de sa droite et de son
centre à sa gauche quarante bataillons, qui, joints à
l'infanterie qui la composoient, la rendirent forte de
près de quatre-vingts bataillons.
Pendant la nuit, il fit toutes ses dispositions
d'attaque pour, au petit point du jour, pouvoir
commencer un feu ardent d'artillerie sur l'armée
françoise et attaquer avec celte immense infanterie
celle du maréchal de Broglie, qui ne pouvoit manquer
d'être étonnée, dans la confiance et l'opinion géné-
rale où elle étoit qu'elle marchoit pour attaquer, et
surprise de l'audace de l'être au contraire, il
seroit possible de la trouver dans quelques disposi-
tions négligées et d'en avoir bon compte, comme
nous allons en être assurés par l'ordre qu'elle tenoit.
MM. les barons de Clausen et de Saint-Victor
avoient, avec leurs 8.000 hommes, conservé leurs
positions de la veille. Quatre brigades d'infanterie
les avoient joints pendant la nuit; deux de ces bri-
gades avoient été portées dans différents vergers
et terrains coupés par des haies, dans le bas de la
hauteur que lenoit le baron de Clausen. M. le baron
de Saint-Victor, avec ses 2.000 hommes volontaires,
[étoit] en avant de ces deux brigades, sur le penchant
des hauteurs que tenoient les ennemis, comme il a été
déjà dit. M. le maréchal de Broglie, avec le reste de
son infanterie et toute la cavalerie, étoit à un quart de
lieue en arrière de M. le baron de Clausen. On doit
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 351
observer que le maréchal de Broglie avoil laissé à
Neuhaus la division saxonne et à Erwitte deux
brigades d'infanterie, et que toule sa force en infan-
terie pouvoit être de 25.000 à 30.000 hommes au
plus, même en diflérents corps, comme il vient d'être
dit.
Au petit point du jour, quarante pièces de canon
des ennemis commencèrent un feu infernal sur tout
le front qu'occupoient MM. de Clausen et de Saint-
Victor et les quatre brigades d'infanterie qui, pen-
dant la nuit, les avoient joints, et ce ne fut qu'un
quart d'heure après le commencement de leur feu
de canon que seize pièces de canon de parc se joi-
gnirent à douze qu'avoient amenées les quatre
brigades d'infanterie, ce qui commençoit à donner
un peu d'égalité dans le feu de canon par la célé-
rité que M. de Villepatour, oiïieier général d'artil-
lerie, savoit si bien donner et inspirer à tout ce qui
étoit à ses ordres.
Je vais dire ici un événement très particulier
arrivé, pendant cette canonnade, au régiment de
Champagne infanterie. Deux capitaines de ce régi-
ment, 1 un nommé de La Fenêtre', l'autre d'Agay,
sans doute par une opposition de caractère ou anti-
pathie innée en eux l'un pour l'autre, dans l'espace
de vingt-huit ans qu'ils avoient passé à servir sous
les mêmes drapeaux, avoient eu différentes prises
ensemble et s'en étoient toujours rapportés à la
fortune des armes pour les vider. Dans ces combats
1. Marc-Joseph Baudet La Fenestre, né à Fontenay-le-Comte
en 1714, cadet eu 1733, lieutenant en 1735, capitaine en 1743.
352 CAMPAGNES [1761]
particuliers, braves l'un et l'autre, chacun à leur
tour avoit eu l'avantage de blesser grièvement
son adversaire dans sept combats qu'ils s'étoient
donnés. Il fallut le canon de ce jour pour terminer
la querelle et c'est ce qui en fit le particulier.
]^a canonnade des seize pièces de canon aux
ordres de M. de Villepatour étoit si portante pour les
troupes qui se Irouvoient en avant, dans une pente
douce, que l'on fit mettre ventre à terre à ces troupes
pour que le canon pût tirer et éviter tout accident.
Le régiment de Clhampagne, ou la portion (jui étoit à
la direction de notre artillerie, exécuta l'ordre qu'en
don n oit M. le duc d'^ïavré^ lieutenant-général, qui
commandoit cette brigade. Les compagnies de
MM. de La Fenêtre et d'Agay furent de- celles qui
mirent ventre à terre; après y être resté un certain
temps, M. de La Fenêtre, soit curiosité ou impa-
tience de la position où il étoit, s'élevant sur les
deux poignets, gagne par là environ un pied et
demi de hauteur et regai-de du côté des ennemis;
M. d'Agay, poussé par un même motif, fait le même
mouvement. Leurs compagnies étoient adhérentes.
Un boulet de canon frappe M. de La Fenêtre, lui
emporte la tête et un morceau de son crâne crève
l'œil droit de son adversaire d'opinion d'Agay, car
de haine il n'y en avoit aucune de part et d'autre,
et tout ce régiment rendoit justice à ces deux com-
pagnons d'armes et répondoit de la netteté de leur
cœur à cet égard.
1. Louis-Ferdinand-Joseph de Croy, duc d'Havre, prince du
Saint-Empire, né en 1713, maréchal de camp en 1745, lieute-
nant-général en 1748.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 353
Dans cette matinée terminèrent également leur
carrière, par un même boulet, MM. le duc d'Havre
et le marquis de Rougé, l'un et l'autre lieutenants-
généraux.
Après une canonnade d'une heure et demie,
débouchent deux immenses colonnes d'infanterie
qui, semblables à deux torrents que rien n'arrête,
embrassent, l'une parla droite, l'autre par la gauche,
le terrain qu'occupoient le baron de Saint- Victor et
les deux brigades d'infanterie placées dans les ver-
gers intermédiaires au corps de M. le baron de
Clausen et aux deux brigades d'infanterie restées
sur la hauteur des quatre arrivées pendant la nuit.
Ces deux colonnes étoient si profondes et si nom-
breuses, pareilles à deux fourmilières de soldats
qui n'ont point de fin, que M. le baron de Clausen,
craignant d'en être enveloppé à son tour, ordonna
et fit exécuter promptement la retraite aux corps
à ses ordres et aux quatre brigades d'infanterie.
[Pour] la totalité du régiment de Rougé (ci-devant
Belsunce, aujourd'hui Flandre), ceux qui en com-
mandoient les bataillons auroient dû faire comme
le commandeur de Chabrillan', commandant d'un
de ces bataillons, qui a voit eu soin de faire ouvrir
des communications d'un verger à l'autre, ainsi
que sur ses derrières; aussi, lorsque Tordre lui vint
de se retirer promptement, son bataillon se retira
avec la plus grande aisance et en très bon ordre.
Il en fut de même pour la brigade qui étoit à la
1. Joseph-Dominique de Moreton, marquis de Chabrillan,
maréchal de camp en 1784.
23
354 CA.MPAGNES il761j
gauche, mais les trois autres l)ataillons du régiment
de Rougé, qui avoient négligé de penser à leur
retraite et qui occupoient des vergers, suivant leur
étendue, par trois, deux ou une compagnies et
quelques-unes d'elles par demi-compagnie, qui y
étoicnt entrés en défilant les uns après les autres,
n'ayant donc aucune communication d'ouverte et,
faute d'elles, le temps de se retirer, furent enve-
loppés, forcés de mettre bas les armes et se ren-
dirent prisonniers de guerre. Ce furent là les seuls
que firent les ennemis, avec des blessés des volon-
taires de l'armée des brigades qui avoient été canon -
nés, ainsi que ceux des coips du baron de Clausen.
Toutes les troupes abandonnèrent la position
qu'elles avoient tenue pendant la nuit précédente, se
replièrent sur l'armée du maréchal de Broglie, qui
occupoit une autre éminence derrière celle qu'avoit
tenue le baron de Clausen, et, sans désordre, s'y
formèrent en bataille.
La contenance assurée de l'armée du maréchal,
jointe à la bonté du poste qu'elle occupoit, l'incer-
titude où devoit être le prince Ferdinand de ce que
l'armée du maréchal de Soubise pouvoit entreprendre
ce même jour sur le peu de troupes qu'il avoit laissées
dans son camp, en l'attaquant même sur son flanc
droit, s'il s'opiniâtroit à vouloir attaquer le maréchal
de Broglie et suivre le commencement de ses avan-
tages, tout cela considéré fit que ce prince ordonna
à ses troupes de se retirer et de regagner leur camp,
bien assuré que de l'action de ce jour, quelque mince
qu'en eût été l'avantage, il naîtroit des plaintes et
des reproches entre ces deux maréchaux françois,
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 355
qui, mettant entre eux de la désunion, apporteroient
un grand avantage à l'armée à ses ordres ["Willings-
hausen, 15-16 juillet] : ce qui se passa comme il
l'avoit prévu.
M. le duc de Broglie fut accusé par le maréchal de
Soubise d'avoir avancé d'un jour l'attaque de l'armée
ennemie ; le maréchal de Broglie se justifioit en disant
que les avantages qu'avoit eus son avant-garde, le
14, n'avoient au contraire que préparé des moyens
plus sûrs pour la victoire qu'on devoit se promettre
le 15, jour fixé pour l'attaque; qu'aux premières
heures de la nuit, il avoit fait dire au maréchal de
Soubise la position qu'il tenoit et que la réussite
ne dépendroit actuellement que de l'activité et
célérité qu'il mettroit, pendant la nuit, à s'approcher
le plus possible des ennemis pour, au petit point
du jour, commencer ses attaques ; que si le prince
Ferdinand dégarnissoit sa droite ou son centre
pour fortifier sa gauche menacée, il Irouveroit peu
de résistance et qu'au cas que le prince Ferdinand
n'eût fait aucun changement à son ordre de bataille,
il étoit sûr de forcer la gauche.
Mille difficultés se présentèrent au maréchal de
Soubise, soit de s'approcher des ennemis, de passer
les deux petits ruisseaux et terrain difficile qui le
séparoient d'eux, et son armée resta dans une espèce
d'inaction, puisque les petits mouvements qu'il fit
ne purent rien produire. Le maréchal [de Broglie.
disoit qu'jen ne soutenant pas son avant-garde et
les quatre brigades d'infanterie qu'il y avoit jointes
pendant la nuit, il avoit craint, en s'y déterminant,
de combattre lui seul contre toutes les forces de
356 CAMPAGNES [1761]
l'armée des alliés; que, cependant, il n'avoit pas
craint de les attendre dans la position qu'il avoit
choisie et où son avant-garde l'avoit rejoint ; que là
il avoit arrêté le prince Ferdinand, qui n'avoit gagné
qu'un quart de lieue de terrain ; qu'à midi il l'avoit
abandonné pour aller reprendre sa position et son
camp ; qu'il n'avoit nul reproche à se faire sur tout
ce qui s'étoit passé, qu'il s'étoit conduit en général
et citoyen.
M. le prince de Soubise répondoit à toutes ces
allégations, pour justifier ce qu'il n'avoit pas exécuté ;
le maréchal de Broglie y ripostoit et la mésintelli-
gence entre ces deux collègues fut toute à découvert,
d'où il s'ensuivit que des mémoires réciproques de
leur part furent adressés à la Cour, pour qu'elle
eût à prononcer en jugeant ces deux chefs.
Il s'ensuivit que, jusqu'à la réponse de Versailles,
les deux armées françoises restèrent dans leur
position, que celle du prince Ferdinand resta éga-
lement dans la sienne et que, pendant l'intervalle
à recevoir ce à quoi le monarque francois auroit
déterminé eu égard à ces deux généraux, il ne se
passa, en faits d'armes intéressants, que l'attaque que
fit Luckner * de la brigade du Roi-dragons, campée
en avant de Neuhaus. Cette brigade soutint seule,
pendant deux heures, toutes les charges du corps
aux ordres de Luckner, qui fut forcé de se retirer,
M. le chevalier du Muy, attaché à la division des
1. Nicolas, baron de Luckner, né à Kampen en Bavière en
1722, servit en Prusse et passa au service de France en 1763,
maréchal de France en 1791, mort à Paris sur l'échafaud la
même année.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 357
Saxons, y ayant fait marcher de l'infanterie. Quant
à la perte des combattants, elle fut à peu près égale,
à la seule différence que les blessures que reçurent
les ennemis furent plus fâcheuses, étant presque
toutes des coups de pointe, ayant indiqué à nos
dragons de faire usage de la pointe plutôt que de la
taille [17 juillet].
Quant à la perte des combats du 14 et du 15,
elle fut d'égalité en tués et blessés, c'est-à-dire
2.000 hommes de chaque part ; les trois bataillons
de Rougé prisonniers et le champ de bataille furent
la prépondérance qu'en eut le prince Ferdinand.
Les ennemis se réjouirent beaucoup de cet avan-
tage et en célébrèrent la réjouissance avec toute la
pompe possible et d'usage pour les grandes vic-
toires, lequel avantage se seroit réduit à rien
et n'eût pas changé l'obligation du prince Ferdinand
de continuer à être sur la défensive, si l'accord eût
régné entre nos deux maréchaux, mais il s'en falloit
bien que l'on pût l'espérer, et la Cour pensa bien
de même, comme nous aurons occasion de le dire
ci-après.
Telle est la narration qui me fut faite de ces
deux journées, par des officiers de mes amis présents
et acteurs de leur personne, et comme j'eus occa-
sion d'en être instruit par un nombre infini d'in-
dividus de l'armée, n'en étant éloigné, au poste que
j'occupois de Saltzkotten, que de trois lieues ^ Et
1. Les manœuvres du prince Ferdinand sont remarquable-
ment décrites, quoique l'auteur ne fût pas présent au combat.
L'appréciation des mouvements des maréchaux français est
358 CAMPAGNES [1761]
deux jours après l'action, M. de Vignol, colonel
des volontaires d'Austrasie, eut ordre de se porter,
avec son régiment, à Wever, pour la sûreté de la
communication avec Paderhorn, d'où l'armée de
Bro£;lie liroit sa subsistance et que la division du
corps des Saxons couvroit, campée entre cette ville
et Xeuhaus. T.'attaque que Luckner y fit n'étoit
qu'un épouvantail que le prince Ferdinand avoit
tenté pour essayer de nous faire changer de position,
mais elle fut sans effet pour tout ce qu'il avoit pu
s'en promettre.
J'étois, comme je l'ai dit, détaché avec 200 hom-
mes d'infanterie et 50 chevaux à Saltzkotten. J'en-
tendis nombre de coups de canon du côté de
Neuhaus ou Paderhorn, que précédemment j'avois
été, comme mon ordre leportoit, en communication
avec M. le chevalier du Muy, lieutenant-général,
auquel je rendois compte de toutes mes patrouilles,
tant de pied que de cheval, que je faisois faire
jusqu'à Benfeld et Bocke, faisant détruire et embar-
rasser les gués qui pouvoient exister de l'un à
l'autre lieu et poussant de temps en temps mes
patrouilles à cheval jusqu'à Elsen, où il y avoit un
moins exacte et laisse percer l'intention de faire porter sur
Soubise seul la responsabilité de l'cchec. L'attaque simultanée
avait été fixée au ifc) juillet, à une heure déterminée. Broglie
ne devait faire, le 15, qu'une reconnaissance : entraîné par
son ardeur, il poussa à fond. Soubise, s'en tenant à la lettre
des conventions, n'avança pas son attaque et la remit au len-
demain : elle fut très brillante, mais tardive, et échoua devant
les forces que f'erdinand avait eu le temps de ramener sur sa
droite, après avoir repoussé Broglie sur sa gauche.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 359
poste de Saxons ; je rendois compte à M. du Muy de
tout ce dont je pouvois être instruit.
A la nuit du jour de l'attaque de Neuhaus, incer-
tain quel pouvoit en être l'événement, ayant, pen-
dant toute la journée, ignoré quelle suite avoit eue
le bruit de la canonnade que j'avois entendue, et
ne voulant pas me laisser envelopper dans une
petite ville dont l'enceinte étoit fort considérable
et qui, pour la commodité de ses habitants, avoit
cinq portes, désirant vivement éviter de pouvoir
être fait prisonnier ainsi que la troupe à mes
ordres, j'avois ordonné, pendant la canonnade vers
Neuhaus ou Paderborn, que ma troupe se tînt prête
à marcher au premier coup de tambour, armes et
bagages.
Mon calcul fut court ; je me dis : « Je suis placé
ici pour la sûreté des convois qui, partant de Pader-
born, vont à l'armée ; je ne puis mieux veiller à
leur sûreté que de me mettre en campagne et de
choisir un poste d'où je puisse protéger la ville de
Saltzkotten et la route pour l'armée. J'ai cinq portes
dans cette ville : trois en sont fermées et embarras-
sées avec quantité de fumier; pour que les habitants
ne s'avisent de la débarrasser et ouvrir, j'y laisserai
un bas-officier à chacune d'elles ; quant aux deux
fermées seulement de leurs portes et que l'on ouvre
à chaque instant pour le passage des convois ou
vivandiers qui se présentent la nuit, et qui restent
ouvertes toute la journée, j'y placerai à chacune
un bas-officier et quatre fusiliers, et, de ma per-
sonne, avec tout mon détachement, j'irai m'éta-
blir à l'angle de la forêt qui est au couchant de la
360 CAMPAGNES [1761]
ville, dont l'éloignement n'est pas d'un demi-quart
de lieue de la ville et que le chemin de Salt/.kotten
à Geseke et Erwitte côtoie l'espace d'une lieue,
et, dans le cas que les ennemis eussent en tout
réussi dans leurs attaques de la journée à Neuhaus,
je serai dans une forêt de quatre lieues de circon-
férence, qui me procurera des moyens à éviter
d'être pris, à rejoindre l'armée et me conduire sui-
vant les circonstances. »
La nuit prête à se clore, je fis donner le signal
convenu dans la journée pour que le détachement
eût à s'assembler sur la place, où, tout rendu, après
avoir instruit chaque bas-officier de ceux que je
laissois, je me mis en marche pour me rendre à la
forêt, où, arrivé, je m'y plaçai avec les précautions
que la circonstance demandoit, défendant qu'il fût
fait le moindre petit feu.
Avant le point du jour, je poussai une patrouille
à cheval vers Wever, avec ordre, si elle ne rencon-
troit des ennemis, d'y arriver, de faire part à M. de
Vignol des précautions que j'avois prises en sortant
de Saltzkolten et de lui dire combien je désirois
être instruit de ce qui s'étoit passé à Neuhaus. Deux
heures et demie après, ma patrouille fut de retour
et je sus qu'elle avoit trouvé M. de Vignol hors
Wever et son régiment en bataille sur les hauteurs
où il avoit passé la nuit.
M. de Vignol me fit part comme quoi Luckner
avoit été repoussé à son attaque de Neuhaus, où tout
étoit actuellement tranquille, qu'il n'attendoit plus
que la rentrée d'un détachement qu'il avoit envoyé
à Elsen pour avoir nouvelles des ennemis ; que, s'ils
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 361
n'avoient paru dans cette partie, il feroit rentrer son
régiment dans Wever, ce qui me détermina à faire
partir sur-le-champ un lieutenant et vingt maîtres
pour qu'ils eussent à se porter à Bocke, y prendre
langue sur ce qu'on pouvoit y savoir des ennemis.
Cet officier fut de retour sur les onze heures et me
dit que l'on n'avoit vu vestiges des ennemis dans
tout ce qu'il avoit parcouru, ce qui me détermina à
rentrer à Saltzkotten, où j'arrivai à midi, et y repris
le même service et précautions précédentes.
Nous touchions au 26, et l'armée fut instruite que
M. le maréchal duc de Broglie lireroit vingt-cinq
bataillons et trente-six escadrons de l'armée aux
ordres du prince de Soubise, qu'il joindroit à l'armée
à ses ordres, et que le reste de l'armée de ce prince
se retireroit vers Wesel, comme la cour de Ver-
sailles l'avoit ordonné ; et de suite l'exécution s'en-
suivit.
Cette décision de la Cour démontra que, par les
mémoires respectifs de ces deux maréchaux de
France, qui dévoient agir de concert, des raisons
motivées de leur part, celles de M. le duc de Broglie
avoienl été trouvées justificatives dans le conseil du
Roi, ou que. par des raisons de politique, on lui
avoit donné plein droit. Celles du maréchal prince
de Soubise furent donc rejetées et l'on voulut lais-
ser au maréchal de Broglie le commandement des
principales forces du Roi en Allemagne, en opposi-
tion à celles de l'armée des alliés, mais, par cette
division, les forces francoises furent d'égalité avec
celles des ennemis, ce qui annonça assez évidemment
que le reste de la campagne se passeroit en observa-
lion de la part des deux armées
362 C.VMPAGNES [1761]
Ces deux armées à peu près égales, il fut d'im-
possil)ilité au prince Ferdinand, (juoicju'il fût supé-
rieur d'environ G. 000 hommes et l'aisanl la guerre
sur ses foyers, de pouvoir rien entreprendre sur
l'armée aux ordres du maréchal de Broglie. Ces deux
armées passèrent plus de trois mois sans qu'il s'y
passât rien de considérable que la seule occasion,
dont nous parlerons, où M. de Vignol fut blessé et
mourut peu de jours après.
Il doit paroître bien apparent que le prince de
Soubise, de retour à la Cour, n'oublia rien pour se
justifier près de Louis XV, dont il devoil se flatter (et
comme il et oit vrai) que s'il eut de l'amitié pour
l'un de ses sujets, ce fut particulièrement pour ce
prince. On verra, par ce qui se passa dans le cours
de l'hiver qui va suivre cette campagne, que les enne-
mis et envieux de la gloire du maréchal de Broglie
mirent tout en œuvre pour le disgracier près du Roi.
Retournons aux opérations de la campagne. Le
même jour que le prince de Soubise se mit en
marche pour Wesel, les vingt-cinq bataillons et
trente-six escadrons vinrent camper à côté de l'ar-
mée de Broglie et, dès le lendemain, cette armée
fit un mouvement sur Erwitte. Le jour suivant, elle
dépassa Saltzkotten et, le jour d'après, elle vint cam-
per en arrière de Paderborn, dont on fit évacuer tous
les effets appartenant au Roi et les diriger sur Dri-
bourg, où l'armée se porta [29 juillet] et resta quatre
jours.
Le projet du maréchal de Broglie étant de se por-
ter à Brakel, de là à Hoxter, et y passer le Weser,
il fut commandé 2.000 hommes d'infanterie, dont il
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 363
fut composé quatre bataillons ; de ces bataillons,
formés de quarante piquets de l'armée, le premier
fut dénommé bataillon de Picardie, les autres Cbam-
pagne, Navarre et Normandie. J'eus le commande-
ment de celui de Picardie. Le tout étoit aux ordres
de M. de Gelb, brigadier des armées du Roi à cette
époque, frère de feu mon ami Gelb, aide-major du
régiment de Picardie, mort si malheureusement
d'un coup de feu à Gottingue, comme je l'ai ci-devant
tristement raconté
Ces 2.000 hommes partirent de Dribourg et, en
une marche, se rendirent à Hoxter, où M. de Gelb
prit toutes les précautions militaires à s'y établir et
pouvoir s'y garder et maintenir en homme de guerre.
Un léger détachement des ennemis, environ de
150 hommes, en étoit parti quelques heures
avant notre arrivée et s'étoit retiré dans la forêt de
Solling. On crut d'abord qu'ils se seroient mis dans
le château qui est à Furstenberg, situé sur une hauteur
où est un plateau assez vaste, d'une demi-lieue de
circuit, mais, le surlendemain, on fut instruit qu'ils
étoient dans la forêt, où ils avoienl joint le principal
de leurs forces, qui toutes ensemble pouvoient être
de 800 hommes, au rapport des espions dont
M. de Gelb se servoit, qui instruisirent également
que, sur le bord de la forêt faisant face à Hoxter, de
l'autre côté du Weser, c'est-à-dire à sa rive droite,
il y avoit toujours 300 hommes placés là pour
examiner ce que nous faisions à Hoxter et pour
être instruits, par les habitants de la ville ou de la
campagne, de ce que nous pouvions tenter, pour
après en faire part à M. le prince Ferdinand.
364 CAMPAGNES [1761]
Cinq ou six jours après notre arrivée à Hoxter,
M. deGclb fui instruit par M. le maréchal de Broglie
que, le 8 d'août, il ariiveroit des bateaux et pontons
pour établir deux ponts sur le Weser, l'un au-dessus
de la ville et l'autre au-dessous. M. de Gelb jugea
qu'il pouvoit être intéressant de cacher aux ennemis,
autant qu'il étoit à son pouvoir, la confection de ces
deux ponts ; il pensa qu'il falloit éloigner le déta-
chement qu'il avoit sur le bord de la forêt. En
conséquence, le 7 au soir, il commanda 400 hommes
aux ordres de M. de Choiseul ', colonel du régiment
du Poitou, second chef des 2.000 hommes à ses
ordres, et, pour ce détachement, il y joignit le pre-
mier commandant de bataillon à marcher : mon
tour à marcher m'y plaça.
A dix heures de la nuit, nous nous rendîmes
au-dessus de Hoxter, où, avec deux petits bateaux et
par troupes, nous passâmes le Weser. Lorsque les
400 hommes furent de l'autre côté, nous prîmes
notre ordre de marche, nous vînmes passer près de
Furstenberg, le laissant à notre droite. Je demandai
à M. de Choiseul de marcher à son avant-garde, ce
qu'il me permit, mais à la condition que si nous
trouvions les ennemis, je viendrois de ma personne
le rejoindre ; c'étoit mon intention, car ce colonel
étoit fort jeune.
Notre marche fut d'une heure au moins pour arriver
près de la forêt, et, lorsque nous en fûmes à environ
cent cinquante pas, marchant tous dans le plus grand
1. Renaud-César-Louis de Choiseul, fils du duc de Prasiin,
né en 1735, maréchal de camp en 1770, mort en 1791.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEI. 365
silence, il partit de la lisière du bois sept à huit coups
de fusil, dont les balles nous passèrent fort au-des-
sus de la tête, vu que nous cheminions sur un ter-
rain montant. Je fis faire halte à l'avant-garde, lui
ordonnai d'attendre mon retour et fus au gros de
la troupe, où, trouvant M. de Choiseul, je lui dis :
« Monsieur, nous ne trouverons personne ; c'est un
petit poste qui est vis-à-vis nous et qui certaine-
ment se retire ; je viens pour vous en prévenir et
vous demander de me laisser conduire les cinquante
hommes de l'avant-garde après eux, de manière
que nous puissions avoir nouvelles, s'il est possible,
de la route qu'ils vont prendre et si leur projet est
de tenir dans la forêt. Ma course faite, je reviendrai
ici sur la lisière vous rejoindre en peu d'heures. »
M. de Choiseul trouva ma proposition bonne. Je
lui dis qu'il pouvoit se remettre en marche pour arri-
ver au bois, ce qu'il exécuta, et moi, plus légère-
ment, je me portai à l'avant-garde et la fis marcher.
Nous arrivâmes au bois sans plus rien recevoir ni
entendre en mousquetades; je fis dans la forêt un
quart de lieue, toujours aux écoutes à une petite
distance. Arrivé, j'y laissai un officier et dix hommes,
le prévenant que je me replierois sur lui. Après avoir
fait environ quatre cents pas, je laissai là un caporal
et un fusilier, et de quatre à quatre cents pas j'en
faisoisde même, laissant les moins lestes à la marche.
Je m'avançai jusqu'à une grande route qui, traver-
sant cette forêt de Solling, partant de Gottingue, est
du midi au couchant. Je ne fis rencontre que d'un
berger, de vaches et de quelques mauvais chevaux
du village de Neuhaus, dont [le berger] me dit que
366 CAMPAGNES [1761]
j'élois à dcmi-lieuc en suivant la grande loute sur
laquelle j'étois. II ne me restoit que dix hommes des
cinquante avec lesquels j'élois entré dans la forêt,
ayant laissé ne qui me manquoit pour jalonner mon
retour, auquel je me décidai.
Je repliai tout mon monde, avec lequel j'arrivai à
M. le comte de Choiseul ; il étoil alors neuf heures
du matin ; il prit le parti de se retirer à Hoxter.
Nous passâmes le Weser au même lieu et comme
nous l'avions passé la nuit précédente. Sur la rive
gauche de cette rivière, nous trouvâmes les bateaux et
autres matériaux nécessaires pour y établir un pont,
et, au-dessous d'Hoxter, éloienl arrivés les barques et
[)ontons pour y construire un second pont. Pendant
la nuit suivante, ils furent perfectionnés l'un et l'autre
et, à neuf heures du matin du jour qui suivit cette
nuit, l'on vit arriver une colonne d'artillerie qui se
dirigea pour passer sur le pont des bateaux. L'artillerie
étoit suivie des gros équipages ; une seconde colonne
des menus équipages de toute l'armée fut dirigée
pour passer le Weser sur le pont des pou Ions, et
loute cette journée, la nuit et la matinée suivante,
furent employées pour le passage de l'artillerie, gros
et menus équipages, hôpital ambulant et caissons de
vivres.
Le jour suivant, vers les huit heures du matin,
parurent les têtes des colonnes de toute l'armée,
celles d'infanterie se dirigeant vers les ponts et celles
de cavalerie au-dessous du pont placé sous Hoxter,
où étoit un gué assez bon, et chacune d'elles se
hâta de passer de suite le Weser, tant sur le pont
que la cavalerie au gué.
[17611 DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 367
Vers les deux heures, parurent sur les hauteurs,
en avant d'Hoxter, les troupes chargées ce jour-là
de l'arrière-garde de l'armée du maréchal, où elles
firent halte environ une heure et demie; pendant ce
temps, l'armée étoit occupée à passer le Weser.
Pendant ce même temps, M. le prince Ferdinand
faisoit ses dispositions pour faire attaquer cette ar-
rière-garde par les troupes les plus avancées de son
armée, qui suivoit celle du maréchal duc de Broglie,
lequel observoit avec attention les mouvements de ce
prince et, prévoyant qu'il seroit dans peu d'instants
attaqué, ordonna la retraite à toutes les troupes qui
faisoient partie de son arrière-garde et dont le mou-
vement, à cause des hauteurs, ne pouvoit être
découvert de l'œil vigilant du prince Ferdinand,
n'ayant, sur les sommités des hauteurs, que des gre-
nadiers qui y faisoient ferme et dont la contenance
en imposoit, ce qui occasionna, de la part des enne-
mis, des précautions et une marche mesurée, qui,
retardant leur attaque, donna tout le loisir à la plus
grande partie de l'arrière-garde de passer le Weser,
et la ligne légère que les grenadiers de Farmée for-
moient sur la sommité des hauteurs eut ordre de se
retirer du moment que les ennemis marcheroient
en force sur eux, ce qui fut exécuté dans le meilleur
ordre, de manière que, lorsque les premiers des
ennemis arrivèrent sur les sommités abandonnées,
nos troupes étoientau moment d'arriver à la plaine,
de joindre en peu d'instants les ponts et de passer
le Weser à leur tour.
Les ennemis, arrivés par la crête des hauteurs,
tiraillèrent quelques coups de fusil, mais si hors de
368 CAMPAGNES [1761]
portée, qu'ils furent sans le moindre eflet autre que
celui d'accélérer, de la part des ennemis, et presser
l'arrivée d'environ vingt pièces de canon, dont suc-
cessivement le feu fut dirigé sur les deux ponts.
Quatre pièces de canon de quatre livres de balles,
qui avoient été données à M. de Gelb, qui nous
commandoit à Hoxter, et placées dans un des angles
du chemin couvert, furent la seule artillerie, pen-
dant une heure, qui répondit à celle des ennemis,
quoique le maréchal de Broglie eût ordonné que
douze pièces de douze livres de balles fussent pla-
cées sur le bord du Weser afin de protéger les der-
nières troupes à le passer.
Ces douze pièces placées, elles commencèrent leur
feu et, comme leur calibre étoit bien plus fort que
celles des ennemis et qu'elles étoient servies avec la
plus grande vivacité et une intelligence supérieure,
elles éteignirent absolument le feu des ennemis et
les empêchèrent de descendre dans la plaine, ce qui
facilita, le soir même, à replier les deux ponts, et
toute l'armée, et tout ce qui lui appartenoit sur la
rive droite du Weser, à l'exception des 2.000
hommes d'infanterie aux ordres de M. de Gelb, qui
tenoit Hoxter du côté de la rive gauche du fleuve.
L'armée prit son camp sur deux lignes, la droite
dépassant Corwey et la gauche à Furstenberg, et
tout y fut tranquille et paisible.
Il en étoit de même à Hoxter, où étoit M. de Gelb
avec les 2.000 hommes à ses ordres, où il passa trois
jours et trois nuits, toujours dans l'aftente d'y être
attaqué.
Les ennemis continuant des préparatifs en fas-
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 369
cines et la place très mauvaise pouvant aisément
être emportée de vive force, n'ayant pour défense
qu'un mauvais retranchement qui en faisoit la cir-
convallation et très aisé à emporter, pour retraite
un seul bateau servant de bac à cette ville et que
vingt personnes remplissoient, nous fûmes donc
trois jours et trois nuits à cette palissade. Pendant
la nuit, nous tenions toutes les troupes debout, les
armes du premier rang sur le parapet du retranche-
ment, et les autres rangs reposés sur leurs armes ;
défense à qui que ce fût de s'asseoir, et tout veil-
loit ; lejour, on laissoit dormir les officiers et soldats
une première partie, et puis la seconde.
Pour la quatrième nuit, M. de Gelb reçut, pendant
le jour, l'ordre de commencer sa retraite, la nuit
close, ce qu'il exécuta [20 août] en abandonnant le
chemin couvert, et mettant tout à ses ordres dans la
ville, et commençant par vingt à leur faire passer le
Weser ; ce passage demanda beaucoup de temps et
il étoit neuf heures du matin lorsque les derniers
l'évacuèrent.
Tout rendu de l'autre côté de la rivière, M. de
Gelb nous ordonna de joindre chacun notre corps
et y conduire les troupes à nos ordres, ce qui fut
exécuté.
Le lendemain, l'armée marcha et, traversant la
forêt de Solling, elle se porta à Dassel, d'où elle
repartit le lendemain pour Eimbeck, y établit son
camp, sa droite appuyée à la rivière de Leine et son
front couvert par la rivière de lime, sa gauche vers
Holtenfen.
Le troisième jour de notre station à ce camp, je
24
370 CAMPAGNES [1761]
reçus ordre de M. le maréelial duo de Jiroglie de me
porter à Moringen, ayant à mes ordres 300 hommes
d'inCanterie, un capitaine et 50 maîtres du corps
des carabiniers et, de plus, dévoient } être à mes
ordres 400 hommes de milice qui y étoient campés.
Je les établis, la majeure partie dans le château dudit
Moringen, et le restant dans deux maisons très voi-
sines dudit château, avec indication du maréchal duc
de Broglie d'avoir continuellement des patrouilles,
soit de nuit, soit de jour, vers la forêt de Solling,
dans laquelle les ennemis s'étoient jetés assez en
force pour incommoder la communication de
l'armée à Gottingue et Cassel, de veiller donc, dans
ma partie, avec le plus grand soin, à être instruit et
éviter même de pouvoir être surpris à mon poste de
Moringen, ce qui me détermina, pour le premier
motif, à pousser mes patrouilles à Hienhagen, à
Strolh, Faresen et Hardegsen ; pour le second, à
mettre, dans le château de Moringen, des vivres pour
plus de quinze jours et à l'arranger par de petits
retranchements qui le mirent à l'abri d'une insulte
vive, et qui seroit devenue trop coûteuse si les ennemis
eussent entrepris de vouloir m'y forcer, et je m'y
fis pourvoir de munitions de guerre, ce que M. le
Maréchal m'octroya avec satisfaction.
Je restai dix jours dans cette position, au bout
desquels les 400 hommes de milice me furent retirés,
et le poste de Moringen devenant plus nécessiteux
d'avoir des troupes à cheval, M. le comte de Tous-
tain \ avec son régiment, eut ordre de se rendre à
1. Réray-Charles, comte de Toustain de Viray, maréchal de
camp en 1770, liculenant-génëral en 1784.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 371
Moringen, ce dont je fus instruit parM. de Guibert,
major-général, qui me manda que je serois à ses
ordres.
Ce régiment arrivé, M. le comte de Toustain,
comme cela lui étoit ordonné, fît partir le lende-
main les 50 maîtres du corps des carabiniers, qui
furent le rejoindre, et il ne fut plus question que de
l'établissement de son régiment et de la nécessité
qu'il y avoit de le mettre à l'abri de toute insulte
de la part des ennemis, toujours plus empressés
d'entreprendre sur une troupe à cheval que sur une
infanterie, où il n'\ a que des coups de feu à gagner.
Je connoissois parfaitement ma position et je
voyois possibilité d'établir ce régiment dans les
écuries du château et celles des fermiers, séparées
par un seul mur, en faisant sortir tous les chevaux
et bêles à cornes, ce qui fut exécuté. Nous les fîmes
placer dans des maisons voisines et du bourg, de
manière que plus de cinq cents chevaux, tant du régi-
ment de Toustain que de ses officiers, furent placés
tous à couvert des injures du temps, dont les nuits
commençoient à être très froides, mais, par une belle
nuit, tout ce qui étoit dans les écuries des fermiers
pouvoit éprouveraisément unecamisade et êtreenlevé
si une force supérieure eût entrepris sur les cavaliers
qui couchoient à portée des chevaux qui y éloient
établis, dont le nombre alloit à près de quatre cents,
ce à quoi il fallut pourvoir, et, en conséquence, je
fis tracer un retranchement qui enveloppoit toute
cette partie des fermes, que je fis palissader en
forme de chemin couvert, oii je ménageai quelques
places d'armes.
372 CAMPAGNES [1761]
Le régiment de Toustaiii, les 300 hommes à mes
ordres, les femmes, filles et enl'anls du bourg de
Moringen y travaillèrent avec tant de zèle qu'en six
jours mon retranchement fut à sa perfection. Je me
donnai garde de ne prendre aucun des hommes pour
ne pas contrarier M. le comte deVaux, occupé, dans
ce même moment, à pourvoir Gottingue de tous objets
nécessaires pour une garnison nombreuse qui devoit
y passer l'hiver, et ne fis par conséquent usage ni des
hommes forts et robustes, ni des chevaux, ni des cha-
riots de Moringen et villages circonvoisins, tous
employés à l'objet important dont s'occupoit le comte
de Yaux, ce qui me valut de sa part des compliments
d'avoir su distinguer toute l'importance de sa besogne.
M. le comte deToustain ne ménagea pas les chevaux de
son régiment pour me procurer les bois et fascines
qui furent nécessaires à mon retranchement, et,
quelques jours après sa perfection, M. le maréchal
de Broglie, son frère le comte deBroglie et le baron
de Bon, tous trois faisant une course vers Cassel à
cause des diflerents mouvements que le prince Fer-
dinand avoit faits, portant des troupes vers cette
partie, soit pour inquiéter M. le maréchal de Broglie,
soit pour lui faire quitter sa position d'Eimbeck, le
maréchal passant à Moringen, le comte de Toustain,
pour me faire honneur et profit, engagea le maréchal
à s'arrêter un moment pour venir donner un coup
d'œil à mes ouvrages, dont ce général fut très satis-
fait et m'en fit des compliments; le comte de Broglie
y joignit les siens, approuvant infiniment les moyens
que j'avois pris pour ne pas déplaire à M. le comte
de Vaux.
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 373
On ne peut être plus satisfait de la manière
noble dont M. le comte de Toustain se conduisit
dans cette circonstance à mon égard dans le
compte qu'il rendit à M. le Maréchal de ma per-
sonne, comme je le fus de ses honnêtetés infinies
pendant les six semaines que je fus à ses ordres
audit Moringen, après lesquelles son régiment en
partit et y fut remplacé par celui du régiment du
Roi-cavalerie.
Je ne restai plus à Moringen que cinq jours du
mois de novembre. La saison [étant] déjà rigou-
reuse, je reçus ordre de faire rentrer à leurs corps
respectifs les 300 hommes d'infanterie à mes ordres,
lorsque les régiments dont ils étoient passeroient le
lendemain à Moringen, 6 de novembre \ se por-
tant à Neuhaus, où l'armée resta jusqu'au 20
novembre, époque où il fut ordonné à chaque
régiment de toutes armes de gagner les villes ou
bourgs qui leur étoient destinés pour passer l'hiver.
Quant à moi, je reçus un ordre de M. le maréchal
de Broglie pour me rendre de ma personne au châ-
teau d'Arenstein, où je remplacerois l'officier qui
y commandoit et garderois à mes ordres 200 grena-
diers royaux et 50 hommes du régiment de Courten
Suisses et 30 hussards qui y tenoient garnison.
L'officier qui y commandoit éprouva le désagrément
d'en être relevé pour n'avoir pas su distinguer l'im-
portance de l'approvisionnement de Gottingue [par
le] désir dont il fut trop rempli pour fortifier le
château qu'il occupoit, ce qui le fit tomber en con-
1. Ou le 11 novembre d'après Pajol. op. cit., V, 224.
374 CAMPAGNES [1761]
tradiction avec M. le comte de Vaux pour la partie
de G6ttino;ue, et avec M. le comte de Caupenne^
officier de l'élat major à cette époque, chargé d'un
autre objet important, qui éloit de faire réparer les
chemins pour qu'au moment où l'armée recevroit
l'ordre de prendre les quartiers, elle en profitât et
surtout toute l'artillerie du Roi, qui par ce chemin
devoit se rendre à Cassel.
La conduite indiscrète et peu clairvoyante de cet
officier, qui n'avoit vu que son château, le fit errer ;
de plus, il s'étoit ingéré à se faire payer en argent
par les différentes communautés des bailliages dépen-
dant du château d'Arenstcin, à raison d'une somme
qu'il avoit déterminée, en place des chariots qu'il
leur ordonnoit et qu'ils ne pouvoient fournir. Tels
furent les motifs qui lui firent perdre son poste,
quelque bon usage qu'il eût fait de cet argent, qu'il
distribuoit à son détachement à tant par jour pour
chaque travailleur, grenadier ou Suisse, dont il me
remit un état fort exact, de même que le restant de
l'argent qu'il avoit en main, et, quelques jours après
mon établissement à Arenstein, je fis exprès un
voyage à Gottingue, où je fus trouver M. le comte
de Vaux pour tâcher de justifier cet officier, remet-
tant à M. le comte de Vaux l'argent qu'il m'avoit
remis, lequel consistoit à 180 livres 18 sous, dont
M. de Vaux me donna un reçu que je lui demandai
pour l'envoyer à cet officier, afin de lui prouver
que j'avois été exact à cette remise et pouvoir lui
1. Louis-Henri, marquis de Caupenne, né en 1741. maréchal
de camp en 1781.
fl761j DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 375
mander plus particulièrement que j'avois employé
tous les états qu'il m'avoit remis pour justifier sa
conduite près M. le comte de Vaux quant à l'article
de finance, ce à quoi je me portai avec d'autant
plus d'empressement et désir de réussir, que cet
officier étoit depuis longtemps de ma connoissance
et que nos provinces rapprochées n'étoient séparées
que par le fleuve du Rhône.
Le 8 de décembre, je reçus un ordre de M. le
maréchal duc de Broglie pour que j'eusse à me
rendre à Gottingue et aller y commander un batail-
lon, composé, comme tous ceux de cette garnison,
de piquets de différents régiments qui étoient de
son armée ; le nombre en étoit de six bataillons de
500 hommes chacun, six compagnies de grena-
diers, 500 maîtres en piquets de cavalerie, 300
dragons, les volontaires de Hainaut, trois troupes
de 120 volontaires d'infanterie chacune, aux ordres
de trois capitaines. M. le comte de Vaux, lieute-
nant-général, commandoit dans cette place, comme
il l'avoit fait l'hiver de 1760 à 1761.
Je me rendis à Gottingue le 9 et fis partir le déta-
chement à mes ordres pour que les 200 grenadiers
et les 50 Suisses eussent à rejoindre leurs corps. Le
tout fut remplacé au château d'Arenstein par 100
volontaires [chasseurs] de Monet et y restèrent les
30 hussards que j'y commandois.
Arrivé à Gottingue, je présentai ma patente à
M. le comte de Vaux, qui, le lendemain, me fit
recevoir au bataillon que je devois y commander,
comme il avoit fait recevoir précédemment les
commandants de bataillon ou capitaines de grena-
376 CAMPAGNES [1761]
diers qui commandoient les cinq autres bataillons
de cette garnison, car j'avois lieu de me féliciter
d'être le seul capitaine ordinaire qui fût employé
aussi distinctement, et mon amour-propre me por-
toit à mettre tout en œuvre pour bien servir le
Roi et prouver ma reconnoissance à M. le maré-
chal duc de Broglie en remplissant avec zèle tous
mes devoirs et en faisant plus si les occasions
m'en fournissoient les moyens. Ma reconnoissance
étoit si juste pour le maréchal que, sans demande
de ma part, je devois son bienfait au seul souvenir
qu'il eût de moi et des comptes favorables à mon
égard qui lui avoient été faits la campagne précé-
dente, à cette dernière commandant les chasseurs
de la brigade de Picardie.
A peine étois-je établi à Gottingue que j'y reçus
une lettre de M. de Guibert, major-général, à laquelle
étoit jointe une ordonnance de M. le maréchal duc
de Broglie d'une somme de mille livres, pour en
être payé à vue par le trésorier des troupes à Got-
tingue. Le traitement que je devois y recevoir pour
chaque mois, comme commandant un bataillon,
étant de cinq cents livres par mois et six places
de fourrage, je me trouvois parfaitement récompensé
de la dépense qu'avoit pu m'occasionner d'avoir
été employé, pendant cette dernière campagne, soit
à Saltzkotten, à Hoxler, à Moringen et au château
d'Arenstein. La lettre de M. de Guibert étoit datée
du 22 de décembre 1761.
Comme j'étois plus jeune, au moins de dix-huit
ans, que le moins avancé en âge des cinq autres
commandants de bataillon de la garnison de Gol-
[1761] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 377
tingue, de mon avis je me dis : « Il ne faut pas par-
ler de ma bonne fortune qu'autant que les autres
commandants de bataillon me diront avoir reçu
même gracieuseté de M. le Maréchal. » Comme per-
sonne d'eux n'en parla, je me doutai alors que j'étois
le seul qui eût reçu cette gratification et, pour m'en
éclaircir, environ un mois après, j'en parlai au
trésorier des troupes pour savoir de lui s'il avoit
payé même somme qu'à moi à quelqu'un d'eux. Sa
réponse fut que j'étois le seul, ce qui augmenta ma
reconnoissance et l'attache que je me sentois pour
M. le maréchal duc de Broglie. Il étoit naturel que
je fusse plein de l'une et de l'autre, puisqu'il étoit le
premier mortel qui, sans le lui demander, me faisoit
du bien et me meltoit à même d'acquérir de l'hon-
neur et les grâces du Roi.
Tous ces motifs me firent sentir vivement la dis-
grâce où tomba M. le maréchal duc de Broglie,
qui, pour ne pas compromettre la réputation de
son frère le comte de Broglie, résista au Roi, à
Mgr le Dauphin (qui aimoit beaucoup M. le Maré-
chal) et à la gloire persévérante de commander
toutes les forces de l'empire des Lis, plutôt que de
céder en abandonnant son frère. La Cour, piquée
de sa résistance, le priva du commandement de
l'Alsace, où il avoit succédé à son père, maréchal de
France, et il fut déterminé dès lors que, pour la
campagne de 1762, l'armée seroit confiée à MM. les
maréchaux d'Estrées et de Soubise.
On ne hasarde pas de dire combien toute l'armée
fut touchée de la disgrâce de M. le maréchal duc
de Broglie et combien ceux qui lui étoient vérita-
378 CAMPAGNES DE M. DE DEAULIEU. [1^761]
hlement attachés en furent affligés. Chacun en porta
lo deuil dans son cœur et j'assure que toute l'ar-
mée prévit, par ce qu'elle craignoit, les événements
fâcheux par lesquels s'ouvrit la campagne qui devoil
suivre. Je dirai ci-après combien, en mon parti-
culier, je fus chagrin de la disgrâce de M. le Maré-
chal
Pendant l'hiver, il y eut quelques petits combats peu impor-
tants. M. de GeolTre de Chabrif^nac, capitaine de Champagne,
fit une trentaine de prisonniers. Les dragons et les volontaires
de Hainaut firent, sans ordres et sans olliciers, une sortie au
cours de laquelle M. Delard, lieutenant-colonel des volontaires
de Hainaut, qui avait rejoint ses hommes, fut blessé mortelle-
ment.
CAMPAGNE DE 1762.
Toutes les troupes des différentes armes sont eu
mouvement, dès le mois de mai, pour le rassemble-
ment de l'armée, dont le rendez-vous est indiqué
à Cassel et le camp étalili sa droite en avant de cette
ville et sa gauche se piolongeant jusqu'au village de
Hallershausen [Helmershausen ?], au bas des hauteurs
et bois de la Cascade.
Vers le 20 de juin, MM. les Maréchaux se déter-
minent à se porter en avant, font part de leurs pro-
jets à M. le marquis de Yogiié, maréchal-général
des logis de leur armée et lieutenant-général des
armées du Roi.
L'armée fait une marche le 22 de juin et se porte
au camp marqué par le marquis de Vogue, suivant
l'indication qu'il en a voit reçue de MM. les Maré-
chaux ; la droite en fut donc déterminée vers
Mariendorf, le centre à Grebenstein et la gauche vers
Selacten. Ce camp avoit été pris assez négligem-
ment, MM. les Maréchaux ne voulant y rester que
quarante-huit heures.
L'armée aux ordres du prince Ferdinand étoit
campée, sa gauche se rapprochant de Trendelburg,
sa droite vers Libenau. Ce prince, instruit de la
marche de l'armée françoise pour se rendre et cam-
per au camp déduit ci-dessus, ne perdit pas un in-
380 CAMPAGNES [1762]
stant, donna ses ordres et toute son armée, sur trois
corps, passa la Diemel [24 juin] avec intention d'at-
taquer l'armée du Roi. Le corps de sa gauche fut
dirigé par la forêt de Sabhabourg, celui du centre
sur Grebenstein et celui de sa droite à Zwergen,
Meisser ober Meisser, Wesluffern, où il passa le
ruisseau qu'il avoit eu à sa droite jusque-là.
Fischer, pendant la nuit, avoit fait, par plusieurs
reprises, instruire MJVI. les Maréchaux comme quoi
toute l'armée des ennemis étoit en marche, et, par
ses derniers comptes, il les instruisoit que dans son
entier elle avoit passé la Diemel. MM. les Maré-
chaux négligèrent tous ses avis, quoique Fischer
leur mandât, par son dernier, qu'il avoit déjà perdu
la moitié de son régiment, tués, blessés ou faits
prisonniers et qu'avec le reste il se replioit sur l'ar-
mée et que, comme chargé de la partie des espions,
il les instruisoit qu'au point du jour ils auroient sur
les bras et à combattre l'armée du prince Ferdinand,
qui marchoit pour les attaquer, que tous les rapports
qu'il recevoit se réunissoient à cette opinion.
Malgré ces indications pressantes, ilnefutdonné,
pendant la nuit, aucun ordre et l'armée du Roi, res-
tant dans sa position, ignora tout ce qui se passoit.
Ce ne fut qu'au lever du soleil que par le bruit du
canon elle fut éveillée et que chaque régiment prit
les armes et forma la ligne, comme les colonnes enne-
mies paroissoient et qu'il n'y avoit plus à douter
que l'on alloit être attaqué.
Sans attendre l'ordre, tout le camp fut ployé et
les chefs des régiments firent, de leur mouvement,
prendre la route de Cassel à leurs gros et menus
[1762] DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 381
équipages, et ceux de chaque brigade des différentes
armes s'y rendirent sans perte d'un seul chariot ou
bête de somme. Le quartier général, établi à Gre-
benstein, perdit quelques-uns des siens et la caisse
militaire fût tombée entre les mains des ennemis
avec une infinité plus d'équipages appartenant aux
officiers généraux, sans le courage et l'intelligence
d'un capitaine du régiment de Picardie infanterie,
de garde de police au quartier général avec 50 sol-
dats de ce régiment.
Quelques hussards des ennemis étoient déjà entrés
dans Grebenstein ; il marcha à eux, fit faire feu
dessus et en tua quatre ; les autres prirent la fuite et
il fit fermer la porte par laquelle ils étoient entrés.
Sur le rapport qu'on lui fit que la roue d'un cha-
riot d'équipages avoit cassé, que ce chariot avoit
versé sous la porte par où sortoient les équipages,
que tous les autres chariots ou mulets étoient arrê-
tés et que rien ne pouvoit sortir de Grebenstein, cet
officier se porta et ne vit d'autre remède que celui
de mettre en pièces ce maudit chariot, d'en épar-
piller les équipages et les laisser au pillage si ceux
qui le conduisoient ne pouvoient les sauver. Ce qui
le décida à cette exécution vive fut surtout la caisse
militaire qui se trouvoit à la suite de ce chariot
brisé. Les ordres furent exécutés sur-le-champ et,
le passage rendu libre, la caisse militaire, où étoit le
trésor de l'armée, et les équipages des officiers
généraux eurent liberté de sortir et d'être à l'abri
d'être tous pris.
L'armée [étoit] en marche et s'éloignoit de Gre-
benstein ; les chefs ignoroient le danger où étoit la
382 CAMPAO'ES [1762]
majeure partie des équipages du quartier général, et
la mauvaise fortune que couroit la eaisse militaire
de l'armée, qui en contenoit le trésor. On dut donc
à la fermeté, à l'intelligence de M. du Barquier',
natif d'Antibes en Provence et capitaine au régiment
de Picardie, le salut du trésor et une infinité d'olTi-
ciers généraux [lui durent] la conservation de leurs
équipages et l'honneur, à cet égard, aux deux maré-
chaux commandant l'armée.
L'un et l'autre comprirent l'obligation qu'ils dé-
voient à cet oflicier, en firent un éloge pompeux et
public, annonçant qu'il méritoit récompense, qu'ils
se chargeoienl de la faire obtenir et la demanderoient
à cet effet, mais, gênés sans doute dans l'explication
pourquoi (car il eût été trop évident, vis-à-vis du
monarque, combien leurs soins avoient été négligés,
d'une surprise si prompte et d'avoir ignoré la marche
d'une armée de 70.000 hommes), ils alléguèrent, pour
faire récompenser cet officier, les raisons qu'il leur plut
d'exposer, etrofricier,une fois payé, obtint cinquante
louis de gratification. Il étoit d'un genre à préférer
les honneurs, c'est-à-dire une commission de lieu-
tenant-colonel ; il en avoit même témoigné son vif
désir à MM. les maréchaux d'Estrécs et de Soubise,
toute l'armée applaudissoit à sa demande, mais il
eût fallu déduire au ministre toute la scène de sa
vigoureuse aventure et celui-ci eût dû la mettre sous
les yeux du Roi ; et c'est précisément ce que l'on
vouloit éviter. Il fut même fait plus, car, pour une
1. Pierre-Joseph du Barquier, né en 1728, lieutenant dans
Picardie en 17A3, capitaine en 1755.
[1762] DE MERCOYROL DE BE.VULIEU. 383
apparence qui pût diminuer le service qu'il avoit
rendu, on répandit le bruit que dans la caisse mili-
taire à peine y a voit-il 100.000 francs, chose
incroyable, qu'on ne peut se persuader ; en effet,
est-il possible qu'une armée de 70.000 hommes au
moins, au début de sa campagne et à sa première
marche, n'ait dans son trésor militaire que 100.000
francs ?
T^'armée françoise étoit en pleine marche deretraite.
Elle se réunit sur les hauteurs d'immenhausen et de
là elle pouvoit agir, comme je vais le [dire] et comme
[le ditj M. de Clausen, lieutenant-général.
Cet officier, si chéri du maréchal duc de Broglie,
qui rendoit tant de justice à ses talents, avoit toujours
servi avec tant de succès, qu'il devoit à ses talents.
« L'armée du Roi, disoit-il, réunie sur les hauteurs
d'immenhausen, MM. les Maréchaux pou voient choi-
sir celui des trois corps de l'armée du prince Ferdi-
nand qu'ils vouloient écraser, s'y porter rapidement,
et celui des trois choisi eût été détruit en moins de
demi-heure, sans que les autres deux corps de
l'armée ennemie pussent arriver à son secours. »
Ces trois corps [étoient] éloignés les uns des autres
d'une lieue, ce qui fait que j'en conclus qu'il y avoit
trois manières de battre le prince Ferdinand et de
gagner la bataille. Notre retraite fit donc qu'il n'y en
eut point et que l'on se canonna de part et d'autre.
La brigade aujourd'hui d'Aquitaine-infanterie fit une
charge heureuse sur une colonne angloise qui, par
un à-gauche, avoit formé la ligne ; cette brigade la
perça et dissipa par une impulsion des plus vives à
la baïonnette. Le vicomte de Broglie, parent éloi-
384 CAMPAGNES [1762]
£;né du maréchal, étoit le colonel commandant de
cette brigade, et j'observe avec plaisir que, le jour de
celte charge, le régiment d'Anjou, aujourd'hui Aqui-
taine, étoit dépourvu de ses grenadiers et chasseurs
(cette observation faite pour tout chef qui dans l'ave-
nir voudra tirer parti du caractère de la nation
françoise et éprouver ce qu'elle peut lorsqu'on lui
fait mettre en œuvre l'usage de la baïonnette, si con-
forme à sa vivacité et à son usage de combattre,
toujours de sang-froid, sans secours d'eau-de-vie ou
d'autre liqueur forte).
Cette brigade, jusque-là, avoit fait merveille, mais,
voulant pousser son premier avantage, elle se porta
sur une seconde ligne également angloise, sans nulle
espèce d'arrêt pour rétablir son ordre, que son
premier avantage avoit désordonné, et sans faire
attention qu'elle n'étoit pas soutenue ; aussi il lui en
arriva malheur et son courage servit à en faire périr
une partie et à rendre prisonnière de guerre l'autre en
masse.
Elle se présente à cette seconde ligne angloise,
qui fait un feu vif et suivi sur elle. La ligne première
qu'elle avoit percée, voyant qu'elle l'avoit été par une
si petite troupe et voulant réparer sa première défaite,
s'empresse de reprendre son terrain, et la valeureuse
brigade d'Aquitaine, tout ordre rompu chez elle, se
trouve enfermée entre ces deux lignes ^ ; on lui fait
la proposition de se rendre, ce qu'elle exécute.
Les ennemis eurent un autre avantage, celui d'en-
velopper une brigade du corps des grenadiers de
France,composéede douze compagnies de grenadiers,
1. Dans le bois de Fursleuwald.
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 3^5
qui, sans coup férir, mit bas les armes et se rendit
prisonnière de guerre. Cette docilité fut une tache
pour ce corps et comme il étoit d'une charge consi-
dérable à toute l'infanterie françoise, que, de plus,
il y régnoit un grand vice d'indiscipline, lorsque M. le
duc de Choiseul ^ qui avoit comblé ce corps de pré-
rogatives, fut renvoyé du ministère, au mois de
décembre 1770, — son frère, le comte de Stainville 2,
aujourd'hui le maréchal de Choiseul, en étant le chef
— le corps des grenadiers de France fut réformé
dans les premiers mois de l'année suivante.
Là se terminèrent les pertes de l'armée françoise,
qui se retira dans le camp retranché de Cassel, où
elle séjourna environ quinze jours, le prince Ferdi-
nand menaçant toujours notre gauche et donnant
de vives inquiétudes à nos deux maréchaux pour
la subsistance de leurs armées. Les principaux maga-
sins [étoient] établis à Francfort. Cette crainte et
d'autres prévoyances déterminèrent les maréchaux
à évacuer la Hesse. On approvisionna Cassel de tout
objet à y soutenir un siège, en garnison, vivres et
munitions de guerre.
1. Etienne-François, comte de Stainville, puis duc de
Choiseul, le célèbre homme d'Etat, né en 1719, maréchal de
camp en 1748, ambassadeur à Rome en 1753, puis à Vienne
en 1757, ministre des Affaires étrangères en 1758-1761, de la
Guerre et de la Marine en 1761-1766, de nouveau ministre des
Affaires étrangères jusqu à sa disgrâce en 1770, mort en 1785.
2. Jacques de Choiseul, comte de Stainville, né en 1727 ;
servit d'abord en Hongrie, lieutenant-général au service de
France en 1760, maréchal de France en 1783, mourut en
1789.
25
386 CAMPAGNES [1762J
Ce fut à celte époque qu'il fut question d'envoyer
M. de Boisclaireau, brigadier, avec dix-huit ofïiciers,
à Hirschfeld.
Depuis ma jonction à l'armée, venant de Gottingue,
M. le maréchal duc de Broglie disgracié, ma sensibi-
lité en avoit été si grande que, quelque désir quej'eusse
d'être employé afin de continuera donner des preuves
de mon zèle pour le service du Roi, toute mon exis-
tence se réduisoit à regretter l'absence de ce général
et, sans désir, j'élois décidé à rester à la phalange
picarde et à y augmenter le nombre des observateurs
des fautes que cette campagne sembloit nous pro-
mettre; la première, dont nous venions de sortir, nous
donnoit certitude pour l'avenir.
M. du Vivier, major du régiment, avoit été adjoint,
la campagne précédente, sous M. le duc de Broglie,
à M. de Guibert dans les fonctions de major général
de l'armée, ce qui, pour l'hiver, lui avoit procuré
la lieulenance de Roi de Mulhausen et un brevet
de colonel. Je ne sais par quel alentour il continua,
sous les nouveaux généraux, à être adjoint à M. de
Cornillon ' pour les détails de major général et
j'attribue au seul besoin que l'on eut de ses talents
d'être employé comme il avoit été la campagne pré-
cédente, sous le maréchal duc de Broglie.
J'ai déjà dit que cet officier supérieur du régiment
où je servois avoit pour moi une prédilection marquée .
Me rencontrant à Cassel, où j'avois été me promener,
1. Pierre-François de Milan3-Forbin, marquis de Cornillon,
enseigne aux Gardes françaises en 1727, lieutenant-général en
1762, grand-croix de Saint-Louis, mort en 1766.
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 387
il m'appelle et me dit : « Je suis surpris que vous
n'ayez pas encore paru chez M. de Cornillon pour
vous faire inscrire sur le tableau des officiers qui
demandent à être employés et guerroyer pour leur
compte, car il me semble que ce qui auroit dû vous
y porter est le poste qu'occupe un de vos conci-
toyens, M. le marquis de Vogué : je sais qu'il a de
l'amitié pour vous. » — « Oui, lui dis-je, dont je suis
on ne peut plus reconnoissant, mais M. le Maréchal
est à Broglie, j'en suis dans une léthargie parfaite
et ne demande rien ; il m'a trop bien traité pour
que cela me passe aisément ; je ferai ma campagne
au régiment et là j'y attendrai les événements. »
— « Vous avez grand tort, me dit-il : suivre votre
pointe dans le genre de service que vous avez
commencé est ce que vous devez faire. » — «Je vous
rends bien des grâces, lui ajoutai-je. » — « Je vous
préviens, me dit-il, que s'il se présente une occasion
à vous faire employer, je la saisirai et vous ferai
employer pour elle. »
De cette chaleur je ne pouvois qu'être reconnois-
sant, mais le souvenir des bontés de M- le maréchal
de Broglie arrêtoit mon cœur et ne lui permettoit pas
de chercher des hasards pour tout autre général, et
mes remerciements à M. du Vivier persévérèrent à
être les mêmes.
Deux jours après, il fut question d'envoyer un
supplément à Hirschfeld, M. de Boisclaireau, avec
lui neuf capitaines et neuf lieutenants, les uns et les
autres destinés à être mis à la tête de 700 à 800
hommes, des convalescents de l'armée, qui s'y étoient
amoncelés pour y chercher la santé : ilsy étoient tous
388 CAMPAGNES [1762]
aux ordres d'un lieutenant de Roi, M. de Paradis^,
capitaine suisse, et d'un major, M. Dubois^, capitaine
du régiment de Bretagne ; à leurs ordres il y avoit
de plus 100 cavaliers, hussards ou dragons de diffé-
rents régiments de l'armée, dont le service et l'occu-
pation étoient d'y rassembler des fourrages, et cette
communication pour Francfort menacée porloit
MM. les Maréchaux à cette précaution.
Le digne, honnête et plein d'amitié pour moi
M. du Vivier vint au camp m'y trouver et me dit :
« Je viens vous communiquer que je vous ai fait
mettre sur la liste des dix-huit officiers qui, sans
troupe, doivent partir pour se rendre à Hirschfeld
avec M. de Boisclaireau, brigadier de votre connois-
sance, qui y va pour en commander la garnison et
qui doit y employer ces dix-huit officiers, en formant
des compagnies de 800 à 900 hommes qui y
sont sans officiers, Hirschfeld étant le rendez-vous
de tous les convalescents revenus des hôpitaux de
Francfort ou de ceux de l'armée. » Je vis l'inutilité
de faire un refus, je le remerciai en l'embrassant,
lui ajoutant que j'allois attendre mon ordre de départ,
et me disposai à cette course.
Le lendemain, les ordres nous furent remis ; ils
1. Pierre Paradis, de Fribourg, entré au service en 1729,
capitaine-commandant au régiment de Diesbach, puis capitaine
de fusiliers au régiment de Waldner en 1763, retiré en 1766,
avec une pension de 2.400 livres.
2. Jean-Joseph-Félix Dubois, né à Monlauban on 1720,
volontaire au régiment de la Couronne en 1738, lieutenant
dans le régiment de Bonnac en 1743, capitaine dans le régi-
ment de Bretagne en 1745.
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 389
portoient le rendez- vous où M. de Boisclaireau
devoit nous prendre. Nous fûmes, pour ce déta-
chement, trois capitaines de Picardie, MM. de Roc-
queval, deBeaulieuet de Saint-Vincent deMasclary^,
et un lieutenant, M. de Mcynard"^.
A l'heure indiquée, cinquante hussards, qui firent
notre escorte et qui dévoient accroître la garnison
d'Hirschfeld, nous joignirent et nous partîmes, cô-
toyant la Fulda toujours à notre droite. Vers une
heure, nous arrivâmes vis-à-vis de Rothenbourg, d'où
nous fûmes instruits qu'il y avoit couché un déta-
chement de 600 hussards, que, jusqu'à dix heures du
matin, ils avoient battu l'estrade sur la route que nous
tenions, mais qu'à l'heure de dix, ils avoient repassé
la Fulda et s'étoient repliés sur un corps aux ordres
de mylord Gramby. Nous étions encore à trois
lieues d'Hirschfeld, où nous nous pressions d'arriver,
crainte de quelque mal-rencontre, n'y ayant que la
rivière de la Fulda, guéable dans la plupart de ses
parties, qui nous séparât du corps de mylord Gramby,
dont la force étoit de 12.000 hommes.
Comme nous continuions à marcher pour notre
destination, nous découvrîmes, à proximité de nous,
quatre hommes à cheval qui venoient à nous ; une
petite troupe de huit de nos hussards fut envoyée au
devant d'eux ; c'étoient quatre hussards ennemis de
1. Pierre de Saint-Vincent de Masclary, né en 1733, lieute-
nant en 1746, capitaine en 1755, chevalier de Saint-Louis en
1770, retiré en 1777.
2. Armand-Pierre de Meynard, né à Tulle en 1735, cadet
dans le corps royal en 1752, enseigne dans Picardie en 1756,
lieutenant en 1757, abandonna le service en 1771.
390 CAMPAGNES [1762]
la troupe de Luckner, qui, s'apercevanl que nous
étions François, cherchèrent, par la course, à éviter
les nôtres qui alloientà eux. Les nôtres les suivirent
plus d'une lieue et demie et nous perdîmes de vue les
uns et les autres.
Nos huit hussards ne nous joignirent qu'à Hirsch-
feld, ayant pris deux des quatre hussards qu'ils
avoient suivis avec tant d'acharnement, et, par
eux, nous fûmes instruits qu'ils étoient du déta-
chement qui avoit passé la nuit à Rothcnhourg et
dont 300 hussards aA'oient battu l'estrade toute la
matinée sur la route que nous tenions. Nous dûmes
donc à la fortune de les avoir évités, ce qui accrut
notre satisfaction d'être arrivés sains et saufs à
Hirschfeld.
M. de Boisclaireau, suivant la patente qu'il en
avoit, prit le commandement de la place, où il
trouva 800 hommes de tous les régiments de l'armée
et, de plus, 120 hommes à cheval. Il commença par
extraire de l'infanterie 120 hommes et, des cinquante
hussards, vingt. Ces deux troupes furent confiées à
M. de Rocqueval, premier capitaine des officiers aux
ordres de M. de Boisclaireau, et, deux jours après
notre arrivée, ils partirent pour se rendre à Fulda,
où ils dévoient tout employer pour y maintenir la
communication libre et assurée sur Francfort.
Ce détachement parti, je me trouvois premier
capitaine et, en conséquence, quelques jours après,
je fus détaché à mon tour, avec trente hommes
d'infanterie, sans autres officiers, quinze dragons du
régiment du Roi, avec eux un maréchal des logis,
et fus envoyé au château de Friedwald, appartenant
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 391
au prince de Hesse, maison de chasse, château à
l'abri de tout coup demain, enveloppé d'un fossé de
trente pieds de large et, dans toutes ses parties les
moins profondes, avec six pieds d'eau : ce château
situé à côté du village de Friedwald et très à proxi-
mité d'une forêt immense qui enveloppe l'un et
l'autre, puisque les bois sont joignant à la vallée de
la Quinche. Instruit d'ailleurs que dans le même
château cinquante Autrichiens y avoienl été enlevés,
il y avoit deux ans, par un parti prussien, et me
voulant faire profit de cet exemple, je logeai tout
mon court détachement dans le château, j'en fis
lever le pont-levis, comme un petit pont-levis à
passer un seul homme de front, lequel même n'étoit
baissé que lorsque j'en donnois l'ordre.
Je me fis fournir, par les habitants du village, des
farines, des viandes salées, des légumes, de l'avoine
et fourrages pour la subsistance de mon détache-
ment, tant pour les hommes que pour les chevaux,
et ce pour cinquante jours, en outre de la subsis-
tance journalière qu'ils me livroient tous les trois
jours, avec promesse qu'à mon départ, si je n'en
faisois usage, je leur remettrois toutes leurs diffé-
rentes provisions.
De précaution en cas d'attaque, je restai donc clos
dans ce château pendant trois semaines, d'où je ne
faisois sortir, à tous les points du jour, que cinq
dragons, auxquels j'indiquois les villages qu'ils
dévoient parcourir pour avoir nouvelles des ennemis
et savoir particulièrement de quoi s'occupoit un
corps aux ordres d'un jeune prince de Brunswick,
frère du prince héréditaire de ce nom.
392 CAMPAGNES [1762]
Par mes petites patrouilles je fus instruit que les
troupes aux ordres de ce jeune prince étoient conti-
nuellement occupées à mettre en magasin tous
les fourrages que les bords de la Werra pouvoient
leur fournir, comme tous les blés des pays qu'ils
occupoient.
Certain de ce fait et prévoyant que cet approvi-
sionnement annonçoit, pour la suite, devoir être
employé pour le siège de Cassel, plein donc de
cette idée, je fis part à M. le marquis de Vogiié,
mon compatriote et maréchal-général des logis de
l'armée, de toutes mes idées à cet égard. Je lui
adressai mon paquet à Rrumbach, où étoit alors le
quartier général des maréchaux, et le lui fis porter
par un des dragons à mes ordres, auquel j'avois
donné un guide à cheval, bon fermier du village de
Friedwald, l'ayant chargé de la sûreté de ce dragon,
de son arrivée et retour, sous les menaces les mieux
confirmées, dont sa femme, ses enfants et sa maison
me répondoient.
Aussi le dragon et lui furent de retour le cin-
quième jour avec la réponse de M. le marquis de
Vogué ; il me remercioit des nouvelles que je lui
communiquois, me disoit qu'il alloit se faire un vrai
plaisir de les faire parvenir à MM. les Maréchaux,
me disoit en forme de reproche, très obligeamment,
qu'il n'avoit su que j'étois employé hors de ligne
qu'à la réception de ma lettre et qu'il alloit s'occu-
per à me faire employer moins solitairement qu'il
lui paroissoit que je l'étois à Friedwald.
En effet, quelques jours après, M. de Boisclaireau
me manda de quitter Friedwald et de venir le
[17621 DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 393
rejoindre à Hirsehfeld, ordre que j'exécutai, et, le
matin seulement de mon départ, je mandai au châ-
teau le bourgmestre et quelques principaux des
habitants, auxquels, retirant les reçus que j'avois
faits au premier des livraisons qu'il m'avoit faites,
je les lui remis toutes, ainsi que les clefs du château
et barrières, et partis de suite pour me rendre à
Hirsehfeld, où, arrivé, M. de Boisclaireau me créa
capitaine des grenadiers et chasseurs de la garni-
son. C'étoit donc le ramassis des grenadiers et
chasseurs convalescents de l'armée que je me trou-
vois commander ; de l'un et de l'autre le nombre
en étoit, y compris les bas-officiers, de quarante-
huit : c'étoit la troupe d'élite de la garnison. Les
autres capitaines étoient à la tète de quarante fan-
tassins, dont la plupart, par leur peu de santé et de
force, eussent mieux figuré, vu leur état débile, dans
un hôpital; trois lieutenants suisses étoient à la tête,
chacun d'eux, de trente hommes de leur nation
ou des régiments allemands qu'on leur avoit confiés,
à cause de la langue.
En tout et pour tout, notre garnison avoit sous les
armes 400 fantassins, 170 maîtres des différentes
troupes à cheval, pour chef un seul capitaine de
hussards et des lieutenants de cavalerie et dragons;
de plus, 150 hommes à l'hôpital, hors d'étal de tout
service.
Quelques jours après mon retour de Friedwald,
sur les sept heures du matin, nous rendant chez
M. de Boisclaireau, j'aperçois sur la place une troupe
de sept à huit officiers vêtus de bleu; j'entends
qu'ils étoient de la légion du maréchal prince de
394 CAMPAGNES [1762]
Soubise ; je vais à eux, j'y vois M. de La Motte ', que
je connoissois, je lui fais la bienvenue. Il étoil le
chef (le '200 volontaires de ce corps. Je lui demande
quelle bonne aventure le menoit à Hirscbfeld ; il
me répond que, chargé d'une commission du maré-
chal prince et poussé, la veille, par une troupe
infiniment supérieure du corps de Luckner, il étoit
arrivé, vers les dix heures du soir, au moulin et
hameau attenant de l'autre côté de la Fulda, c'est-à-
dire à sa rive droite, Hirschfeld à celle de gauche.
Après un instant de conversation avec eux, je les
quittai et entrai chez M. de Boisclaireau ; je lui
parlai de la poussée qu'avoit essuyée M. de La Motte,
lorsqu'au moment me^me arrive chez ce général un
maréchal des logis de nos hussards, accompagné
de deux autres hussards, qui lui annonce qu'il avoit
laissé son capitaine à deux lieues d'Hirschfeld, en
pleine retraite, vis-à-vis le corps de Luckner, qui
paroissoit très nombreux tant en infanterie qu'en
cavalerie légère.
Le général Boisclaireau, plein de cette nouvelle,
demande vite des chevaux pour aller reconnoître
lui-même ce qui se passe, et me dit : « Depuis que
je suis ici, je n'ai eu le loisir que d'écrire soit à
M. le maréchal prince de Soubise, soit à M. le maré-
chal d'Eslrées, pour reddition de compte et nou-
velles, de manière que je connois très peu la place
où je commande et en M. Paradis je n'aperçois pas
1. François-Henri de La Motte, sous-lieutenant aux chas-
seurs à pied de Berchery en 1760, aide-major d'infanterie dans
les volontaires de Soubise, puis capitaine en 1761, chevalier
de Saint-Louis en 1762, quitta le service en 1767-
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 395
grandes ressources ; c'est pourquoi je vous prie de
faire battre la générale, de placer les troupes sur
le rempart comme vous le jugerez à propos, de
placer un lieutenant et trente hommes à la redoute
en avant de la porte de Rolhenbourg et un capitaine
aux deux redoutes et communication de la porte
Notre-Dame ».
Comme il alloit monter à cheval, qu'il s'étoit
déjà répandu que Luckner nous arrivoit avec
6.000 hommes pour s'emparer d'Hirschfeld, où
il y avoit la machine infernale, composée de dix
chariots venus de Paris en poste avec tant de
frais et qui, par son moyen, devoit, disoit-on, incen-
dier toutes les forêts incommodes de la Hesse, de
plus, vingt-cinq caissons, des munitions de guerre
en cartouches, boulets et poudre, quoique pas une
pièce de canon, mais qu'il me paroissoit important
de conserver au Roi, ce qui fit que, connoissant
l'étendue du circuit de la place que nous avions à
défendre avec si peu de monde, [je me décidai]
à lui proposer de faire usage des 200 hommes aux
ordres de M. de La Motte, capitaine du régiment
de Soubise, et de lui ordonner d'entrer, lui et sa
troupe, dans Hirschfeld.
M. de Boisclaireau saisit mon idée et me dit :
« Mais où est-il ?» — « Je le vois sur la place
et vais l'appeler ». Je m'avance et appelle M. de
J^a Motte ; M. de Boisclaireau, monté à cheval,
nous joint; il fait l'énumération à cet officier de
tout ce qui se trouve dans la place, en lui disant
qu'il faut qu'il y fasse entrer les 200 hommes à ses
ordres ; M. de La Motte s'excuse en lui disant qu'il
396 CAMPAGNES [1762J
est chargé d'une commission de la part du prince
de Soubise et qu'il faut qu'il la remplisse.
Ce M. de La Motte avoit servi quinze ans en
Prusse ; il étoit rusé et fin ; pour ne pas arrêter
sa fortune au service de France, il vouloit éviter
toutes occasions où il y avoit apparence qu'il pou-
voit être prisonnier de guerre, et persévéroit dans
son refus. M. de Boisclaireau, de son côté, craignoit
de se compromettre, si réellement ledit M. de La
Motte étoit chargé par le prince, général de l'armée,
d'une mission qui intéressât à un point capital.
Je voyois donc ces deux hommes s'observer et
être indécis l'un et l'autre, ce qui me porta à dire à
M. de Boisclaireau qu'il falloit aller au plus pressé ;
que les différents effets appartenant au Roi, qui
étoient dans Hirschfeld, demandoient qu'ils fussent
conservés, d'autant que, dans une retraite de l'armée,
nous avions en farine de quoi la sustenter pour
plusieurs jours, et, à demi-voix, je glissai à M. de
Boisclaireau d'ordonner à M. de La Motte d'entrer,
lui et sa troupe, dans Hirschfeld et, s'il s'y refusoit,
de le faire arrêter.
M. de Boisclaireau, vif et violent, ainsi poussé, lui
dit : « Monsieur, je vous l'ordonne. » M. de La Motte
lui répondit : « Si vous m'en donnezl'ordre par écrit,
j'obéirai. » — « Volontiers, Monsieur, lui dit le géné-
ral ». Il se jette à bas de son cheval; je lui fournis
encre et papier, et, sur un banc de ceux de la place
d'armes, il écrit l'ordre et le lui remet, remonte à
cheval et part avec huit hussards pour aller recon-
noître ce qui se passe.
M. de La Motte va chercher sa troupe, qui n'étoil
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 397
pas à un quart de lieue de la ville, et, trois quarts
d'heure après, il y arrive.
Pendant son absence, je fais battre la générale, je
place les troupes en différents lieux du rempart ; je
laisse une ordonnance sur la place, à laquelle je dis,
lorsque M. de La Motte arrivera aA^ec sa troupe, de
les conduire à la porte Notre-Dame, où mon projet
étoitde le placer avec cent hommes, tant dans deux
tours qui flanquoient une brèche entre elles deux,
d'environ soixante pas de front, radoubée seulement
avec des saucissons pareils à ceux dont on fait les
batteries, avec le vice [?] qu'on leur avoit donné pour
suivre un talus, de manière qu'on y montoit et descen-
doit comme s'il y eût eu un escalier au haut duquel on
avoit fait une tranchée, de manière que ceux dans
le cas de défendre cette brèche étoient à couvert
jusqu'au col.
Les cent premiers homm'es de M. de La Motte
furent là divisés, les autres cent à proximité sur leur
gauche et suivant le rempart dans sa partie du midi ;
un lieutenant et trente Suisses placés à la redoute en
avant de la porte de Rothenbourg.
Moi, de ma personne et mes quarante-huit grena-
diers ou chasseurs, je me portai hors la ville et fus
me placer aux deux redoutes et leur communica-
tion, qui couvroient la porte Notre-Dame.
Comme je ne mis pas en doute qu'avant que d'être
attaqué, nous fussions reconnus, que mon objet
étoit d'en imposer et de paroître plus en force que
nous ne l'étions, je plaçai douze hommes dans la
première redoute, au haut de la hauteur faite pour
contenir au moins deux bataillons ; des douze hommes
398 CAMPAGNES [1762]
j'en fis mettre huit en faction sur le parapet de la
redoute; à la communication j'en plaçai autres
douze, dont huit en faction ; sur le parapet de la
seconde redoute, autres douze, avec huit sentinelles
également placées, avec ordre de les relever toutes
les heures; on les faisoit donc descendre pour les
faire remonter, ce qui donna de l'inquiétude aux
ennemis sur le nombre des troupes qu'il pouvoit y
avoir dans cette partie, [inquiétude] prouvée par la
manière dont, le soir, ils marchèrent pour attaquer
et s'emparer de ces deux redoutes, que je ne pouvois
avoir envie de défendre.
Dès la nuit tombée, je changeai mes dispositions
comme suit : j'assemblai, sur l'angle gauche de la
première redoute faisant face aux ennemis, toute ma
troupe, tant grenadiers et chasseurs, que j'avois divisée
aux deux redoutes et à la communication ; je plaçai
le lieutenant à mes ordres, du régiment de la Vieille-
Marine, avec dix chasseurs, sur ma gauche, pour veil-
ler à l'escarpement sur cette partie aisée à gravir et
éviter par ce poste de pouvoir être enveloppé.
Quant à l'escarpement sur la droite de la redoute et
de sa communication à cette place, à demi de la
montagne impraticable le jour (et la nuit ne pouvoit
que la rendre encore plus impraticable), j'y plaçai
néanmoins un bas-officier, homme qui me paroissoit
sûr, pour être, à tout événement, instruit de ce qui se
passeroit à cette partie.
Les ennemis avoient commencé à arriver à
portée de l'attaque qu'ils se proposoient dans cette
partie, à sept heures du soir ; j'avois compté plusieurs
drapeaux et les estimois au nombre de 2.000
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 399
hommes, lesquels se tinrent jusqu'à la nuit à une
portée de canon.
Ma petite troupe disposée comme je viens de le
dire, je préviens chacun d'eux de la manière dont
il doit se conduire, ayant toujours pour désir de
n'en pas perdre un seul.
Entre dix et onze heures de la nuit, nous enten-
dîmes que l'on marchoit à nous et, peu après, une
voix qui, parlant françois, disoit : « Ensemble, serrez,
point de quartier. » En peu d'instants, j'aperçus la
tète de la colonne et, au clair des étoiles, le luisant
des baïonnettes. Mes soldats, prévenusdene tirer que
lorsque j'en donnerois l'ordre, l'attendoient avec con-
fiance. Les ennemis arrivés à trente pas de nous, je fais
tirer toute ma troupe, à quoi les ennemis répondent
par une décharge très nombreuse et toute dirigée en
l'air. Dieu sait combien, à ce moment, je regrettois
de n'avoir pas à mes ordres 300 hommes seulement,
pour tomber sur eux et les disperser, mais mon
peu de force m'avoit fait donner pour indication à
chaque soldat que le premier feu seroit le signal
pour se retirer, longeant la communication à la
seconde redoute, où chacun se plaçoit à son angle
gauche, extérieurement, comme ils l'avoient été à
la première, ce qui s'exécuta.
Nous y restâmes près d'une heure, pendant laquelle
les ennemis s'emparèrent de la redoute, aisée à
gagner puisqu'il n'y avoit pas un homme. A leur
tour, ils longèrent la communication et arrivèrent
à la seconde redoute, où ils furent reçus comme à
la première, une fusillade de notre part, une plus
nombreuse de la leur, et notre retraite que j'avois
400 CAMPAGNES [1762]
indiquée sur la porte de Rothenbourg, couverte
d'une demi-lune, où nous arrivâmes sans la moindre
perte et sans accident.
Je trouvai dans cet ouvrage M. de Saint- Vincent
de Masclary, avec trente hommes. Je pris poste
dans cet ouvrage avec désir d'y tenir ferme, vu qu'il
étoit bon et bien palissade. M. de Saint- Vincent
me dit qu'il pensoil que la redoute en avant de
lui, oùj'avoisun lieutenant suisse et trente hommes,
avoit été attaquée et vraisemblablement prise, puis-
qu'il n'y avoit été tiré que quelques coups de fusil
il y avoit plus de demi-heure, et que pas un de ces
trente hommes ne s'étoit retiré sur la porte de
Rothenbourg, quoiqu'ils en fussent sortis pour se
rendre à la redoute. Je lui demandai si, en avant
de la demi-lune, il n'avoil pas entendu quelque
bruit; il me dit que non. « Ce silence annonce
qu'ils font leurs préparatifs pour venir à nous, fai-
sons les nôtres. » Ce dont nous nous occupâmes.
Je fis une petite réserve de vingt grenadiers, que
je confiai au lieutenant du régiment de la Marine,
lui observant que si, à l'attaque que nous allions
essuyer, il y avoit nombre d'ennemis assez valeu-
reux pour franchir les deux rangs de palissades dont
notre ouvrage étoit fraisé, c'étoit à cet instant
qu'avec la réserve il devoit les charger et les
reculbuter dans le fossé, que pendant l'attaque il
eût à veiller sur les deux faces de la demi-lune,
pour exécuter ce dont nous convenions.
M. de Saint-Vincent et moi dîmes à chaque sol-
dat la manière dont il devoit se conduire et
eûmes la satisfaction de les voir tous désirer d'être
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 401
attaqués, ce qui ne tarda pas, car, l'instant d'après,
les ennemis marchèrent à celte demi-lune. Notre
feu fut continuel sur la direction du bruit que nous
entendions et sur quelques-uns des ennemis qui
se portèrent jusque sur le bord du fossé, mais aucun
ne se hasarda d'y descendre et, après une attaque
d'une petite demi-heure, ils se retirèrent et il n'en
fut plus question.
Comme le silence étoit absolu de ce côté, M. de
Boisclaireau, qui craignoit avec raison d'être bien-
tôt attaqué dans la partie de la porte Notre-Dame
et à l'endroit de la brèche dont j'ai parlé, nous
envoya ordre de quitter la demi-lune et de rentrer
dans la ville, ce que nous fîmes.
Je fis dire à M. de Boisclaireau que j'étois avec les
grenadiers et chasseurs, dont je n'avois pas perdu
un seul, à la parade que j'avois faite aux deux redoutes
et communication en avant de la porte Notre-Dame,
[et lui fis demander] s'il avoit quelques ordres à me
faire passer pour me porter ailleurs, où je pou-
vois être plus utile que d'être sur le rempart de la
porte de Rothenbourg, inaccessible par sa hauteur,
puisqu'il eût fallu des échelles de plus de quarante
pieds de haut et que M. de Saint-Vincent, avec
près de cinquante hommes à ses ordres, étoit plus
qu'en force pour cette porte.
La réponse de M. de Boisclaireau fut que j'eusse
promptement à le joindre à la brèche de la porte
Notre-Dame, sur laquelle les ennemis avoient déjà
tiré quelque trente coups de canon.
J'eus bientôt joint M. de Boisclaireau à la brèche,
où, dans la tranchée pratiquée dans le terre-plein
26
402 CAMPAGNES [1762]
du rempart, il y avoit trente hommes du détachement
de M. de La Motte. J'y joignis quinze chasseurs de
plus et gardai trente et quelques hommes, restant de
ma troupe, que je plaçai en réserve, pour charger et
culbuter les ennemis, s'il arrivoit qu'ils tentassent de
monter par cet endroit.
M. de La Motte occupoit, avec quarante hommes,
la tour et plate-forme de la porte Notre-Dame, qui
flanquoit merveilleusement bien tout le flanc gauche
de la brèche, qui l'étoit par sa droite d'une autre
tour, où il y avoit vingt hommes de ses volontaires.
Dans cette position, nous attendions l'efl'ort des
ennemis, et, suivant qu'ils dévoient le faire, M. de
Boisclaireau devoit venir à notre aide avec soixante
hommes qu'il tenoit tout disposés à cela, placés entre
la porte Notre-Dame et celle Saint-Denys, et autres
soixante placés entre la porte Notre-Dame et celle de
Rolhenbourg, car la brèche étoit réparée fort négli-
gemment, dont les ennemis en dévoient être certai-
nement instruits et ne pouvoient manquer d'y diriger
leurs principales attaques, comme je le dirai ci-après,
après avoir rendu compte de la course de M. de Bois-
claireau, parti dès le matin pour aller au-devant
d'eux, les reconnoître et juger des intentions du
corps considérable qu'on lui annonçoit se diriger
sur Hirsclîfeld.
Sa marche pour reconnoître les plus avancés fut
d'une heure et demie, ayant joint précédemment le
capitaine des hussards qui l'avoit fait avertir, qui
lui dit que cette première avant-garde n'étoit guère
que de soixante hommes à cheval, qu'à mesure
qu'elle se portoit décidément pour menacer ses
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 403
derrières, il cédoit du terrain et changeoit sa posi-
tion ; que souvent cette cavalerie faisoit des haltes,
qu'en cela il l'avoit imitée, se réglant absolument
sur ses mouvements et n'ayant pas voulu se com-
promettre en rien, sûr que le corps qui suivoit cette
avant-garde étoit très nombreux et que les rapports
qui lui avoient été faits par un paysan à sa dévo-
tion, dès le point du jour, étoient que Luckner en
étoit le chef et qu'en outre de son corps, il y avoit
d'autre infanterie et cavalerie. M. de Boiselai-
reau parla à ce paysan, qui étoit l'espion dont le
capitaine des hussards avoit fait usage pour avoir
nouvelle des ennemis. Le rapport que lui avoit fait
M. de La Motte et l'obligation où il avoit été, la veille,
de se retirer sur Hirschfeld étoient une indication à
croire à la nouvelle du paysan.
Il se détermina à se porter sur ses derrières avec
les troupes de hussards et à gagner une éminence
très élevée, laissant en avant de lui un terrain de
demi-lieue très découvert, d'où ilne seroitd'Hirsch-
feld qu'à environ trois quarts de lieue, où, arrivés, ils
restèrent près de trois heures sans apercevoir un
seul ennemi, n'ayant pas même été suivis par les
premiers en panne devant eux, ce qui donna à pen-
ser à M. de Boisclaireau que cette direction et inac-
tion de leur part cachoit des projets et n'étoit que
pour établir la confiance.
Il ne se rebuta pas d'attendre, et ce fut entre quatre
et cinq heures du soir que cette même cavalerie du
matin, mais triplée en nombre, parut dans le décou-
vert en avant de M. de Boisclaireau. Quelque supério-
rité qu'elle eût sur la troupe qui lui étoit opposée, elle
404 CAMPAGNES [1762]
ne chercha pas trop à s'en approcher, manœuvrant de
manière à pouvoir découvrir ce qui étoit sur le
derrière des nôtres, et, à peu d'instants de là, parut
une tête de colonne en cavalerie, qui se porta rapi-
dement en avant. M. de Boisclaireau tint encore
ferme, ce qui continuoit d'en imposer aux premières
troupes vis-à-vis des nôtres, que les ennemis pou-
voient soupçonner plus nombreuses.
L'infanterie ennemie commençant à se prolonger
dans la partie découverte, M. de Boisclaireau ordonna
la retraite et, du moment que sa petite troupe la
commença, celle des ennemis s'abandonna au galop,
pour tâcher de la joindre. Arrivés sur le terrain
qu'avoient occupé les nôtres, ils les purent nombrer
sans exception d'un seul et continuèrent de les pour-
suivre jusqu'à cent pas de la demi-lune qui couvre
la porte de Rothenbourg, d'où il leur fut tiré
quelques coups de feu.
Dans cette retraite précipitée, M. de Boisclaireau,
homme septuagénaire, dut de n'être pas pris à son
courage et à la volonté de quelques dragons du ré-
giment du Roi et quelques hussards, qui observèrent
toujours de suivre la croupe du cheval de M. de Bois-
claireau, à qui il arriva que, montant une petite émi-
nence, il se trouva sur la croupe de son cheval ; il
se saisit des deux mains à l'arçon de la selle, mais
son âge et son embonpoint ne pouvoient lui permettre
de se remettre en selle ; il fit cinquante pas dans
cette fâcheuse position, ce dont s'apercevant les hus-
sards et dragons s'empressèrent, le saisissant par les
bras, de le remettre en selle. Ce petit retard occa-
sionna que les deux dragons les moins bien montés
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 405
eurent leurs chevaux blessés sur la croupe de coups
de sabre. Voilà tout l'avantage que les ennemis
tirèrent de cette chasse.
Une heure après la rentrée de M. de Boisclaireau
dans Hirschfeld, se présenta à la porte de Rothen-
bourgun trompette suivi d'un capitaine de hussards,
qui demanda à parler au commandant de la place.
M. de Saint- Vincent de Masclary, qui étoit dans la
demi-lune, dit à l'un et à l'autre de s'arrêter à cin-
quante pas du fossé de l'ouvrage qu'il gardoit, qu'il
alloit faire avertir le commandant pour recevoir ses
ordres.
L'activité de M. de Boisclaireau ne lui permet
pas d'envoyer savoir ce qu'on vouloit, dont il se
doutoit bien ; il arrive lui-même, désirant répondre
de sa bouche à ce que cet officier venoit lui propo-
ser, monte sur la demi-lune et lui crie : « Monsieur,
vous pouvez approcher, je suis le commandant de la
place, prêt à vous entendre. » A cet appel, cet offi-
cier s'avance et dit : « Je suis mandé de la part du
général Luckner, qui vous somme de lui remettre
Hirschfeld, de vous rendre prisonnier de guerre
avec votre garnison, dont la force médiocre et le
mauvais état lui sont connus, comme l'immensité de
l'enceinte que vous ne pouvez garder, ainsi que le
mauvais état de votre rempart. Le général est ici
avec une force si majeure qu'elle ressemble à une
armée prête à vous assaillir de tous côtés et à enlever
votre place dans un quart d'heure. Le général veut
éviter de vous traiter comme poste pris d'assaut, où
il est impossible à la générosité de fixer celle du sol-
dat qui a couru des dangers. » — « Monsieur, vous
406 CAMPAGNES [1762J
pouvez rapporter à voire général que la perle de son
estime, que je veux mériter, me seroil trop sensil)le ;
que je dois au Roi la conservation de cette place ;
que j'y suis avec des François bien disposés à la lui
conserver ; que, quelque pelil qu'en soit le nombre,
le courage y suppléera ; que je vais me disposer,
ainsi que ma garnison, à remplii- nos devoirs. »>
A ces dernières paroles, M. de Boisclaireau salua
rofficier des ennemis qui étoit venu le sommer et
descendit du parapet de la demi-lune. L'officier et son
trompette se retirèrent.
M. de Boisclaireau, prévoyant qu'il seroil attaqué
pendant la nuit, voyoil sa place si mal pourvue qu'il
étoit dans de fortes alarmes ; il se confia à l'espoir
que donne le courage et aux fautes qu'un ennemi si
supérieur pouvoit commettre. M. de Paradis, lieu-
tenant de Roi, et M. Dubois, major, lui rendirent
compte de l'emplacement des troupes ; il leur dit
que l'un et l'autre dévoient se porter sur le rempart
de la basse ville faisant face à la Fulda, qu'ils eussent
attention à disposer le peu de troupes qu'ils y
auroient à pouvoir s'aider de l'un à l'autre, que la
hauteur des remparts de cette partie lui faisoit penser
que les ennemis n'enlreprendroient rien de ce côté,
iaute d'échelles assez longues, que M. de Paradis eût
à correspondre à la porte Saint-Denis et M. Dubois
à la porte de Rothenbourg, en outre de la protec-
tion mutuelle qu'ils se dévoient en cas d'insulte
dans une des parties qui leur étoient confiées.
A la nuit tombante, trente des cent soldats malades
à l'hôpital, presque tous avec la fièvre, s'habillèrent
et demandèrent au directeur leurs armes pour se
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 407
porter sur le rempart ; ce directeur, touché de cette
volonté, ne balança pas à ordonner qu'elles leur
fussent délivrées et vint sur-le-champ en rendre
compte à M. de Boisclaireau, qui l'approuva et
ordonna que ces trente hommes fussent conduits à
M. de Paradis, qui disposeroit de leur emplacement.
Ce trait de courage eût été chanté chez les Romains,
mais il en est tant de ce mérite pour la nation fran-
çoise qu'on y porte une trop faible attention, car
l'acte de ces trente méritoit récompense ou tout au
moins éloges et compliments, récompense avec
laquelle on paye si bien cette nation.
L'attaque des redoutes qui couvroient la porte
Notre-Dame se passa comme il a été dit ; celle en
avant de la porte de Rothen bourg se fit au même
instant. L'officier qui y commandoit s'étoit mis dans
cette redoute avec les vingt hommes à ses ordres,
redoute très vaste, faite dans son principe pour y
loger au moins un bataillon ; aussi, au moment de
l'attaque, cet officier voulut se retirer, mais il y
perdit une douzaine d'hommes blessés ou pris, et
lui, avec le reste de son détachement, tournant la
ville par sa gauche, se retira vers la porte qui com-
munique au pont sur la Fulda, et ne rentra dans
la ville qu'au jour.
J'ai dit qu'après ce petit avantage, les ennemis se
portèrent à la demi-lune qui couvre la porte de
Rothenbourg ; mais, voyant des difficultés à s'en
rendre maîtres, ils cessèrent cette attaque et, lon-
geant tout autour de la ville, ils se portèrent vers la
porte Notre-Dame avec projet d'y faire de plus grands
efforts à la brèche, puisque les troupes qui avoient
A08 CAMPAGNES [1762]
attaqué les deux redoutes et communication en avant
de cette porte s'y dirigèrent aussi ; mais comme nous
avions tout prévu pour cette partie, ils y furent bien
accueillis.
Ils firent la faute de venir se mettre en bataille dans
une prairie à cent cinquante pas du bord du fossé, et
là, sans autre prévoyance, ils établirent un feu de
mousqueterie, comme si ce bruit eût dû faire tomber
les remparts, ou, semant l'épouvante, nous obliger
à ce qu'ils soubaitoient. Leur feu, dirigé dans les
ténèbres, le fut si mal que, vers cette attaque, il n'y
eut pas un seul bomme de tué ou blessé, tandis que
notre feu [fut] de front [et] des angles qui ne man-
quoient de les flanquer. Tous nos soldats [furent]
prévenus de ne tirer qu'ajustant leurs coups et d'où
partiroit le feu qu'ils verroient devant eux, ce qu'ils
observèrent parfaitement. Trois quarts d'heure de
fusillade terminèrent toute cette attaque ; les enne-
mis cessèrent leur feu et le nôtre le fut aussi.
Nous nous attendions que Luckner nous feroit
quelque attaque plus vive ; toute la nuit se passa à
être fort alerte, mais tout fut tranquille et, au point
du jour, nous découvrîmes toutes les troupes enne-
mies en panne à quinze ou dix-huit cents pas de
nos murs. Elles y restèrent jusqu'à sept heures.
Comme elles étoient très nombreuses, nous nous
comptions toujours menacés de quelque autre entre-
prise, lorsqu'à cet instant nous aperçûmes une quin-
zaine de chariots qui se dirigeoient vers les troupes
devant nous ; on soupçonna d'abord cette espèce
de convoi d'être de l'artillerie, mais nous ne fûmes
pas longtemps à voir que ce n'étoientque des chariots
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 409
de paysans qui arrivoient en effet à une grosse
ferme en face de nous, où les ennemis avoient déposé
leurs blessés de cette nuit ; ils les placèrent sur ces
chariots, que nous vîmes partir à neuf heures de
cette matinée.
Toutes ces troupes se mirent en marche et, par les
petits détachements de hussards ou de dragons qu'on
envoya après eux pour les observer, nous fûmes ins-
truits qu'ils se dirigeoient, par le chemin qu'ils
tenoient, à se porter à Fulda. Nous envoyâmes éga-
lement sur tous les différents terrains qu'ils avoient
occupés pendant la nuit, ainsi qu'à la ferme d'où nous
avions vu partir leurs blessés, pour connoître de la
perte qu'ils avoient faite ; il ne fut trouvé que douze
cadavres dans tous les différents lieux et à proximité
de la ferme où ils avoient ramassé leurs blessés. Nous
fûmes instruits parles paysans qu'ils y avoient enterré
de vingt-cinq à trente hommes, que sur dix-huit cha-
riots ils avoient mis soixante blessés, la plupart ayant
des blessures très graves ; à ajouter à ces différents
nombres les blessures légères, les ennemis perdirent,
en tués ou blessés, 150 hommes, tandis que la perte
de notre garnison ne fut d'un seul homme, excepté
les dix Suisses tués, blessés ou pris à la redoute
[24 juillet].
M. de Boisclaireau, très satisfait et joyeux de l'is-
sue de l'attaque qu'il avoit éprouvée, en rendit
compte avec empressement à M. le maréchal prince
de Soubise, et, par l'événement qui s'ensuivit, il
fut démontré qu'il ne suivit pas toutes les obliga-
tions auxquelles sa charge de chef de cette garnison
l'obligeoit. S'il le fît, ce qui n'est pas à présumer, la
410 CAMPAGNES [1762]
conduite du prince de Souhise fut très pailiale, fai-
sant tomber la seule gràee (ju'il fit accorder à M. de
La Motte, capitaine de sa légion de Souhise.
M. de Boisclaireau, dans sa reddition de compte, ne
pouvoit vanter la bonne grâce que cet officier a voit
mise à se joindre à sa garnison pour la conservation
d'Hirschfeld, puisque tout se passa comme je l'ai
dit ci-devant et qu'il m'eut obligation à moi seul
de l'y avoir déterminé, puisque je lui inculquois, au
moment de la crise où cet officiel- s'y refusoit, de le
faire arrêter. L'avoil-il vanté sur la manièie dont il
s'étoit conduit pendant l'attaque PClhose impossible:
placé de sa personne dans la tour au-dessus de la
porte Notre-Dame, il n'en avoit bougé de toute la
journée et pendant la nuit. Je le voyois cependant
gratifié de la croix de Saint-Louis à l'occasion de
cette défense, tandis que M. de Saint- Vincent de
Masclary, qui y avoit montré le courage et l'intelli-
gence d'un brave officier, ancien de service à M. de
La Motte, n'oblenoit rien.
M. de Boisclaireau, pour faire sa cour à M. le
maréchal de Soubise et pour, à son tour, s'attirer ses
bontés et protection dans l'occasion, n'avoit-il fait
valoir que le seul sieur de La Motte, officier de sa
légion ? L'humanité est capable de celte injustice.
M. de Boisclaireau garda-t-il le silence sur les offi-
ciers de la garnison, qui lui avoienl été si utiles,
ainsi que sur le sieur de La Motte, dont la fin a
prouvé toute l'intrigue? Dans les premières années de
la paix de 1762, [il fut] exécuté à Londres par l'ordre
du gouvernement anglois, convaincu d'y avoir
tramé chose préjudiciable à cette nation, ce qui lui
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 411
attira son supplice et sa mort, en représailles d'un
Anglois exécuté en France, nommé Douglas, accusé
et convaincu d'avoir combiné et voulu incendier
nos magasins de bois pour la marine à Brest.
Cet intrigant de La Motte eut-il le talent d'en
imposer au maréchal de Soubise, tournant sur lui et
les 200 hommes à ses ordres la conservation
d'Hirschfeld ? Je préfère le croire ainsi, tant pour
rendre justice au maréchal prince de Soubise qu a
M. deBoisclaireau.
Comme la vérité perce toujours, quelques jours
après cette attaque, je reçus une lettre de M. le
comte de DurfortS à cette époque colonel du régi-
ment de Picardie, aujourd'hui lieutenant-général
commandant en Dauphiné, par laquelle il me faisoit
compliment sur la manière distinguée dont je
m'étois conduit, m'offroit tous ses services si je
voulois en tirer quelque récompense, me disant
qu'il appuyeroit ma prétention de tout ce qui dépen-
droit de lui. J'ignorois alors tout ce qu'avoit pu
faire M. de Boisclaireau. Certain seulement qu'il
avoit rendu compte à MM. les Maréchaux de son
attaque, je devois me croire cette reddition de
compte favorable
Plein de reconnoissance de la lettre que j'avois
reçue de M. le comte de Durfort, je demandai à
M. de Boisclaireau la permission d'aller au camp
1. Louis-Philippe, comte de Durfort, né en 1720, lieutenant
au régiment d'Auvergne en 1744, capitaine en 1745, cornette
des chevau-légers de la Garde en 1752, brigadier en 1761,
maréchal de camp en 1762, lieutenant-général en 1781,
grand-crois de Saint-Louis en 1783.
412 CAMPAGNES [1762]
[où il se troiivoit] ; elle me fut accordée. Je partis
le lendemain, de grand matin ; j'y arrivai ponr
dîner avec mon colonel ; je lui fis le récit de notre
attaque ; il me réitéra ses offres de services ; ma
réponse fut laconique et en ces termes : « Monsieur
le Comte, encore un événement heureux où je puisse
prouver mon zèle, et j'aurai l'honneur de vous
prier alors de faire valoir les deux ensemble. »
Après dîner, je voulus partir de suite pour rentrer
le même jour à Hirschfeld, et y arrivai à la nuit
tombante
L'auteur s'étend sur la maladresse de Luckner, qu'il revit
à Valenciennes en 1767. Ce général, qui était alors au service
de France, prétendait n'avoir pas été présent à l'attaque
d'Hirschfeld.
La marche de Luckner sur Fulda continuoit à
avoir pour premier objet de donner à MM. les Maré-
chaux de l'inquiétude sur la communication de l'ar-
mée à Francfort et, pour second, de causer, s'il
lui étoit possible, quelque dommage notable à la
grosse artillerie de notre armée, que l'on évacuoit
sur Francfort, aux ordres de M. de Gclb, brigadier,
qui n'avoit pour l'escorter que 800 hommes d'infan-
terie et 200 chevaux.
Instruit, dès la seconde journée, de la marche de
Luckner, M. de Gelb arrêta son convoi et instruisit
les Maréchaux du danger de suivre sa destination
s'il n'étoit protégé d'un corps considérable qui pût
même obliger Luckner à se replier sur son armée.
MM. les Maréchaux donnèrent sur-le-champ ordre
à M. le comte de Stain ville (maréchal de Choiseul
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 413
aujourd'hui) de se porter, avec le corps à ses ordres,
composé des grenadiers de France, huit bataillons
de grenadiers royaux et quatre régiments de dra-
gons, à Hirschfeld et de là au château de Friedwald,
où j'avois passé quinze ou dix-huit jours, comme
je l'ai dit, et dont les ennemis s'étoient emparés le
lendemain que je l'avois évacué, de le prendre en
passant et de continuer sa marche vers Fulda.
M. le comte de Stainville arrive à Hirschfeld, fait
camper son corps sur la rive droite de la Fulda,
de sa personne la passe et vient passer la nuit à
Hirschfeld. M. de Boisclaireau l'y reçoit, lui donne
l'hospitalité et à souper. Avant que l'on se mît à
table, M. de Stainville lui demande ce que c'est
que ce château de Friedwald. M. de Boisclaireau
lui avoue ingénument que ses différentes occupa-
tions ne lui ont pas permis de s'y porter pendant
environ les trois semaines qu'il l'avoit fait occuper
par un capitaine de son détachement, et lui ajoute
que cet officier pourra lui en rendre un compte
très satisfaisant et détaillé. A cet instant, on avertit
que l'on a servi. M. de Boisclaireau me fait placer à
côté de M. de Stainville, afin que, pendant le repas,
cet officier général pût me faire les questions qui
dévoient l'instruire...
L'auteur fait à M. de Stainville une description très détaillée
du château de FriedM'ald, que le prince Raymond de Cassel
nommait sa Bastille et dont il avait fait un rendez-vous de
chasse, orné à l'intérieur de belles tapisseries de haute lice ;
château du moyen âge, flanqué de grosses tours, entouré de
fossés avec pont-levis, mais sans valeur militaire, occupé par
cinquante chasseurs seulement, mais dont, assurait-il, quatre
414 CAMPAGNES [1762]
coups de canon à boulets rouges tirés dans les charpentes
auraient facilement raison.
Le lendemain, M. de Stainvillc y envoie une brigade de
grenadiers de France, qui, ayant vainement essaye d'enlever
le château de vive force et la garnison refusant de se rendre,
fut obligée d'en venir aux moyens conseillés par l'auteur.
L'exécution en fut difficile, faute de gril à rougir les boulets.
Néanmoins on parvint à allumer la charpente. La petite gar-
nison fit une très belle défense et ne se rendit que chassée par
la violence du feu. Le château fut entièrement consumé.
Du jour que cette expédition fut terminée, le corps
aux ordres de M. le comte de Slain ville fit une
marche de deux lieues vers Fulda, et celui qui le
suivit en fit une seconde, instruit alors que Luckner
s'éloit retiré de cette ville et replié sur le camp volant
que commandoit milord Gramby.
La marche de M. le comte de Stainville n'avoit
été ordonnée que pour forcer Luckner à cette retraite
et rendre la route assurée pour le passage de la
grosse artilleiMc, conduite et escortée par M. de Gelb
jusqu'à Francfort.
Four nettoyer absolument cette route, M. de Stain-
ville envoya jusqu'à Fulda seulement 600 dragons.
Ce détachement de retour, M. le comte de Stainville
rejoignit l'armée de MM. les Maréchaux, dont le
projet étoit déporter, sous peu de jours, toute l'armée
vers Francfort.
Le prince Ferdinand, pour les y déterminer
plus promptement, fit un mouvement par sa gauche,
vint occuper la position que tenoit milord Gramby,
et celui-ci vint établir son camp à une lieue et
demie de Hirschfeld, ce qui, en effet, porta nos
maréchaux à venir camper à hauteur de Hirschfeld,
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. M5
leur camp établi sur la rive droite de la Fulda, où
toutes les farines qui étoient à Hirschfeld furent
consommées, et, pendant les cinq jours que dura
ce camp, MM. les Maréchaux calculèrent et déter-
minèrent leur marche pour se retirer à Francfort.
Ils adoptèrent, pour plus grande sûreté, de la faire
par la vallée et défilé de la Quinche. Tout com-
biné, l'armée se mit en marche. M. le marquis,
aujourd'hui duc de Castries \ fut chargé de l'arrière-
garde, dont la garnison de Hirschfeld faisoit partie.
M. de Castries l'augmenta de 800 hommes des diffé-
rentes armes, et ces 1.600 hommes, aux ordres de
M. de Boisclaireau, firent l'arrière-garde de M. de
Castries.
Pendant tous les jours que dura cette retraite,
nous n'aperçûmes de pelotons des ennemis, et en
cavalerie, que dans des éloignements, leur marche
toujours dirigée et à se présenter sur notre flanc
droit ; cette manœuvre annonçoit que nous n'étions
suivis que par des observateurs qui n'a voient nul
désir d'entreprendre sur nous, et du moment que
nous fûmes en^aoés dans les défilés de la vallée
de la Quinche, nous ne vîmes plus d'ennemis, et
si quelques-uns s'amusèrent à nous suivre, comme
il y a apparence qu'ils le firent sans doute, ce fut
en mettant entre eux et nous deux ou trois lieues
d'intervalle. Tout fut donc du plus grand calme.
Lorsque notre arrière-garde fut licenciée pour
1. Charles-Eugène-Gabriel de la Croix, marquis de Castries,
né en 1727, lieutenant-général en 1758, ministre de la marine
en 1780, maréchal de France en 1783, mort en 1801.
416 CAMPAGNES [1762]
que chaque officier et soldat eût à rejoindre son
corps respeclil", toute l'armée étoit campée à Bergen.
Nous la joignîmes au moment où elle faisoil une
marche en avant, dirigée sur Friedberg. Après une
marche de plusieurs heures et au moment où la
colonne de droite en étoit encore à une lieue, nous
entendîmes plusieurs coups de canon qui se tiroient
au couchant et derrière Friedberg, lesquels furent
suivis, l'instant d'après, d'un feu de mousqueterie
très nombreux, qui fut discontinué au bout d'un
quart d'heure. Comme à celte canonnade la marche
de notre colonne s'éloit accélérée, lorsque la mous-
queterie cessa, nous n'étions guère à plus d'un quart
de lieue de Friedberg. L'instant d'après, nous fûmes
instruits que. dès le matin, le prince héréditaire
de Brunswick avoit attaqué les salines, où il y avoit
400 hommes de nos tioupes légères, qui avoient
cédé promptement le poste qu'elles tenoient au
corps au\ ordres de ce prince, composé de 7.000
à 8.000 hommes; que ces troupes légères s'étoient
retirées sur la hauteur au bas de laquelle les salines
sont situées et que, peu de temps après, le Prince
héréditaire avoit marché à elles, qui, disputant peu
le terrain contre des forces si supérieures, le lui
avoient abandonné, se repliant du côté le plus à
proximité où elles aperçurent des troupes qui
venoient à elles.
Ces troupes étoient la division aux ordres de
M. le prince de Condé, composée de douze batail-
lons, deux brigades, une de cavalerie, l'autre de
dragons. Le prince de Condé fut instruit, par le
commandant de ses troupes légères, que la force
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 4l7
des ennemis en infanterie que l'on apereevoil sur
les hauteurs au-dessus de Friedberg, quoique cou-
verte d'un bois clair, avoit été nombrée autant
que possible et pouvoit consister en 6.000 hommes
d'infanterie et 2.000 chevaux. De plus, cet officier
assuroit que, lorsqu'il avoit abandonné les hauteurs
où étoient actuellement les ennemis, pas un homme
de leur cavalerie n'avoit passé le ruisseau qui coule
en avant des salines.
Mgr le prince de Condé forma donc la résolution
d'attaquer sur-le-champ le corps qu'il voyoit devant
lui. L'avant-garde de l'armée de MM. les Maréchaux
touchoit au moment d'arriver à Friedberg. Sa divi-
sion marchant, il la forme pour cette attaque; la
brigade de La Tour du Pin fait la première ligne ;
elle marche aux ennemis avec toute l'audace pos-
sible, en essuyant plusieurs décharges avant de
pouvoir les joindre et, sans s'amuser à tirer un seul
coup de fusil, elle arrive sur eux et les attaque
à coups de baïonnette. Les ennemis, étonnés de
tant d'intrépidité, font volte-face à cet instant. Le
carnage fut considérable. Cette brigade, qui n'avoit
fait jusque-là nul usage de son feu, leur fait alors
une décharge pleine dans les reins, et les plus lestes
suivent les fuyards ; à coups de baïonnette ils
vengent amplement les pertes qu'elle avoit faites,
tant en officiers qu'en soldats, pour arriver au
moment de les joindre.
Les ennemis perdirent à cette action, en prison-
niers, tués ou blessés, 2.000 hommes ; le prince
héréditaire de Brunswick fut du nombre des blessés
assez grièvement.
27
418 CAMPAGNES [1762]
Notre perte fut de 800 hommes tués ou blessés.
La brigade de La Tour du Pin, aujourd'hui Flandre
et Béarn, fut hi plus maltraitée ; sa perte fut de
500 hommes et 35 officiers tués ou blessés ; ce fut
celle aussi qui se porta avec le plus d'intrépidité et
de courage, vu qu'elle donna l'exemple de l'un et
de l'autre, faisant la tête de l'attaque.
Les ennemis descendirent, à toutesjambes et dans
le plus grand désordre, les escarpements qui, des
hauteurs de Friedberg, conduisent aux salines, et,
arrivant au ruisseau, à proximité duquel leur cava-
lerie, qui ne l'avoit point passé, étoit en bataille,
ils s'y jetèrent dedans pèle et mêle, le passèrent et,
gagnant la première hauteur de l'autre coté, ils se
rallièrent et s'y formèrent. Le soleil, à son couchant,
fut cause que Mgr le prince de Condé ne poussa pas
plus loin son avantage et sa poursuite. D'ailleurs, ce
ruisseau encaissé et tous ses bords très marécageux
présentoient de grandes difficultés et ce qui avoit
fait obstacle à la cavalerie des ennemis de tenter de
le passer ne pouvoit que présenter à la nôtre les
mêmes difficultés^ [30 août].
La division de Mgr le prince de Condé campa sur
son champ de bataille ; l'armée de MM. les Maré-
chaux avoit sa gauche en arrière de Friedberg, son
front et sa droite s'étendant tout le long du ruisseau
dont il vient d'être parlé, qu'elle avoit en avant
d'elle.
Pendant la nuit, la division aux ordres du prince
1. Ce combat est connu sous le nom de bataille de Johannis-
berg.
[1762] DE MERCOYROL DE BEÂULIEU. 419
héréditaire de Brunswick fit une marche rétro-
grade pour se rapprocher de son armée.
Le jour qui lui succéda fut employé à établir des
ponts sur le ruisseau et, le lendemain, la division
de Mgr le prince de Condé, qui fut renforcée de huit
bataillons et deux brigades de cavalerie, passa le
ruisseau, ainsi que toute l'armée, et, en deux
marches, la division du prince de Condé se porta
entre Giessen et Bauerbach, où M. le comte d'Enne-
r y S qui faisoit les fonctions de maréchal général
des logis de cette division, la plaça dans un terrain
aussi bien pris qu'avantageux.
Les ennemis, avec des forces très supérieures et
désireux de prendre leur revanche de l'action de
Friedberg, voulurent l'y attaquer. Après une canon-
nade très vive de part et d'autre, ils crurent le
moment venu de faire déboucher leurs troupes des
bois qu'elles occupoient pour attaquer ce prince,
dont l'artillerie, si heureusement disposée et placée,
suffit seule, par son feu meurtrier, à porter tant de
désordre dans les troupes ennemies, qui, pendant
trois fois, essayèrent en vain de se porter dans la
plaine pour marcher à ce prince, et les trois fois
[furent] rejetées dans le bois d'où elles étoient par-
ties, qu'elles renoncèrent d'y paroître une qua-
trième. La perte que firent les ennemis fut de 1.200
hommes; la nôtre de 150. Ce corps se replia sur
l'armée du prince Ferdinand.
1. Victor-Thérèse Charpentier, comte d'Ennery, maréchal
général des logis des camps et armées et capitaine réformé à
la suite du régiment de dragons d'Aubigné en 1756, maréchal
de camp en 1762, lieutenant-général en 1776.
420 CAMPAGNES [1762]
La combinaison des subsistances tint pendant
quelques jours, l'armée françoise dans la même posi-
tion, et ce fut dans ce camp que je reçus ordre du
maréchal prince de Soubise de me porter, avec
cinquante hommes de la brigade de Picardie et
trente hussards, au château de Konigstein et d'y
prendre le commandement, ordonnant à toutes les
troupes qui étoient dans ledit château de me recon-
noître et de m'obéir en ladite qualité, ledit ordre
donné au camp de Friedberg le l*"" septembre 1762.
Le 3, je me mis en marche pour cette destina-
tion, où j'arrivai du même jour, très content et très
satisfait de la bonté de ce château, qui appartient à
l'Électeur de Mayence, situé sur une sommité de
roche escarpée dans presque tout son pourtour, à
l'exception de la rampe rapide, très rapide du côté
de son entrée, seul endroit aisé à le gravir, avec plu-
sieurs petits ouvrages sur cette pente, qui se suc-
cèdent et se communiquent pour sa défense, établis
de manière qu'on ne peut les attaquer qu'un après
l'autre, avantage pour ma petite garnison, qui n'étoil
composée que de 220 hommes. Le rempart du châ-
teau étoit dans toutes ses parties bon ; il y avoit
dix-sept pièces de canon, dont douze sur leurs affûts,
qui paroissoient en bon état; plusieurs milliers de
poudres et quantité de boulets.
Je vis que, me pourvoyant de cartouches dont il
manquoit absolument pour la mousqueterie, ainsi
que de vi\res, un officier de mon grade pouvoit y
acquérir de l'honneur, qu'un simple capitaine étoit
là heureusement posté et qu'il ne lui restoit à dési-
rer que d'être attaqué.
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 421
En conséquence, j'écrivis à M. le marquis de la
Salle ^ lieutenant-général, qui commandoit à Franc-
fort ; je lui demandai quatre bœufs, cinquante sacs
de farine, des cartouches à balle et quatre canon-
niers. Ce général me fit passer tout ce que je lui
demandois ; je lui proposai dans ma lettre, très
détaillée, de lui tout rendre si je n'étois pas attaqué
et que j'eusse ordre de l'évacuer; que, quant à ma
subsistance du jour à la journée, je me la faisois
fournir par la ville de Rbnigstein, située au cou-
chant et au bas du château. Non content de cette
précaution, je tirai de cette ville tout ce qu'il me fut
possible, en vivres, boisson et fourrage ; je donnai
des reçus au bourgmestre de tous les objets de ces
différents approvisionnements, avec promesse de
lui tout remettre si je n'étois pas attaqué ou que j'en
partisse.
Au bout de quinze jours de séjour dans cette for-
teresse, je reçus l'ordre de l'évacuer, de me porter,
avec les troupes que j'y avois conduites, àBauerbach,
où j'aurois de plus à mes ordres deux compagnies
de grenadiers royaux et deux compagnies de Colo-
nel général-cavalerie, devant y rester jusqu'à nou-
vel ordre.
Sur-le-champ je pris mes précautions pour ren-
voyer à M. de la Salle tout ce qu'il m'avoit fait
passer en bœufs, farines et cartouches, que je fis
escorter par vingt hussards, avec ordre, à l'officier
qui les commandoit, de retirer les reçus que j'avois
1. Marie-Louis Cailiebot, marquis de la Salle, né en 1716,
mort en 1789.
422 CAMPAGNES [1762]
fournis de ces différents objets ; mon convoi partit
sous celle escorte.
Je fis appeler les bourgmestres ou échevins de
la ville de Ronigstein, je leur remis les clefs des
différents endroits qui renfermoient les denrées de
différentes espèces qu'ils m'avoient livrées, leur
disant qu'ils pouvoient les faire enlever du moment
que je serois parti, fixé au lendemain malin. Je
retirai d'eux les reçus que je leur en avois fournis
et les quittai.
Le soir de ce même jour, le lieutenant comman-
dant les hussards qui avoienl escorté mon convoi
à Francfort fut de retour et me remit tous mes
reçus. Je donnai l'ordre pour le départ du lende-
main et, au moment où nous allions nous mettre
en marche, m'arriva une dépulalion de MM. les
magistrats de Konigstein, au nombre de quatre, qui,
après m'avoir fait une belle harangue sur la tran-
quillité et le bon ordre que j 'avois fait observer à
ma garnison, la tranquillité et la paix d'elle avec les
habilants de la ville, la franche exactitude que
j'avois mise à leur faire remettre tous les différents
objets d'approvisionnement que j'avois exigés en
cas d'attaque dans le château de Konigstein et la
manière honnête dont j'avois toujours traité avec
eux les pénétrant de reconnoissance, me la mar-
quèrent, non comme ils la sentoientdans leur cœur,
mais par un petit présent pour moi et les deux offi-
ciers à mes ordres, que les circonstances et la lon-
gueur de la guerre ne permetloienl pas à cette ville
de pouvoir faire plus considérable. Ils me présen-
tèrent alors un rouleau ; j'étois si éloigné de penser
[1762] DE MERGOYROL DE BEA.ULIEU. 423
que ce fût de l'argent que je le reçus dans la main
et, au poids, je dis : « C'est de l'argent », et,
m'adressant à celui qui me le remettoit, je lui dis :
« Combien y a-t-il de gros éeus de six francs dans
ce rouleau ?» — « Vingt-quatre, » me répondit-il.
— « Et les deux que lient Monsieur (autre des dépu-
tés)? » — « Douze dans chacun, » me fut-il dit. —
« Pour qui sont-ils? » — « Pour les deux lieute-
nants. » Alors, remettant le rouleau que j'avois
d'abord reçu à celui d'eux qui me Tavoit remis, je
dis à ces messieurs : « Le roi de France, que nous ser-
vons, est un très grand monarque ; il a des milliers
de manières de récompenser tout François qui le sert
avec zèle ; sa volonté est qu'aucun de ceux à son
service puisse l'être par d'autres que par sa justice ;
il sauroit donc très mauvais gré à un de ses officiers
qui accepteroit le moindre don pour avoir fait son
devoir; ainsi, Messieurs, reconnoissants de votre
attention, je vous fais mes remerciements et refuse le
cadeau que la bonté de vos cœurs vous portoit à
m'ofFrir. Si votre intention est de faire l'offre à
laquelle vous étiez déterminés aux deux lieutenants
qui partent aujourd'hui avec moi, je vous prie,
comme l'un est très jeune, de leur dire combien il
m'en a coûté de refuser votre offre, ne voulant et
ne désirant rien faire qui pût vous choquer. »
Ces messieurs se prêtèrent à ma prière et ces
deux lieutenants remercièrent et ne voulurent rien
recevoir à leur tour. Nous partîmes, les laissant,
je pense, satisfaits de notre conduite et, pendant
notre marche, nous nous amusâmes de notre géné-
rosité. Le lieutenant du régiment de Picardie, M. de
424 CAMPAGNES [1762]
Laage ^ qui avoit de l'esprit et toute la gaieté de l'âge
de vingt et un ou deux ans, et qui croyoit s'aperce-
voir que le lieutenant des hussards avec nous improu-
voit fort cette générosité, fut très amusant, sans tou-
tefois pousser les plaisanteries trop loin.
Nous arrivâmes de cette marche à Bauerbach, où,
joint à mon détachement, je pris le commandement
des quatre compagnies dont j'ai parlé. Le lendemain,
je fis le tour des murailles, car l'enceinte n'est qu'un
simple mur ; après les avoir parcourues tant inté-
rieurement qu'extérieurement, je fis fermer deux des
portes pour diminuer la quantité de soldais de ser-
vice que ces deux portes ouvertes eussent exigés,
devant, de plus, fournir des escortes continuelles,
dont la cavalerie et les hussards étoient spécialement
chargés.
Mon séjour à Bauerbach fut du 18 septembre
jusqu'à la fin de la campagne, qui se prolongea vers
la mi-novembre, où, tous les préliminaires de la
paix signés par les Cours intéressées, le calme suc-
céda à tous les orages de la guerre. Mais, avant de
finir, je dois dire quels furent les derniers événe-
ments de cette campagne de 1762.
Le prince Ferdinand de Brunswick, malgré les
deux avantages remportés par Mgr le prince de
Condé, voyant qu'il ne pouvoit faire rétrograder
l'armée françoise plus en arrière et que Francfort,
objet de son ambition, [lui échappoit, et ayant] regret
de ne pouvoir encore, à cette fois, mieux réussir
1. Pierre-René de Laage, né à Saint-Maixent en 1741,
enseigne dans Picardie en 1759, lieutenant en 1760, retiré en
1777.
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 425
qu'il ne l'avoit fait lors de la bataille perdue à Ber-
gen, prit cependant la sage résolution de tirer avan-
tage des fautes multipliées de nos généraux ; la
position sur la rive droite de l'Ohm lui étoit plus
parfaitement connue que les campagnes précédentes,
lorsque, faute de cette connoissance, il laissa passer
ce ruisseau à l'armée du Roi, commandée alors par le
maréchal duc de Broglie, qui, depuis lors, poussa ce
prince et son armée avec tant d'avantage que tout
présageoit pour le maréchal une campagne très
brillante. Mais le nuage que lui occasionna M. le
comte du Muy à Warbourg, ayant à ses ordres la
division qui étoit précédemment à ceux de M. le
comte de Saint-Germain, fit éclipser tout ce brillant
et la Diemel, entre ces deux armées, y vit consommer
les vivres réciproquement de ces deux armées et
finir la campagne, qui, de son début, paroissoit si
menaçante pour les ennemis.
Le prince Ferdinand, bien assuré, vu la bonté de
la position que lui présentoient les hauteurs, escar-
pements et bois placés tout le long de la rive droite
du ruisseau de l'Ohm, de son encaissement et de ses
parties marécageuses, se détermina à se saisir de
cette position, d'où il lui paroissoit évidemment
qu'avec 40.000 hommes il lui seroit aisé de contenir
toutes les forces de l'armée françoise de 60.000 à
70.000 hommes ; que de celte défensive il pouvoit,
avec 20.000 ou 25.000 hommes, entreprendre le
siège de Cassel et, le prenant, réparer l'humiliation
qu'il avoit éprouvée, obligé d'en lever le siège qu'il
en avoit entrepris au commencement de 1761,
défendu à cette époque par M. le comte de Broglie, à
426 CAMPAGNES [1762]
celle actuelle défendu par M. le comte de Diesbach,
lieutenant-général.
Toutes ses combinaisons à cet égard se trouvèrent
fort justes, sa défensive n'éprouva nul échec, le siège
de Cassel se fit et la prise en couronna le succès.
M. le comte de Diesbach, y manquant de bien des
choses nécessaires à un long siège, fut obligé de se
rendre. Il ne s'y passa aucun fait d'armes intéres-
sant; les fortifications seules en firent la défense et,
lorsqu'elles furent battues, le général capitula, con-
tent d'obtenir les honneurs de la «uerre. L'armée
raisonna sur une défense si molle ; le général
Diesbach fut le but de bien des propos, mais la
paix qui succéda peu de jours après cet événement,
laissa dans le doute s'il n'avoit pas reçu des ordres
secrets pour rendre cette place, et son attaque, sa
défense et sa capitulation furent bientôt oubliées.
Use passa, pendant ce siège, l'attaque de la petite
ville d'Amœnebourg et celle de son château. Les
ennemis, se réunissant sur la rive droite de l'Ohm,
avoient laissé dans cette ville, ceinte d'un simple
mur, élevé seulement d'une toise et demie dans
quelques-unes de ses parties, et un château mauvais
pour sa défense mais mieux fermé, la ville et le
château situés l'un et l'autre sur un mamelon très
élevé, les ennemis, dis-je, avoient laissé, pour la
garde de l'un et de l'autre, 500 hommes : ce poste
est situé à la rive gauche du ruisseau de l'Ohm, avec
im pont de pierre sur ledit ruisseau, à côté duquel
est un moulin à farine avec une grosse tour carrée,
en pierre également, qui fait partie de ce moulin et du
logement du meunier et sa famille. (>e moulin étant
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 427
trop éloigné de la ville pour pouvoir en être protégé,
les ennemis avoient construit, de l'autre côlé du pont,
une redoute, négligemment faite, pour défendre le
passage du pont. A l'arrivée de l'armée françoise,
Amœnebourg fut investi et le moulin attaqué, que,
sans résistance, les ennemis abandonnèrent et où il
fut établi une garde de 200 hommes.
MM. les maréchaux d'Estrées et de Soubise, trou-
vant indécent que la ville et le château d'Amœne-
bourg, qui se trouvoient au milieu de notre armée,
fussent occupés plus longtemps par des ennemis,
chargèrent M. de Boisclaireau de s'en emparer et,
pour cet effet, lui donnèrent un corps de 2.000
hommes d'infanterie et quelques pièces de canon
pour battre le château.
M. de Boisclaireau fut, dès le matin, reconnoître le
poste qu'il se proposoit d'attaquer la nuit d'après.
Vers les deux heures de l'après-midi, il fit placer son
artillerie, qui fit feu sur un mur et, en peu d'heures,
il fil une brèche. Il disposa ses troupes pour l'attaque
de la ville et du château, afin qu'elle s'exécutât en
même temps.
L'officier hanovrien qui commandoit dans l'un
et l'autre n'avoit pas laissé plus de trente hommes
pour monter sur quelques parties du mur de la
ville, et avoit tout son monde dans le château, sen-
tant l'impossible de garder l'un et l'autre ; aussi les
troupes qui attaquèrent les parties de la ville ne
trouvèrent aucune résistance et, au lieu démarcher
après au château pour, par des attaques, en diviser
les forces, elles restèrent dans les lieux par où elles
avoient pénétré ; leur commandant s'occupoit d'em-
428 CAMPAGNES [1762]
pêcher le désordre et qu'il ne fût rien pris ou volé
aux habitants.
M. de Boiselaireau grimpa, avec environ 600 ou
700 hommes, par la brèche, qu'il trouva abandonnée
et pas un ennemi pour la défendre, mais, débou-
chant dans la cour qui lui succédoit, il fut accablé
d'un feu vif de mousqueterie. Ses soldats, sans
ordre et sans connoissance du lieu qu'ils attaquoient,
se portent à une porte que le hasard leur présente,
mais sans outils de force pour la rompre que des
petites et mauvaises haches. Nombre d'eux y sont
tués et les autres ne peuvent réussir ; cherchant
quelque autre issue, qu'ils ne rencontrent pas, ils
prennent le parti de se retirer vers la brèche et de
s'y mettre à couvert d'une mort sûre en restant plus
longtemps dans cette cour, où, fusillés de front et des
deux flancs par les fenêtres, le courage d'Achille et
d'Alexandre devenoit inutile.
Un petit peloton d'une douzaine d'hommes, à
l'aide d'une échelle de charrette qu'ils trouvent, la
dressent vis-à-vis d'une fenêtre : elle se trouve dé-
garnie et fermée ; ils l'enfoncent ; sans doute que le
bruit y attire du monde; deux de nos soldats éloient
déjà entrés ; les ennemis qui arrivent dans cette
chambre les blessent tous deux et les font prison-
niers, tirent quelques coups de feu par cette fenêtre
et le petit peloton d'officier et soldais, qui s'étoit
accru, regagna également la brèche.
Comme le jour approchoit, M. de lioisclaireau
prit le parti de se retirer et la prise de ce château
fut décidément manquée, non sans beaucoup de
plaintes de la part de M. de Boiselaireau, qui
[1762j DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 429
reprochoit aux deux ofïîciers commandant les troupes
des deux attaques faites par la ville, leur négli-
gence et insouciance d'avoir négligé de se porter
sur le château, après avoir gagné la ville, et d'en
faire l'attaque de ce côté, ce qui eût partagé leurs
forces et eût procuré à M. de Boisclaireau de réussir
à son attaque et peut-être à eux-mêmes d'être les
premiers à pénétrer et s'emparer du château.
M. de Boisclaireau eut à cet effet un vif chagrin ;
je l'en trouvai accablé quelques jours après, qu'il
vint me demander à dîner à Bauerbach, oùj'étois;
il me fit part d'un mémoire qu'il avoit fait pour se
justifier, où il chargeoit vivement un commandant
de bataillon du régiment du Roi infanterie, cette
nuit à ses ordres, commandant le bataillon des gre-
nadiers et chasseurs de ce régiment. Je lui observai
que de dire verbalement tout ce qu'il contenoit à
MM. les maréchaux d'Estrées et de Soubise, je
n'y voyois pas d'inconvénient, mais que si son
écrit étoit donné, cela alloit lui attirer un débat et
que je ne voyois pas où les suites pouvoient s'arrêter;
je le vis ébranlé à prendre le parti que je lui con-
seillois ; il dut le prendre, car il ne fut plus ques-
tion de cette affaire.
Comme l'on prenoit des préparatifs pour une
seconde attaque pour s'emparer de ce château et
de sa garnison, le commandant, qui y manquoit de
vivres et de munitions de guerre, proposa de remettre
ce château ; il vouloit les honneurs de la guerre.
Cette condition rejetée, on le voulut, lui et sa troupe,
prisonniers de guerre et, après des pourparlers
qui durèrent vingt-quatre heures, ils se rendirent
prisonniers de guerre.
430 CAMPAGNES [1762]
Quelques jours après, il se passa un événement
dont personne ne put se rendre compte quelle en
avoit été la première cause, ce qui fil juger que ceux,
soit des nôtres ou des ennemis qui l'avoient com-
mencé, furent tués pendant cette action.
Les Anglois occupoienl la redoute qui défendoit
le passage du pont sur le ruisseau de l'Ohm et sur
sa rive droite, comme nous le défendions aussi sur
la rive gauche, occupant le moulin et la tour en
pierre dont il a été parlé ci-devant. Naturellement
et sans accord prévu, il s'étoit établi que, de part
et d'autre, on ne se tireroit pas, lorsqu'au point du
jour, il se tira, d'un de ces deux postes, quelques
coups de fusil, sans savoir qui avoit commencé; il
s'établit un feu vif entre les ennemis et la redoute,
et nous au moulin et à la tour ; des troupes légères,
pour soutenir ce poste de notre part, s'y portèrent ;
une brigade d'infanterie, prévenue de s'y porter
en cas d'attaque, s'y rendit de suite. La curiosité
[étoit grande dans] notre camp; tout y étoit debout.
Les ennemis, qui avoient également des troupes
prévenues pour la défense de la redoute en cas
d'attaque, sans autres ordres, s'y portèrent aussi,
et, à mesure que l'on arrivoit de part et autre, on
s'y battoit. Les canons des régiments qui y étoient
arrivés commencèrent à se mêler au feu de la mous-
queterie; les ennemis, à leur tour, en firent appro-
cher. Nos généraux ordonnèrent alors que des
pièces des divisions du parc y fussent conduites ;
les deux armées, qui voyoient réciproquement leurs
mouvements, prirent les armes; l'artillerie se mul-
tiplia de part et d'autre au point que, dans trois
[1762] DE MERCOYROL DE BEA.ULIEU. 431
heures, cent pièces de canon de chaque côté se
firent un feu épouvantable.
Le prince Ferdinand ne savoit ce que nous vou-
lions exécuter selon toute combinaison et art de la
guerre ; il ne pouvoil lui tomber en idée que notre
projet fût de passer le ruisseau et l'attaquer dans
son camp ; mais tant d'autres fautes commises à la
guerre lui faisoient penser qu'elles pouvoient se
multiplier, et le siège de Cassel, dont une partie de
ses troupes étoient occupées alors, le détermina, à
tout événement, à soutenir, par sa canonnade, la
redoute du pont dont les Anglois étoient chargés et,
mettant son armée en bataille, à attendre pour voir
ce qu'il en viendroit.
Ses mouvements se faisoient sous les yeux de
l'armée françoise, et les nôtres avoient l'air, à leur
tour, de se calquer sur ceux des ennemis.
Le feu se continuant à la redoute, le moulin et
quelques mauvais retranchements qui y étoient
établis, les troupes angloises dans la redoute y
souffroient infiniment, y étant vues et plongées de
la tour du moulin, ce qui porta les Anglois à les
faire relever plusieurs fois. Le feu du canon étoit si
considérable, que, pour y arriver, les Anglois, par-
tant d'un bouquet de bois, venoientà toute course, à
la file les uns des autres, et gagnoient la redoute ;
ceux qui la quittoient s'en alloient comme les autres
étoient venus, et chemin faisant, soit des uns soit
des autres, toujours quelques-uns étoient moisson-
nés par le feu de notre artillerie. Nombre de pièces
étoient pointées sur la redoute et l'avoient si fort
détruite que les Anglois s'y tenoient la plupart
432 CAMPAGNES [1"62]
ventre à terre, les autres à genoux. Dans le cou-
rant de cette action, qui fut de plus de huit heures,
les Anglois s'y relevèrent dix fois ; on ohservoit que
ceux qui la quittoient n'étoient jamais moitié de ce
qu'ils y éloient venus; aussi ils supportèrent la forte
portion de la perte de celte journée, qui fut pour
eux de 1.400 hommes ; celle du reste de leur
armée de 600 hommes ; quant à celle des nôtres,
elle fut estimée de 800 hommes au plus.
Cette action fut nommée l'affaire du l*onl aux
ânes; le hasard Tengagea, et mal à propos le prince
Ferdinand de Brunswick nous soupçonna d'avoir
projet d'entreprendre sur son camp, chose impossihle,
puisque pour aller à eux il n'existoit sur le ruisseau de
l'Ohm que le pont de pierre entre le moulin que nous
occupions et la redoute à la rive droite qu'occupoient
les Anglois ; [il y avoit] par conséquent impossibilité
à nous de passer ce ruisseau comme à eux, qui ne
pouvoient y penser sur aucune raison, lorsque nous
pouvions avoir celle de dégager Cassel assiégé, mais
toute combinaison, à quelque égard que ce fût, deve-
noit fausse, mal vue du prince Ferdinand, comme
de nos maréchaux d'Estrées et de Soubise, et, à très
juste réflexion, donna-t-on à cette journée le nom
du Pont aux ânes.
L'artillerie, de part et d'autre, y consomma les deux
tiers de ses poudres et boulets par le feu de cent
pièces de canon dont fit usage chaque armée, et
cette journée, suivie, peu de jours après, d'une sus-
pension d'armes et des préliminaires de la paix,
moissonna ou fit près de 3.000 victimes.
Quatre jours après, nous fûmes instruits de la
[1762] DE MERCOYROL DE BEAULIEU. 433
capitulation de M. le comte de Diesbach, qui avoit
rendu Cassel sous les conditions des honneurs de
la guerre, et de la jonction de suite de sa garnison
à l'armée, qui fut peu contente de sa faible défense.
Ses raisons étoient qu'il étoit mal approvisionné en
vivres et munitions de guerre. Les reproches eussent
pu se prolonger, mais des courriers respectifs
arrivés au prince Ferdinand et aux maréchaux leur
apportèrent la paix. Cette nouvelle fit regretter plus
particulièrement la perte des malheureux de l'affaire
du Pont aux ânes et éteignit absolument tout propos
sur la prompte reddition de Cassel.
La suspension d'armes fut proclamée dans les
deux armées et, deux jours après, il y eut une
entrevue entre le prince Ferdinand, accompagné
de tous les officiers généraux de son armée, et
MM. les maréchaux d'Estrées et prince de Soubise
et tous les officiers généraux de l'armée françoise.
Nos maréchaux donnèrent une splendide halte au
prince Ferdinand et à ses généraux. Tout s'y passa
dans la plus grande courtoisie et tous furent con-
tents les uns des autres. Les armées commencèrent
ensuite à filer chacune sur son royaume respectif.
Suivant les anciens usages, le régiment de Picardie
quitta les pays conquis un des derniers; il ne
repassa le Rhin que vers la fin de décembre, après
une station de quelques semaines à Aschafenbourg.
Cette division de l'armée fut cantonnée à Oppenau
quelques jours, d'où elle partit pour entrer en
Alsace, où elle fut établie pour tenir garnison dans
les villes de cette province, et le 22 de janvier, le
régiment de Picardie arriva à Strasbourg, où il fut
28
434 CAMPAGNES DE M. DE BEAULIEU. [1762]
établi, pour y jouir d une tranquillité et d'un repos
bien mérités, après une guerre de six campagnes,
toutes très multipliées en événements de dangers,
de peines et de fatigues.
Le manuscrit se termine par des réflexions sur les diverses
réformes introduites dans l'organisation militaire, pendant la
longue période de paix qui suivit la guerre de Sept ans, par
les ministres Choiseul, Monteynard et Saint-Germain. Les
critiques sont plus nombreuses que les approbations. L'auteur
reproche à ces réformes de décourager les vieux soldats, de
porter atteinte à l'esprit de corps et à la valeur militaire des
vieux régiments ; il leur reproche surtout d'être défavorables à
ce qu'il appelle la noblesse de second rang. Il oppose les avan-
tages dont profite la noblesse de cour aux conditions qui sont
faites à la noblesse de province, quoique, comme ancienneté,
beaucoup de ses membres, dit-il, « valent mieux que quel-
ques-uns de nos ducs » ; gentilshommes pauvres, qui servent de
père en fils, satisfaits de se retirer, après une longue carrière,
avec le grade de capitaine, la croix de Saint-Louis et cent
écus de pension. Certains traits donnent des indications inté-
ressantes sur l'état des esprits, dans le corps des officiers, à la
veille de la Révolution; mais 1 ensemble du morceau est d une
rédaction trop imprécise, trop obscure et souvent trop incohé-
rente pour qu'on ait cru devoir le reproduire.
SOMMAIRES
Campagne de 1743.
L auteur rejoint le régiment de Picardie le 29 mars à Strau-
bing, jour de l'affaire de Deggendorf, p. 1. — Le maréchal
de Broglie évacue la Bavière, p. 6. — L'armée se porte à
Ingolstadt, puis à Donauwerth, passe le Neckar, puis le Rhin,
p. 6. — Picardie tient garnison à Strasbourg, p. 11. —
Marche sur Neuf-Brisach, p. 12. — Combats autour de l'île de
Rheinau, p. 13. — Quartiers d'hiver à Colmar, p. 14.
Campagne de 1744.
Picardie à l'armée du maréchal de Coigny, p. 16 ; à Lan-
dau, dans le corps commandé par M. de Lutteaux, p. 16. —
Marche sur Openheim et l'anse de Schmittau, p. 16. —
Retraite de Tennemi, p. 18. — Affaire des lignes de Weissem-
bourg, p. 20. — Marche sur Haguenau, p. 23. — Prise de
Saverne par le prince Charles, p. 24. — Maladie de Louis XV,
p. 24. — Prise de Prague par Frédéric II, p. 25. — Retraite
du prince Charles, p, 25. — Siège et prise de Fribourg,
p. 30. — Picardie cantonné en Souabe, p. 33.
Campagne de 1745.
Picardie rejoint vers Francfort l'armée du prince de Conti,
p. 34. — Après la victoire de Fontenoy, il est envoyé en
Flandre, à l'armée du maréchal de Saxe, p. 35 ; assiste aux
sièges d'Oudenarde, de Dendermonde, p. 36, d'Ath, p. 42,
et prend ses quartiers d'hiver à Verdun, p. 44.
436 SOMMAIRES.
Campagne de 1746.
L'auteur est détache sous M. de Rocqueval, capitaine de Picar-
die, pour faire la petite guerre, p. 45. — Coinbal du défilé
des Cinq-Étoiles, p. 51. — Prise de Charleroi, p. 52. —
Siège de Naniur, p. 53. — Marche vers Liège, p. 61. —
Batailles d'Ans, p. 65, et de Raucoux, p. 69. — L'auteur est
nommé capitaine, p. 72. — Il part pour le ^ ivarais, où il
engage des recrues pour sa compagnie, p. 77.
Campagne de 1747.
L'armée, aux ordres du maréchal de Saxe, s'assemble à la
Chartreuse de Louvain. Marche sur Tongres et ïongelberg,
p. 83. — Bataille de Lawfeld, p. 85. — Siège et prise de
Berg op Zoom, p. 97. — Picardie en garnison à Louvain,
p. 98.
Campagne de 1748.
Siège et prise de Maëstricht, p. 99. — Paix d'Aix-la-Chapelle,
p. 106. — Picardie en garnison à Lille, p. 107.
Campagne de 1757.
Début de la guerre de Sept ans, p. 108. — Picardie à l'armée
rassemblée à Wesel, sous les ordres du maréchal d'Estrées.
Marche sur le Hanovre, p. 110. — Bataille d'Hastenbeck,
p. 115. — Le maréchal d'Estrées remplacé par le maréchal
de Richelieu, p. 151. — Capitulation de Klosterseven,p. 153.
— Picardie en quartiers d'hiver à Brunswick, p. 157. —
Marche de Richelieu sur Lunebourg et retraite sur Zelle,
p. 157. — Opérations autour de Zelle, p. 161. — Prise de
Jlarbourg par l'enneirii, p. 171. — L'armée, désorganisée par
la maraude et les maladies, se replie sur le Rhin, p. 173. —
Le maréchal de Richelieu remplacé par le comte de Cler-
mont, p. 175.
SOMMAIRES. 437
Ca-mpagne de 1758.
Le prince Ferdinand ayant passé le Rhin vers Clèves, le comte
de Clermont se replie sur Rheinberg, p. 176. — Combats
d'arrière-garde, soutenus par MM. d'Arraentières et de
Vogué, p. 177. — Retraite sur Meurs, p. 179. — Bataille de
Crefeld, p. 179. — Détails sur la rivalité de Mortagne et de
Saint-Germain, p. 188. — Contades remplace le comte de
Clermont, p. 191. — Affaire de Frôwiller, p. 192. —
Retraite du prince Ferdinand, p. 199. — Échec de Chevert
à Meer,p. 201. — Habile retraite de Saint-Germain, qui con-
fie une mission particulière à l'auteur, p. 203. — L'armée
remonte vers le Nord, p. 205. — Succès de Chevert à
Lutzelberg, p. 207. — Picardie cantonné entre le Rhin et la
Meuse, p. 208.
Campagne de 1759.
Le prince Ferdinand se porte sur Francfort, p. 211. — Il est
battu par Broglie à Bergen, p. 212. — Broglie se dirige
vers le Nord pour rejoindre l'armée de Contades, p. 215. —
Bataille de Minden, p. 217. — Retraite sur Cassel, p. 236.
— Combats d'Eimbeck et des gorges du petit Munden,p. 239.
— Détails rétrospectifs sur la bataille de Minden et la bles-
sure du comte de Vogué, p. 244. — Séjour à Cassel, p. 250.
— Le maréchal d'Estrées à l'armée, p. 250. — Séjour à
Klein-Linden et à Annerod, p. 252. — Le maréchal d Estrées
et le maréchal de Contades quittent l'armée, dont Broglie
prend le commandement, p. 252. — Expédition du marquis
de Voyer sur Dillenbourg et du marquis de Vogué sur Her-
born, p. 253. — Prise d'Herborn, p. 255, et perte de Dil-
lenbourg, p. 257. — Picardie en quartiers d'hiver à Cologne,
p. 270.
Campagne de 1760.
Picardie rejoint sur l'Ohm l'armée de Broglie, p. 274. —
Passage de cette rivière, p. 275. — Combats heureux à Cor-
438 SOMMAIRES.
bach et à Sachsenliauson, p. 276. — Dilïicullés entre
Broglie et Saint-Germain, p. 278. — Echec de M. do Glau-
bitz, p. 280. — Mort de M. de Lanouë de Vair, p. 283. —
L'auteur est chargé dune expédition nocturne, p. 287. —
L'ennemi quitte Sachsenhausen et bat en retraite, p. 288. —
L'auteur fait partie de la colonne de M. de La Morlière qui
marche sur Hippcnshausen, p. 289. — Occupation de Cas-
sel, p. 300. — Disgrâce de Saint-Germain, p. 301. — L'au-
teur est chargé de l'atlaque d'un mamelon près de ^^ eimar,
p. 302, et d'une seconde expédition nocturne, p. 305. —
Echec de M. du Muy à Libenau et disgrâce de M. de La Mor-
lière, p. 307. — L'armée campe sous Cassel, p. 314. —
Relations de l'auteur et du prince de Condé. Conseils de
l'auteur à ses enfants, p. 316. — Heureux combat du prince
de Condé contre le général Wangcnheim, p. 324. — Que-
relle entre M. de Bréhant et le comte de Broglie : consé-
quences de cette querelle pour la carrière de l'auleur, p. 325.
— L'auteur passe l'hiver en Vivarais, p. 331.
Campagne de 1761.
L'auteur rejoint le régiment de Picardie à Fulda au début du
mois d avril. Belle défense de (Cassel par le comte de Bro-
glie. Brillante action du comte de Narbonne à Fritzlar,
p. 335. — Marche en avant, victoire de Broglie à Griinberg,
p. 337. — Revue de l'armée par le maréchal et la maréchale
de Broglie, p. 339. — Camp de Stadtberg. Mission de l'au-
teur à Saltzkotten, p. 339. — Jonction de Broglie et de Sou-
bise, p. 343. — Bataille de Villingshausen, p. 345. — Dissen-
timents de BroglieetdeSoubise,p.355. — Combat de Neuhaus,
p. 358. — L'auteur évacue Saltzkotten et y revient, p. 359. —
Rappel de Soubise, p. 361. — L'auteur fait partie du déta-
chement commandé par Gelb. Occupation d'Iloxter, p. 363.
— Retraite sur la rive droite du >\eser. M. de Gelb aban-
donne Hoxter, p. 369. — L'auteur commande un détache-
ment à Moringen, p. 370; est envoyé au château d'Arenstein,
p. 373, puis à Gôttinguc sous les ordres de M. de Vaux,
p. 375. — Rappel de Broglie, remplacé par Estrées et Sou-
bise, p. 377.
SOMMAIRES. 439
Campagne de 1702.
L'armée, rassemblée à Cassel, se porte vers le Nord, p. 379. —
Le prince Ferdinand passe laDiemel, p. 380. — Retraite de
l'armée, p. 380. — Le trésor en danger, p. 381. — Bra-
voure et pertes de la brigade d'Aquitaine, p. 383. — Eva-
cuation de la Hesse, p. 385. — L'auteur est envoyé à Hirsch-
feld sous M. de Boisclaireau, p. 387, puis au château de
Friedwald, p. 390, et de nouveau à Ilirschlcld, p. 393, qui
est attaquée sans succès par Luckner, p. 394. — Expédition
de M. de Stainville sur Friedwald, p. 412. — L'armée se
replie sur Francfort, p. 415. — Le prince de Condé bat le
prince héréditaire de Brunswick à Johannisberg, p. 416. —
L'auteur est envoyé au château de Kônigstein, p. 420, puis
à Bauerbachoîi ilrestejusqu'à la lin de la campagne, p. 421. —
Désintéressement et conduite généreuse de l'auteur, p. 422.
— Prise de Cassel par le prince Ferdinand, p. 424. — Prise
d'Amœnebourg par l'armée française, p. 426. — Combat dit
du Pont aux Anes, p. 430. — Suspension d'armes ; prélimi-
naires de paix. L'armée rentre en France. Picardie en garni-
son à Strasbourg, p. 433.
TABLE ALPHABETIQUE
A
Aerschot (la ville d'), 47, 48.
Agay (le capitaine d'), 351, 352.
Alfaria (le château d'), v.
Alpen (les hauteurs d'), 177 à
179, 206.
Alsace (le régiment d'), 307,
308, 342,351,352.
Amœnebourg (la ville d'), 274,
426 à 429. _
Anjou (le régiment d'), 384.
Annerod (la ville d'), 252.
Ans (le village et la bataille d'),
60 à 65, 73, 121.
Antin (Louis de Pardaillan de
Gondrin, duc d'), colonel de
Picardie, iv, 70 à 76.
Anvers (la ville d'), 83, 84, 97.
Aquitaine-cavalerie (la brigade
d'),181.
Aquitaine-infanterie (la bri-
gade d'), 383, 384.
Arenstein (le château d'), 333,
373 à 375.
Argenson (Marc-Pierre de
Voyer, comte d'), 253.
Argenson (René-Louis de
Voyer, marquis d'), 253.
Armand (le sergent), 294, 304.
Armentières (Louis de Brienne
Conflans, marquis et maré-
chal d'), 112, 177, 216, 259.
Aschafenbourg (la ville d ), 433.
Ath (le siège d'), 42 à 44.
Attelen (la ville d'), 340.
Audenarde (la ville d'), 36, 42.
Auguste m, électeur de Saxe,
roi de Pologne, 108, 204.
Auten (la ville d'), 177.
B
Balard (le fort), 54-74.
Barquier (le capitaine Pierre-
Joseph du), 382.
Bastia (la ville de), v.
Bataille de Mandelot (le lieu-
tenant Nicolas de), 37, 38.
Bauerbach (la ville de), 419,
421, 424.
Beauffremont (le régiment de),
258, 268.
Beauvau (Charles-Juste, prin-
ce et maréchal de), 250.
Belle-Isle (Gharles-Louis-Au-
guste Fouquet, duc et maré-
chal de), 218, 250, 301.
Belsunce (Armand, vicomte
de), lieutenant-général, 189,
.334.
Belsunce (la brigade de), 192,
234, 238, 240.
Benfeld (la ville de), 358.
Bergen (la ville et la bataille
de), 114, 172, 173, 211 à 216,
279, 283, 416, 425.
Bergier (Elisabeth de), dame de
Beaulieu, mère de l'auteur,
m, IV, 73 à 81.
Berg-op-Zoom (la ville de),
83, 97, 98.
Bigorre (le régiment de), 23.
Blaisel de la Neuville (Antoine-
Joseph du), lieutenant-géné-
ral, 185, 2.57.
Blot (Gilbert de Ghauvigny,
comte de), lieutenant-géné-
ral, 178, 179.
Blou de Ghadenac (Jean-Louis,
comte de), 117.
UW)
TABLE ALPHABETIQUE.
Rock(Mla villi' do), 358, 361.
Boisclairoau ( l^aul-Ignace Gué-
roult de), marôclial de camp,
'2G'.). ■ÎTU, -.'87, 288, 297, 305 à
308. 38(i à 415, 427 4 4211.
Bon (le chevalier de), 342, 372.
lioulîlers iLouis-Frant:ois. duc
et maiéchal de). 54, 00.
Bourbon (la brigade de), 65 à 68.
Bourbonnais (le régiment de),
2,310.
Brakel (la ville de), 362.
Brancas (la brigade de), 23.
BréhanI (Marie-Jacques, mar-
quis de), colonel de Picardie,
117 à \m^assim. 223. 240 à
243, 259 à 264, 325 à 327, 333.
Breidenbach (le colonel). 149.
Brème (la ville de), 215.
Brencken (la ville de), 340.
Breslau (la bataille et le siège
de), 155, 157.
Brisacli (la ville de Neuf-), 12.
Brisach (lavillede Vieux-), 13.
Brissac (Jean-Paul-Timoléon
de Cossé, duc et maréchal
de). 191 à 196, 231 à 237.
Broglie (François-Marie, duc
et maréchal de), 6, 7, 209, 284.
Broglie (Victor-Frangois, duc
et maréchal de), 112 à 387
passim, 425.
Broglie (la maréchale de),
épouse du précédent, 339.
Broglie (Charles-François,
comte de), 216, 284, 310, 325 à
327, 332 à 342, 372, 377, 425.
Broglie (N., vicomte de), 384.
Brosse {N., baron de), 298.
Brunswick (Ferdinand, duc de),
158 à 434 passim.
Brunswick (Charles-Guillaume
de), dit le « Prince Hérédi-
taire », 143, 231 k 240, 336,
41G à 419.
Brunswick {N. , prince de) , frère
du précédent, 391.
Brunswick (la ville de), 154,
157,171,174.
Bruslard (le lieutenant-colo-
nel de), 76, 82.
Bruxelles (la ville de), 45, 46,
99.
Buren (la ville de), 340, 343.
Bussy {N. de), 131, 132, 135.
Butte (la montagne dite la), 13,
14.
G
Caire (le colon(d comte de), 78.
Cahlen(la ville de), v, 301, 305,
313, 318.
Cascade (le bois de la), 379.
Cassel (la ville de), 215, 216,
234, 236, 240, 250, 275, 300,
309, 314, 315,324, 327, 335 à
339, 370, 372, 374, 379, 380,
385, 386, 392, 425, 426, 431 à
433.
Cassel (le prince de), 157, 158,
413.
Castries (Charles-Eugène-Ga-
briel de La Croix, marquis et
maréchal de). 250, 415.
Caupenne (Louis-H(niri, mar-
quis de), 374.
Chabrillan (Joseph- Dominique
de Moreton, marquis de), 353.
Chalabre (Jean-Pierre Roger
de), 162, 163.
Champagne (le régiment de),
2, 12, 66, 143, 214, 306.
Charleroi (la ville et le siège
de), 46. 50, 52.
Charles Vil, électeur de Ba-
vière), 176, 179, 188, 190.
Charles-Emmanuel III, Roi de
Sardaigne, 184.
Charles (le prince), 155, 156.
Châtelet (Marie-Louis-Florent,
comte, puis duc du), lieute-
nant-général, 135, 138 à 140,
193, 199.
Châtelet (Jean-François du),
marquis d'Haraucourt, 139.
Chauminy (le lieutenant de),
103.
Chevert (François de), lieute-
nant-général, 112 à 152, 191
à 197, 201, 202, 207,325.
Choiseul (Etienne-François,
comte de Stainville,puis duc
de), 385, 434.
TABLE ALPHABETIOUE.
443
Ghoiseul (Jacques de), comte
de Stainville maréchal de
France, 385,412 à 414.
Ghoiseul (Renaud-Gésar-Louis
de), maréchal de camp, 3G4
à 366.
Ghoux (le camp des), 24.
Ginq-Étoiles (le débouché des),
51.
Glausen {N., baron de), maré-
chal de camp, 346 à 354,
383.
Glermont (Louis de Bourbon-
Gondé, prince de), 53, 59, 61,
64,83 à 92, 174àl91.
Glermont d'Amboise (Jean-
Baptiste-Louis, marquis de),
42, 43.
Glèves (la ville de), 110, 176.
Goblence (la ville de), HO, 190.
Goigny (François de Franque-
tot, duc et maréchal de), 16
à 28, 185.
Golmar (la ville de), 14, 15.
Gologne (la ville del, 190, 211,
213, 214, 270, 274, 279.
Golonel général-cavalerie (ie
régiment de), 421.
Gommanderie des Vieux-Joncs
(la), 86, 95.
Gondé (Louis-Joseph de Bour-
bon, prince de), 289, 294 à
327, 338, 416 à 419, 424.
Gonflans (le marquis de), 259
à 264.
Gonstance (la ville de), 30.
Gontades (Louis-Georges-
Erasme, marquis et maréchal
de), 112, 191 k2b2passim.
Gonti (Louis-François de Bour-
bon, prince de), 5, 34, 35, 46,
52.
Goquelet (le fort), 54.
Gorbach (la ville et la bataille
de),214,274à280, 328.
Gornillon (Pierre-François de
Milany-Forbin, marquis de),
386, 387.
Gorwey (lavillede), 368.
Gouronne (le régiment de la),
51.
Gourten-Suisses (le régiment
de), 373.
Grefeld (la ville et la bataille
de), 179 à 190, 192.
Guchet (Marguerite de), dame
de Beaulieu, grand'mère de
l'auteur, iv, 1, 73 à 81.
Gumberland (Guillaume-Au-
guste, duc de), 113, 115, 125,
149.
Gursol (le capitaine de|, 51.
D
Dalibert (le lieutenant), 71.
Dassel (la ville de), 369.
Daumitz (le général), 32, 33.
Dauvet (Louis-Nicolas, mar-
quis), 255, 258.
Daverton (le capitaine Marie-
Jean-François), 339.
Deffand (Marie de Vichy, mar-
quise du), 81.
Deggendorf (la ville et la ba-
taille de), 2.
Dehaitz (le lieutenant Pierre),
306.
Delard (le lieutenant-colonel),
378.
Dendermonde (la ville de), 36 à
42.
Denocq (l'officier), 141.
Dettingen (la bataille de), 7.
Diedersen (lavillede), 149.
Uiemel (la), rivière, 307 à 315,
339, 380, 425.
Diesbach {N., comte de), 426,
433.
Digoine (la famille), 80.
Dillenbourg (la ville de), 254 à
268.
Dinant (la ville de), 52.
Dingelfing (la ville de), 1, 3, 5.
Donauwerth (la ville de), 7.
Doré (le capitaine Gharles-
Joseph), 101, 103.
Uribourg (la ville de), 362, 363.
Drusenheim (la ville de), 23,
24.
Dubois (le capitaine Jean-
Joseph-Féhx), 388, 406.
444
TABLE ALPHABETIQUE.
Durfort (Louis-Philippe, comte
de), 411.
Dusseldorf il;i ville do), ISfi,
201.
Duvivier (le major Jean-Bap-
tistc-Laurent Deys-), 272,
326, 341. 342, 386 à 388.
E
Eimbpck (la ville et le combat
d'),238à 243,369, 372.
Elden (lepontd'i, 162. 163.
Elsen (la ville d'), 358, 360.
Enghien (le régiment d'). 23.
114,148,283.
Ennery (Victor-Tiiérèse Char-
pentier, comte d'), lieutenant-
général, 419.
Ersen (le village d'), 313.
Erwitte (la ville d'), 345, 351,
360, 362.
Estrées (Louis-Gharles-César
Le Tellier, duc et maréchal
d'), 39, 40, 61 à 68, 110 à
151, 167,175, 250 à 252,377 à
434paAim.
Eu (la brigade d"), 133, 134,
146, 148.
F
Faresen (la ville de), 370.
Farges (le lieutenant-colonel
Joseph-Marc de), 271.
Fischer (le général Jean-Chré-
tien), 162 à 165, 259. 263.
264, 307, 312, 380.
Fischer (les chasseurs de), 162.
Fontanè.^ (Adélaïde de), dame
de Beaulieu, épouse de l'au-
teur VI.
Fort-Louis (le), 1. 23, 24, 26,
30.
Foucault (le capitaine Louis-
Daniel), 271, 306.
Francfort-sur-le-Main (la ville
de), 34, 208, 211, 212, 215,
250, 283, 3.36, 337, 385, 388,
390, 412, 414, 415, 421, 424.
Frédéric II, roi de Prusse, 25,
108 à m, 155 à 157, 232,279.
Fribourg (la ville et le siège
de), 30 à 33, 104.
Friedberg (la ville de), 416 à
418.
Friedwald (le village et le châ-
teau de), 390 à 393, 413,414.
Fritzlar (le combat de), 335.
Frowiller (le village de), 193,
195, 200.
Fulda (la ville de), 335, 339,
409,412 à41i.
Fulda (lai, rivière, 325, 389,
.390, 394, 413.
Furstenberg (la ville de), 363,
364, 368.
Furstenwald (le bois de), 384.
G
Gardes Françaises (les), 29,90,
91, 290,291, 293.
Gascoin (le lieutenant-colonel
de), 138, 140.
Gautier (le lieutenant-colonel
de), 3, 6.
Gelb (l'aide-major Jean-Joseph
de). 37 à 40, 189, 274, .307,
327 à 341, 363.
Gelb (Nicolas-Louis, dit le
comte de) , lieutenant-général,
141, 188 à 190, 212, 331,334,
363, 364, 368, 369, 412, 414.
Gembloux (la ville de), 50.
Geoffre de Chabrignac (le capi-
taine Jean-Baptiste-Joseph
de), 306, 378.
George II, roi d'Angleterre,
électeur de Hanovre. 113, 153.
Germersheim (la ville de), 20,
185.
Geseke (la ville de), 342, 360.
Giessen (la ville de), 216, 252,
253, 257, 419.
Gisors ( Louis-Marie Fouquet,
comte de), 143.
(Tlandevès(le capitaine de Nio-
selles de), 60, 74.
Glaubitz (Christian, baron de),
280, 281.
Goch(la ville de), 177, 208.
Gobfeld (la ville de). 231.
Gottingue (la ville dei, 189,315,
TABLE ALPHABETIQUE.
445
331 à 334,363, 365,370 à 376,
386.
Gramby (lord), 389, 414.
Gramond (le camp de), 35.
Gramont (Louis, duc de), 7.
Gramont (Silvain-.Toseph, che-
valier de), 147.
Grand- Villars (le capitaine de),
148.
Grassin (le régiment de), 61,
65, 68, 70, 83.
Gravenwisbach (le château de),
34.
Graveson (André de démens,
marquis de), m, 81.
Grebenstein (la ville de), 379 à
381.
Grenadiers de France (les), 180
à 183, 224,234,238,241,384,
385, 413.
Grenadiers royaux (les), 224.
Gross-Seelheim (la ville de),
250.
Grûnberg (la bataille de), 337.
Gueldre (la ville de), 110, 177.
Guenneppe (la ville de), 208.
Guerchy (Glaude-Louis-Fran-
çois de Régnier, comte de),
lieutenant-général, 194.
Guibert (Charles-Benoît, comte
de), lieutenant-général, 341,
342, 371, 376,386.
H
Hachenbourg (la principauté
d'), 253, 265, 270.
Haguenau (la ville et la forêt
d'), 23, 25, 26.
Hainaut (les volontaires de),
378.
Halberstadt (la ville d'). 154,
157.
Halle (la ville de), 112, 133,154.
Hameln (la ville d'), 115, 126,
144, 1.50, 151.
Hanes? (la ville de), 214, 216.
Hanovre (la ville de), 120, 121,
124,130, 154, 158.
Harbourg (la ville et le siège
d'), 159, 100, 171, 172, 283.
Hardegsen (la ville d'), 370.
Hastenbeck (la ville et la ba-
taille d'), 112, 115 à 143, 167,
251,294, 325.
Haur (la ville de), 206, 207.
Havre (Louis-Ferdinand- Jo-
seph de Groy, duc d'), lieu-
tenant-général, 352, 353.
Helmershausen (le village d'),
315, 379.
Herborn (la ville et la prise d'),
253 à 264.
Herderen (les hauteurs d'), 85
à 95.
Hienhagen (la ville de), 370.
Hildburghausen (le prince d'),
110, 279.
Hippenshausen (le village et la
bataille d'), v, 290 à 302, 316,
318, 328.
Hirschfeld (la ville et le siège
d'), 386 à 415.
Holtenfen (la ville d'), 369.
Hoxter (la ville d'), 111, 362 à
368, 376.
Huningue (la ville d'), 12, 14.
Huvs (Huis?) (la ville de), 180,
186, 188, 190.
Hme (!'), rivière, 369.
Immenhausen (la ville d'), 314,
383.
Ingolstadt (la ville d'),6, 7.
Johannisberg (la bataille de),
417, 418.
K
Klein-Linden (le camp de),
252, 253, 268.
Klosterseven (la capitulation
de), 151, 1.53, 157 à 175.
Konigstein (la ville de), 420 à
422.
Krumbach (la ville de), 392.
Laage (le lieutenant Pierre-
René de), 424.
446
TABLP: ALPHABETIQUE.
La Ghassagne ile lieuteaant-
colonel Firmin- Aimé Dassier
de). 258, î(ii,2(58.
La FpiiPstre (le capitaine Marc-
Joseph Baudet), 351, 352.
La Morlière (le lieutenant-gé-
néral de), 290, 307,308, 314.
La Motte (le capitaine François-
Henri de), 394 à 397, 402,
410, 41 L
Landau (la ville de), 12, 16,20,
24, 185, 195.
La Noue de Vair (Joseph- Ale-
xandre, chevalier de), 171 à
173, 212, 283, 284.
Landwehr (le fossé dit lel. 180,
186.
La PaluPtte de Coatquin (le ca-
pitaine Jean-Baptiste de),
141, 152.
La Ravoye (Louis Neyret,
marquis de), lieutenant-géné-
ral, 14, 15.
La Roche-Aymon (le régiment
de), 171.
La Rochethulon (Glaude-Phi-
lippe-Anne Thihaud de No-
blet, comte puis marquis de),
145, 146. 274, 287, 304, 305,
327à330, 337, 338.
La Salle (Marie-Louis Caille-
bot, marquis de), lieutenant-
général, 421.
La Tour du Pin (le régiment
de), 105, 253, 270, 417, 418.
Lauterbourg (la ville de), 20,
22, 185.
Laval (Guy- André-Pierre de
Montmorency, duc et maré-
chal de), 250, 316, 318.
Lawfeld (le village et la bataille
de), 87 à 97.
Leine (la), rivière, 369.
Le Prêtre (François-Charles),
baron de Théméricourt de
Jaucourt, 137.
Lestang (le capitaine Joseph
Payande), 51.
Lestrade {N.), oificier au régi-
ment de Navarre, 138.
Leuthen (la bataille de), 156.
Lévis (le comte de), colonel de
Picardie, 320.
Leyberg (la ville de), 339.
Libenau (la ville de), 301, 307
à 314, 379.
Libertat (M™*^ de), religieuse,
173.
Liège (la ville de), 61 à 63, 69.
Ligonier (le général Jean-
Louis), 94.
Lille (la ville de), 107, 331.
Lippe (la), rivière, 343, 345.
Lippstadt (la ville de), 345.
Lorraine (le prince Charles de),
12, 21 à 30,44.
Louis XV, roi de France, 24,
30,32.34.35, 46, 61,83 à 98,
211,336, 362.377.
Louis, dauphin de France, fils
de Louis XV, 34, 301, 377.
Louvain (la ville de), 46, 61,
83, 98, 203.
Lowendal (Ulric-Frédéric-
Woldemar, comte et maré-
chal de), 50 à 61, 70. 76, 97.
Lubbecke (la ville de), 216.
Luckner (Nicolas, baron et
maréchal de), 232, 255, 258,
3.56,3.58, 360, 390 à 414.
Lunebourg (la ville de), 158,
159, 170.
Lusace (Fr. -Louis-Xavier de
Saxe, comte de), lieutenant-
général, 204, 324, 340, 345.
Lusignan de Saint-Phèle (le ca-
pitaine René Gouhé de), 122,
145.
Lutteaux (Etienne le Ménestrel
de Hauguel, comte de), lieu-
tenant-général, 7 à 9, 16 à
21, 185.
Lutzelberg (la bataille de), 207.
Lynar (jY. de), ministre de
Danemark, 153.
M
Maastricht (la ville et le siège
de), 60, 83, 95 à 106.
Maillebois (Yves-Marie Desma-
rets, comte de), lieutenant-
général, 150, 167.
TABLE ALPHABETIQUE.
44:
Mailly (Augustia-Joseph,
comte et maréchal de), 250.
Main (le), rivière. 208, 209,336.
Malines (la ville de), 83.
Marbourg (la ville et le siège
de), 268, 281. 282.
Marche-Prince (le régiment de
la), 241, 274.
Marie-Thérèse, impératrice et
reine, 25.
Mariendorf (la ville de), 314,
379.
Marine lia brigade de la), 13,
114, 133, 144, 146, 148, 204.
Maupeou (Louis-Charles-Ale-
xandre, chevalier de), 23.
Mayence (l'Électeur de), 420.
Meer (le combat de), 202.
Mehaigne (la), rivière, 52.
Meisser ober Meisser (la ville
de), 380.
Mentzel (le général Jean-Da-
niel), 18.
Mercoyrol de Beaulieu (Jac-
ques de), seigneur de Mira-
val, grand-père de l'auteur, 1 .
Mercoyrol (Jacques de), sei-
gneur de Beaulieu. père de
l'auteur, m, iv, 73 à 81.
Mercoyrol (Jean-Baptiste de),
seigneur du Brau. oncle de
l'auteur, m, 1 à 5, 11. 15, 16,
39, 46, 73, 74.
Metz (la ville de), 24, 30, 262.
Meurs (la ville de), 179.
Meuse (la), rivière, 53, 60, 61,
70, 95, 96, 101, 177,208.
Meynard (le lieutenant Ar-
mand-Pierre de), 389.
Minden (la bataille de), 215 à
251.
Miraval (le capitaine), 148.
Molsheim (la ville de), 24, 25.
Monaco (la brigade de), 65 à 69.
Monet (les chasseurs de), 375.
Mons (la ville de), 46.
Monteil (le capitaine Aunès-
Antoine de), 141, 151, 152.
Monteynard (le marquis de),
lieutenant-général, 434.
Moringen (la ville de). 370 à
376.
Mortagne (Ernest-Louis Mor-
tani, comte de), lieutenant-
général, 176. 182 à 190.
Munden (la ville de), 240, 250,
300, 307 à 309.
Munich (la ville de), 190.
Munster (la ville et le siège de),
216 à 220, 226, 236, 268, 269.
Murhoft(la ville de), 339.
Muy (Louis-Nicolas- Victor de
Félix, comte et maréchal du),
276, 301 à 312, 340, 345, 356,
358, 359, 425.
N
Namur (la ville et le siège de),
53 à 61,70,72,73,77, 82,104.
Narbonne (Jean-François Pa-
let, comte de), lieutenant-gé-
néral, 335, 336.
Navarre (la brigade de), 112 à
146 j^assim, 180 à 200 passim.
Neckar (le), rivière, 9.
Neuhaus (le village et le com-
bat de), 340, 345, 351, 356 à
360, 365, 373.
Neustadt (la ville de), 275.
Nicolay (Antoine -Chrétien,
comte et maréchal de), 223,
224. 227, 242.
Noailles (Adrien-Maurice, duc
et maréchal de), 7, 25, 28,
29.
Noailles-infanterie (le régiment
de), 61, 70.
Nordman (le lieutenant-colo-
nel de), 255.
Noyelle (le capitaine Jean-
Baptiste de), 271.
Offendorf (la ville d'), 24, 3H.
Ohm (1'), rivière, 274, 275, 425,
426, 430, 432.
Oppenheim (la ville d'), 16, 185.
Oppenau (la ville d'), 433.
Orléans (Louis-Philippe, duc
d'), 133.
4'iS
TABLE ALPHABETIQUE.
Orlêans-cavalorie (le régiment
d'), -259 à 262.
P
Paderborn (la ville de), 3-40,
342, 358, 359, 362.
Paradis (le capitaine Pierre),
388, 394, 406, 407.
Paravicini (le général Jean-
Baptisto de), 258, 265 à 268.
Paravicini (le capitaine Joseph
de). 267.
Péreuso (le marquis de), lieute-
nant-général, 171.
Perhuis (le village de), 51.
Picards (le village des), 21, 22.
Pirna (le camp de), 108, 109.
Pont aux Anes (le combat dit
du), 430 à 432.
Prague (le siège de), 25.
Puys (la ville de), 179, 180.
Q
Quinche (la), rivière, 172, 212,
283, 391,415.
R
Randan (Guy-Michel de Dur-
fort, duc et maréchal de), 114.
1,33, 146 à 151.
Raucoux (le village et la ba-
taille de), 60, 69, 121.
Rees (le pont de), 176, 198, 201,
206, 207.
Reich de Platz (le capitaine de),
55, 50.
Reine-cavalerie (le régiment de
la), 70.
Uensfcldt (la plaine de), 340.
llheinau (l'île de), 13.
F{heinberg (la ville de), 176.
Pihin (le), fleuve, 6 à ÈOpassim,
110, 160 à 2Uii-)assim, 433.
Richelieu (Louis- F r a n i; o i s -
Armand du Plessis, duc et
maréchal de), 151 à 174, 195,
251.
Richemont (le capitaine de),
152.
Richevaux (le village et le com-
bat de), 26 à 28.
Hochambeau (M. de), v.
Rocqueval (le capitaine Joseph-
Salomon Fahre de), 47 à 49,
128, 178, 389, 390.
Roi-cavalerie (le régiment du),
373.
Roi-dragons (la brigade du),
356.
Rossbach (la ville et la bataille
de), MO. 154 à 157, 207, 279.
Rothenbourg (la ville de), 389,
390.
Rouergue (la brigade de), 229,
235.
Rougé (le marquis de), 353.
Rougé (le régiment de), 353,
354, 357.
S
Sabl)abourg (la forêt de), 307 à
309, 380.
Sachsenhausen (le village et le
combat de), v, 277 à 28'i)pas-
sim, 302 à 306, 318.
Sackville (lord), 230.
Saint-Chamans (Alexandre-
Louis, marquis de), lieute-
nant-général, 160,161.
Saint-Fort (le lieutenant), 103.
Saint-Germain (Claude-Louis,
comte de), lieutenant-géné-
ral, 91, 98, 154, 157, 179 à
214 passim, 276 à 280, 301,
307,434.
Saint-Maurice (le capitaine
Jean-Charles Ardoin de),
260.
Saint-Maurice (les grenadiers
de), 289 à 293.
Saint-Pern (Vincent-Juddes,
marquis de), lieutenant-gé-
néral, 184, 186.
Saint-Pierre (le camp de), 60,
96.
Saint-Pons (le capitaine de),
148.
Saint-Pons (le village de), ii, 81.
Saint -Victor (le baron de),
347 à 353.
TABLE ALPHABETIQUE,
449
Saint- Vincent de Masclary (le
capitaine Pierre de), 389, 400,
401,405, 410.
SalabertdeMingin(le capitaine
Joseph-Hector), 271.
Saltzkotten (la ville de), 34'-2,
357 à 362, 376.
Sandershausen (la bataille et
la ville de), 201, 209, 216,
300.
Saxe (Hermann-Maurice, comte
et maréchal de), 35 à 106
passim.
Saxe (le régiment de), 21.
Scheckenberg (le mont), 126,
129, 149.
Schmittau (l'anse de), 16, 18.
Segur (Philippe-Henri, mar-
quis et maréchal de), 206,
250.
Segur-infanterie (la brigade
de), 61, 65, 68.
Selacten (la ville de), 379.
Solling (la forêt de), 363 à 370.
Soubise (Charles de Rohaii,
prince et maréchal de), 110,
154 à 156, 197 à 209, 279,338
à i3i passim.
Spire (la ville de), 8, II.
Stade (lavillede),151.154, 157,
159.
Stadtberg (la ville de), 339,
340.
Stairs (lord), 7.
Strasbourg (la ville de), 11, 12,
24, 26, 30, 195, 433.
Straubing (la ville de), ni, 2,6.
Strohl (la ville de), 370.
Tanus (le lieutenant-colonel
Jean-Pierre d'Alary de), 66,
67.
Tignolet (le lieutenant Jean-
Baptiste Rignon de), 293,
294.
Tirlemont (la ville de), 60, 83,
98.
Tombes d'Octomont (le camp
des), 53.
Tongelberg (la ville de), 84,97.
Tongres (la ville de), 83 à 85,
91.
Touraine (la brigade de), 229,
235.
Tourant (le capitaine de), 27.
74, 77.
Tournai (le siège de), 35.
Toustain de Yiray (Rémy-
Charles, comte de), lieute-
nant-général, 370 à373.
Toustain (le régiment de), 370
à 373.
Traisnel (Claude-Constant de
Harville, marquis de), lieu-
tenant-général, 180.
Trendelburg (la ville de), 315,
379.
Trips (le général), 51.
Tuitsch (la), rivière, 314.
Turpin (les hussards de), 191.
Vallière (Jean-Florent de),
lieutenant-général, 125, 126.
Vanteaux (lelieutenantde),287.
Yassé (le chevalier de), colonel
de Picardie, 71,185.
Vaux (Noël de Jourda, comte
et maréchal de), 118, 189,
332, 334, 372 à 375.
Verdun (la ville de), 44.
Verteuil de Malleret (Marc-
Antoine, baron de), 333.
Vie (la ville de), 53, 54.
Vignol (le colonel de), 358, 360,
362.
Villemeur (Je an -Baptiste-
François, marquis de), lieu-
tenant-général, 167, 170.
Villepatour (Louis-P h 1 1 i p p (^
Taboureau de), lieutenant-
général, 285,286,351, 352.
Villingshausen (la bataille de),
345 à 357.
Viviers(lavillede), m, 1, 78, 80.
Vogué (Charles-François
Elzéar, marquis de), lieute-
nant-général, 81, 112, 167,
177, 244 à 268, 379, 387, 392.
Vogué (Jacques-Joseph-Fran-
450
TABLE ALPHABETIQUE,
(.•ois de), évèque dp Dijon.
244.
Vogué (Florimorid-lnnocoiit-
AnnetdeKcomtP de Montlor.
puis marquis de Moritclus,
244.
Vogiié (Cerice-François-Mel-
cnior, comte de), 244 à 249.
Vogué (xMarie-Anne-Magde-
leinede), marquise de Grave-
son, 81.
Vogué (le régiment de), 244,
245.
Volmer (la ville de). 300.
Voremberg (la trouée de), 128.
Voyer (Marc-René, marquis
de), lieutenant-général, 253 à
268 passim.
W
Wangenlieim (le général l. 2'.>8,
324.
Warbourg (la ville de), 27(j,
302 à 315, 425.
Weillnstadt ? (la ville de), 305.
Weilmunster (le château de),
34.
Weimar (le village de), 302,
304, 305, 309. 31 G, 318.
^Veissembou^g (la ville et le
combat de). 20 à 22. 185.
Welbach (la ville de). 314.
Werra (la), rivière, 325, 392.
WVsel (la ville de), MO, 111,
198 à 208, 214,210, 236, 343,
345,361,302.
W'eser (le), rivière, 111 à 115,
160, 215 à 217, 224 à 237,300,
309, 315, 362 à 369.
Westuflérn (la ville de). 380.
Wever (la ville de), 358 à 361.
Wilhelmstal (la ville de), 309.
VVolfenbùttel (la ville de), 154.
Wollhagen (la ville de), 326,
327.
VS^orms (la ville de), 18.
Worringen (la ville de), 190.
Z
Zelle (la ville de), 1.59 a 170.
Ziegenhain (la ville de), 275.
Zierenberg (la ville de), 299,
.300.
Zwergen (la ville de), 380.
TABLE DES MATIERES
Pages.
Avant-Propos i
Campagne de 1 743 i
Campagne de 1744 16
Campagne de 1745 34
Campagne de 1746 46
Campagne de 1747 83
Campagne de 1748 99
Campagne de 1757 108
Campagne de 1758 176
Campagne de 1759 209
Campagne de 1760 274
Campagne de 1761 335
Campagne de 1762 379
Sommaires 435
Table alphabétique des noms 441
MAÇON, PROTAT FRERES, IMPRIMEURS.
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